L’enseignement et la pratique des arts d’agrément musicaux à l’X jusqu’à la guerre de 14

L’enseignement et la pratique des arts d’agrément musicaux à l’X jusqu’à la guerre de 14

Dossier : Les X et la musiqueMagazine N°806 Juin 2025
Par René d'AMBRIÈRES (X70)

Pour­quoi ne pas s’intéresser à la place des arts d’agrément à l’X ? Ce sujet reste bien mécon­nu. On évoque ici la musique, la danse et le chant jusqu’à la guerre de 14. Comme quoi on jouait, on dan­sait et on chan­tait à l’X au XIXe siècle.

Pour la musique, l’École et les élèves fai­saient appel à des pro­fes­seurs exté­rieurs et réglaient eux-mêmes leurs hono­raires. Le pia­niste et com­po­si­teur Félix Le Coup­pey (1811−1887) vint ensei­gner le pia­no à par­tir de 1833. Dès l’âge de qua­torze ans, Le Coup­pey avait obte­nu le pre­mier prix de pia­no du Conser­va­toire et à dix-sept ans il obtint le pre­mier prix d’harmonie. Che­ru­bi­ni, alors direc­teur du Conser­va­toire, le nom­ma dès 1828 pro­fes­seur adjoint de sol­fège et en 1837 il devint pro­fes­seur en titre. Félix Le Coup­pey est l’auteur d’une méthode pour apprendre le pia­no, c’était un pro­fes­seur appré­cié et à la mode dans la bonne socié­té du Second Empire. Son prin­ci­pal ouvrage De l’enseignement du pia­no fut publié en 1865. Et la musique mène à tout : son fils Gas­ton Le Coup­pey fut reçu à l’École (pro­mo­tion 1860).

Félix Le Couppey (1811-1887).
Félix Le Coup­pey (1811−1887).

Un orchestre dans l’école

Entre eux, les élèves consti­tuaient un orchestre clas­sique. À par­tir de 1893, le géné­ral les auto­ri­sa à don­ner chaque année un concert dans un amphi de l’École et à y invi­ter des jeunes femmes. La presse mon­daine se fit par­fois l’écho de ce concert annuel. Dès 1902, nous avons les pho­tos d’ensemble de ces orchestres, qui recru­taient dans les deux pro­mo­tions pré­sentes à l’École. L’orchestre com­pre­nait plus de vingt-cinq musi­ciens et cer­taines années beau­coup plus, vio­lons et autres ins­tru­ments à cordes, cla­ri­nettes, il y eut même un haut­bois. Le chef d’orchestre était lui aus­si un élève. En 1893 ce fut Mar­chais-Lagrave (X1891), excellent vio­lo­niste selon le jour­nal Gil Blas, quo­ti­dien lit­té­raire et cultu­rel lar­ge­ment diffusé.

N’oublions pas la danse !

Quant à la danse, il fut pos­sible de l’apprendre dès la Res­tau­ra­tion. En 1824, Charles Beau­pré (c. 1758–1842) ancien de l’Opéra, res­ca­pé de l’Ancien Régime et tou­jours allant à soixante ans pas­sés, vint ensei­gner la danse et le main­tien, c’est-à-dire la manière de se tenir et de se pré­sen­ter, dont les leçons étaient asso­ciées à celles de la danse. Sa répu­ta­tion dépas­sait la France : en 1827 on publia à Londres A Short Essay on the French Danse de Socié­té; N° I of dif­ferent enchai­ne­mens de pas : being a com­plete ana­ly­sis of a Pari­sian Qua­drille for Ladies com­po­sed by Mon­sieur Beau­pré.

Après le pas­sage de deux autres maîtres, Louis Fischer, encore maître auxi­liaire, fut nom­mé pro­fes­seur, dit-on par accla­ma­tions, au départ de son pré­dé­ces­seur en 1863. Il inau­gu­ra une dynas­tie puisqu’à sa mort en 1873 son fils Émile, lui aus­si ancien dan­seur à l’Opéra, lui suc­cé­da et res­ta en poste jusqu’à la guerre de 14.

Le cours du fils Fischer

Ce cours était deve­nu une sorte d’institution poly­tech­ni­cienne réser­vée aux seuls élèves qui, tout en réglant de leurs deniers, venaient en nombre. Aus­si ils devaient tour à tour échan­ger les rôles de dan­seurs et de dan­seuses. Selon L’argot de l’X, « les élèves qui doivent faire la dame, ôtent leur ber­ry [vareuse], le retournent et le mettent à l’envers : ils se coiffent de leur képi, la visière sur le cou… ».

