Le paradoxe américain : entre risques climatiques inéluctables et investissements dans l’adaptation

Le paradoxe américain : entre risques climatiques inéluctables et investissements dans l’adaptation

Dossier : La finance durableMagazine N°804 Avril 2025
Par Amine OUAZAD (X00)

Contrai­re­ment à ce qu’on pour­rait ima­gi­ner, les émis­sions de GES aux États-Unis se sont for­te­ment réduites depuis vingt ans, indé­pen­dam­ment de la cou­leur poli­tique de l’administration au pou­voir. Les enquêtes d’opinion montrent une popu­la­tion sen­sible au chan­ge­ment cli­ma­tique et des actions tant pri­vées que publiques prennent en compte ce défi éco­lo­gique. On sent pour­tant mon­ter le scep­ti­cisme dans les régions répu­bli­caines, par ailleurs pour­tant les plus concer­nées par les effets cli­ma­tiques, et la nou­velle admi­nis­tra­tion Trump a d’emblée com­men­cé à appli­quer son pro­gramme cli­ma­tos­cep­tique. Il n’est cepen­dant pas cer­tain qu’elle ne doive faire marche arrière devant la réa­li­té des impacts sur son électorat.

Le retour de Donald Trump au pou­voir en 2025 sou­lève une ques­tion cen­trale : quelle sera la contri­bu­tion des États-Unis, res­pon­sables de 14 % des émis­sions mon­diales de CO₂, dans la lutte contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique ? Nous vivons un para­doxe amé­ri­cain : la réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre a été quan­ti­ta­ti­ve­ment signi­fi­ca­tive à la fois sous la pre­mière pré­si­dence Trump et sous la pré­si­dence Biden, mal­gré une rhé­to­rique poli­tique sug­gé­rant des efforts faibles sous la pré­si­dence Trump et éle­vés sous la pré­si­dence Biden ; néan­moins les efforts amé­ri­cains d’atténuation des émis­sions de GES res­tent insuf­fi­sants. La com­mu­nau­té finan­cière amé­ri­caine en a lar­ge­ment conclu que cette atté­nua­tion des émis­sions n’était pas suf­fi­sam­ment rapide et que l’adaptation aux effets du chan­ge­ment cli­ma­tique deve­nait une néces­si­té, sur­tout dans les régions expo­sées aux inon­da­tions, aux oura­gans, à la mon­tée du niveau de la mer, aux feux de forêt et à la sécheresse.

La conscience du risque

Le retrait de la Réserve fédé­rale du Net­work for Gree­ning the Finan­cial Sys­tem, le retrait de l’accord de Paris, la nomi­na­tion d’un com­mis­saire de la Secu­ri­ties and Exchange Com­mis­sion (SEC) plus favo­rable aux indus­tries fos­siles et l’octroi de droits de forage pétro­lier ralen­ti­ront la tran­si­tion. Pour­tant, des États répu­bli­cains comme le Texas ont accé­lé­ré l’investissement dans les éner­gies renou­ve­lables. Et, dans les conver­sa­tions pri­vées, les effets des risques cli­ma­tiques sont iden­ti­fiés : des ges­tion­naires texans de fonds immo­bi­liers (REITs) m’ont expri­mé leur inquié­tude quant à l’impact des risques cli­ma­tiques ; des maires répu­bli­cains m’ont pré­sen­té leurs plans de construc­tion de digues ; les ges­tion­naires de por­te­feuille à Wall Street estiment l’exposition aux risques cli­ma­tiques de cha­cun de leurs actifs.

Des actions en cours

La recherche en finance s’est tour­née vers l’étude des consé­quences du réchauf­fe­ment cli­ma­tique, tout en déprio­ri­sant la recherche sur la car­bo­neu­tra­li­té et les métriques ESG. Pour­tant, les enquêtes de Yale montrent que les Amé­ri­cains sont de plus en plus conscients du risque cli­ma­tique et cherchent à s’y adap­ter. Depuis 2020, ins­ti­tu­tions finan­cières et agences fédé­rales affinent leurs outils de mesure du risque cli­ma­tique, dont l’impact éco­no­mique s’accélère. Mon tra­vail, cité au Congrès en 2019, a contri­bué à cette prise de conscience.

La Fede­ral Hou­sing Finance Agen­cy (FHFA) – qui super­vise un mar­ché de 9 200 mil­liards de dol­lars – a créé des équipes de recherche sur le cli­mat en réponse à mes tra­vaux, confir­més par les ana­lyses de la Réserve fédé­rale de Rich­mond ain­si que par les articles de la Colum­bia Busi­ness School. Les nou­velles direc­tives à la Réserve fédé­rale, par­mi les régu­la­teurs, ont créé une onde de choc dont les consé­quences sont dif­fi­ciles à mesurer.

Figure 1 – Émissions de CO₂ et mandats présidentiels.
Figure 1 – Émis­sions de CO₂ et man­dats présidentiels.

