L’échec à l’école primaire : un rapport de l’Institut Montaigne

Dossier : ExpressionsMagazine N°658 Octobre 2010
Par Jacques DENANTES (49)

Vaincre l’é­chec à l’é­cole primaire
C’est sous ce titre que l’Ins­ti­tut Mon­taigne vient de publier un rap­port éta­bli par un groupe de tra­vail qui, de juin 2009 à mars 2010, s’est pen­ché sur le fonc­tion­ne­ment de l’é­cole pri­maire en explo­rant la biblio­gra­phie et en pro­cé­dant à des audi­tions d’ac­teurs du sys­tème éducatif. 

Quatre éco­liers sur dix sortent du CM2 avec de graves lacunes 

Selon le Haut Conseil de l’é­du­ca­tion (HCE), « quatre éco­liers sur dix, soit envi­ron 300 000 élèves, sortent du CM2 avec de graves lacunes : près de 200000 ont des acquis fra­giles et insuf­fi­sants en lec­ture, écri­ture et cal­cul ; plus de 100 000 n’ont pas les com­pé­tences de base dans ces domaines « . D’a­près l’U­NES­CO, les dépenses pour l’é­du­ca­tion, tous degrés d’en­sei­gne­ment confon­dus, sont chez nous plus impor­tantes que dans les pays com­pa­rables, mais les per­for­mances en com­pré­hen­sion de lec­ture des élèves en 4e année de sco­la­ri­té (CM1), qui nous clas­saient dans les pre­miers rangs en 1990, nous situent à des rangs de plus en plus médiocres lors des nou­velles enquêtes. Tra­di­tion­nel­le­ment per­çu comme un point fort de notre sys­tème édu­ca­tif, le niveau en mathé­ma­tiques des éco­liers fran­çais s’est aus­si dégra­dé durant la der­nière décennie. 

Déterminisme social

Retard défi­ni­tif
Le col­lège ne par­vient pas à rat­tra­per les retards du pri­maire : selon le HCE, les élèves qui ont des acquis fra­giles en fin de CM2 débutent au col­lège dans de mau­vaises condi­tions car ni la lec­ture ni le cal­cul ne sont suf­fi­sam­ment conso­li­dés pour leur per­mettre d’être auto­nomes. Quant à ceux qui connaissent de graves dif­fi­cul­tés, leurs lacunes leur fer­me­ront l’ac­cès à une for­ma­tion qualifiante. 

Tous les élèves ne sont pas éga­le­ment concer­nés par l’é­chec : les plus per­for­mants vivent une bonne sco­la­ri­té dans un milieu rela­ti­ve­ment édu­qué, alors que la pro­por­tion de ceux en retard à l’en­trée en sixième est bien au-des­sus de la moyenne pour les enfants d’employés, d’ou­vriers et d’inactifs. 

Rythmes et cycles scolaires

Loi inap­pli­quée
Afin de lut­ter contre l’é­chec sco­laire et de sup­pri­mer les redou­ble­ments, la loi d’o­rien­ta­tion de 1989 a pré­vu la mise en place de trois cycles : – le cycle des appren­tis­sages pre­miers (petite et moyenne sec­tion de mater­nelle) ; – le cycle des appren­tis­sages fon­da­men­taux (grande sec­tion de mater­nelle, CP et CE1) ; – le cycle des appro­fon­dis­se­ments (CE2, CM1, CM2). Mais cette loi n’est tou­jours pas appliquée. 

En France, l’é­cole vit au rythme des adultes plu­tôt qu’à celui des enfants. L’or­ga­ni­sa­tion du temps sco­laire est sou­mise à la pré­do­mi­nance d’ha­bi­tudes socié­tales tou­chant à l’or­ga­ni­sa­tion des week-ends, des vacances et des loi­sirs. Il en résulte un res­ser­re­ment du temps sco­laire, ce qui nuit au tra­vail et au déve­lop­pe­ment des enfants. 

