Le rôle croissant du spatial pour l’environnement : l’exemple des forêts

Les satellites permettent d’observer continûment la Terre en tant que système et de constituer de longues séries d’archives. Ils sont indispensables à la gestion de l’environnement. L’Europe et en son sein la France tiennent une place majeure dans ces programmes d’observation. Notamment les forêts bénéficient de ces programmes et les progrès des technologies fournissent de précieuses données qu’on ne pouvait espérer dans le passé. La lutte contre les feux de forêt est un des bénéficiaires importants des observations, alors que leur risque augmente continuellement et met en danger aussi bien les personnes que les biens.
La Terre connaît des transformations profondes, provoquées par l’activité humaine qui perturbe son équilibre naturel. Les pressions exercées par l’humanité compromettent la résilience de la planète et les modèles climatiques annoncent un avenir où le système terrestre pourrait être radicalement différent, remettant en cause les conditions qui rendent notre mode de vie possible. Trop souvent perçu comme un problème purement scientifique à résoudre par la technologie, le changement climatique est en réalité un défi profondément social, qui nécessite des réponses humaines, collectives et politiques.
L’Europe spatiale pour l’observation de la Terre
L’avènement des satellites a depuis de nombreuses décennies révolutionné notre capacité à étudier et observer la Terre en tant que système. Nous ne sommes plus limités à des mesures géographiquement dispersées de composants individuels tels que l’océan, l’atmosphère, la cryosphère, la biosphère, l’intérieur de la Terre, ou encore l’activité humaine. L’observation à distance depuis l’espace, utilisant des instruments qui exploitent le rayonnement ou les ondes électromagnétiques, la gravité ou le champ magnétique, révèle la structure et les dynamiques complexes de notre planète vivante et témoigne chaque jour de ses évolutions. C’est ainsi que, face à ces complexités, le spatial est devenu un outil indispensable : les missions d’observation de la Terre couvrent un vaste champ d’applications environnementales ou sociétales, allant de la science fondamentale aux usages commerciaux, en passant par les services opérationnels à vocation civile ou sécuritaire.
Dans ce continuum de missions possibles, l’Europe exerce un leadership fort dans le domaine scientifique et opérationnel, forte de plusieurs lignées de satellites faisant référence. Au niveau français, le Cnes a porté des filières d’excellence dans le domaine de l’altimétrie, du sondage atmosphérique et de l’imagerie optique de haute résolution. Le DLR allemand et l’ASI italienne ont porté leurs efforts sur l’imagerie radar ou l’optique hyperspectrale. À l’échelle du continent, l’Agence spatiale européenne excelle sur un spectre plus large de capacités, au travers de ses programmes scientifiques (FutureEO), météorologiques (Meteosat et MetOp en partenariat avec EUMETSAT) et opérationnels avec Copernicus (codéveloppé avec la Commission européenne).
Un effort de long terme et méthodique
Des programmes spatiaux on ne retient souvent que la période clé débutant à la décision de mise en œuvre et culminant au succès du lancement. Ce serait très réducteur : le système européen actuel d’observation de la Terre est le fruit de plus de trente ans de développement, guidé par les besoins des utilisateurs, une exigence élevée en matière de qualité des données, une innovation scientifique et technique ambitieuse, ainsi qu’une politique industrielle cohérente soutenue par des investissements financiers et politiques de long terme. Aujourd’hui, cet écosystème d’observation de la Terre, conçu pour une planète vivante, témoigne de la coopération européenne et de la vision partagée inscrite dans la convention fondatrice de l’ESA.
“Un socle de référence indispensable
pour suivre l’évolution du climat.”
Il est essentiel aussi de rappeler qu’en aval aussi le temps long est de rigueur : la mise en place et l’évaluation des politiques européennes demandent de nombreuses années, parfois des décennies. C’est pourquoi la continuité des données d’observation de la Terre est primordiale. De même, la compréhension scientifique du système Terre repose sur des observations prolongées dans le temps. Les vastes archives de données européennes d’observation de la Terre doivent être gérées avec rigueur, non seulement pour les usages d’aujourd’hui, mais aussi pour les décennies à venir. Elles constituent un socle de référence indispensable pour suivre l’évolution du climat et fonder les politiques publiques, en Europe comme à l’échelle mondiale.
L’observation des forêts
L’exemple de l’observation des forêts permet d’illustrer la complexité du domaine et les domaines qui restent encore à explorer – en complément, nous pouvons vous encourager à consulter un précédent article de La Jaune et la Rouge sur l’observation des océans (n° 791, p. 38), publié à l’occasion du numéro spécial « Océan ». Les forêts sont le poumon de notre planète, jouant un rôle essentiel dans le cycle du carbone. Depuis plusieurs décennies, les agences spatiales, notamment l’ESA, s’investissent dans l’observation de la biomasse terrestre, un indicateur important pour évaluer la santé des écosystèmes et le stockage du carbone.
Les premières estimations satellitaires reposaient sur des instruments radars embarqués à bord de missions comme Envisat ou des satellites japonais ALOS, capables de cartographier les forêts denses, même à travers une couverture nuageuse. Plus récemment, les satellites européens Sentinel-1 et les capteurs lasers américains ICESat et GEDI ont permis d’améliorer la précision des mesures en combinant différentes techniques d’observation. Cette évolution a abouti à la publication par l’ESA en 2024 de la plus longue série de données sur la biomasse forestière jamais produite, couvrant quinze années d’observations, de 2007 à 2022. Ce jeu de données a été produit par le programme Climate Change Initiative et est issu de la fusion de sources multiples ; il offre une cartographie globale du carbone contenu dans la végétation terrestre, avec une résolution fine allant de 100 mètres à plusieurs kilomètres.
Il constitue un outil de référence pour suivre l’évolution des forêts, nourrir les modèles climatiques et accompagner les politiques climatiques nationales et internationales. D’autres mesures spatiales permettent de compléter les analyses des mécanismes à l’œuvre dans le cycle du carbone : les données du satellite ESA-Cnes SMOS de radiométrie bande L (dont on peut extraire une estimation de la « profondeur optique végétale ») ont permis de démontrer les variations d’absorption du CO₂ selon l’âge des forêts.
Le programme Biomass
L’ambition européenne se poursuit avec la mission Biomass de l’ESA. Ce satellite de nouvelle génération embarque un radar en bande P, une fréquence inédite pour l’observation spatiale, capable de traverser la canopée dense de forêts comme celles de l’Amazonie ou du bassin du Congo et de mesurer directement la biomasse ligneuse vivante là où les précédents systèmes atteignent leurs limites. Sélectionnée par l’ESA en 2006, Biomass a été retenue en 2013 comme septième mission Earth Explorer, après plusieurs années de maturation et d’évaluation scientifique et technique. Des campagnes de mesures de validation au sol et aéroportées, notamment en Guyane et au Gabon entre 2015 et 2022, ont permis de calibrer les modèles radars, valider les algorithmes d’inversion et garantir la qualité des produits à venir.
Le lancement de Biomass le 29 avril 2025 depuis Kourou concrétise plus de deux décennies d’efforts scientifiques européens pour doter la communauté internationale d’un outil unique de surveillance des forêts, au service de la lutte contre le changement climatique. Biomass va renforcer notre capacité à mesurer précisément les stocks de carbone forestier, réduire les incertitudes sur le rôle des forêts dans le cycle du carbone et fournir des données cruciales pour la surveillance climatique mondiale dans les années à venir.

