L’entrepreneuriat, clé de la reprise

Dossier : L’entreprise dans la sociétéMagazine N°690 Décembre 2013
Par Franck LIRZIN (03)
Par Laurent DANIEL (96)

Les pou­voirs publics doivent tra­vailler à un niveau microé­conomique, les gou­verne­ments pour créer un envi­ron­nement favor­able à la reprise, les ban­ques cen­trales pour s’assurer que le crédit se débloque pour les entre­pris­es, en par­ti­c­uli­er les PME.

L’efficacité de l’action poli­tique repose main­tenant tout entière sur la bonne artic­u­la­tion entre micro et macro, et à cette inter­sec­tion se situe un acteur économique fon­da­men­tal : l’entrepreneur.

REPÈRES
L’ouvrage pro­posé par les auteurs, inti­t­ulé Com­ment (re)faire de la France un pays entre­prenant ? (L’Harmattan, 2013 ; voir recen­sion p.62) s’appuie sur les travaux du think tank X‑Sursaut qui s’est penché sur cette ques­tion cru­ciale pour l’avenir économique de la France lors d’un col­loque en décem­bre 2012, réu­nis­sant des entre­pre­neurs, des chefs d’entreprises, des hauts fonc­tion­naires et des chercheurs.
Il en ressort que la France, pas plus que l’Europe, ne manque de per­son­nes voulant entre­pren­dre, soit pour créer leur pro­pre entre­prise, soit pour lancer un pro­jet au sein d’une struc­ture exis­tante. Mais la créa­tion d’entreprises est plus dynamique aux États-Unis que de notre côté de l’Atlantique, car ce qui nous fait défaut, c’est « l’esprit d’entreprise ».

Cultiver la volonté d’entreprendre

L’acte d’entreprendre n’est pas val­orisé en France. On préfère s’indigner plutôt que de chercher des solu­tions et de les appli­quer avec patience et effort. Le sys­tème induit une plus forte aver­sion au risque.

La struc­ture de notre société n’est pas favor­able à l’entrepreneuriat

Les Améri­cains peu­vent plus facile­ment se lancer dans des paris tech­nologiques, alors que les entre­pre­neurs français sont davan­tage présents sur des secteurs plus pro­tégés, comme les ser­vices ou le com­merce, ce qui explique le décalage d’innovation et de créa­tion de nou­veaux grands groupes entre nos deux pays.

Cette frilosité tient sans doute à des fac­teurs cul­turels, mais il serait trop sim­ple de con­clure à l’atavisme et de s’accommoder de fatal­isme. C’est la struc­ture de notre société qui n’est pas favor­able à l’entrepreneuriat, qui l’entrave par mille petites choses.

L’entrepreneur qui a échoué en France aura sou­vent besoin de plusieurs années pour liq­uider ses dettes et pou­voir repar­tir à zéro, con­tre quelques mois à peine aux États-Unis. En Alle­magne, l’entrepreneur devra même renon­cer la plu­part du temps à tout poste à respon­s­abil­ité dans un grand groupe. Si l’échec est si lourd à porter, qui osera entreprendre ?

Créer une culture du risque

Il est donc impor­tant de créer un envi­ron­nement favor­able à l’entrepreneuriat : c’est un tra­vail de four­mi pour dépous­siér­er tous ces tics lég­is­lat­ifs ou régle­men­taires accu­mulés avec le temps qui font pass­er l’entrepreneur au mieux pour un homme cupi­de et sans scrupule, au pire pour un escroc en puissance.

Dédom­mager les conservateurs
La fis­cal­ité a une inci­dence finan­cière pour l’entrepreneur, bien sûr, mais aus­si sym­bol­ique : c’est la col­lec­tiv­ité qui recon­naît ain­si son impor­tance. Accepter le change­ment, c’est aus­si l’organiser : la « destruc­tion créa­trice » implique que cer­tains seront lésés. Pour éviter qu’ils n’entravent l’innovation par leur posi­tion con­ser­va­trice, il faut les dédom­mager, par un trans­fert des gag­nants vers les per­dants, via des fonds de recon­ver­sion ou de for­ma­tion professionnelle.

Con­traire­ment aux États- Unis, l’entrepreneuriat en Europe, et en France, n’est pas une affaire pure­ment indi­vidu­elle, elle résulte aus­si d’une aven­ture col­lec­tive. Sta­tis­tique­ment, les entre­pre­neurs qui réus­sis­sent sont ceux qui sont dotés d’un solide cap­i­tal financier et social : des com­pé­tences, des moyens, un réseau.

Par des aides publiques comme le statut de « jeune entre­prise inno­vante » qui per­met de béné­fici­er d’une exonéra­tion de charges sociales et fis­cales, des réseaux comme ceux des pôles de com­péti­tiv­ité ou des cham­bres de com­merce et d’industrie, ou encore un accom­pa­g­ne­ment de prox­im­ité par des pépinières d’entreprises, l’entrepreneur a la pos­si­bil­ité d’être soutenu durant les pre­mières années de son projet.

Revaloriser les métiers du changement

L’entrepreneur est celui qui parvient à « com­bin­er les forces et les choses que nous avons à notre portée ». Encore faut-il que celles-ci soient bien à sa dis­po­si­tion, et c’est là le rôle pre­mier des pou­voirs publics : offrir des oppor­tu­nités. Cela veut dire, tout d’abord, reval­oris­er les « métiers du change­ment » : ingénieur, chercheur, tech­ni­cien ou professeur.