Mais le rap­port met sur­tout en cause l’é­chec de l’or­ga­ni­sa­tion de l’en­sei­gne­ment pri­maire en cycles, pré­vue par la réforme de 1989. Cette réforme n’a pas été mise en œuvre et la pro­gres­sion des élèves conti­nue de se faire par année sco­laire avec redou­ble­ment pour ceux qui ne suivent pas : aujourd’­hui un élève sur cinq redouble au moins une fois avant la fin de l’é­cole primaire. 

On sait que le redou­ble­ment est le plus sou­vent inutile et dan­ge­reux. Des recherches ont mon­tré que des élèves faibles ayant redou­blé leur CP pro­gres­saient moins que les élèves faibles pro­mus en CE1. L’ins­ti­tu­tion des cycles a pré­ci­sé­ment pour but d’é­vi­ter les rup­tures jus­ti­fiant le redou­ble­ment en éta­lant sur trois années le pro­ces­sus d’ap­pren­tis­sage des compétences. 

Aide aux élèves en difficulté

Il existe des dis­po­si­tifs pour aider les élèves en dif­fi­cul­té, aide per­son­na­li­sée assu­rée chaque semaine par les ensei­gnants, stages de remise à niveau pen­dant les vacances, mise en place de réseaux d’aides spé­cia­li­sées aux élèves en dif­fi­cul­té (RASED), pos­si­bi­li­té ouverte aux chefs d’é­ta­blis­se­ment de mettre en place un pro­gramme per­son­na­li­sé de réus­site édu­ca­tive (PPRE). Mais il n’y a pas de cohé­rence entre ces dis­po­si­tifs qui, au lieu de trai­ter dans leur classe les élèves en dif­fi­cul­té, tendent à les mettre en marge en les stigmatisant. 

Inéga­li­tés
Le redou­ble­ment trop fré­quent entre­tient et déve­loppe les inéga­li­tés : les pres­crip­tions de redou­ble­ment aug­mentent pour les enfants de milieux sociaux défa­vo­ri­sés. Selon le HCE, alors que 3% des enfants d’en­sei­gnants et 7 % des enfants de cadres entrés en CP en 1997 ont redou­blé à l’é­cole pri­maire, les taux s’é­lèvent à 25 % pour les enfants d’ou­vriers et 41 % pour les enfants d’inactifs. 

Les ensei­gnants ont pour mis­sion d’ac­com­pa­gner les élèves dans la dif­fi­cul­té des appren­tis­sages et de doter cha­cun des acquis néces­saires pour pour­suivre sa sco­la­ri­té. Mais, comme le sou­ligne Antoine Prost dans son His­toire de l’é­du­ca­tion et de l’en­sei­gne­ment, la fémi­ni­sa­tion du corps pro­fes­so­ral » se ren­force, son recru­te­ment s’embourgeoise, son pres­tige propre dimi­nue « . Ils vivent rare­ment près de leur école et ne par­tagent pas la vie du quar­tier avec leurs élèves et leurs familles, ce qui les confronte sou­vent à des dif­fé­rences cultu­relles et sociales dont ils ne sont pas suf­fi­sam­ment conscients. Une dis­so­nance ren­for­cée par un mode d’af­fec­ta­tion qui conduit à nom­mer les débu­tants dans des éta­blis­se­ments situés dans les quar­tiers sen­sibles où ils se trouvent confron­tés à des classes dif­fi­ciles. La plu­part y res­tent le mini­mum de temps, d’où un tur­no­ver très éle­vé dans un contexte où le rap­port des maîtres aux élèves joue un rôle important. 

Enfin, le rap­port pointe l’ab­sence d’au­to­no­mie des écoles pri­maires. Une loi de 2004 a pré­vu la créa­tion d’É­ta­blis­se­ments publics d’en­sei­gne­ment pri­maire (EPEP), mais on attend tou­jours les décrets d’ap­pli­ca­tion. Il en résulte que là où il fau­drait s’a­dap­ter à l’hé­té­ro­gé­néi­té des popu­la­tions sco­laires, le pou­voir des direc­teurs est si limi­té qu’ils ne peuvent exer­cer une réelle res­pon­sa­bi­li­té pédagogique. 

