L’écologie inachevée

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°578 Octobre 2002Par : Michel et Bertrand (77) REMYRédacteur : Professeur Gilbert LAGRUE

Au cours d’un congrès médi­cal, un ancien étu­diant en méde­cine, deve­nu agri­cul­teur, s’oppose avec fougue à l’idée d’adapter l’homme aux évo­lu­tions du monde par des mani­pu­la­tions géné­tiques. Impres­sion­né, le pro­fes­seur Ber­ger, qui anime un groupe d’éminents scien­ti­fiques déci­dés à tout ten­ter pour pré­ve­nir l’apocalypse éco­lo­gique, charge sa fille et col­la­bo­ra­trice Noé­lie de le rencontrer.

Her­bert décrit à celle-ci les recherches agro­no­miques qu’il mène dans sa ferme, lui fai­sant décou­vrir du même coup les aspects mécon­nus des rela­tions entre agri­cul­ture, san­té publique et ave­nir de l’humanité. Enthou­sias­mée, elle décide de don­ner à ses tra­vaux une publi­ci­té mon­diale. Mais ils se heurtent bien­tôt à l’hostilité d’Horris, pré­da­teur cri­mi­nel prêt à tout pour domi­ner un monde déshu­ma­ni­sé. Un conflit sans mer­ci est inévitable… 

Nom­breux extraits et pre­mier cha­pitre sur le site Inter­net : www.ecologie-inachevee.com

C’est avec beau­coup d’intérêt que je viens de lire le roman scien­ti­fique et cultu­rel de Michel et Ber­trand Remy. On ne peut qu’être d’accord avec la plu­part de leurs asser­tions. Quand ils écrivent : “ Il est stu­pide d’espérer vaincre le can­cer par la décou­verte d’un trai­te­ment cura­tif tout en lais­sant les fac­teurs can­cé­ri­gènes se mul­ti­plier ”, véri­té écla­tante, à nuan­cer cependant.

Le méde­cin que je suis a tou­jours le devoir de trai­ter, de sou­la­ger la souf­france et il faut tout faire pour essayer de gué­rir les mal­heu­reuses vic­times du can­cer. Cepen­dant – et ils ont entiè­re­ment rai­son – il faut essayer de pré­ve­nir en sup­pri­mant chaque fois que pos­sible les sub­stances can­cé­ri­gènes et elles sont très nombreuses.

Mais il ne faut pas oublier la prin­ci­pale d’entre elles, l’usage du tabac ; la nico­tine est une des sub­stances addic­tives les plus redou­tables qui conduit à une absorp­tion impor­tante et pro­lon­gée de la fumée de tabac et des gou­drons can­cé­ri­gènes dont les résul­tats sont effroyables : 30 000 morts par an par can­cers du pou­mon et du larynx qui, en l’absence de tabac, n’existeraient pra­ti­que­ment pas.

Là encore les lob­bys indus­triels ont joué un rôle nocif majeur, en créant arti­fi­ciel­le­ment les ciga­rettes les plus dan­ge­reuses et les plus aptes à induire la dépendance !

Alors, comme les auteurs le disent très bien, s’acharner à trou­ver un trai­te­ment… c’est le ton­neau des Danaïdes !

L’on est effrayé lorsqu’on lit dans des comptes ren­dus de congrès les “ pro­grès ” obte­nus par telle ou telle nou­velle chi­mio­thé­ra­pie, avec une médiane de sur­vie pas­sée de neuf à quinze mois… mais au prix de quelles souffrances.

En tant qu’ancien spé­cia­liste de l’hypertension arté­rielle et des mala­dies vas­cu­laires, je ne peux évi­dem­ment que sous­crire à ce qu’ils écrivent concer­nant les ali­ments salés et sucrés et tout par­ti­cu­liè­re­ment toutes ces pré­pa­ra­tions “ cui­si­nées ” enri­chies en sel (dès les ali­ments pour bébé), car le sel rehausse le goût et fait vendre ! Mais il est un des fac­teurs prin­ci­paux de l’hypertension artérielle.

Même remarque pour les bois­sons sucrées (sodas et autres) dont on abreuve les jeunes, avec la géné­ra­tion d’obèses, d’hypertendus et de dia­bé­tiques déjà pré­sente. J’ai beau­coup aimé l’expression “ l’économie para­si­taire ” qui exploite cette situa­tion et pros­père sur les futures victimes.

Quant au dis­cours de Hor­ris, s’il est hor­rible dans ses déduc­tions, il contient néan­moins cer­taines véri­tés ; mais il fau­drait employer d’autres moyens pour remé­dier au mal.

Cepen­dant, et c’est à par­tir de là où mon opi­nion diverge, on ne peut pas accu­ser les labo­ra­toires phar­ma­ceu­tiques de tous les maux. Toutes les grandes décou­vertes thé­ra­peu­tiques – ou presque toutes – anti­bio­tiques, hor­mones, neu­ro­lep­tiques, anti­hy­per­ten­seurs leur sont dues. Certes le but est le pro­fit, mais celui-ci est indis­pen­sable pour sub­ven­tion­ner la Recherche et trou­ver de nou­velles molécules.

Pour l’hypertension arté­rielle, j’ai vécu l’histoire des pro­grès thé­ra­peu­tiques depuis 1960. Avant il n’y avait rien et les malades mou­raient, soit très vite (HTA maligne avec céci­té, insuf­fi­sance car­diaque) soit plus tar­di­ve­ment (hémi­plé­gie, coro­naires, insuf­fi­sance rénale…).

Trente ans plus tard cette mala­die est tota­le­ment sous contrôle, grâce à des médi­ca­tions diverses, actives et bien tolé­rées, prises au long cours. C’est un fait que j’ai vécu et qui en tant que méde­cin a été une immense satisfaction.

Même remarque pour les neu­ro­lep­tiques et la schi­zo­phré­nie. Il n’y a pas de gué­ri­son certes, mais néan­moins une amé­lio­ra­tion indis­cu­table de la qua­li­té de vie. Pour les anti­dé­pres­seurs éga­le­ment. Il faut évi­dem­ment évi­ter les abus, mais c’est une joie pro­fonde de pou­voir sup­pri­mer l’horrible souf­france morale de la dépres­sion, tel­le­ment insup­por­table qu’elle conduit sou­vent au suicide.

Évi­ter et sup­pri­mer toutes les causes est pré­fé­rable, mais lorsqu’il n’est pas pos­sible de le faire, ni à court terme, ni tota­le­ment, le devoir du méde­cin est de soigner.

Ces remarques per­son­nelles ne retirent rien à l’immense inté­rêt des don­nées appor­tées par les auteurs. Il faut leur sou­hai­ter de nom­breux lec­teurs, sur­tout par­mi les poli­tiques et les décideur

Pro­fes­seur Gil­bert LAGRUE
Pro­fes­seur hono­raire de la facul­té de méde­cine de Paris XII
Res­pon­sable du Centre de taba­co­lo­gie de l’hôpital Che­ne­vier à Créteil
Auteur du livre Arrê­ter de fumer ? Édi­tions Odile Jacob, 2000, ouvrage dont les droits d’auteur sont attri­bués à la Recherche.

Poster un commentaire