Les aspects juridiques d’une activité immobilière : l’aménagement

Dossier : Les X et le droitMagazine N°625 Mai 2007Par Jean-Luc NGUYEN (85)

Un processus juridique permettant une transformation physique

L’ac­tion d’amé­nag­er est une phase de trans­for­ma­tion d’un site, ren­due juridique­ment pos­si­ble à la suite d’une ou plusieurs autori­sa­tions délivrées par la puis­sance publique. Le proces­sus se traduit par un change­ment d’usage et de pro­priété, et implique trois acteurs : les pro­prié­taires ini­ti­aux du ter­rain, l’opéra­teur qui réalise la trans­for­ma­tion et la col­lec­tiv­ité publique en charge du droit des sols.

Il appar­tient en droit à la col­lec­tiv­ité publique de définir les prin­ci­pales règles de con­structibil­ité telles que la den­sité et la nature des con­struc­tions, dans un doc­u­ment d’ur­ban­isme à l’échelle com­mu­nale, le plan local d’ur­ban­isme (PLU).

Le cas de fig­ure le plus sim­ple est celui où la trans­for­ma­tion à opér­er sur le site est com­pat­i­ble avec les impo­si­tions du PLU ; l’ac­teur prin­ci­pal du proces­sus est alors l’opéra­teur, qui doit trou­ver un accord financier avec les pro­prié­taires du ter­rain, et dépos­er une demande de per­mis de con­stru­ire con­forme aux règles d’ur­ban­isme en vigueur. Cette con­fig­u­ra­tion est fréquente et con­cerne la majorité des con­struc­tions, et on par­le alors plutôt d’opéra­tions de con­struc­tion ou de pro­mo­tion immo­bil­ière que d’opéra­tions d’aménagement.

L’in­ter­ven­tion d’un amé­nageur se jus­ti­fie pleine­ment lorsque le doc­u­ment d’ur­ban­isme ne per­met pas de réalis­er le pro­jet envis­agé. Sur le plan des autori­sa­tions admin­is­tra­tives, il faut alors procéder en deux temps, en mod­i­fi­ant d’abord les règles de con­structibil­ité du PLU, ce qui per­met ensuite d’obtenir des autori­sa­tions de construire.

C’est dans cette con­fig­u­ra­tion que le proces­sus d’amé­nage­ment prend toute sa dimen­sion. Une fois les prin­ci­paux objec­tifs défi­nis par la col­lec­tiv­ité publique, un tra­vail itératif démarre entre les trois acteurs précédem­ment cités : entre la col­lec­tiv­ité et l’opéra­teur d’une part, notam­ment pour pré­cis­er si la réal­i­sa­tion du pro­jet néces­site des finance­ments publics ou au con­traire per­met de con­tribuer à la réal­i­sa­tion d’équipements publics ; entre l’opéra­teur et les pro­prié­taires, d’autre part pour trou­ver un accord con­ciliant les pré­ten­tions finan­cières de ces derniers et les impérat­ifs économiques du projet.

On peut con­sid­ér­er que, la plu­part du temps, les acteurs du pro­jet parvi­en­nent à des accords con­tractuels : sig­na­ture d’une con­ces­sion d’amé­nage­ment entre col­lec­tiv­ité et opéra­teur, et de promess­es de vente du fonci­er entre pro­prié­taires et opérateur.

À la fron­tière du droit pub­lic et du droit privé, l’amé­nageur devra veiller à l’équili­bre entre la puis­sance de la col­lec­tiv­ité publique gar­di­enne du respect du droit de l’ur­ban­isme, et la pro­priété privée garantie par le Code civ­il. Il arrive, sur cer­tains pro­jets, que cet équili­bre ne soit pas obtenu, lorsque la col­lec­tiv­ité a recours à l’ex­pro­pri­a­tion pour maîtris­er le fonci­er. Dans ce cas où le droit de l’ur­ban­isme l’emporte sur le droit de la pro­priété, l’opéra­teur d’amé­nage­ment est très sou­vent une struc­ture dépen­dant de la puis­sance publique, par exem­ple un étab­lisse­ment pub­lic ou une société d’é­conomie mixte.

Des implications juridiques très variées

La réal­i­sa­tion de l’opéra­tion d’amé­nage­ment va met­tre en présence et par­fois en con­cur­rence dif­férentes branch­es du droit privé et du droit public :

