Le retail de luxe

La vente des produits de luxe est une alchimie fascinante. On vend le luxe… luxueusement. C’est-à-dire dans des boutiques de plus en plus grandes et avec des vendeurs de plus en plus attentifs au client. Lequel client n’est pas nécessairement un habitué, mais est susceptible de le devenir si l’on s’y prend bien.
Le retail, la distribution, est un monde qui fascine les ingénieurs ; et ce n’est pas un hasard si nombre de nos camarades en particulier ont choisi leur carrière dans ce domaine. Parce que l’équation qui conditionne les ventes et qu’ils cherchent à maximiser comprend un nombre très important de variables et de paramètres : les produits, leurs emplacements, leurs prix, les employés, les clients… et cette équation a un nombre quasi infini de solutions qui vont du 0 au… wahou. On a coutume de dire dans le retail que Retail is detail ou bien qu’un « bon directeur de boutique fera toutes choses égales par ailleurs 20 à 30 % de chiffre d’affaires de plus qu’un directeur moyen ». Façons différentes d’exprimer la même chose : il y a des façons de faire qui marchent bien, et beaucoup d’autres qui ne marchent pas du tout ; et la différence entre les deux est… subtile.
Fiat luxe !
Qu’est-ce que le luxe ? Et par extension qu’est-ce que le retail de luxe ? L’industrie du luxe est la seule industrie qui se définit non pas par ce qui y est fait, mais par la façon dont les choses y sont faites. Il y a des produits assez communs, comme une robe, un rouge à lèvres, une montre, une bouteille d’alcool, qui pourront être selon les cas un produit de luxe ; et beaucoup d’autres de ces mêmes catégories qui ne le seront pas. La différence entre les deux réside dans la façon dont ces produits ont été conçus, puis fabriqués.
Dans le cas d’une robe dite de luxe, il y aura nécessairement une attention particulière aux matières utilisées, qui devront être des matières nobles, à l’artisanat sous-jacent, aux talents créatifs qui ont défini le modèle. Chacun de ces éléments pouvant être explicité, raconté, et ils le sont le plus souvent. Et, puisque cette robe, pour poursuivre cet exemple, a en elle une recherche d’excellence dans tous les détails qui la composent, de son design à sa production en passant par sa composition, elle sort du lot commun des robes… elle a une histoire, des éléments tangibles qui viennent nourrir sa spécificité, son unicité et sa valeur perçue, et c’est ainsi que cette robe devient un produit de luxe. Elle a aussi un prix, mais celui-ci n’est que la résultante de tout cela. Souvent plus élevé certes, parce que l’excellence a un coût.

