Le réseau, nouvelle approche du conseil en innovation

Dossier : Le conseilMagazine N°611 Janvier 2006
Par David DORNBUSCH (89)

CRÉATION DE l’A­gence de l’in­no­va­tion indus­trielle, Recherche con­tre Inno­va­tion au Cen­tre des forums des chercheurs, créa­tion des Pôles de com­péti­tiv­ité, l’in­no­va­tion est un sujet impor­tant dans les débats poli­tiques et médi­a­tiques de l’époque. Dans la sphère économique, cette préoc­cu­pa­tion s’est depuis longtemps trans­for­mée en urgence. Toutes les firmes ont dévelop­pé, de manière naturelle mais par­fois intu­itive, leur pro­pre cul­ture, poli­tique et sys­tème de ges­tion de l’in­no­va­tion. Car l’in­no­va­tion n’est pas seule­ment à l’o­rig­ine de la créa­tion d’en­tre­pris­es et de leur renou­veau (Apple, son iPod et désor­mais son iTunes Music Store) mais plus sim­ple­ment de leur développe­ment quo­ti­di­en. La plu­part des entre­pris­es innovent “comme on respire”, sans y penser. Cer­taines tou­ssent voire néces­si­tent une greffe ou une res­pi­ra­tion sous assis­tance pour les plus “malades”. L’in­no­va­tion est ain­si un sujet essen­tiel avec le risque de devenir un lieu commun.

Mais dif­férents boule­verse­ments pro­fonds (mon­di­al­i­sa­tion, révo­lu­tion numérique, volatil­ité et édu­ca­tion des con­som­ma­teurs) nous poussent à aban­don­ner cette con­cep­tion de l’in­no­va­tion en tant qu’ac­tiv­ité naturelle et aléa­toire. Le temps nous manque. Nous ne pou­vons plus atten­dre l’in­no­va­tion tel le messie, avec un mélange d’e­spoir et de fatal­isme. Nous nous devons, désor­mais, d’aller à sa ren­con­tre. L’in­no­va­tion doit devenir un proces­sus et se dérouler de façon con­tin­ue, à un rythme soutenu. Ses fruits doivent être nom­breux et se dévelop­per aus­si rapi­de­ment qu’har­monieuse­ment. Un des moyens dont dis­posent les entre­pris­es pour s’en assur­er est le recours à un cab­i­net de con­seil en inno­va­tion. Sa voca­tion est de struc­tur­er la démarche d’in­no­va­tion, de la com­par­er aux meilleures pra­tiques, de l’adapter à la cul­ture pro­pre à chaque société, de l’align­er sur les axes stratégiques de la firme, d’analyser et accom­pa­g­n­er les pro­jets d’of­fres inno­vantes et d’en com­mu­ni­quer ses objec­tifs en interne et en externe.

Élargir sa vision de l’innovation

Le con­seil en inno­va­tion peut en par­ti­c­uli­er aider les entre­pris­es à regarder “hors les murs” et à envis­ager l’in­no­va­tion dans une approche en réseau. En effet, dans le traite­ment interne de l’in­no­va­tion, les travaux de la R & D se focalisent essen­tielle­ment sur les pro­duits “mai­son” afin d’en amélior­er l’ef­fi­cience, le rap­port effi­cac­ité-car­ac­téris­tiques (exem­ple nom­bre de fonc­tion­nal­ités-dimen­sions, fia­bil­ité-con­som­ma­tion énergé­tique etc.) pour répon­dre à des besoins “con­nus”. Il est beau­coup plus rare de chercher, par exem­ple, une appli­ca­tion pra­tique à une avancée tech­nologique totale­ment extérieure à l’en­tre­prise. Réponse à un besoin iden­ti­fié du marché (“mar­ket pull”) ou résul­tat de l’ap­pli­ca­tion d’une nou­velle tech­nolo­gie (“tech­no push”), le proces­sus d’in­no­va­tions reste lim­ité à la vision de la firme.

Le suc­cès des grands “clus­ters” améri­cains, qui rap­prochent uni­ver­sités, chercheurs, indus­triels et jeunes entre­pris­es inno­vantes, a pour­tant prou­vé que la ren­con­tre et la col­lab­o­ra­tion d’ac­teurs de natures dif­férentes favorisent la créa­tion de valeur sci­en­tifique, tech­nologique et économique. Une des asso­ci­a­tions les plus rich­es est vraisem­blable­ment celle établie entre de grands groupes et de jeunes entre­pris­es inno­vantes. Les pre­mières ont la maîtrise du temps et de l’ar­gent. Les sec­on­des ont le dynamisme de petites struc­tures dédiées à la réus­site d’une décou­verte technologique.