Les écoles d’ingénieurs français­es met­tent de plus en plus tôt leurs étu­di­ants au con­tact des réal­ités indus­trielles et tech­nologiques pour dévelop­per chez eux l’esprit d’entreprise, en accueil­lant sur leur site, comme à Palaiseau sur le cam­pus de l’X, grandes entre­pris­es et laboratoires.

Offrir des opportunités

Cela veut dire aus­si don­ner les moyens financiers.

Don­ner du temps
Créer une cul­ture d’entreprise veut égale­ment dire don­ner une per­spec­tive. L’entrepreneuriat a besoin de temps. Il faut lui en don­ner, donc avoir une sta­bil­ité fis­cale et régle­men­taire. La valse lég­isla­tive est un « tue‑l’avenir », nul ne peut inve­stir sans hori­zon dégagé. La lour­deur et l’inertie de la régle­men­ta­tion et de la fis­cal­ité sont décourageantes.
Les sys­tèmes d’entrepreneuriat des dif­férents pays, voire des villes, sont en con­cur­rence pour attir­er les meilleurs tal­ents, les cap­i­taux prêts à soutenir l’innovation et les idées les plus créa­tives. Se plac­er dans une per­spec­tive entre­pre­neuri­ale est un impératif pour ne pas rater le coche de la reprise.

Les PME souf­frent du manque de finance­ment : les ban­ques leur prê­tent peu, l’accès aux marchés financiers est dif­fi­cile et l’autofinancement ne peut pas tout. Branch­er l’épargne sur le finance­ment de l’innovation, refaire des ban­ques des parte­naires de long terme des entre­pris­es et dévelop­per les fonds dédiés à l’entrepreneuriat (cap­i­tal-risque) sont nécessaires.

Les jeunes pouss­es crois­sent beau­coup moins vite en France qu’aux États-Unis, faute d’être soutenues par des busi­ness angels. L’entrepreneur a besoin de financeurs prêts à pren­dre des risques avec lui. Cela sig­ni­fie égale­ment avoir accès aux ressources énergé­tiques, en trou­vant le bon équili­bre entre une énergie nucléaire peu coû­teuse mais risquée, et de nou­velles sources d’énergie plus respectueuses de l’environnement mais dont le mod­èle économique et tech­nique reste à définir.

Cela veut dire, enfin, mieux assur­er le pas­sage de la recherche vers ses appli­ca­tions indus­trielles ou économiques.

Donner de la visibilité

Les struc­tures d’accompagnement des entre­pre­neurs sont nom­breuses, il y a bien plus de fées bien­veil­lantes que de berceaux à bénir. Mais, en défini­tive, l’entrepreneur se sent sou­vent bien seul au milieu de cette « aven­ture collective ».

Clar­i­fi­er les dis­posi­tifs, sou­vent con­cur­rents et redon­dants, est impor­tant. Il faut les regrouper, en sup­primer cer­tains ; en un mot, se met­tre à la place de « l’utilisateur » et être prag­ma­tique. Mais ratio­nal­i­sa­tion ne veut pas dire uni­formi­sa­tion. Un entre­pre­neur en biotech­nolo­gie n’a pas du tout les mêmes besoins que celui qui crée un négoce de machines-outils.

Encourager le long terme

L’entrepreneur a besoin de financeurs prêts à pren­dre des risques avec lui

Il faut, encore, encour­ager les cap­i­taux patients et les action­naires de long terme, résis­ter à la ten­ta­tion des éval­u­a­tions per­ma­nentes, pro­téger les idées nais­santes par des brevets.

Les pou­voirs publics ont les moyens d’anticiper à bien des égards : en don­nant des per­spec­tives de long terme, en ayant une logique de marchés publics tournée vers les besoins futurs et les solu­tions inno­vantes, en dévelop­pant des for­ma­tions adap­tées aux métiers de demain ou en finançant des recherch­es qui ne porteront leurs fruits que dans dix ou vingt ans.

Pas de fatalité, mais un sursaut

Il n’y a de fatal­ité ni à la stag­na­tion économique ni au déclin. C’est notre façon de voir qui est pes­simiste, mais les citoyens qui ont des idées et qui font bouger les lignes sont nom­breux. Il faut leur en don­ner les moyens, la France en a besoin pour repren­dre son des­tin en main .

Et c’est par mille petites choses prag­ma­tiques que la France peut renouer avec sa tra­di­tion de créa­tiv­ité et de dynamisme. Ce n’est pas pour rien que le mot entre­pre­neur en anglais vient du français.

Commentaire

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Philipperépondre
30 décembre 2013 à 17 h 10 min

Cet arti­cle fait plaisir à lire
Ingénieur des Mines au départ, ayant buté sur la servi­tude du salari­at, j’ai com­mencé à créer des entre­pris­es à par­tir de 2006, soit 10 ans après ma sor­tie du monde éducatif.

Ce qui m’a le plus aidé ? Mes 5 années passées à faire du con­sult­ing, véri­ta­ble boîte à out­il du busi­ness, et troisième cycle d’é­conomie appliquée.

Dévelop­pons les enseigne­ments pra­tiques et la mise à jour des com­pé­tences tout au long de la vie, c’est cela dont je pense nous avons besoin.

Mer­ci à vous et à X‑Sursaut

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