L’entretien des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins

Dossier : La maintenanceMagazine N°564 Avril 2001
Par Jean-Louis ROTRUBIN (72)
Par Emmanuel CHOL (88)

La force océanique stratégique (FOST)

Depuis trente ans, DCN Brest assure l’en­tre­tien et le main­tien en con­di­tions opéra­tionnelles (MCO) des sous-marins nucléaires lanceurs d’en­gins (SNLE) sur les sites de Brest et de l’Ile Longue.

Le Red­outable, lancé en 1969, et effec­tu­ant sa pre­mière patrouille opéra­tionnelle début 1972, fut le pre­mier élé­ment de la com­posante océanique de la dis­sua­sion nucléaire.

En 1980, la force océanique stratégique comp­tait cinq SNLE équipés de mis­siles M20.

En 1985 était admis au ser­vice act­if L’In­flex­i­ble, con­stru­it sur la base de l’ar­chi­tec­ture générale des SNLE type Le Red­outable, mais équipé de mis­siles M4 à portée et capac­ité de péné­tra­tion accrues.

De 1987 à 1993 étaient alors réal­isées les refontes de qua­tre des SNLE M20 pour leur don­ner la capac­ité M4.

En 1997 était admis au ser­vice act­if Le Tri­om­phant, pre­mier SNLE de nou­velle généra­tion, aux capac­ités forte­ment accrues par rap­port aux SNLE précé­dents. Il a été suivi fin 1999 par Le Téméraire.

Les prin­ci­pales évo­lu­tions de ce nou­veau type sont les suivantes :

  • un domaine immer­sion-vitesse élar­gi fortement,
  • une diminu­tion très impor­tante du niveau de bruit ray­on­né par le sous-marin,
  • une capac­ité de détec­tion accrue,
  • une plus grande disponi­bil­ité du sous-marin en por­tant l’in­ter­valle entre deux entre­tiens majeurs de cinq à sept années.


La pro­fonde évo­lu­tion du con­texte inter­na­tion­al et la réduc­tion des dépens­es ont con­duit à revoir à la baisse le nom­bre de SNLE en ser­vice, de six à quatre.

Aujour­d’hui sont en ser­vice deux SNLE M4 (L’In­dompt­able et L’In­flex­i­ble) et deux SNLE NG (Le Tri­om­phant et Le Téméraire).

En 2008, les deux derniers SNLE M4 auront été rem­placés par Le Vig­i­lant, et Le Ter­ri­ble, pre­mier SNLE NG en ver­sion M51 (nou­veaux missiles).

La maintenance de la FOST

La FOST regroupe les sous-marins nucléaires lanceurs d’en­gins, les mis­siles équipés de têtes nucléaires, les moyens de trans­mis­sions spé­ci­fiques et les moyens ter­restres asso­ciés (base de l’Ile Longue, cen­tre d’en­traîne­ment des équipages). DCN Brest par­ticipe à la main­te­nance de l’ensem­ble de ces com­posantes ; nous nous intéresserons plus par­ti­c­ulière­ment ici à la main­te­nance des SNLE.

Les SNLE de nou­velle généra­tion ont une durée de vie de trente ans. Entre chaque patrouille (d’une durée supérieure à deux mois) est réal­isée une IE (indisponi­bil­ité pour entre­tien) d’une durée de l’or­dre d’un mois. Tous les sept ans se déroule un caré­nage majeur du bâti­ment d’une durée d’en­v­i­ron deux ans. Lors de ces grands caré­nages, il peut être entre­pris une refonte du bâti­ment. Cela a été le cas pour les qua­tre SNLE M20 refon­dus en ver­sion M4. Ce le sera aus­si pour les trois pre­miers SNLE NG qui seront refon­dus à l’oc­ca­sion de leur pre­mier ou sec­ond grand caré­nage en ver­sion M51.

Les spé­ci­ficités de l’en­tre­tien de ce type de sous-marins sont les suivantes :

  • présence d’un réac­teur nucléaire,
  • présence de mis­siles bal­is­tiques équipés de têtes nucléaires,
  • exi­gence d’une très forte disponi­bil­ité, notam­ment accrue par la réduc­tion du nom­bre de SNLE en service,
  • main­tien au plus haut niveau de la car­ac­téris­tique fon­da­men­tale de ces navires : l’in­vul­néra­bil­ité reposant essen­tielle­ment sur la dis­cré­tion acous­tique et la capac­ité de détec­tion sous-marine,
  • un très haut niveau d’in­té­gra­tion et de com­plex­ité des matériels embarqués.