  • le droit immo­bili­er fait ain­si appel au droit de l’ur­ban­isme, qui regroupe notam­ment les règles applic­a­bles aux dif­férents doc­u­ments d’ur­ban­isme. Ces derniers se hiérar­chisent de la façon suiv­ante : à l’échelle de l’ag­gloméra­tion, il y a le sché­ma de cohérence ter­ri­to­ri­ale (SCOT), qui a rem­placé les anciens sché­mas directeurs comme le SDRIF pour l’Île-de-France, puis au niveau com­mu­nal le plan local d’ur­ban­isme (c’est-à-dire l’an­cien POS), et qui trou­vent enfin leur appli­ca­tion à tra­vers les per­mis de construire ;
  • le droit de la con­struc­tion est égale­ment pris en compte dans les pro­jets d’amé­nage­ment, à tra­vers les règles du Code civ­il : il peut s’a­gir par exem­ple des dis­tances à respecter par rap­port à la pro­priété voi­sine pour pou­voir créer des fenêtres, des bal­cons, ou encore du respect des vues ou de l’ensoleillement ;
  • le tra­vail sur le ter­rain d’emprise de l’opéra­tion d’amé­nage­ment fait inter­venir le droit de la pro­priété, pour les actes d’ac­qui­si­tion du ter­rain, mais aus­si le droit des tiers riverains ;
  • le proces­sus intè­gre aus­si le droit des con­trats, tout d’abord au niveau de la con­ces­sion d’amé­nage­ment con­clue entre la puis­sance publique et l’opéra­teur, et par la suite pour toutes les ventes d’im­meubles réal­isées par l’amé­nageur auprès de tiers acquéreurs (avec par exem­ple le cadre juridique spé­ci­fique de la vente en état futur d’achèvement) ;
  • la fis­cal­ité occupe enfin une part impor­tante dans ce type de pro­jet. Il peut s’a­gir des dif­férentes tax­es d’ur­ban­isme, par exem­ple la rede­vance pour non-créa­tion d’aires de sta­tion­nement, des­tinée à financer les parcs publics de sta­tion­nement, mais égale­ment de la fis­cal­ité des acqui­si­tions et reventes de ter­rains ou, plus récem­ment, la TVA réduite pour favoris­er la con­struc­tion de loge­ments dans les secteurs pri­or­i­taires ou défavorisés…

Une réglementation toujours plus complexe

Les branch­es du droit décrites précédem­ment sont cen­sées être bien con­nues et ” maîtrisées ” par les dif­férents inter­venants du proces­sus d’amé­nage­ment. En pra­tique, les acteurs (col­lec­tiv­ité, ser­vices de l’É­tat, opéra­teurs) ont du mal à retrou­ver leurs repères en cas d’évo­lu­tion sig­ni­fica­tive des textes, ce qui con­duit à frag­ilis­er sur le plan juridique les autori­sa­tions obtenues. À cela vient s’a­jouter la com­plex­ité induite par d’autres régle­men­ta­tions. En effet, depuis une ving­taine d’an­nées, la prise en compte de l’en­vi­ron­nement dans le proces­sus, à la fois par l’amé­nageur et la puis­sance publique, est indis­so­cia­ble des procé­dures liées au droit de l’urbanisme.

En pre­mier lieu, tout pro­jet d’amé­nage­ment doit pou­voir s’in­té­gr­er dans l’en­vi­ron­nement exis­tant, sans risque pour les futurs habi­tants. En amont, le choix de l’im­plan­ta­tion d’un pro­jet devra respecter les zones de risques naturels prévis­i­bles, qui sont délim­itées par la puis­sance publique. Il existe aujour­d’hui des plans de préven­tion des risques (PPR) naturels (d’i­non­da­tion, d’ef­fon­drement de car­rières ou de glisse­ment de ter­rain) ou tech­nologiques (présence d’in­stal­la­tions classées poten­tielle­ment incom­pat­i­bles avec l’ar­rivée de nou­velles pop­u­la­tions). Dans ces zones, des pre­scrip­tions par­ti­c­ulières sont édic­tées pour éviter tout risque, allant jusqu’à l’inconstructibilité.

Dans un sec­ond temps, une série d’é­tudes doit être réal­isée pour explor­er l’im­pact d’une opéra­tion pro­jetée sur son envi­ron­nement. Ain­si, l’amé­nageur devra véri­fi­er la qual­ité du sol avant la réal­i­sa­tion du pro­jet et le cas échéant procéder à sa dépol­lu­tion de sorte que le ter­rain soit com­pat­i­ble avec l’usage pro­jeté. Il devra égale­ment jus­ti­fi­er du respect des règles de pro­tec­tion d’un autre élé­ment : l’eau. Les études préal­ables devront apporter la démon­stra­tion de la non-pol­lu­tion des eaux présentes sur le site (nappe, riv­ière, ru…) par l’im­per­méa­bil­i­sa­tion des sols et les efflu­ents rejetés. Dans les zones sujettes à des pluies tor­ren­tielles, l’amé­nageur devra par exem­ple démon­tr­er que l’im­per­méa­bil­i­sa­tion de cer­taines sur­faces n’ag­grave pas le risque hydraulique.

On pour­rait encore, au risque de don­ner l’im­age d’un par­cours d’ob­sta­cles sans fin, par­ler des études sur la qual­ité de l’air, sur le traf­ic engen­dré par une opéra­tion, ou en cas de démo­li­tion ou de réha­bil­i­ta­tion, de la pro­tec­tion con­tre la présence d’ami­ante ou de plomb. Il faut tout de même admet­tre que la ten­dance lourde est à l’aug­men­ta­tion des régle­men­ta­tions à pren­dre en compte.

