Le restructuring by Orrick : entre technicité juridique et enjeux humains

Face aux mutations économiques et aux difficultés que traversent de nombreux secteurs, la restructuration des entreprises est devenue un domaine stratégique du droit des affaires. Associé du pôle restructuring d’Orrick à Paris, aux côtés de Maître Aurélien Loric qui gère la pratique, Maître François Wyon revient sur l’organisation de leur équipe, les spécificités de cette pratique et la vision de leur cabinet.
Orrick est un cabinet d’origine américaine. Comment présenteriez-vous aujourd’hui votre bureau parisien ?
À Paris, nous regroupons environ une centaine d’avocats, dont une trentaine d’associés. Le cabinet, qui s’est construit historiquement sur la côte ouest des États-Unis, constitue un réseau mondial offrant la capacité d’intervenir sur des opérations transfrontalières complexes tout en restant proches de l’écosystème local. Cet environnement est essentiel pour nos dossiers, qui comprennent souvent des éléments d’extranéité : dettes sous droit anglais ou new-yorkais, filiales étrangères de groupes internationaux, sûretés de droit étrangers, etc.
Quelles sont les grandes spécialités du cabinet ?
Nous sommes un cabinet de droit des affaires structuré autour de trois piliers : la finance, la technologie et l’innovation, l’énergie et les infrastructures. C’est un ancrage fort qui nous distingue et qui correspond à l’ADN entrepreneurial de nos origines. Nous accompagnons ainsi une typologie de clients très large : start-up, fonds d’investissement, sociétés industrielles ou encore groupes cotés.
Disposez-vous de l’ensemble des expertises en interne ?
Oui, nous couvrons toutes les pratiques nécessaires : droit des sociétés et fusions-acquisitions, financement, fiscal, social, concurrence, énergie, contentieux… Cela nous permet d’offrir un accompagnement complet. Au sein du pôle « restructuring », nous travaillons naturellement en étroite interaction avec les autres départements, qu’il s’agisse du financement, du corporate, ou encore du contentieux lorsqu’il faut gérer des litiges liés aux procédures collectives.
Le cabinet s’illustre aussi dans le domaine du capital-risque. Quelle place occupe cette pratique ?
Notre équipe Venture est l’une des plus importantes du marché. Elle accompagne les jeunes pousses, de l’amorçage jusqu’aux levées de fonds majeures et parfois à l’introduction en bourse. Nous sommes aux côtés de nombreuses pépites françaises, comme Mistral AI. Cette proximité avec l’innovation et la croissance nourrit aussi notre pratique restructuring : comprendre l’écosystème des start-up permet d’anticiper leurs besoins quand elles rencontrent des difficultés.
Comment est organisée votre équipe restructuring ?
Nous comptons sept avocats, dont deux associés et plusieurs collaborateurs aux niveaux d’expérience variés. Cette diversité nous permet d’équilibrer stratégie, exécution opérationnelle et ressources allouées aux dossiers. Le rôle de l’associé consiste à définir la stratégie, superviser sa mise en œuvre, mais également à répartir les chantiers au sein de l’équipe de la façon la plus pertinente possible.
Pourquoi avoir choisi de vous spécialiser dans cette matière ?
La restructuration est au croisement du droit, de la finance et de la gestion d’entreprise. Elle touche à des questions stratégiques, financières, humaines, managériales. Derrière chaque dossier, il y a une histoire singulière, parfois liée à une crise financière, une crise opérationnelle ou parfois à une crise de gouvernance ou de succession. Notre valeur ajoutée va au-delà de la technicité juridique : c’est une expertise pratique et stratégique acquise au fil des situations, inédites pour certains de nos clients, qui recherchent à travers notre accompagnement, notamment, une excellente connaissance de l’écosystème et des pratiques de place.
“La restructuration est au croisement du droit, de la finance et de la gestion d’entreprise : derrière chaque dossier, il y a une histoire humaine et stratégique.”
À quel moment les entreprises font-elles appel à vous ?
