Le Viêt-nam : petit dragon deviendra-t-il grand ?

Dossier : VIÊT-NAMMagazine N°525 Mai 1997
Par Van-Thinh TRÂN

Le sortilège et le désenchantement

1. Le Viêt-nam fascine et ne laisse per­son­ne indif­férent. Mais l’engouement s’essouffle et le sor­tilège s’amenuise. Depuis la pré­pa­ra­tion et le lance­ment, il y a une dizaine d’années, puis la mise en oeu­vre du “ dôi moi ” (proces­sus du renou­veau), le Viêt-nam a cap­té à tra­vers le monde curiosité, sym­pa­thie, attente, espoir mais sus­cite main­tenant doute, inter­ro­ga­tion et inquiétude.

2. Depuis des mois en effet, les per­cep­tions cri­tiques à l’égard de la ges­tion de la poli­tique d’ouverture économique ne restent plus can­ton­nées dans la dis­cré­tion feu­trée des chan­cel­leries mais s’affichent ouverte­ment d’abord dans les médias d’expression anglaise et désor­mais dans les pays et régions fran­coph­o­nes. Les vagues de cri­tiques s’amplifient, au sein des instances du PCV (Par­ti com­mu­niste viet­namien), à l’Assemblée nationale et se propa­gent dans l’opinion publique au Viêt-nam même.

3. Les réal­ités quo­ti­di­ennes aux­quelles sont con­fron­tés les opéra­teurs économiques, surtout les investis­seurs de l’extérieur, con­trastent sin­gulière­ment avec les pro­fes­sions de foi affichées et les dis­cours pronon­cés par les dirigeants de haut rang du pays, aus­si bien dans des ren­con­tres inter­na­tionales qu’au Viêt-nam même. Réformes suc­cè­dent aux réformes mais elles sont sou­vent con­tra­dic­toires et génèrent beau­coup d’incertitudes. L’action traîne loin der­rière le verbe. Elle s’étouffe avec les deux gan­grènes que sont la bureau­cratie et la cor­rup­tion, sans oubli­er la plaie béante du marché de contrebande.

Il est dif­fi­cile pour l’étranger de com­pren­dre le pourquoi et le com­ment des déci­sions qui, même une fois obtenues et pris­es, ne sont pas à l’abri de nou­velles régle­men­ta­tions ou de nou­velles procé­dures pou­vant en mod­i­fi­er le con­tenu, même par­fois rétroac­tive­ment. Cette pré­car­ité dans la cer­ti­tude rend malaisé tout cal­cul cor­rect de rentabil­ité des investisse­ments à terme éloigné et favorise la recherche de prof­its rapi­des à court terme.

L’État de droit général­isé se fait atten­dre et reste abstrait comme un voeu pieux. Cet état des affaires frag­ilise la con­fi­ance des milieux économiques inter­na­tionaux dans la tan­gi­bil­ité et l’efficacité des poli­tiques économiques du pays.

Beau­coup d’investisseurs sont découragés et com­men­cent à se détourn­er du Viêt-nam, attirés vers d’autres cieux plus clé­ments et plus attrayants en Asie du Sud- Est et ailleurs. L’IFC (Inter­na­tion­al finance cor­po­ra­tion) de la Banque Mon­di­ale, par la voix de son viceprési­dent Jan­nik Lind­baek, n’a pas hésité à affirmer récem­ment à Hà Nôi que les “ for­eign investors had lost their ini­tial enthu­si­asm for the busi­ness envi­ron­ment in Viet Nam.” Pour­tant…

La confiance

4. En dépit de cette dégra­da­tion de l’image du Viêt-nam et des réal­ités viet­nami­ennes, les rap­ports de la BIRD (Banque Mon­di­ale) et le FMI (Fonds moné­taire inter­na­tion­al) délivrent des “ sat­is­fecit ” sur la ges­tion économique du pays et ces insti­tu­tions recom­man­dent aux autorités du pays la pour­suite accélérée des réformes pour hâter l’intégration dans l’économie de marché. Le Club de Paris enreg­istre récem­ment encore de nou­veaux engage­ments financiers impor­tants en faveur du Viêt-nam.