Toutes les “start-up” se car­ac­térisent par la cer­ti­tude de ses fon­da­teurs de la ren­con­tre d’un marché avec une nou­velle offre et indiquent une faille éventuelle de la tech­nolo­gie ou du marché. Leur exis­tence est, en soi, un sig­nal fort pour les entre­pris­es désireuses d’in­té­gr­er de nou­veaux élé­ments, moins chers, plus per­for­mants, par­fois encore inex­plorés. Pour les start-up, l’ac­cès aux grandes sociétés est sou­vent l’é­tape oblig­ée vers un développe­ment autonome : leurs cir­cuits de dis­tri­b­u­tion et la taille de leurs besoins représen­tent une manne pour une petite entre­prise. Cette col­lab­o­ra­tion évi­dente reste pour­tant insuff­isam­ment étudiée.

À titre d’il­lus­tra­tion, nous emprun­terons quelques exem­ples aux réal­i­sa­tions de la Société “faber­Nov­el”, créée en 2003 qui a dévelop­pé le mod­èle d’une plate-forme dédiée à l’in­no­va­tion plutôt que celui d’un cab­i­net d’ex­perts focal­isés sur une thé­ma­tique sec­to­rielle ou fonctionnelle.

faber­Nov­el a ain­si conçu des pro­jets inno­vants faisant tra­vailler ensem­ble une ou plusieurs start-up pour de grands comptes, tant pour con­solid­er la crois­sance des sociétés que pour aider au redé­ploiement d’en­tre­pris­es en manque “d’oxygène de l’innovation”.

L’innovation en réseau, pour conserver son leadership

Chez l’opéra­teur de trans­port urbain Trans­dev, une pre­mière mis­sion de con­seil stratégique a mis en évi­dence que l’in­for­ma­tion voyageur et la bil­let­tique sont de plus en plus cri­tiques et que les nou­veaux com­péti­teurs se con­cen­trent sur ces points clefs : équipemen­tiers, SSII, mobili­er urbain,… Il fut recom­mandé à l’opéra­teur de Trans­ports Col­lec­tifs d’u­tilis­er le télé­phone mobile pour per­me­t­tre de se réap­pro­prier les aspects les plus inno­vants de son métier.

À par­tir de ces analy­ses prélim­i­naires, faber­Nov­el a mis en oeu­vre, en tant qu’as­sis­tant à maître d’ou­vrage, plusieurs appli­ca­tions de “mobil­ité” impli­quant la coor­di­na­tion d’un réseau de six sociétés : qua­tre grandes qu’on ne présente plus (Caisse Des Dépôts Développe­ment, Trans­dev, FTR & D et Orange) et deux start-up : Mobivil­lage pour la maîtrise d’oeu­vre des inter­faces WAP et la réal­i­sa­tion du cahi­er des charges fonc­tion­nel, Net Advanced pour les développe­ments. Le résul­tat de cette “mise en réseau” est par exem­ple l’ap­pli­ca­tion Altick­et. Il s’ag­it d’une solu­tion bil­let­tique mobile qui per­met l’achat d’un bil­let de bus virtuel sur le WEB ou le WAP (paiement sécurisé), sa récep­tion “virtuelle” sur le télé­phone mobile sous la forme de l’im­age d’un code-bar­res cryp­té qui sup­porte toutes les infor­ma­tions néces­saires. Le code-bar­res à deux dimen­sions dont est muni l’Altick­et n’est pas une référence à un dossier client dans une base de don­nées ; il s’ag­it d’un véri­ta­ble sub­sti­tut au bil­let papi­er. Ce dis­posi­tif est en place pour les cars à des­ti­na­tion des sta­tions de ski des Trois-Vallées.