Idéalement, le plus tôt possible. Les procédures amiables – mandat ad hoc, conciliation – sont des outils puissants pour prévenir l’aggravation des difficultés. Mais beaucoup de dirigeants hésitent : franchir la porte d’un avocat en restructuring, c’est souvent admettre un problème. En fonction de la typologie des clients et des situations, nous pouvons également être mandatés plus tard dans le process, au stade judiciaire ou au moment d’une reprise à la barre. À l’inverse, nous travaillons parfois très en amont avec les fonds d’investissement, qui nous sollicitent pour étudier des situations en anticipation du lancement de négociations.
Quels secteurs observez-vous particulièrement en difficulté aujourd’hui ?
Depuis la crise sanitaire, la diversité est frappante. Le retail ou l’immobilier restent des secteurs sensibles, comme souvent en période de tension économique. Mais nous voyons aussi des acteurs de la petite enfance ou des EHPAD, ainsi que des start-up, fragilisées par la hausse des taux et la prudence accrue des investisseurs. Parmi les quelques segments épargnés, on peut citer le luxe ou, naturellement, l’intelligence artificielle.
Vous parlez souvent de négociation et d’équilibre. Comment définiriez-vous votre rôle ?
Nous sommes des négociateurs avant tout. Dans les procédures amiables, un tiers indépendant – conciliateur ou mandataire – joue le rôle de chef d’orchestre. Mais l’avocat a pour mission d’anticiper, d’expliquer, de trouver des solutions qui alignent autant que possible les intérêts divergents. Et lorsque le dialogue échoue, il existe des mécanismes légaux pour imposer un plan, ou pour s’en défendre. Dans les dossiers les plus complexes (Solocal, Atos, Altice), qui sont ceux dans lesquels nous intervenons régulièrement, la recherche d’un compromis pragmatique anime généralement l’ensemble des parties prenantes – mais parvenir à un accord n’est jamais garanti.
Quelles qualités sont nécessaires pour être un bon avocat en restructuring ?
Une haute technicité est évidemment indispensable : les conséquences d’une erreur sont en général immédiates. Mais il faut aussi un sens stratégique et, souvent, une dimension quasi psychologique. Face à un dirigeant dont l’entreprise vacille, ou lorsque les enjeux financiers sont conséquents, il s’agit de conseiller, d’expliquer, parfois même de rassurer. Dans les dossiers médiatiques sur lesquels nous avons l’habitude d’intervenir, comme Pierre & Vacances, Orpéa ou Casino, la pression n’est pas seulement juridique ou financière : elle est aussi humaine et sociale.
Votre cabinet a justement été impliqué dans plusieurs affaires médiatisées. En quoi ces dossiers changent-ils votre approche ?
Ils exigent une vigilance particulière. Dans des dossiers sensibles comme Orpéa, les enjeux dépassent la seule survie d’une société : il s’agit de milliers de personnes concernées, salariés comme bénéficiaires des services. La pression est alors autant opérationnelle que médiatique. Il peut arriver que des conseils en communication de crise soient impliqués lorsque nécessaire, mais côté avocats, notre priorité reste la discrétion : la confidentialité des discussions est clé pour parvenir sereinement à négocier un accord viable.
“La communication interne est centrale : c’est elle qui nous permet de réagir à la temporalité parfois fulgurante des dossiers.”
Les fonds d’investissement, souvent qualifiés d’« opportunistes », ont parfois mauvaise presse. Partagez-vous ce constat ?
On rencontre en effet souvent cette caricature. L’offre de valeur des fonds comporte en réalité essentiellement trois éléments : des liquidités, une expertise et leur réputation. Or, sur un marché concurrentiel, la réputation est déterminante. Un acteur qui se comporterait de manière purement opportuniste perdrait rapidement toute crédibilité. Ce sont des acteurs récurrents, qui misent au contraire sur une approche constructive et soignent leur réputation pour pouvoir continuer à jouer un rôle sur leur marché sur le long terme.
Enfin, quelle est l’ambition d’Orrick et de votre pôle restructuring ?
Poursuivre notre croissance, et continuer à accompagner nos clients avec exigence et efficacité. Mais il sera aussi essentiel de préserver la cohésion interne, d’assurer la transmission d’une excellence opérationnelle à nos collaborateurs, et de veiller à la qualité des relations humaines. Le succès d’une équipe ne repose pas seulement sur ses associés : il dépend de la qualité du travail collectif et de l’investissement de chacun. C’est ce double engagement, interne et externe, qui guide notre ambition.

