Le retour du nucléaire en Europe doit se faire au niveau communautaire

Dossier : L'électricité nucléaireMagazine N°643 Mars 2009
Par Philippe HERZOG (59)

La » renais­sance » du nucléaire répond à la triple néces­si­té de réduire les émis­sions de CO2, assu­rer la sécu­ri­té d’ap­pro­vi­sion­ne­ment élec­trique et offrir un prix com­pé­ti­tif. Elle emprunte des voies natio­nales en Europe et même dans le monde entier. Dans l’U­nion euro­péenne les diver­gences entre États sont telles que dis­cu­ter l’op­tion nucléaire au Conseil demeure un tabou. Beau­coup en France jugent que ce n’est pas néces­saire et que le nucléaire relève stric­te­ment de la sou­ve­rai­ne­té natio­nale. Ce n’est pas mon avis.

Repères
Aujourd’­hui, l’éner­gie nucléaire reste en tête pour la part d’élec­tri­ci­té pro­duite dans l’Eu­rope à 27 avec 30,2 % des 3 309 TWh déli­vrés en 2006, devan­çant les com­bus­tibles solides (28,5 %), le gaz natu­rel (20,9 %) et l’en­semble des éner­gies renou­ve­lables (14 %).
Dans cer­tains pays, l’élec­tri­ci­té d’o­ri­gine nucléaire repré­sente une part essen­tielle de la pro­duc­tion (France, Litua­nie, Slo­va­quie, Bel­gique, Suède, Bul­ga­rie…) ; dans d’autres, elle garde une part signi­fi­ca­tive (Hon­grie, Slo­vé­nie, Répu­blique tchèque, Fin­lande, Alle­magne, Espagne, Grande-Bre­tagne…). Ailleurs, elle n’a pas été mise en oeuvre, par insuf­fi­sance d’in­fra­struc­ture indus­trielle ou par oppo­si­tion poli­tique délibérée.

La vulnérabilité de l’Europe

En 1956, la crise de Suez a révé­lé la vul­né­ra­bi­li­té éner­gé­tique de l’Eu­rope, lar­ge­ment dépen­dante du pétrole importé.

Chaque État a vou­lu conser­ver la pleine maî­trise de sa poli­tique énergétique

Le recours à l’éner­gie ato­mique est alors appa­ru comme la meilleure voie pour s’en affran­chir et sécu­ri­ser la pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té. Six pays ont fon­dé en 1957 la Com­mu­nau­té euro­péenne de l’éner­gie ato­mique. Le trai­té visait à sti­mu­ler les efforts de recherche, favo­ri­ser l’es­sor d’une indus­trie nucléaire et assu­rer un haut niveau de sûre­té. Mais les résul­tats sont res­tés minces, chaque État vou­lant conser­ver la pleine maî­trise de sa poli­tique énergétique.

L’ac­ci­dent de Tcher­no­byl a ensuite décré­di­bi­li­sé le nucléaire dans de nom­breux pays. L’I­ta­lie y a renon­cé ; l’Es­pagne et les Pays-Bas ont opté pour le non-renou­vel­le­ment de leur parc ; et l’Al­le­magne a déci­dé en 2001 de fer­mer pro­gres­si­ve­ment ses cen­trales en fonc­tion­ne­ment. Ces choix ont été faci­li­tés par l’ap­pa­ri­tion de nou­velles tech­no­lo­gies ren­dant attrac­tif l’u­sage du gaz natu­rel dans les cen­trales élec­triques, et sur­tout par une longue période de prix modé­rés pour toutes les éner­gies fossiles.

La tac­tique défen­sive des États pro­nu­cléaires n’a pas été très heu­reuse. Ils ont lais­sé dia­bo­li­ser le nucléaire et ses acteurs et uti­li­sé le trai­té Eur­atom – qui exige l’u­na­ni­mi­té des États dans la plu­part des cas – pour inter­dire toute immix­tion com­mu­nau­taire dans leur sec­teur nucléaire natio­nal. Les États anti­nu­cléaires au contraire ont uti­li­sé l’es­pace com­mu­nau­taire pour réduire l’a­van­tage com­pé­ti­tif aux pays dotés de l’éner­gie nucléaire.

Agir dès maintenant

La Com­mis­sion euro­péenne situe entre 357 et 380 GW la capa­ci­té de pro­duc­tion élec­trique à construire entre 2010 et 2020, moi­tié par le renou­vel­le­ment des cen­trales en fin de vie, moi­tié pour répondre à l’aug­men­ta­tion de la demande. Mais les condi­tions actuelles avan­tagent les renou­ve­lables, le gaz et, dans une moindre mesure, le char­bon. Sans mesures posi­tives en faveur de l’éner­gie nucléaire, celle-ci ver­rait sa capa­ci­té recu­ler de – 15 % à – 16 % d’i­ci 2020, selon les hypo­thèses. Ces scé­na­rios ont été bâtis avant la crise éco­no­mique actuelle ; ils lais­saient craindre une insuf­fi­sance de capa­ci­té dès 2015 dans cer­tains pays. Avec le ralen­tis­se­ment actuel de la demande, ce risque serait plus loin­tain. Mais le pro­blème est peut-être moins un manque de capa­ci­té que de grosses dif­fi­cul­tés en matière de prix de l’éner­gie de base – en niveau et en stabilité.