5. Le Viêt-nam est-il en mesure de relever tous les défis pour répon­dre à cette confiance ?

La stabilité politique

6. La pre­mière con­di­tion, sine qua non, est la sta­bil­ité poli­tique : celle-ci est vigoureuse.

Petite paysanne de Nam Hà au Viêt-nam
Petite paysanne de Nam Hà  © TRÂN VAN-THINH

Depuis le 8e Con­grès du Par­ti com­mu­niste viet­namien, le pays ébauche, tran­quille­ment et sans hâte, la muta­tion au som­met de l’État : on est main­tenant très loin des fébril­ités habituelles de la pré­pa­ra­tion et des trac­ta­tions inévita­bles à chaque con­grès du Par­ti. À la fin de cette année, l’actuelle troï­ka (le secré­taire général du PCV, le chef de l’État et le pre­mier min­istre) céderait tran­quille­ment et pro­gres­sive­ment la place à une nou­velle équipe dirigeante investie de la con­fi­ance des trois aînés du som­met qui auront ain­si assuré leur suc­ces­sion respec­tive dans un com­pro­mis à la viet­nami­enne. Le 8e Con­grès du PCV a bien réus­si le raje­u­nisse­ment des cadres à tous les éch­e­lons du pays, à l’exception de celui du som­met. La for­mule du com­pro­mis main­tenant la troï­ka actuelle en place est sup­posée débouch­er sur une solu­tion défini­tive à l’occasion d’une Ses­sion extra­or­di­naire du Con­grès fin 1997 début 1998.

Cette for­mule de tran­si­tion hand­i­cape quelque peu la con­duite et la ges­tion de la poli­tique économique du pays. Elle risque, à tout le moins, de con­forter les investis­seurs étrangers dans l’expectative et le scep­ti­cisme. C’est pourquoi le gou­verne­ment Vo Van Kiêt s’efforcera de ras­sur­er, de clar­i­fi­er et de main­tenir le cap de l’ouverture économique avec le sou­tien du Secré­taire général du PCV, du Bureau poli­tique du PCV et de l’Assemblée nationale.

La poursuite de la réforme économique

7. Selon toute prob­a­bil­ité, les deux prochaines années ver­ront se pro­longer la péri­ode d’incertitude et de morosité qui a pré­valu tout au long des mois précé­dant le 8e Con­grès du PCV. Mais ce qui est impor­tant est de con­stater que la poli­tique d’ouverture économique se pour­suit, sans pré­cip­i­ta­tion ni ralen­tisse­ment, en atten­dant l’émergence d’une nou­velle équipe dirigeante qui reflétera néces­saire­ment un dosage sub­tile­ment équili­bré des forces en présence.

Ain­si con­fortée, cette équipe pour­ra pour­suiv­re la longue marche pour achev­er les réformes les plus con­tro­ver­sées, notam­ment celles con­cer­nant la “ semi-pri­vati­sa­tion ” de bon nom­bre d’entreprises éta­tiques et la créa­tion d’une bourse. La pour­suite du proces­sus se heurtera à des obsta­cles et à des réti­cences à tous les éch­e­lons de tous ceux qui déti­en­nent une par­celle de pou­voir men­acée, même si l’approfondissement des réformes est recon­nu comme inévitable pour soutenir une crois­sance rapi­de de l’économie, et par là même la prospérité du pays. De toute façon, le pays est main­tenant trop relié au reste du monde pour pou­voir y renoncer.

8. La preuve la plus mar­quante de la pour­suite des réformes réside dans l’adoption des nou­velles règles de cap­i­tal­i­sa­tion (equi­ti­sa­tion) des entre­pris­es éta­tiques : aupar­a­vant il fal­lait qu’obligatoirement celles-ci soient volon­taires au préal­able, alors que désor­mais leurs pro­prié­taires, villes, provinces et État cen­tral peu­vent décider sans leur accord de les pri­va­tis­er à l’exception des entre­pris­es classées dans la caté­gorie “ stratégiques ”.

C’est ain­si que Hô Chi Minh Ville a saisi cette nou­velle pos­si­bil­ité pour annon­cer son inten­tion de cap­i­talis­er 50 de ses entre­pris­es et d’insuffler ain­si un bal­lon d’oxygène au proces­sus frap­pé de paralysie. On espère ain­si dynamiser l’économie quelque peu coincée dans le secteur éta­tique. Bien que favorisées par rap­port aux entre­pris­es privées et aux co-entre­pris­es (Joint Ven­tures) pour l’accès aux disponi­bil­ités fon­cières, au crédit, aux licences d’exportation, les entre­pris­es éta­tiques, sou­vent sclérosées, n’ont guère bril­lé par la créa­tion d’emplois et les per­for­mances à l’exportation.