Quatre séries de propositions

La pre­mière pro­po­si­tion est de reve­nir à la semaine de cinq jours et d’al­lon­ger l’an­née sco­laire d’au moins deux semaines. 

Les direc­teurs ne peuvent exer­cer une réelle res­pon­sa­bi­li­té pédagogique 

La deuxième pro­po­si­tion est de mettre en œuvre l’or­ga­ni­sa­tion de l’é­cole en cycles d’ap­pren­tis­sage telle que l’a pré­vue la loi de 1989. Cela sup­pose d’in­té­grer la grande sec­tion de mater­nelle à l’é­cole élé­men­taire et de repen­ser les pro­grammes à l’é­chelle des cycles au lieu des classes. Il en résul­te­rait une réduc­tion radi­cale des redou­ble­ments en même temps qu’une réelle prise en charge des élèves en dif­fi­cul­té. Pour les rap­por­teurs, il est évident qu’un enfant de 5 à 10 ans ne peut pas por­ter la res­pon­sa­bi­li­té de son échec à l’é­cole : ils pré­co­nisent, dès l’ap­pa­ri­tion des pre­mières dif­fi­cul­tés, une inter­ven­tion immé­diate, indi­vi­dua­li­sée et inten­sive. Ils recom­mandent aus­si une impli­ca­tion des parents et une révi­sion des conte­nus à la lumière des concepts issus de la psy­cho­lo­gie cognitive. 

Le métier des professeurs des écoles

L’al­lon­ge­ment de la durée des études condui­sant au métier d’en­sei­gnant avait pour but de reva­lo­ri­ser son image. Afin d’en faci­li­ter l’ac­cès aux étu­diants issus de milieux défa­vo­ri­sés, le rap­port pro­pose des pré­re­cru­te­ments en cours d’é­tudes. Il sou­ligne aus­si la néces­si­té de ren­for­cer la for­ma­tion conti­nue en la ren­dant obligatoire. 

La der­nière série de pro­po­si­tions vise à appli­quer la loi don­nant aux écoles pri­maires l’au­to­no­mie néces­saire pour construire leur iden­ti­té et leur pro­jet péda­go­gique en fonc­tion des enfants qu’elles accueillent. Il s’a­git ensuite de sélec­tion­ner et de for­mer des direc­teurs d’é­cole capables d’exer­cer un réel pou­voir sur leur éta­blis­se­ment, notam­ment de recru­ter les membres de l’é­quipe péda­go­gique à par­tir du vivier des ensei­gnants reçus au concours ou en situa­tion de mobilité. 

Enfin serait redé­fi­nie la mis­sion des ins­pec­teurs de l’É­du­ca­tion natio­nale. Les direc­teurs d’é­cole voyant recon­nue la res­pon­sa­bi­li­té d’as­su­rer la bonne marche de leur éta­blis­se­ment, il revien­drait aux ins­pec­teurs d’é­va­luer les élèves (afin d’é­va­luer les ensei­gnants à par­tir des élèves) et de mettre en œuvre la for­ma­tion conti­nue des ensei­gnants, avec pour mis­sion de lut­ter contre l’échec. 

Une nécessaire prise de conscience

Très sen­sible aux évo­lu­tions des uni­ver­si­tés, des lycées et des col­lèges, la socié­té fran­çaise vit sous l’im­pres­sion d’une bonne qua­li­té du réseau des écoles mater­nelles et élé­men­taires. L’Ins­ti­tut Mon­taigne fait appa­raître une situa­tion si dégra­dée qu’il la qua­li­fie de bombe à retar­de­ment pour notre socié­té. Le plus sur­pre­nant est que les lois de 1989 et 2004, cen­sées y remé­dier, ne sont pas appliquées.

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