L’épreuve des différences

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°650 Décembre 2009Par : Philippe d’Iribarne (55)Rédacteur : Christian Herrault (69)Editeur : Paris - Editions du seuil - 2009

Cou verture du livre : L'épreuve des différencesDepuis la paru­tion de son livre, La logique de l’honneur, en 1989, Phi­lippe d’Iribarne est bien connu de ceux qui s’intéressent dans les entre­prises au mana­ge­ment inter­cul­tu­rel. Dans le der­nier livre qu’il vient de publier, L’épreuve des dif­fé­rences ; l’expérience d’une entre­prise mon­diale, il teste et affine ses tra­vaux de recherche pré­cé­dents en ras­sem­blant ceux qu’il a effec­tués sur une grande entre­prise aux racines fran­çaises dont l’internationalisation s’est gran­de­ment accé­lé­rée à la fin des années quatre-vingt et qu’il fré­quente depuis une ving­taine d’années : Lafarge.

Lafarge, créée dans la pre­mière moi­tié du xixe siècle en Ardèche, est aujourd’hui pré­sente dans près de 80 pays et ras­semble plus de 80 000 col­la­bo­ra­teurs. Elle est connue pour sa forte tra­di­tion huma­niste, for­ma­li­sée pour la pre­mière fois dans les années 1970 dans ses Prin­cipes d’action, actua­li­sés depuis tous les cinq à sept ans. La der­nière ver­sion de ces Prin­cipes, qui date de 2003 et a été tra­duite dans une tren­taine de langues, a fait l’objet d’une vaste expli­ci­ta­tion au niveau local dans tout le Groupe à tra­vers le pro­jet de mobi­li­sa­tion « Lea­der for Tomor­row » (LFT) qui s’est déployé sur le ter­rain entre 2003 et 2005.

Les études et enquêtes qui ont ser­vi de matière à L’épreuve des dif­fé­rences ont été réa­li­sées entre 2004 et 2007. Com­ment un Groupe aux racines fran­çaises et de forte tra­di­tion huma­niste relève le défi de l’internationalisation ? Que par­tagent véri­ta­ble­ment les enti­tés locales dans les valeurs affi­chées dans ses Prin­cipes d’action ? Quel rôle ceux-ci jouent ? Com­ment sont-ils décli­nés et vécus au niveau local ? Telles sont les ques­tions trai­tées dans son livre.

Phi­lippe d’Iribarne com­mence par une ana­lyse séman­tique des ver­sions fran­çaise et anglaise – ou plu­tôt amé­ri­caine – des Prin­cipes d’action pour consta­ter que la tra­duc­tion les adapte de fait au contexte auquel ils s’adressent et qu’il y a ain­si deux manières dif­fé­rentes, en France et aux USA, de les « mettre en scène ». Après des cha­pitres consa­crés à l’analyse de la façon dont les col­la­bo­ra­teurs de Lafarge vivent ces Prin­cipes en Chine et en Jor­da­nie, il étend son pro­pos à l’ensemble du Groupe en ana­ly­sant les résul­tats d’une enquête effec­tuée auprès de tous les sala­riés en 2006 suite au déploie­ment de LFT. Cette enquête posait des ques­tions por­tant sur la façon dont cha­cun se sen­tait trai­té par l’entreprise (sécu­ri­té, recon­nais­sance du tra­vail fait, rému­né­ra­tion, etc.), sur l’organisation du tra­vail ou encore sur son propre enga­ge­ment à l’égard de l’entreprise.

À tra­vers les résul­tats de cette enquête, Phi­lippe d’Iribarne expli­cite la varié­té des formes locales d’adhésion à un pro­jet d’entreprise. Il nous invite à la pru­dence, avec exemples à l’appui, pour inter­pré­ter les scores obte­nus dans dif­fé­rents pays. Des scores pré­ten­dus bons peuvent ne tra­duire que la culture ambiante et n’avoir pas grand-chose à voir avec le bon fonc­tion­ne­ment de l’entreprise.

Être opérationnel

De plus, un pays ne pré­sente pas un contexte « homo­gène », dès qu’il s’agit de trou­ver des actions à mettre en œuvre ; il faut des­cendre au niveau du site de tra­vail pour être opé­ra­tion­nel. Dans son der­nier cha­pitre, Phi­lippe d’Iribarne dis­tingue la notion de « Valeurs », qui appar­tient au monde des idéaux, de celle de « Cultures » qui tra­duit une réa­li­té beau­coup plus concrète et quotidienne.

Il note que les Prin­cipes d’action de Lafarge relèvent simul­ta­né­ment des deux registres et montre com­ment Lafarge a réus­si à conci­lier l’universalité de ses valeurs et le res­pect des cultures « locales ». Tout en res­tant modeste devant un sujet aus­si com­plexe, il est pos­sible de mon­trer que la mon­dia­li­sa­tion n’est ain­si pas syno­nyme « d’uniformisation », que les entre­prises inter­na­tio­nales peuvent construire patiem­ment des pra­tiques en cohé­rence avec leurs valeurs et les réfé­rences des pays d’accueil et qu’une entre­prise aux racines fran­çaises et huma­nistes peut réus­sir à se mon­dia­li­ser sans perdre ses valeurs, en étant effi­cace sur le plan éco­no­mique tout en res­pec­tant les cultures locales.

Tous les mana­gers tra­vaillant dans le domaine inter­na­tio­nal béné­fi­cie­ront cer­tai­ne­ment de la lec­ture de ce livre.

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