C’était ain­si que la “ Refrig­er­a­tion Elec­tri­cal Engi­neer­ing Cor­po­ra­tion ” (REE) qui appar­tient à Hô Chi Minh Ville a ven­du à cinq investis­seurs étrangers des oblig­a­tions con­vert­ibles au taux d’intérêt annuel fixe de 4,5 % pour 4,5 mil­lions de US $ ; ces oblig­a­tions seront trans­for­mées en actions à un taux qui serait déter­miné en fonc­tion des prof­its nets entre 1996–1998.

La REE importe des cli­ma­tiseurs et en assure la main­te­nance. Elle compte utilis­er les fonds frais obtenus pour financer sa par­tic­i­pa­tion à deux coen­tre­pris­es (Joint Ven­tures), l’une avec la com­pag­nie améri­caine Car­ri­er (fab­ri­ca­tion de con­di­tion­neurs d’air) et l’autre avec la japon­aise Hitachi (pro­duc­tion de réfrigéra­teurs). À pré­cis­er que Hô Chi Minh Ville détient 30 % du cap­i­tal de REE.

Pour appuy­er cette ori­en­ta­tion et fix­er les règles du jeu, le pre­mier min­istre a créé un Con­seil nation­al pour la cap­i­tal­i­sa­tion dirigé par un min­istre sans porte­feuille, M. Phan Van Tiêm. À not­er égale­ment que dans le rap­port poli­tique adop­té par le Con­grès, on a élim­iné les points négat­ifs pour le secteur privé, prônés par les opposants à la réforme et con­tenus dans le pro­jet ini­tial dif­fusé en avril 1996 pour per­me­t­tre les dis­cus­sions publiques, comme par exem­ple l’objectif con­tro­ver­sé de 60 % du PIB (con­tre 40 % actuelle­ment) pour l’an 2020, à réserv­er aux entre­pris­es et aux coopéra­tives étatiques.

9. La pour­suite de la réforme économique est inté­grée dans la poli­tique d’ouverture menée lente­ment mais sûre­ment. Le pays a con­clu un accord avec l’Union européenne, est devenu un mem­bre act­if de l’ANASE (ASEAN), se pré­pare à s’engager dans l’Accord de libre-échange de l’ANASE (AFTA), pose sa can­di­da­ture au forum de Coopéra­tion économique Asie-Paci­fique (APEC), active les négo­ci­a­tions d’adhésion à l’OMC (Organ­i­sa­tion mon­di­ale du com­merce) sans oubli­er la nor­mal­i­sa­tion des rela­tions avec les États- Unis. Ce sont autant de jalons posés qui con­for­tent le car­ac­tère irréversible du “ dôi moi ”.

Est-ce suff­isant pour réus­sir ? car dans le domaine de la ges­tion des affaires économiques, si vouloir est indis­pens­able, pou­voir reste une autre affaire, con­di­tion­née par des fac­teurs incontournables.

Les perspectives économiques

10. Les investisse­ments étrangers directs (FDI) con­di­tion­nent la prospérité économique du Viêt-nam.

Pour­tant au Viêt-nam, le suc­cès des entre­pris­es béné­fi­ciant de ces investisse­ments a sus­cité des per­cep­tions et des réac­tions d’hostilité con­tre les firmes étrangères. Les cam­pagnes de presse met­tent en relief la perte des marchés locaux que les entre­pris­es viet­nami­ennes n’ont pas su con­serv­er (faute de fonds pro­pres et aus­si de com­péti­tiv­ité) et surtout la mul­ti­pli­ca­tion de cas de mau­vais traite­ments imposés aux tra­vailleurs viet­namiens par les firmes étrangères, générale­ment asi­a­tiques. À pré­cis­er que Tai­wan, le Japon, Sin­gapour, Hong-Kong et la Corée four­nissent 60 % des investisse­ments étrangers directs.