L’incertitude juridique

La con­séquence de cette com­plex­ité crois­sante ne serait qu’un délai de réal­i­sa­tion allongé si les procé­dures ou règles étaient claires et con­nues de tous les inter­venants. En pra­tique, des aspects juridiques implicites ou cachés ren­dent par­fois le pilotage d’un pro­jet d’amé­nage­ment plus aléatoire.

On a assisté à l’émer­gence d’un nou­veau principe, le principe de pré­cau­tion, recon­nu lors du som­met de la Terre réu­ni à Rio en 1992 et intro­duit en droit interne français par le lég­is­la­teur. En présence d’un risque sus­pec­té, ce con­cept va trou­ver à s’ap­pli­quer ; ain­si, pour prévenir la sur­ve­nance d’un dom­mage ” incer­tain “, la puis­sance publique veillera à l’adop­tion de mesures adéquates, pou­vant aller jusqu’à met­tre fin au projet.


Le Palais de jus­tice de Paris.

Cer­tains pro­jets d’amé­nage­ment se trou­vent ain­si remis en cause pour des raisons non objec­tives, si l’on se réfère au droit ou à la tech­nique, mais qui trou­vent leur expli­ca­tion dans l’ap­pli­ca­tion du principe de pré­cau­tion, con­sid­éré dans beau­coup de cas comme le gage d’une prise de risque maîtrisée.

Dans cer­taines sit­u­a­tions, néan­moins, cette pru­dence peut aller à l’en­con­tre des enjeux de la société sur le plan envi­ron­nemen­tal. Par exem­ple, lors d’une recon­ver­sion de site indus­triel présen­tant une pol­lu­tion de nature chim­ique, et en l’ab­sence de normes claires, il arrive que les con­clu­sions des études de dépol­lu­tion ne suff­isent pas à l’ad­min­is­tra­tion, qui demande alors des pré­cau­tions sup­plé­men­taires, dont le sur­coût con­duit in fine à aban­don­ner le pro­jet. Appliqué de cette façon, le principe de pré­cau­tion aura évité de met­tre en risque de futurs habi­tants ; mais il ne faut pas oubli­er que la pol­lu­tion reste de ce fait en place, et que l’op­tion retenue n’a pas pris en compte son impact à long terme sur les riverains du site.

Pour illus­tr­er la fragilité juridique d’une opéra­tion d’amé­nage­ment, on peut aus­si par­ler des risques induits par des actes par­fois très anciens. C’est le cas d’un pro­jet réal­isé sur un ter­rain préal­able­ment urban­isé sous forme d’un lotisse­ment ; même si l’opéra­tion respecte par­faite­ment le droit de l’ur­ban­isme, les con­struc­tions peu­vent s’avér­er incom­pat­i­bles avec le cahi­er des charges du lotisse­ment ini­tial (qui peut dater d’une cen­taine d’an­nées dans cer­tains quartiers) ; dès lors, un riverain pro­prié­taire d’un bien con­stru­it dans le cadre de ce lotisse­ment ancien pour­rait deman­der la démo­li­tion d’une con­struc­tion neuve non con­forme. Ce risque est certes min­ime car, avec le temps et les muta­tions suc­ces­sives, de moins en moins de per­son­nes con­nais­sent l’his­torique du site, mais il est bien réel en droit.

Du moins l’é­tait-il jusqu’en jan­vi­er de cette année où un décret per­met de faire ” dis­paraître ” ces règle­ments anciens, sauf demande explicite des colo­tis. Cette dernière évo­lu­tion mon­tre d’ailleurs que le droit peut aus­si être une matière vivante, qui découle d’ex­péri­ences vécues, et faisant ain­si preuve de bon sens.

Pour finir sur une note pas trop pes­simiste, on peut tout de même con­stater que, mal­gré la com­plex­ité décrite dans cet arti­cle et des délais sou­vent très longs, les pro­jets arrivent à se con­cré­tis­er. La réal­i­sa­tion d’une opéra­tion d’amé­nage­ment est désor­mais étroite­ment liée au respect d’un par­cours juridique sub­til. On pour­rait même par­ler de ” mec­ca­no juridique “, avec des procé­dures emboîtées ou reliées les unes aux autres. De ce fait, la com­pé­tence juridique des inter­venants devient un fac­teur déter­mi­nant de réus­site d’un pro­jet. Dans un con­texte lég­is­latif et régle­men­taire qui évolue rapi­de­ment, tou­jours dans le sens d’une com­plex­ité crois­sante, les pra­tiques pro­fes­sion­nelles peu­vent devenir obsolètes en quelques années.

L’amé­nageur ” non-juriste ” est ain­si amené à se tenir infor­mé en temps réel des change­ments, pour actu­alis­er sa pra­tique. Il doit surtout bien con­naître ses lim­ites, et s’en­tour­er de spé­cial­istes com­pé­tents dans les dif­férents domaines, afin de dimin­uer le risque juridique.

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