Les indisponibilités pour entretien

D’une durée moyenne de cinq semaines et se déroulant entre chaque patrouille, les indisponi­bil­ités pour entre­tien (IE) con­stituent l’ac­tiv­ité per­ma­nente du site de l’Ile Longue.

Lors de ces IE se déroulent des main­te­nances cor­rec­tives et des main­te­nances préven­tives dans les pro­por­tions respec­tives suiv­antes : 20 % et 80 %.

La disponi­bil­ité opéra­tionnelle du sous-marin doit rester totale lors de sa patrouille. La très forte pro­por­tion de main­te­nances préven­tives per­met bien enten­du de lim­iter les avaries lors des patrouilles. Mal­gré ces rares avaries, la disponi­bil­ité du sous-marin est assurée par :

  • de nom­breuses redon­dances des dif­férentes fonc­tions (par exem­ple, présence à bord de deux usines à oxygène iden­tiques, une seule étant en marche),
  • la présence à bord de rechanges en nom­bre cohérent avec le main­tien de cette disponibilité,
  • une com­pé­tence de main­te­nance détenue par l’équipage.


Définies lors de la con­cep­tion du sous-marin en fonc­tion des car­ac­téris­tiques pro­pres à chaque matériel et des études de sûreté, les main­te­nances préven­tives per­me­t­tent d’as­sur­er la disponi­bil­ité du navire et le niveau de sûreté exigé, notam­ment par les instal­la­tions nucléaires (chauf­ferie et mis­siles), et d’as­sur­er un suivi très fin de l’évo­lu­tion de la dis­cré­tion acoustique.

De par leur nature, les main­te­nances cor­rec­tives ne sont con­nues qu’au retour de la patrouille. Elles per­me­t­tent de redonner au SNLE la pleine disponi­bil­ité de ses redondances.

Les IE sont aus­si l’oc­ca­sion de réalis­er des mod­i­fi­ca­tions de faibles ampleurs et des exper­tis­es sur cer­tains matériels ou tech­nolo­gies afin de con­forter leur endurance.

Ces opéra­tions représen­tent plus de 10 000 lignes de travaux (du grais­sage d’un joint jusqu’au rem­place­ment d’un mis­sile, en pas­sant par l’ex­per­tise acous­tique d’un moteur ou l’échange d’une pompe).

Ces travaux sont réal­isés par 350 tech­ni­ciens et ouvri­ers de toutes spé­cial­ités (mécani­ciens, élec­triciens, élec­tron­i­ciens, coquiers, chau­dron­niers) tra­vail­lant sur plus de 160 instal­la­tions différentes.

La coor­di­na­tion de ces 10 000 tâch­es est pri­mor­diale afin d’as­sur­er la sécu­rité du per­son­nel, le main­tien per­ma­nent du niveau de sûreté exigé, la com­pat­i­bil­ité de tâch­es entre elles, et notam­ment celles touchant aux instal­la­tions nucléaires et à leurs instal­la­tions de sou­tien, la four­ni­ture des servi­tudes aux dif­férents intervenants.

Une par­faite coopéra­tion entre les équipes de DCN Brest, celles du Ser­vice sou­tien de la Flotte (notre client) et l’équipage du navire (en charge de la con­duite des instal­la­tions, de la sécu­rité à bord, et représen­tant de l’ex­ploitant pour la chauf­ferie nucléaire) est indispensable.

Les grands carénages

Les grands caré­nages, ou IPER (indisponi­bil­ité pro­gram­mée pour entre­tien et répa­ra­tion), ont lieu tous les sept ans. Ils ont pour objec­tifs principaux :

  • de redonner au sous-marin son poten­tiel acquis à sa construction,
  • de lui per­me­t­tre d’as­sur­er à nou­veau sa totale disponi­bil­ité pour les sept années suivantes,
  • de réalis­er des mod­i­fi­ca­tions importantes,
  • de procéder éventuelle­ment à une refonte majeure du bâti­ment (pas­sage en ver­sion M51 par exemple).


La prochaine IPER sera celle du Tri­om­phant à par­tir de la fin 2001. D’une durée de l’or­dre de deux années (essais à la mer inclus), elle se déroulera sur deux sites :

  • l’Ile Longue pour le débar­que­ment des seize mis­siles bal­is­tiques et le décharge­ment du com­bustible nucléaire dès le début de l’IPER, puis pour le recharge­ment du cœur du réac­teur en fin d’IPER, le site de l’Ile Longue étant le seul habil­ité pour la manip­u­la­tion de com­bustible irradié,
  • Brest pour la majeure par­tie de l’IPER, les bassins de l’Ile Longue étant réservés aux sous-marins opérationnels.