Du côté des investis­seurs étrangers, on se plaint des impôts trop lourds, du coût exces­sif du trans­port aérien intérieur, des prix élevés des hôtels et de ceux exor­bi­tants des télé­com­mu­ni­ca­tions (déc­la­ra­tion de M. Aki­ra Nishio, prési­dent du Comité économique Japon-Viêt-nam). On peut rap­pel­er le cas des Aus­traliens qui étaient les pre­miers à se pré­cip­iter au Viêt­nam avec le “ dôi moi ” et qui ont annulé ou réduit des pro­jets impor­tants (Wes­tralian Sands, Port­man Min­ing, West­farm­ers, Bro­ken Hill Proprietary…).

Amor­cé début 1996, un cer­tain ralen­tisse­ment des investisse­ments étrangers directs se pour­suit. Le ralen­tisse­ment résulte à la fois de l’attitude d’attente des investis­seurs et d’un cer­tain désen­chante­ment dû aux com­pli­ca­tions bureau­cra­tiques, aux prélève­ments cor­rup­teurs, à une ges­tion inso­lite des co-entre­pris­es (Joint Ven­tures) qui per­met au parte­naire viet­namien d’exercer de fac­to, et main­tenant de jure, un veto de façon par­fois capricieuse et ver­sa­tile. Il faut ajouter d’autres raisons comme par exem­ple la sat­u­ra­tion de cer­tains secteurs tels que l’hôtellerie et surtout la con­cur­rence d’autres marchés plus attrayants aux Philip­pines, au Myanmar…

Une autre cause du ralen­tisse­ment provient enfin de la sélec­tion du min­istère du Plan et de l’Investissement (MPI) qui réserve la pri­or­ité aux pro­jets d’industries de haute tech­nolo­gie et de pro­duc­tion pour l’exportation, aux pro­jets d’industries agro-ali­men­taires, aux pro­jets dans les secteurs d’infrastructure, du gaz et du pétrole.

Pour 1996, les pro­jets approu­vés touchent essen­tielle­ment à l’industrialisation. Le MPI a approu­vé des pro­jets pour un mon­tant glob­al de l’ordre de 6,5 mil­liards de US $ pour toute l’année 1996.

11. Ces chiffres ne doivent pas faire oubli­er que l’écart reste impor­tant entre les engage­ments et les investisse­ments effec­tifs. Le Viet Nam Eco­nom­ic Times éval­ue à 5,7 mil­liards de US $ les débourse­ments effec­tifs sur les 16 mil­liards de US $ d’engagements d’investissements étrangers directs (FDI) pour la péri­ode 1992 à 1995, soit 35,6 %.

Pour les crédits publics ODA, seule­ment 800 mil­lions de US $ ont été effec­tive­ment util­isés sur les 6 mil­liards de US $ promis entre 1988 et 1995, soit 13,3 %. Il est clair que la défi­cience et l’absence de cohérence du sys­tème juridi­co-régle­men­taire y ont large­ment con­tribué, en plus des obsta­cles men­tion­nés dans les para­graphes précédents.

Le défi est impres­sion­nant. Le Pro­gramme des investisse­ments publics 1996–2000 prévoit une injec­tion de 41,4 mil­liards de US $, soit deux fois plus que pour les cinq dernières années. Les objec­tifs sont de soutenir une crois­sance annuelle de 9 à 10 % pour le PIB, de 4,5 à 5 % pour l’agriculture, de 14 à 15 % pour l’industrie et de 12 à 13 % pour les ser­vices. Le total des investisse­ments req­uis passerait alors de 27 % du PIB actuelle­ment à 34 % en l’an 2000.

12. Le con­traste est sai­sis­sant entre ces efforts imposants et l’engouement décli­nant pour le Viêt-nam en dépit d’une légère amélio­ra­tion toute récente. Depuis le 1er jan­vi­er 1997 l’indicateur TMCV (taux min­i­mum de cor­rec­tion de valeur) auquel se réfèrent investis­seurs et financiers occi­den­taux est passé de 75% à 70 % pour le Viêt-nam : autrement dit sur les marchés financiers inter­na­tionaux, les créances sur le Viêt-nam sont cotées à 30 % de leurs valeurs nom­i­nales ou réelles (con­tre 25% l’année passée).

13. Inve­stir au Viêt-nam aujourd’hui implique un véri­ta­ble par­cours du com­bat­tant. Pire que cela, inve­stir au Viêt-nam devient “ stres­sant ”. Seuls les grandes entre­pris­es et les francs-tireurs des petites affaires occu­pant de bons créneaux sont en mesure d’y faire face.