Vendre le luxe
Le retail de luxe n’est que le prolongement au domaine de la vente de ce qui précède. Une boutique de luxe aura de la même façon cette recherche d’excellence dans tous les détails de son exécution : dans le choix de son emplacement, son architecture, les décors, les éclairages, la présentation des produits, mais aussi l’accueil des clients, les discours, le suivi par le personnel.
Chacun de ces éléments aura été pensé de façon à associer les meilleurs des créatifs aux meilleurs matériaux et aux meilleurs artisans pour les mettre en œuvre. Parce que l’écrin doit être aussi beau que le produit. Et, parce que cet écrin sera accueillant, rassurant, et riche des détails qui se retrouvent aussi dans les produits, alors l’acte de vente pourra se réaliser, c’est-à-dire le moment où, le produit à la main ou sur soi, le client aura toute la réceptivité nécessaire pour écouter l’histoire du produit, de sa conception à sa réalisation, nourrissant son envie, pour finalement passer de l’envie à l’acte.
C’est la raison pour laquelle on dit souvent que « l’on vend mieux en boutique lorsque l’on ne cherche pas à vendre » (mais que l’on prend plutôt le temps de raconter l’histoire). C’est aussi pour cela que les marques de luxe ont progressivement quitté le monde des multimarques pour se consacrer au développement de leurs propres boutiques, pour maîtriser totalement la relation avec leur client et ces instants passés ensemble, les plus déterminants. De même que le prix d’un produit n’est que la résultante de l’excellence de sa genèse, de même la taille d’une boutique de luxe n’est que la résultante du confort auquel chaque visiteur aura droit, et du temps qu’il voudra bien y passer.
Devenir client du luxe
Y a‑t-il une clientèle du luxe ? À quoi ressemble-t-elle ? Plutôt pour les touristes ? Adapte-t-on les produits aux clientèles, par exemple par géographie ? Les boutiques sont-elles elles aussi différentes selon les géographies ? Pour résumer, il n’y a pas de clientèle de luxe ou de clientèle 100 % luxe. Il y a des gens qui connaissent bien les marques de luxe et y consacrent une part plus ou moins importante de leurs achats, on parle alors de client affluent, et un nombre bien plus important de clients qui achètent un produit de luxe peut-être une seule fois dans leur vie ou bien très rarement. On parle alors de clients aspirationnels.
Pour donner une idée de la part entre les deux types de clientèle, une marque de luxe, comme une maison de joaillerie par exemple, suivra typiquement la loi des 3–30, 4–40 ou 5–50. C’est-à-dire qu’elle réalisera 30 %, 40 % ou même 50 % de son chiffre d’affaires avec seulement 3 %, 4 % ou bien 5 % de ses clients. Cela a des implications considérables ! Parce que cette maison, plus spécifiquement les boutiques de cette maison de luxe, devra être capable d’accueillir une masse considérable de visiteurs qui la connaissent peu et qui sont en recherche d’information et d’éducation. Tout en étant capable également de satisfaire ses clients bien plus experts et bien plus exigeants.
“On ne naît pas client du luxe, on le devient.”
Un excellent exemple est la boutique Dior de l’avenue Montaigne, probablement la plus belle boutique de luxe au monde, qui contient, entre autres, un musée dédié à son histoire de plus de 2 000 mètres carrés… « On ne naît pas client du luxe, on le devient ». Autrement dit, « un client affluent n’est qu’un ancien client aspirationnel ». Et ce sont les marques de luxe qui réalisent l’éducation et la transformation de ces curieux en acheteurs de plus en plus fidèles, au sein de lieux qu’elles maîtrisent : leurs boutiques et leurs vendeurs.

L’effet prix
Les boutiques et les produits sont les mêmes dans toutes les géographies. Les lancements des collections et des nouveautés sont mondiaux. Et cela depuis très longtemps. Mais les prix, eux, peuvent varier entre les différents pays, en fonction de la fluctuation des monnaies. L’afflux massif de touristes chinois au Japon en 2024 n’a pas d’autres raisons qu’un écart RMB/Yen historiquement favorable au RMB. Et, parce que les produits sont les mêmes partout et que leurs prix peuvent être élevés, réaliser une économie de 15 % grâce aux taux de change à laquelle se rajoute une part de la TVA locale soit par exemple 15 % en France (pour un total de 30 %) représente une motivation très forte pour acheter un produit de luxe pendant son voyage. Pour cette raison, la part des ventes d’une marque de luxe aux touristes est toujours importante, jamais majoritaire cependant.
Deux tendances de fond
Il y a deux tendances de fond dans le retail de luxe : le gigantisme des boutiques et l’attention toujours plus grande portée à la force de vente. « Plus les boutiques sont grandes, plus elles vendent. » Il y a une part de vrai que l’on comprend avec ce qui précède : une boutique plus grande offrira un plus grand confort à ses clients, présentera plus de produits et aura plus d’occasions de se raconter par d’autres moyens, comme le musée Dior. Générant ainsi plus d’occasions de venir, plus d’occasions d’essayer et plus d’occasions de découvrir et d’écouter toutes les histoires.
« Un grand vendeur part avec ses clients. » Cela semble a priori contradictoire… mais cela se vérifie pourtant dans les faits. Parce qu’aucun client affluent n’est exclusif d’une seule marque et parce que le lien qui s’établit entre la marque et son client passe par la boutique et ses vendeurs, le vendeur prend progressivement une part de plus en plus importante, avec la profondeur de la relation qui se noue entre le client et la marque. Un jeu à 3 plutôt qu’un jeu à 2 en quelque sorte.
Enfin, et pour finir de se convaincre que la boutique de luxe est au centre de toute l’économie du luxe, cette phrase librement inspirée d’Yves Carcelle (X66), président de Louis Vuitton pendant plus de vingt ans : « The communication is the invitation, the store is the party. »