Le programme Tenore de GRTgaz

Dossier : ExpressionsMagazine N°743 Mars 2019
Notre camarade Pierre Moulin (49) nous livre les réflexions que lui inspire l’annonce du Programme Tenore de GRTgaz (cf. JR n° 739 pages 86–87).

Courrier de Pierre MOULIN (49)

Le Pro­gramme Tenore (Tur­bo Expander nou­velle oppor­tu­nité de récupéra­tion d’énergie) de GRTgaz est de grande impor­tance et actu­al­ité. Il vise à récupér­er l’énergie que libère la détente du gaz aux postes de livrai­son du réseau de trans­port haute pres­sion, val­orisant ain­si une énergie latente « qui était jusque-là per­due ». Cet aveu de nég­li­gence inter­vient après vingt ans d’ignorance de la présen­ta­tion (faite au Con­grès du gaz 1998 par la société Piller France) d’un pro­to­type de qua­si-tur­bine pour la pro­duc­tion de GNL sans apport d’énergie extérieure, selon une ver­sion adap­tée des peak-shav­ing units large­ment util­isés aux États-Unis.

Des deux objec­tifs que peut vis­er la récupéra­tion de l’énergie de détente – la généra­tion d’électricité ou la pro­duc­tion de GNL – Tenore fait le choix du pre­mier. La con­séquence en est une forte baisse de la tem­péra­ture du flux gazeux aval, dom­mage­able à l’intégrité du réseau, d’où la néces­sité de réchauf­fer le flux gazeux par un apport extérieur de calo­ries. La source la plus com­muné­ment util­isée est celle d’une chaudière en amont de la vanne de détente : dou­ble perte, puisque l’énergie de détente n’est pas récupérée et du gaz est consommé.

Tenore fait appel à une source locale de chaleur naturelle, qui autrement resterait inutil­isée, et il y asso­cie une instal­la­tion de cogénéra­tion. Ain­si sont val­orisées les syn­er­gies entre les trois réseaux de chaleur, de gaz et d’électricité. Cette coex­is­tence des trois réseaux sur un même lieu n’existe que pour une trentaine de postes de détente du gaz du réseau GRT. Qu’en est-il alors des autres points de livrai­son (3 350 postes de dis­tri­b­u­tion publique, 1 010 postes de con­som­ma­teurs indus­triels, selon les chiffres les plus récents de GRTgaz) ?

Comme les divers réseaux locaux n’existent pas à prox­im­ité, la clas­sique vanne de détente peut y être rem­placée par une tur­bine de type peak-shav­ing opérée sous expander cycle (cf. le site de l’Interstate Nat­ur­al Gas Asso­ci­a­tion of America).

Les vol­umes de GNL ain­si pro­duits et stock­és trou­veront un emploi local prof­itable et immé­di­at : flottes de bus, cars, bennes et autres véhicules (péri)urbains ; véhicules divers des sites indus­triels, dont les engins de chantier et car­rière ; tous véhicules du voisi­nage, aux­quels l’accès du site-sta­tion serait permis.

Tout aus­si con­forme à l’acronyme Tenore serait d’élargir ce pro­gramme à la démon­stra­tion de la récupéra­tion des frig­ories fatales par tur­bo expander – mod­èles disponibles sur étagère de divers con­struc­teurs – sur un site exem­plaire des postes de livrai­son en attente jus­ti­fié d’un tel équipement, du fait de leurs lieux et activ­ités (100, 500, 1 000 ? — sur les quelque 4 000 en activité).

Une telle ini­tia­tive de GRTgaz servi­rait pleine­ment l’objectif du dernier appel à pro­jets de l’Ademe dans le secteur du trans­port : « Créer les con­di­tions d’un déploiement de la fil­ière GNV dans des zones présen­tant des déficits locaux de sta­tions GNV/bioGNV mais ayant suff­isam­ment d’acteurs locaux et de demande pour per­me­t­tre une via­bil­ité de la station. »

Les con­som­ma­teurs indus­triels de gaz doivent être incités à s’autoalimenter en GNL.


Commentaire de Didier HOLLEAUX (79) président d’X‑Gaziers

Le prob­lème de la récupéra­tion de l’énergie de détente est aus­si ancien que les réseaux de gaz et a sus­cité autant de pro­jets que l’imagination des ingénieurs a pu en con­cevoir. Le prob­lème n’est absol­u­ment pas tech­nique, mais tech­ni­co-économique. Le mérite du pro­jet Tenore est d’avoir iden­ti­fié quelques con­fig­u­ra­tions où cette récupéra­tion crée de la valeur. Pro­duire du GNL dans des postes qui sont sou­vent isolés, ne dis­posant pas d’espace pour installer une sta­tion de charge­ment d’un camion, etc. , présente un intérêt lim­ité et une rentabil­ité prob­a­ble­ment néga­tive. Notons au pas­sage que le réseau des sta­tions GNL pour camions se lim­it­era vraisem­blable­ment, en Europe, aux autoroutes…

En résumé : une excel­lente idée tech­nique et un marché réel mar­gin­al ou inexistant.

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