Pour­tant le Viêt-nam a véri­ta­ble­ment besoin de réduire ses dis­par­ités internes crois­santes et de prévenir les effets négat­ifs d’une économie de marché out­ran­cière en tis­sant à tra­vers tout le pays une trame humaine, cul­turelle, sociale et économique aus­si équili­brée que pos­si­ble grâce à l’apport en expéri­ence de ges­tion, en investisse­ment tech­nologique et financier des PME/PMI, surtout européennes. Or les PME/ PMI européennes sont pra­tique­ment absentes du Viêt-nam.

14. Les indi­ca­teurs et les prévi­sions sont dans l’ensemble encour­ageants, en dépit de quelques nuages.

  • Crois­sance du PIB : 9,3 % pour le pre­mier semes­tre de 1996 – entre 9 % et 10 % par an jusqu’à l’an 2000 (cal­cul de prévi­sion de la Banque Nationale et de la Banque Asi­a­tique de Développement).
  • Crois­sance de la pro­duc­tion indus­trielle : 14% – 15% pour 1997.
  • Crois­sance de la pro­duc­tion agri­cole : 4,5 % – 4,9 % pour 1997.
  • Crois­sance de l’industrie des ser­vices : 12 % – 13% pour 1997.
  • Infla­tion : moins de 10 % et prob­a­ble­ment entre 6 et 7 % pour 1996 (1991 : 67 %, 1992 : 17,5%, 1993 : 5,2 %, 1994 : 14,4 %, 1995 : 12,7 %) – à not­er que le gou­verneur de la Banque d’État, Cao Si Kiêm, red­oute l’amorce d’un proces­sus défla­tion­niste quand il a indiqué qu’un taux d’inflation plus bas ris­querait d’être préju­di­cia­ble à l’économie du pays.
     
  • Indus­trie : la crois­sance de la demande d’acier sera de 20 % à 30 % par an jusqu’à l’an 2000 au moins (de 1 mil­lion de tonnes en 1995 jusqu’à 3 mil­lions de tonnes en 2000 et jusqu’à 7,7 mil­lions de tonnes en 2010) – la pro­duc­tion d’acier brut ne sera que de 340 000 tonnes pour 1996 mais la capac­ité de pro­duc­tion en barre, en tige et en plaque serait excé­den­taire après l’an 2000 – dans la province de Ha Tinh, près de Vinh et de la mer, les réserves de min­erais de fer de Thach Khe, de l’ordre de 500 mil­lions de tonnes, font l’objet d’un pro­jet d’exploitation pour l’exportation (Krupp et trois autres sociétés) de 700 mil­lions de US $ à 1,2 mil­liard de US $.
     
  • Agri­cul­ture : pour 1996 expor­ta­tion de 2,8 mil­lions de tonnes de riz décor­tiqué pour une récolte d’environ 25,8 mil­lions de tonnes de pad­dy – à not­er la chute des cours du pad­dy (prix de gros de 182 US $/tonne en mars à 127 US$/tonne en juin) payés aux pro­duc­teurs, chute due à une récolte d’hiver/printemps abon­dante au Viêt-nam même et aux per­tur­ba­tions du marché mon­di­al, en rai­son de la réduc­tion des achats de la Chine et de l’Indonésie et de l’émergence de deux nou­veaux expor­ta­teurs, l’Inde et Myanmar.
     