André Pavillon (X1910) rap­porte dans ses sou­ve­nirs : « Il fal­lait le voir opé­rer assu­rant lui-même la musique avec son vio­lon. La pre­mière séance était, rituel­le­ment, l’occasion d’une par­tie de rigo­lade : les pas suc­ces­sifs du père Fischer étaient soi­gneu­se­ment tra­cés et numé­ro­tés à la craie sur le plan­cher, et les conscrits étaient invi­tés à prendre la suite en sui­vant très exac­te­ment ces traces à une cadence de plus en plus rapide ! Quel chahut ! »

Mar­cel Char­ruau (X1903) écri­vait dans une lettre : « On crie de temps à autre : un chic au saint si pathique [sic] M. Fischer. » M. Fischer ensei­gnait volon­tiers la valse rapide en six temps ; il aimait aus­si les qua­drilles, pour les­quels il avait repro­gra­phié un cours qui com­men­çait ain­si : « Dans toutes les figures du qua­drille on doit par­tir du pied droit, et la rai­son en est bien simple : quand vous par­tez du pied gauche, vous repré­sen­tez la force ; au contraire, quand vous par­tez du pied droit, vous repré­sen­tez la grâce. » Com­ment mieux dire que la musique et la danse étaient faites pour adou­cir les mœurs des polytechniciens !

Cours de quadrille de Fischer, collection particulière.
Cours de qua­drille de Fischer, col­lec­tion particulière.

Eh bien, chantez maintenant !

Venons-en au chant. Cette dis­ci­pline obtint une exis­tence offi­cielle à l’École. Là encore on trouve un embryon de dynas­tie pro­fes­so­rale. Émile Che­vé (1804−1864) fut le pre­mier, bien qu’il ait com­men­cé sa car­rière dans la méde­cine de la Marine. Mais bien­tôt il se consa­cra avec sa seconde épouse Nanine Paris à la musique et popu­la­ri­sa un nou­veau sys­tème de nota­tion musi­cale, appe­lé « Galin-Paris-Che­vé » à base de chiffres, dont l’idée remonte à Jean-Jacques Rous­seau et qui avait pour mérite de per­mettre d’enseigner faci­le­ment la musique aux classes popu­laires même anal­pha­bètes. Pierre Galin, qui mit en forme la méthode de Rous­seau, était décé­dé depuis 1821. 

Dès le XIXe siècle, des approches contras­tées pou­vaient coha­bi­ter à l’École. En effet, le des­sein d’Émile Che­vé était bien dif­fé­rent de celui de Félix Le Coup­pey. Avec son épouse, Che­vé, qui appar­te­naient à la mou­vance fou­rié­riste, se dévoua tota­le­ment et de manière mili­tante à cet ensei­gne­ment de la musique, qui visait à faire accé­der les classes popu­laires à la culture. Son ouvrage prin­ci­pal coré­di­gé avec sa femme, qui fit l’objet de mul­tiples édi­tions, est Méthode élé­men­taire de musique vocale.

Encore un fils succédant à son père

Che­vé fut auto­ri­sé à ensei­gner dans les plus pres­ti­gieuses écoles d’enseignement supé­rieur : l’École nor­male en 1857, l’École poly­tech­nique en 1858. Les élèves l’appelaient ami­ca­le­ment le père Che­vé. En 1863, il fut nom­mé offi­ciel­le­ment pro­fes­seur de musique vocale, alors que les pro­fes­seurs de musique ins­tru­men­tale ou de danse ne reçurent jamais cette consé­cra­tion offi­cielle les inté­grant dans le corps professoral. 

Che­vé décé­da en 1864 et son fils Amand (1830−1907) lui suc­cé­da comme pro­fes­seur à l’École. Il conti­nua l’action de ses parents pour la dif­fu­sion de leur méthode de nota­tion musi­cale et il était le rédac­teur en chef de l’Ave­nir musi­cal, revue publiée à cet effet. Cela étant, et sous réserve d’une étude plus appro­fon­die, il semble que sa méthode d’enseignement pra­ti­quée à l’X soit res­tée rela­ti­ve­ment clas­sique et selon Notre École poly­tech­nique, le célèbre ouvrage de Cla­ris (X1863), il obtint des résul­tats mer­veilleux, que démon­traient les applau­dissements pro­di­gués à ses chœurs pen­dant les fêtes de l’École. Mais cet ensei­gne­ment ne paraît pas avoir sur­vé­cu à la fin de la vie d’Amand Chevé. 

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