Une politique énergie-climat

L’U­nion dis­pose désor­mais de réels pou­voirs en matière d’en­vi­ron­ne­ment et a déci­dé de bâtir une poli­tique » énergie-climat « .

Ren­for­cer la coopération
Les États nucléaires pour­raient prendre l’i­ni­tia­tive de » coopé­ra­tions ren­for­cées « . Un pre­mier objec­tif serait de réduire le coût d’ac­cès au nucléaire en adop­tant une pro­cé­dure d’a­gré­ment uni­fiée pour la construc­tion des cen­trales. Une autre ini­tia­tive bien­ve­nue consis­te­rait à mettre en com­mun les res­sources en for­ma­tion, en créant un réseau déli­vrant des diplômes d’in­gé­nieur et tech­ni­cien recon­nus par ces pays. Actuel­le­ment la pénu­rie de com­pé­tences est grave, et l’at­trait pour cette filière serait sti­mu­lé par la pers­pec­tive d’une car­rière sans frontières.

Le paquet adop­té sous la pré­si­dence fran­çaise com­porte des aspects posi­tifs – en par­ti­cu­lier les enga­ge­ments pris pour réduire les émis­sions de gaz à effet de serre.

Cela étant, et même si la réces­sion risque de retar­der les inves­tis­se­ments, le contexte géné­ral est favo­rable à l’ac­tion pour le nucléaire : l’ur­gence cli­ma­tique, les besoins des pays émer­gents, les pro­blèmes de com­pé­ti­ti­vi­té, les effets per­vers de la vola­ti­li­té des prix. Huit tranches sont actuel­le­ment en construc­tion au sein de l’U­nion euro­péenne (2 en Bul­ga­rie, 1 en Fin­lande, 1 en France, 2 en Rou­ma­nie et 2 en Slo­va­quie). Rien qu’en Grande-Bre­tagne, le poten­tiel s’é­lève à 23 tranches, selon le Livre blanc publié par le gou­ver­ne­ment en mars 2008. De plus, au niveau com­mu­nau­taire, plu­sieurs mesures sont en dis­cus­sion qui peuvent favo­ri­ser la reprise du nucléaire et son déve­lop­pe­ment par les firmes et les États qui le sou­haitent. Ain­si, la Com­mis­sion euro­péenne a pro­po­sé le 26 novembre 2008 un socle com­mun pour les auto­ri­tés natio­nales de sûre­té nucléaire. L’a­dop­tion d’une direc­tive ren­for­ce­rait sen­si­ble­ment la confiance de l’o­pi­nion publique envers cette éner­gie. Il a éga­le­ment été pro­po­sé de dou­bler le mon­tant des prêts Eur­atom de la Banque euro­péenne d’investissement.

De nombreuses propositions

D’autres pro­po­si­tions émergent dans le débat public1 : enca­drer le mar­ché des quo­tas de CO2 de façon à évi­ter un prix exces­si­ve­ment bas qui décou­rage l’in­ves­tis­se­ment dans les éner­gies fai­ble­ment car­bo­nées et dans l’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique ; allé­ger les pro­cé­dures per­met­tant aux gros consom­ma­teurs indus­triels de signer des contrats d’ap­pro­vi­sion­ne­ment en élec­tri­ci­té à long terme, élar­gis­sant ain­si la visi­bi­li­té néces­saire à leurs inves­tis­se­ments en Europe ; éta­blir des garan­ties finan­cières à l’ex­por­ta­tion, afin de pla­cer les four­nis­seurs euro­péens d’é­qui­pe­ments nucléaires sur pied d’é­ga­li­té avec leurs concur­rents, amé­ri­cains, coréens, russes ou japo­nais, qui obtiennent ce sou­tien de leurs pays.

L’adoption d’une direc­tive ren­for­ce­rait sen­si­ble­ment la confiance de l’opinion publique

Valoriser le savoir-faire

Aucune de ces mesures ne consti­tue une intru­sion dans les poli­tiques natio­nales : chaque État reste maître de ses choix éner­gé­tiques. Mais elles visent toutes à réduire le coût de la filière et à valo­ri­ser le savoir-faire d’une indus­trie euro­péenne qui trou­ve­rait ain­si des débou­chés inter­na­tio­naux plus impor­tants. 56 euro­dé­pu­tés ont récem­ment signé une décla­ra­tion conjointe en faveur du nucléaire ; la Com­mis­sion vient de lan­cer le Forum de Prague et Bra­ti­sla­va consa­cré aux échanges sur le sujet ; la der­nière ana­lyse stra­té­gique sur la situa­tion éner­gé­tique euro­péenne remet la sécu­ri­té d’ap­pro­vi­sion­ne­ment au centre des pré­oc­cu­pa­tions. Il ne faut sur­tout pas renon­cer à pro­vo­quer une meilleure accep­ta­bi­li­té de l’éner­gie nucléaire en Europe.

1. Cf. dans L’Option de Confron­ta­tions Europe, n° 24, « La renais­sance du nucléaire – un enjeu pour l’Europe », actes du Col­loque euro­péen des 27 et 28 mars 2008 à Paris, sept. 2008.

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