Les services Copernicus et autres
Dans le domaine aval, la mise en place d’outils de surveillance et de gestion des forêts à l’aide de données satellitaires se développe grâce à des services portés par des acteurs institutionnels – comme les services Copernicus – ou des acteurs économiques privés. Pour cela, la continuité, la revisite et la disponibilité des données sont un prérequis, et la composante spatiale du programme Copernicus joue un rôle central. Piloté par la Commission européenne en partenariat avec l’ESA, il constitue le plus vaste programme mondial d’observation de la Terre et fournit quotidiennement 20 à 25 téraoctets (To) de données par jour.
Ces données proviennent principalement des missions Sentinel-1 (radar), Sentinel-2 (optique multispectrale), Sentinel-3 (océan, atmosphère, Terre) et des autres satellites complémentaires. La qualité des données de Copernicus et sa politique de données ouvertes, libres et gratuites confèrent à l’Europe une place de leader stratégique et technologique dans le domaine de l’observation de la Terre. Pour revenir aux applications forestières, le projet ForEOSt (Forest Earth Observation Services Toolkit), soutenu par l’ESA et porté par l’entreprise belge SPACEBEL avec des acteurs forestiers et scientifiques de France, de Belgique et de Finlande, utilise les données des satellites Sentinel-1 et Sentinel-2 pour suivre l’évolution des forêts, détecter les perturbations (coupes, tempêtes, maladies) et produire des cartographies précises et à jour de la biomasse et de l’état de santé des massifs forestiers.
Grâce à des plateformes en ligne accessibles aux gestionnaires publics et privés, ForEOSt contribue à l’analyse environnementale, à la surveillance des écosystèmes forestiers et à la mise en œuvre de politiques d’adaptation au changement climatique. Ce type d’outil, à l’interface entre la science, la technologie et la gestion de terrain, illustre bien la valeur ajoutée des données spatiales dans la transition vers une gestion écosystémique des forêts.