  • Énergie et mines : la crois­sance des besoins en énergie élec­trique sera de 14 % par an jusqu’en 2000 et de 12 % après – le gou­verne­ment a adop­té un plan de dou­ble­ment de la pro­duc­tion qui passerait de 16,4 mil­liards de kWh en 1996 à 26–29 mil­liards de kWh pour l’an 2000 – ce plan est basé sur le développe­ment de l’utilisation du char­bon dans le nord, des ressources hydrauliques dans les Hauts Plateaux et du gaz dans le sud – il néces­site un investisse­ment de 6,5 mil­liards de US $ dont l’essentiel devrait provenir du secteur privé – les insti­tu­tions finan­cières inter­na­tionales comme la Banque Mon­di­ale et la Banque Asi­a­tique de Développe­ment sub­or­don­nent leur finance­ment à une par­tic­i­pa­tion ini­tiale du gou­verne­ment viet­namien de 15 % – en rai­son du coût élevé de cette con­tri­bu­tion ini­tiale, le gou­verne­ment pense sérieuse­ment à la for­mule BOT (build-oper­ate-trans­fer) – c’est ain­si que dans le cas de la cen­trale de Phu My 2 à Vung Tau dans le sud, pour obtenir le prêt de 180 mil­lions de US $ de la Banque Mon­di­ale pour la phase 1, le gou­verne­ment a dû accepter la for­mule BOT pour la phase 2, laque­lle coûterait 500 mil­lions de US $ – les travaux pour la phase 1 ont com­mencé pour les 2 généra­teurs à gaz de 150 MW et seraient achevés en mars 1997 – à not­er que le coût de Phu My 1 d’environ 955 mil­lions de US$ serait financé par le Japon.
    A not­er que la for­mule BOT au Viêt-nam a encore besoin d’être mise au point sur les plans lég­is­latif et réglementaire.
    Pour le pét­role et le gaz, le bal­let éton­nant des va-et-vient des com­pag­nies étrangères met en évi­dence les doutes sur le vol­ume des réserves exploita­bles et laisse prévoir des révi­sions des con­trats d’exploitation notam­ment ceux basés sur le partage de la pro­duc­tion – des ajuste­ments sont inter­venus dans la direc­tion de Petro Viet­nam – la pro­duc­tion est éval­uée à 8,2 mil­lions de tonnes en 1996 con­tre 7,8 mil­lions de tonnes en 1995 – le choix du site de Dung Quat dans le cen­tre du pays pour l’implantation d’une raf­finer­ie de 1,3 mil­liard de US $, après le retrait de Total, reçoit le sou­tien d’un con­sor­tium de sept com­pag­nies (dont deux améri­caines) qui a chargé deux bureaux d’études améri­cain et bri­tan­nique de réalis­er une étude de fais­abil­ité détail­lée, ce qui per­met trait dif­fi­cile­ment, mal­gré la déter­mi­na­tion du gou­verne­ment, la mise en chantier du pro­jet avant de nom­breuses années et ce qui ravive un cer­tain intérêt pour des solu­tions de tran­si­tion et d’attente dans un domaine ultra-sen­si­ble sur le plan poli­tique – pour soutenir le pro­jet de raf­finer­ie, un autre d’infrastructure pour la créa­tion à Dung Quat d’un parc indus­triel de 500 hectares d’un mil­liard de US $ est envis­agé par un con­sor­tium con­duit par une société thaï.
     
  • Télé­com­mu­ni­ca­tions : Inter­net pour 1997 ? Quel fil­trage du min­istère de la Cul­ture et de l’Information ? L’incontournable Viet Nam Posts and Telecom­mu­ni­ca­tions (VNPT) qui, par ailleurs, doit affron­ter jusqu’à l’an 2005 une demande crois­sante de 35 % à 40% par an d’installations télé­phoniques et qui est con­traint à recourir à la for­mule du partage des revenus (rev­enue shar­ing) avec des com­pag­nies étrangères (pre­mier con­trat récem­ment signé avec Korea Tele­com pour un pro­jet de 40 mil­lions de $ dans trois provinces du Nord).
     
