L’enseignement et la pratique des arts d’agrément musicaux à l’X jusqu’à la guerre de 14

Pourquoi ne pas s’intéresser à la place des arts d’agrément à l’X ? Ce sujet reste bien méconnu. On évoque ici la musique, la danse et le chant jusqu’à la guerre de 14. Comme quoi on jouait, on dansait et on chantait à l’X au XIXe siècle.
Pour la musique, l’École et les élèves faisaient appel à des professeurs extérieurs et réglaient eux-mêmes leurs honoraires. Le pianiste et compositeur Félix Le Couppey (1811−1887) vint enseigner le piano à partir de 1833. Dès l’âge de quatorze ans, Le Couppey avait obtenu le premier prix de piano du Conservatoire et à dix-sept ans il obtint le premier prix d’harmonie. Cherubini, alors directeur du Conservatoire, le nomma dès 1828 professeur adjoint de solfège et en 1837 il devint professeur en titre. Félix Le Couppey est l’auteur d’une méthode pour apprendre le piano, c’était un professeur apprécié et à la mode dans la bonne société du Second Empire. Son principal ouvrage De l’enseignement du piano fut publié en 1865. Et la musique mène à tout : son fils Gaston Le Couppey fut reçu à l’École (promotion 1860).

Un orchestre dans l’école
Entre eux, les élèves constituaient un orchestre classique. À partir de 1893, le général les autorisa à donner chaque année un concert dans un amphi de l’École et à y inviter des jeunes femmes. La presse mondaine se fit parfois l’écho de ce concert annuel. Dès 1902, nous avons les photos d’ensemble de ces orchestres, qui recrutaient dans les deux promotions présentes à l’École. L’orchestre comprenait plus de vingt-cinq musiciens et certaines années beaucoup plus, violons et autres instruments à cordes, clarinettes, il y eut même un hautbois. Le chef d’orchestre était lui aussi un élève. En 1893 ce fut Marchais-Lagrave (X1891), excellent violoniste selon le journal Gil Blas, quotidien littéraire et culturel largement diffusé.
N’oublions pas la danse !
Quant à la danse, il fut possible de l’apprendre dès la Restauration. En 1824, Charles Beaupré (c. 1758–1842) ancien de l’Opéra, rescapé de l’Ancien Régime et toujours allant à soixante ans passés, vint enseigner la danse et le maintien, c’est-à-dire la manière de se tenir et de se présenter, dont les leçons étaient associées à celles de la danse. Sa réputation dépassait la France : en 1827 on publia à Londres A Short Essay on the French Danse de Société ; N° I of different enchainemens de pas : being a complete analysis of a Parisian Quadrille for Ladies composed by Monsieur Beaupré.
Après le passage de deux autres maîtres, Louis Fischer, encore maître auxiliaire, fut nommé professeur, dit-on par acclamations, au départ de son prédécesseur en 1863. Il inaugura une dynastie puisqu’à sa mort en 1873 son fils Émile, lui aussi ancien danseur à l’Opéra, lui succéda et resta en poste jusqu’à la guerre de 14.
Le cours du fils Fischer
Ce cours était devenu une sorte d’institution polytechnicienne réservée aux seuls élèves qui, tout en réglant de leurs deniers, venaient en nombre. Aussi ils devaient tour à tour échanger les rôles de danseurs et de danseuses. Selon L’argot de l’X, « les élèves qui doivent faire la dame, ôtent leur berry [vareuse], le retournent et le mettent à l’envers : ils se coiffent de leur képi, la visière sur le cou… ».
André Pavillon (X1910) rapporte dans ses souvenirs : « Il fallait le voir opérer assurant lui-même la musique avec son violon. La première séance était, rituellement, l’occasion d’une partie de rigolade : les pas successifs du père Fischer étaient soigneusement tracés et numérotés à la craie sur le plancher, et les conscrits étaient invités à prendre la suite en suivant très exactement ces traces à une cadence de plus en plus rapide ! Quel chahut ! »
Marcel Charruau (X1903) écrivait dans une lettre : « On crie de temps à autre : un chic au saint si pathique [sic] M. Fischer. » M. Fischer enseignait volontiers la valse rapide en six temps ; il aimait aussi les quadrilles, pour lesquels il avait reprographié un cours qui commençait ainsi : « Dans toutes les figures du quadrille on doit partir du pied droit, et la raison en est bien simple : quand vous partez du pied gauche, vous représentez la force ; au contraire, quand vous partez du pied droit, vous représentez la grâce. » Comment mieux dire que la musique et la danse étaient faites pour adoucir les mœurs des polytechniciens !

Eh bien, chantez maintenant !
Venons-en au chant. Cette discipline obtint une existence officielle à l’École. Là encore on trouve un embryon de dynastie professorale. Émile Chevé (1804−1864) fut le premier, bien qu’il ait commencé sa carrière dans la médecine de la Marine. Mais bientôt il se consacra avec sa seconde épouse Nanine Paris à la musique et popularisa un nouveau système de notation musicale, appelé « Galin-Paris-Chevé » à base de chiffres, dont l’idée remonte à Jean-Jacques Rousseau et qui avait pour mérite de permettre d’enseigner facilement la musique aux classes populaires même analphabètes. Pierre Galin, qui mit en forme la méthode de Rousseau, était décédé depuis 1821.
Dès le XIXe siècle, des approches contrastées pouvaient cohabiter à l’École. En effet, le dessein d’Émile Chevé était bien différent de celui de Félix Le Couppey. Avec son épouse, Chevé, qui appartenaient à la mouvance fouriériste, se dévoua totalement et de manière militante à cet enseignement de la musique, qui visait à faire accéder les classes populaires à la culture. Son ouvrage principal corédigé avec sa femme, qui fit l’objet de multiples éditions, est Méthode élémentaire de musique vocale.
Encore un fils succédant à son père
Chevé fut autorisé à enseigner dans les plus prestigieuses écoles d’enseignement supérieur : l’École normale en 1857, l’École polytechnique en 1858. Les élèves l’appelaient amicalement le père Chevé. En 1863, il fut nommé officiellement professeur de musique vocale, alors que les professeurs de musique instrumentale ou de danse ne reçurent jamais cette consécration officielle les intégrant dans le corps professoral.
Chevé décéda en 1864 et son fils Amand (1830−1907) lui succéda comme professeur à l’École. Il continua l’action de ses parents pour la diffusion de leur méthode de notation musicale et il était le rédacteur en chef de l’Avenir musical, revue publiée à cet effet. Cela étant, et sous réserve d’une étude plus approfondie, il semble que sa méthode d’enseignement pratiquée à l’X soit restée relativement classique et selon Notre École polytechnique, le célèbre ouvrage de Claris (X1863), il obtint des résultats merveilleux, que démontraient les applaudissements prodigués à ses chœurs pendant les fêtes de l’École. Mais cet enseignement ne paraît pas avoir survécu à la fin de la vie d’Amand Chevé.