Des investissements concrets mais insuffisants

Les États-Unis ont réduit l’intensité car­bone de leur PIB. Depuis 2005, les émis­sions de CO₂ ont bais­sé de 18 %, de 6 000 Mt à 5 000 Mt en 2023, tan­dis que le PIB a aug­men­té de 45 %. Cela repré­sente une chute de 63 % des émis­sions par dol­lar de PIB. Cette baisse, com­men­çant durant la fin du deuxième man­dat Bush, s’est accé­lé­rée durant la pre­mière pré­si­dence Trump. Le rythme de cette décar­bo­na­tion est tou­te­fois très insuf­fi­sant pour atteindre l’objectif de neu­tra­li­té car­bone en 2050 et évi­ter le scé­na­rio RCP 8.5 du GIEC, le scé­na­rio « à fortes émis­sions mondiales ».

La croissance entravée des énergies renouvelables

Cette décar­bo­na­tion de l’économie amé­ri­caine s’est faite par le déclin du char­bon, la crois­sance du gaz natu­rel et la crois­sance du solaire et de l’éolien. Le poten­tiel éolien est éle­vé au centre « conser­va­teur » du pays, dans un cou­loir qui s’étend, au nord, du Mon­ta­na à l’Illinois, jusqu’au sud, à la pointe de l’État du Texas. Le poten­tiel éolien off-shore est éga­le­ment éle­vé, mais les rési­dents de la côte atlan­tique s’opposent à ces pro­jets. Le Ver­mont, bien que démo­crate, a refu­sé la construc­tion de lignes de haute ten­sion venant du Qué­bec, four­nis­seur d’hydroélectricité « verte » pour la ville de New York.

Avec 9 % de la popu­la­tion amé­ri­caine, le Texas a 18 % de la capa­ci­té natio­nale de pro­duc­tion d’énergies renou­ve­lables. L’Iowa a 1 % de la popu­la­tion amé­ri­caine et ces éner­gies repré­sentent 29,4 % de sa consom­ma­tion. L’État de New York, avec 5,8 % de la popu­la­tion, ne pro­duit que 2,8 % de la capa­ci­té natio­nale d’énergies renou­ve­lables et elles ne repré­sentent que 7,8 % de sa consom­ma­tion. La décar­bo­na­tion requiert un rem­pla­ce­ment du char­bon par une crois­sance majeure des éner­gies renouvelables.

Figure 2 – Capacité nette estivale des unités d’énergie renouvelable par État, septembre 2024 (mégawatts).
Figure 2 – Capa­ci­té nette esti­vale des uni­tés d’énergie renou­ve­lable par État, sep­tembre 2024 (méga­watts).

Le rôle des assurances

Les États-Unis inves­tissent dans l’adaptation au chan­ge­ment cli­ma­tique, afin d’améliorer la rési­lience des ménages et des entre­prises au risque. Cela passe par l’innovation dans l’assurance et par la construc­tion d’infrastructures en par­te­na­riat public-pri­vé (PPP) avec le U.S. Army Corps of Engi­neers (USACE). L’approche amé­ri­caine de l’adaptation, depuis 1968, passe par l’offre d’une assu­rance à taux réduits, par un pro­gramme fédé­ral sub­ven­tion­né, le Natio­nal Flood Insu­rance Pro­gram (NFIP). Ce pro­gramme couvre un peu plus de 4,6 mil­lions de loge­ments en 2024 et col­lecte 5,1 mil­liards de primes. Il consti­tue un trans­fert redis­tri­bu­tif vers les zones à risques. Le NFIP est défi­ci­taire et finan­cé par des emprunts fédé­raux aux taux des bons du Trésor.

Un phé­no­mène nou­veau est la crois­sance récente du sec­teur des assu­rances pri­vées, avec des entre­prises telle Nep­tune. Ce sec­teur pri­vé repré­sen­tait en 2023 un total de 1,4 mil­liard de dol­lars annuels de primes d’assurance inon­da­tion. Les éco­no­mistes Ben Keys de Whar­ton et Phi­lip Mul­der de l’université du Wis­con­sin ont décrit un impact crois­sant des risques cli­ma­tiques sur les primes.

Le rôle du fédéral

Le fédé­ral, en par­te­na­riat avec les États et les muni­ci­pa­li­tés, finance des infra­struc­tures d’adaptation au chan­ge­ment cli­ma­tique qui couvrent plus de 5 % du ter­ri­toire et pro­tègent 100 mil­lions d’hectares – sans comp­ter les infra­struc­tures locales. Pour les infra­struc­tures fédé­rales, le gou­ver­ne­ment uti­lise une for­mule de finan­ce­ment 75 %-25 % de par­tage entre le fédé­ral et les gou­ver­ne­ments locaux. Un exemple est la muni­ci­pa­li­té de Fos­ter City, Cali­for­nie, qui a récem­ment voté sur une pro­po­si­tion visant à choi­sir entre une approche assu­rance de l’adaptation, qui aurait lais­sé la digue se dépré­cier et les primes d’assurance croître, et une approche infra­struc­ture, qui visa à recons­truire la digue avec l’aide d’USACE. La « mesure P », approu­vée en 2018, uti­lise les fonds levés par les 90 mil­lions de dol­lars de bons muni­ci­paux pour finan­cer la main­te­nance des digues.