  • Mon­naie et Finances : le déficit de la bal­ance com­mer­ciale était de 2,3 mil­liards de US $ pour toute l’année 1995 et il a déjà atteint 2 mil­liards pour le pre­mier semes­tre de 1996 ( il dépasserait 15 % du PIB sans compt­abilis­er le com­merce par­al­lèle de con­tre­bande qui cou­vre essen­tielle­ment les biens de con­som­ma­tion et, en fait, ce déficit reflète large­ment les intrants qui accom­pa­g­nent les investisse­ments étrangers directs et les besoins d’une indus­trie de trans­for­ma­tion en expan­sion accélérée) et ris­querait de devenir alar­mant pour 1996 en dépas­sant 5 mil­liards de US $ – il n’en reste pas moins que les expor­ta­teurs qui affron­tent les impor­ta­tions sur le marché viet­namien et la con­cur­rence sur les marchés d’exportation souf­frent de la sta­bil­ité d’un dông (mon­naie nationale) surap­pré­cié – la ges­tion de la con­fi­ance dans le dông, de la par­ité dông/US $ (11 000 dông pour 1 US$ actuelle­ment) ain­si que des taux d’intérêt est très dif­fi­cile, et déli­cate à la fois tech­nique­ment et poli­tique­ment, mais il est prob­a­ble, voire évi­dent, qu’un glisse­ment gradu­el et tâton­nant de la dépré­ci­a­tion du dông (objec­tive­ment de l’ordre de 8 %) devient inévitable à brève échéance pour dop­er les expor­ta­tions et réduire le déficit extérieur – à not­er égale­ment une dette com­mer­ciale cumulée, et con­solidée, de l’ordre de 800 mil­lions de dol­lars dont les ban­ques japon­ais­es déti­en­nent les deux tiers des créances. L’accord du Club de Lon­dres, pra­tique­ment acquis, est atten­du prochaine­ment pour per­me­t­tre l’émission des Euro-oblig­a­tions pour un mon­tant de l’ordre de 100 à 150 mil­lions de US $ sur les marchés financiers inter­na­tionaux par Mer­rill Lynch, Nomu­ra et Deutsche Mor­gan Grenfell.


Peut-être devrait-on ajouter à cela la nou­velle lég­is­la­tion, tout récem­ment adop­tée par l’Assemblée nationale, sur les investisse­ments étrangers qui a été conçue pour réamé­nag­er une lég­is­la­tion datant de 1987, mod­i­fiée en 1990, puis en 1992, afin de stim­uler et d’attirer les investisse­ments étrangers (un décret d’application du gou­verne­ment sur la “ caté­gori­sa­tion ” des investisse­ments et de leur traite­ment est atten­du après le Têt). La nou­velle lég­is­la­tion sus­cite pour le moment des réac­tions plutôt mitigées.

15. En con­clu­sion : les per­spec­tives de crois­sance jusqu’à l’an 2000 sont bonnes et la ten­dance devrait pou­voir se pour­suiv­re jusqu’en 2010 – dans ce con­texte, et compte tenu du rôle déter­mi­nant des investisse­ments étrangers directs (FDI), cette ten­dance et sa vitesse dépen­dront large­ment de la ges­tion et du suc­cès des deux for­mules bal­bu­tiantes du BOT (buil­d­op­er­ate- trans­fer) et du partage des revenus (rev­enue shar­ing) elles-mêmes trib­u­taires du pro­grès de l’instauration de l’État de droit au Viêt-nam.

Peut-être faudrait-il men­tion­ner l’existence d’un bas de laine, éval­ué à env­i­ron 10 mil­liards de US$ dont 20 à 25 % en devis­es fortes que leurs déten­teurs utilisent pour des dépens­es de san­té, d’éducation et même de con­som­ma­tion. Le gou­verne­ment s’emploie avec beau­coup de peine à ori­en­ter cette épargne vers les investisse­ments productifs.

En dernier ressort, l’épine dor­sale de tout développe­ment économique durable repose sur l’énergie. Le Viêt-nam dis­posera-t-il d’énergie suff­isante et com­péti­tive pour les prochaines décen­nies ? Sauf déra­page imprévu, les besoins seront cou­verts jusqu’en 2010.

Mais d’ores et déjà, les options doivent être choisies pour l’après 2010. Il serait dif­fi­cile de dévelop­per davan­tage les types de cen­trales nucléaires actuelles ou envis­agées pour bon nom­bre de raisons dont celles con­cer­nant l’écosystème de la région. L’option nucléaire paraît inévitable.

Les sci­en­tifiques et les autorités viet­namiens sont par­ti­c­ulière­ment atten­tifs au prob­lème de sécu­rité des cen­trales et aux con­séquences à long terme pour les déchets radioac­t­ifs. L’approche de Car­lo Rub­bia avec son amplifi­ca­teur d’énergie et la cam­pagne d’information menée par Georges Charpak les séduisent. Mais le temps presse…

Remarques in fine

16. Les per­cep­tions sur la com­péti­tion pour le pou­voir au Viêt­nam, com­péti­tion qui freine les réformes doivent être rel­a­tivisées devant un enjeu con­sid­érable, celui de la tran­si­tion du pays vers l’économie de marché. Le pas­sage du Viêt-nam à l’économie de marché est inex­orable et rien ni per­son­ne ne pour­ra l’arrêter. En effet, avec la mon­di­al­i­sa­tion de l’économie qui pro­gresse en s’accélérant, tout blocage de ce proces­sus frag­ilise le pays et le con­duit à terme à sa marginalisation