La lutte contre les feux de forêt
Le changement climatique rend aussi plus critique la lutte et la gestion des feux de forêt, avec un risque augmentant d’année en année sur une bonne partie de l’Europe. Lors des incendies majeurs en Grèce (2021), en France (Landes, 2022) ou au Portugal, le service d’urgence de Copernicus (CEMS) a été activé pour produire en quelques heures des cartes précises des zones brûlées, des limites du feu et des risques de reprise. Ces cartes sont utilisées par les autorités locales pour coordonner les secours, planifier les évacuations et évaluer les dégâts environnementaux.
L’accès rapide à des images satellites (Sentinel-2, Spot, Pléiades…) permet d’agir plus efficacement sur le terrain. Au-delà de la crise immédiate, les satellites Sentinel-3 et Sentinel-2 permettent de suivre l’évolution de la végétation, d’évaluer le stress hydrique et d’identifier les zones à haut risque d’incendie. En Espagne et dans le sud de la France, ces données sont intégrées dans des systèmes d’alerte précoce pour orienter les politiques de prévention (débroussaillement, restriction d’accès, sensibilisation).

© ESA
L’indispensable spatial
L’exemple des forêts illustre avec force la manière dont le spatial transforme notre rapport à la Terre : en rendant visibles, mesurables et compréhensibles les dynamiques complexes à l’œuvre dans les écosystèmes, les satellites deviennent des instruments clés de connaissance, d’anticipation et d’action face aux défis environnementaux. La synergie que le spatial incarne entre recherche scientifique, innovation technologique, politique publique et acteurs économiques permet aujourd’hui de disposer d’outils puissants pour surveiller, gérer et protéger les forêts – ressources vitales pour le climat, la biodiversité et les sociétés humaines.
Dans un contexte de dérèglement climatique, où les phénomènes extrêmes se multiplient, la continuité, la qualité et l’accessibilité des données d’observation de la Terre sont plus que jamais cruciales. Elles constituent le socle d’une gouvernance éclairée, capable de répondre aux défis globaux avec des politiques fondées sur des preuves. En matière de protection de notre planète, le spatial n’est donc pas une option : il est un pilier stratégique dans la transition écologique, un vecteur de souveraineté scientifique et un levier de résilience pour les générations futures.


traitées par l’ESA
Pour aller plus loin :
- European Space Sciences Committee Earth Observation : Groundbreaking Discoveries https://www.essc.esf.org/2025/01/21/news-eo-brochure/
- Earth Observation : 5 uses of data for business and the planet | World Economic Forum https://www.weforum.org/stories/2025/01/5-uses-earth-observation-satellite-data-for-business-and-planet/
- ESA Earth Observation Strategy : « Earth Science in Action for Tomorrow’s World – Earth Observation Science Strategy, European Space Agency » https://esamultimedia.esa.int/docs/EarthObservation/ESA_Earth_Observation_Science_Strategy_issued_Sept_2024.pdf
- ESPI report : « A Policy Vision for Earth Observation » https://www.espi.or.at/reports/a-policy-vision-for-earth-observation-food-water-energy-democracy-peace-empowered-through-space/
- Copernicus : https://www.copernicus.eu/fr
- ESA Earth Observation : https://www.esa.int/Applications/Observing_the_Earth
- Cnes : données spatiales et environnement : https://cnes.fr/en/node/1953
- What are the TOP REASONS for investing in COPERNICUS ? https://topreasons.copernicus.eu/