L’innovation en réseau, outil d’une renaissance

Le parte­nar­i­at Sofe­ma Groupe/AVI est un sec­ond exem­ple de parte­nar­i­at “entre­prise établie” — “start-up”. Sofe­ma Groupe four­nit depuis plus de soix­ante-dix ans des ser­vices de con­seil pour l’ex­por­ta­tion et des investisse­ments en aéro­nau­tique, défense, avi­a­tion civile, et infra­struc­tures. Avec un chiffre d’af­faire de plusieurs dizaines de mil­lions d’eu­ros, la société a pour­tant besoin d’in­no­va­tions majeures pour faire face à l’es­souf­fle­ment de ses métiers tra­di­tion­nels et suiv­re la mon­di­al­i­sa­tion de ses entre­pris­es clientes. Sofe­ma se rap­proche ain­si de la Société Air­shipVi­sion (AVI), start-up dont l’ob­jec­tif est de dévelop­per et de pro­pos­er des presta­tions de ser­vices autour de dirige­ables. Entourées d’un léger par­fum de rétro inno­va­tion, ces plates-formes sont en fait extrême­ment mod­ernes et com­plex­es : gon­flage héli­um, avion­ique de pointe, ali­men­ta­tion élec­trique par pan­neaux solaires souples.

Le parte­nar­i­at ain­si établi entre ces deux entre­pris­es, si dif­férentes, per­met à Sofe­ma de redé­ploy­er son offre “sécu­rité” clas­sique autour de cette nou­velle caté­gorie de drone, et offre même une plate-forme per­me­t­tant de s’ou­vrir à de nou­veaux parte­naires, start-up ou grandes entre­pris­es, four­nisseurs de caméras, de radars, de senseurs et divers équipements de mission.

L’innovation en réseau, en phase de croissance

Futu­ra, pro­prié­taire d’un réseau de grande infor­ma­tique (enseigne NOZ), a con­nu ces dix dernières années une crois­sance expo­nen­tielle avec plus de 120 mag­a­sins et plus de 1 200 salariés. Pour péren­nis­er ce développe­ment, la société s’in­ter­roge sur les meilleurs moyens de motiv­er ses salariés.

En vue de génér­er une inno­va­tion à l’in­ter­face, faber­Nov­el lui pro­pose un parte­nar­i­at avec la start-up I nova, édi­teur de logi­ciel pour le man­age­ment de l’in­no­va­tion, afin de met­tre en place un “Sys­tème de man­age­ment des idées et des initiatives”.

I‑nova développe d’une solu­tion dédiée à la dis­tri­b­u­tion sur la base de son logi­ciel pro­prié­taire. faber­Nov­el réalise l’ensem­ble de l’as­sis­tance à maîtrise d’ou­vrage avec en par­ti­c­uli­er la mise en place d’une méthodolo­gie d’or­gan­i­sa­tion et de ges­tion des idées. L’ensem­ble des employés peut ain­si touch­er du doigt la nou­velle vision stratégique ain­si que sa décli­nai­son organ­i­sa­tion­nelle et pratique.

Etre le chaînon man­quant capa­ble de se sub­stituer aux défail­lances de l’ac­tiv­ité d’in­no­va­tion d’une entre­prise sur ses dif­férents points de réseau est sans doute le meilleur apport d’un con­sul­tant en inno­va­tion à son client : organ­i­sa­tion et ges­tion de l’in­no­va­tion, iden­ti­fi­ca­tion de parte­naires, con­duite du change­ment par et pour l’in­no­va­tion, con­duite de pro­jets d’of­fres inno­vantes, veille et prospec­tive, tra­vail sur l’ef­fi­cac­ité de la R & D interne.

Cepen­dant, l’ob­jec­tif n’est pas de dévelop­per au sein de l’or­gan­i­sa­tion une sim­ple com­pé­tence tech­nique, qui devien­dra d’ailleurs rapi­de­ment obsolète. Le but est l’ap­pari­tion d’une com­pé­tence réseau afin d’ac­célér­er et d’amélior­er le proces­sus d’in­no­va­tion : savoir iden­ti­fi­er et coor­don­ner des ressources et des parte­naires clefs tout au long d’un pro­jet novateur.

La con­sti­tu­tion d’un réseau d’in­no­va­tion est une réponse durable et effi­cace aux besoins de développe­ment de pro­jets d’of­fres nou­velles. Cette organ­i­sa­tion doit favoris­er les rela­tions externes par l’ex­plo­ration de nou­velles appli­ca­tions expéri­men­tées à plusieurs. D’autres pistes de col­lab­o­ra­tion peu­vent être mis­es à prof­it : la recherche publique, les entre­pris­es de même taille présen­tant des préoc­cu­pa­tions ana­logues, les com­mu­nautés de com­pé­tences internes, le dernier élé­ment du mail­lage, les clus­ters à la française, les désor­mais fameux pôles de compétitivité.

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