On sera bientôt remplumé grâce au Dôi Moi : quelques vautours à Hanoi.
On sera bien­tôt rem­plumé grâce au Dôi Moi
(le Renou­veau) (Hanoi).  © TRÂN VAN-THINH

17. Il s’agit dès lors pour les Viet­namiens, pour leurs dirigeants et pour la com­mu­nauté des investis­seurs intéressés par le Viêt-nam, de gér­er cette tran­si­tion sans désta­bilis­er le pays tout en assur­ant la pro­tec­tion de leurs intérêts respec­tifs légitimes.

18. Les dix pre­mières années de la réforme économique, du “ dôi moi ”, ont lais­sé appa­raître des con­trastes frap­pants et des frac­tures alar­mantes sur une toile de fond de boom d’urbanisation, de boom de bureau­cratie, de boom de cor­rup­tion, de boom de richesse et de rich­es, de boom de pau­vreté et de pau­vres… Au Viêt-nam d’aujourd’hui, tout se côtoie, la cam­pagne douce et laborieuse, la cité fébrile et pol­lu­ante, le meilleur et le pire, les bien­faits et les méfaits de l’économie de marché.

19. Sans doute le tri­om­phe mon­di­al­isé du marché dans la ges­tion économique fascine-t-il et masque-t-il une mécon­nais­sance de l’économie de marché. Les forces con­ser­va­tri­ces lui reprochent les méfaits et les forces réformistes ne trou­vent pas de con­tre­poids pour tiss­er l’équilibre indis­pens­able entre les régions, entre les couch­es de la pop­u­la­tion, entre la cam­pagne et la ville, entre les dif­férents secteurs de l’économie, et finale­ment entre l’État luimême et les forces du marché.

20. Il ne con­vient ni d’idéaliser le marché ni de le per­ver­tir mais de le cou­pler et de l’équilibrer avec l’État, son parte­naire indis­pens­able qui a la charge de tiss­er et de garan­tir les règles du jeu pour faire fonc­tion­ner une économie au ser­vice de l’homme et non pour l’asservir. Les Viet­namiens ont besoin de cet équili­bre entre l’État et le marché pour con­stru­ire leur prospérité dans la paix et pour tiss­er l’indispensable trame homogène du paysage cul­turel, économique et social qu’ils ont reçu en héritage.

21. Il ne faut surtout pas nég­liger un atout de taille : un marché domes­tique de 75 mil­lions de con­som­ma­teurs qui seront 90 mil­lions en l’an 2010. C’est le con­tre­poids néces­saire aux vari­a­tions des marchés extérieurs.

22. Le dernier mot de cette présen­ta­tion d’un essai de syn­thèse encore incom­plet revient au numéro un du pays, le Secré­taire général Dô Muoi, homme poli­tique extrême­ment fin, qui a exprimé claire­ment sa volon­té à ce sujet, celle de faire accélér­er la réforme, dans l’efficacité et la stabilité.


∗ ∗

C’est ain­si que, suiv­ant la mytholo­gie de l’origine des fon­da­teurs du Viêt-nam – des drag­ons sacrés venus de la mer – le petit drag­on viet­namien pren­dra tout son temps pour souf­frir afin de mûrir, pour appren­dre à éviter les écueils en tirant la leçon des suc­cès et des échecs à la fois chez lui et chez ses parte­naires, pour forg­er un con­sen­sus nation­al indis­pens­able à la mise en oeu­vre d’une voie spé­ci­fique­ment viet­nami­enne du développe­ment, pour gag­n­er la bataille la plus dif­fi­cile et la plus for­mi­da­ble de son his­toire, celle de la paix pour le bon­heur des Vietnamiens.

L’année Dinh-Suu sous le signe du buf­fle qui vient de com­mencer est de bon augure pour cette longue marche : le buf­fle, ani­mal très pop­u­laire au pays du drag­on, est con­nu pour sa force tran­quille, son labeur, son endurance et sa persévérance.

Les guer­ri­ers sont devenus man­agers. Ce sera ain­si que petit drag­on devien­dra grand !

Poster un commentaire