Cette IPER sera la plus grande opéra­tion de MCO jamais réal­isée par DCN représen­tant plus de deux mil­lions d’heures (du même ordre de grandeur que la con­struc­tion d’un bâti­ment de sur­face de ton­nage équiv­a­lent — par exem­ple les trans­ports de cha­lands de débar­que­ment type Foudre) répar­ties à 50 % pour les travaux en ate­lier et 50 % pour les travaux à bord.

Une des con­traintes majeures dans l’or­gan­i­sa­tion d’un grand caré­nage provient de la dif­fi­culté à plan­i­fi­er et coor­don­ner l’ensem­ble des travaux à bord : la majorité des 90 000 appareils présents à bord sera vis­itée en ate­lier ; tous devront donc être débar­qués et réem­bar­qués dans un ordre pré­cis, et ceci à tra­vers seule­ment trois brèch­es (ouver­tures prin­ci­pales du sous-marin), ces brèch­es étant de plus ” partagées ” par plusieurs entre­pris­es sous-traitantes.

En com­plé­ment des chantiers réal­isant les IE et IPER, le MCO de la FOST repose sur :

  • des ate­liers de réparation,
  • un cen­tre d’es­sai et d’expertise,
  • un bureau d’étude,
  • un ser­vice approvisionnement.

Les ateliers de réparation

Situés inté­grale­ment sur le site de Brest ces ate­liers assurent l’ex­per­tise et la répa­ra­tion des matériels défaillants.

Le Centre d’essai et d’expertise

Cette entité assure prin­ci­pale­ment les exper­tis­es acous­tiques de l’ensem­ble des aux­il­i­aires et gère l’é­tat acous­tique du sous-marin.

Le bureau d’étude

Sa mis­sion est d’as­sur­er la ges­tion de con­fig­u­ra­tion des SNLE, de pro­pos­er et d’é­tudi­er des mod­i­fi­ca­tions d’in­stal­la­tions et de matériels, de pro­pos­er au chantier les solu­tions de répa­ra­tion, d’ex­ploiter les faits tech­niques et d’animer le retour d’expérience.

Pour un cer­tain nom­bre d’in­stal­la­tions et de matériels, ces tâch­es sont con­fiées à d’autres étab­lisse­ments de DCN (par exem­ple, DCN Indret est l’étab­lisse­ment spé­cial­iste propulsion).

Perspectives

Mal­gré la réduc­tion des ressources de la FOST, deux enjeux gar­dent une place prépondérante :

  • la maîtrise de la sécu­rité s’agis­sant de bâti­ments ” dou­ble­ment ” nucléaires (réac­teur et mis­siles), capa­bles de plonger à de fortes immersions,
  • le main­tien de la pos­ture (assur­er en per­ma­nence la présence d’un SNLE à la mer).

La maîtrise de la sécu­rité (et notam­ment le main­tien d’un niveau de sûreté nucléaire sat­is­faisant) doit rester notre pre­mier objec­tif, et cela quelles que soient les con­traintes opéra­tionnelles ou budgétaires.

La durée actuelle des indisponi­bil­ités est fixée par le cal­en­dri­er opéra­tionnel des patrouilles de SNLE qui répond au besoin de main­tenir en per­ma­nence à la mer au min­i­mum un SNLE. Assur­er la remise en con­di­tion des SNLE dans les délais fixés est impératif.

Réus­sir ces enjeux dans un con­texte de fortes réduc­tions budgé­taires nous oblige à :

  • main­tenir en per­ma­nence le cap­i­tal tech­nique (con­nais­sances et moyens) con­sti­tué depuis la créa­tion des sous-marins nucléaires,
  • con­tin­uer à faire évoluer l’or­gan­i­sa­tion, les méth­odes et les mentalités,
  • amélior­er la qual­ité de nos prestations.

Le sous-marin SNLE NG Triomphant à sec à l’Ile Longue.
Le sous-marin SNLE NG Tri­om­phant à sec à l’Ile Longue. © DCN/BREST

Données caractéristiques

14 000 tonnes
138 mètres
16 mis­siles MSBS
90 000 appareils (17 000 mod­èles différents)
24 000 tuyaux et gaines
22 000 câbles élec­triques (270 km)
40 000 références de rechanges gérées à terre
10 000 références de rechanges embar­quées (pour un total de 48 000 articles)
110 000 plans
450 000 points de bornage

Depuis 1971

Plus de 380 indisponi­bil­ités pour entretien
16 entre­tiens majeurs (dont 4 refontes)

Chantier IE

280 per­son­nels DCN
+ 70 sous-traitants

Chantier IPER

300 per­son­nels DCN
+ 350 sous-traitants

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