Une ques­tion impor­tante est de mesu­rer l’impact cau­sal des finan­ce­ments fédé­raux : peut-on finan­cer l’adaptation sans aide sub­stan­tielle de l’État ? Le finan­ce­ment de cette infra­struc­ture a néces­si­té une réin­ter­pré­ta­tion de la Consti­tu­tion amé­ri­caine pour jus­ti­fier la léga­li­té du finan­ce­ment fédé­ral. Le sys­tème de digue actuel est le résul­tat du Flood Control Act signé par le pré­sident Frank­lin Roo­se­velt en 1936. La majo­ri­té des zones cou­vertes par le sys­tème de digues est dans le Sud et le long du Mis­sis­si­pi, en rai­son des oura­gans et des inon­da­tions flu­viales. Les États répu­bli­cains sont en pre­mière ligne, du Texas à la Flo­ride, face aux risques d’inondations.

Des portefeuilles d’actifs diversifiés

Les oura­gans Katri­na et Har­vey, ain­si que les autres désastres ayant cau­sé plus d’un mil­liard de dom­mages, ont mon­tré les limites de ces infra­struc­tures. Ce risque phy­sique affecte le sec­teur immo­bi­lier, le sec­teur de l’assurance, les sec­teurs du trans­port et de la logis­tique et d’autres sec­teurs. Ce sont ces impacts qui ame­nèrent Lar­ry Fink, PDG de Bla­ckRock, à décla­rer en 2022 que le risque cli­ma­tique était un risque finan­cier. En réponse, un mar­ché de la don­née cli­ma­tique se déve­loppe rapi­de­ment, mené par Jupi­ter Intel­li­gence, Moody’s, First Street Foun­da­tion. Ce sec­teur déve­loppe une offre de don­nées au niveau de la par­celle de ter­rain, que les inves­tis­seurs appa­rient avec leurs don­nées géo­gra­phiques d’actifs.

“Le risque climatique est un risque financier.”

Les cinq der­nières années ont vu une ren­contre entre ges­tion­naires de por­te­feuille et scien­ti­fiques du cli­mat, des inves­tis­seurs tel PIMCO reliant les actifs finan­ciers aux risques, avec un bon niveau de pré­ci­sion spa­tiale et sur la durée de déten­tion de l’actif, par exemple un prêt immo­bi­lier sur une durée de 5 à 7 ans. Des entre­prises comme Del­ta­Ter­ra Capi­tal de Dave Burt four­nissent des mesures d’exposition cli­ma­tique des actifs, en par­te­na­riat avec le pro­prié­taire du New York Stock Exchange. Cette adap­ta­tion au chan­ge­ment cli­ma­tique passe par des por­te­feuilles d’actifs finan­ciers diver­si­fiés, qui incluent mais ne se limitent pas au risque climatique.

La réalité des perceptions américaines

La Yale Cli­mate Opi­nion Sur­vey, du Pro­gram on Cli­mate Change Com­mu­ni­ca­tion, créé en 2005, réa­lise des enquêtes d’opinion à tra­vers les États-Unis. Cette enquête sug­gère que les Amé­ri­cains sont conscients du réchauf­fe­ment cli­ma­tique anthro­po­gé­nique. L’enquête inclut 73 ques­tions : si « je pense que le réchauf­fe­ment cli­ma­tique a lieu », si « je suis plutôt/tout à fait d’accord avec le fait que le réchauf­fe­ment cli­ma­tique affecte le cli­mat aux États-Unis » ou si « je sou­tiens quelque peu/fortement la régle­men­ta­tion du CO₂ en tant que pol­luant ».

En 2023, 73 % des répon­dants décla­raient que le réchauf­fe­ment cli­ma­tique avait lieu, 58 % qu’il était majo­ri­tai­re­ment cau­sé par des acti­vi­tés humaines, 63 % qu’il affec­tait la météo­ro­lo­gie et 56 % disaient que les opi­nions d’un can­di­dat à la pré­si­dence sur le chan­ge­ment cli­ma­tique affec­taient leur vote. Et pour­tant en juin 2023 Lar­ry Fink, PDG de Bla­ckRock, décla­rait avoir « honte » d’être impli­qué dans les objec­tifs ESG. Le terme ESG est deve­nu poli­ti­sé et la vali­di­té de la mesure ESG est remise en question.

La politisation de l’ESG

Ces com­men­taires inter­viennent un an après la publi­ca­tion de « Aggre­gate Confu­sion : The Diver­gence of ESG Ratings », un article de la Review of Finance. Les auteurs y démontrent que les mesures ESG four­nies par dif­fé­rents orga­nismes – KLD, Sus­tai­na­ly­tics, Moody’s, S&P Glo­bal, Refi­ni­tiv et MSCI – sont fai­ble­ment cor­ré­lées. Pour­tant, comme évo­qué pré­cé­dem­ment, il est pos­sible de mesu­rer rigou­reu­se­ment le « E » d’ESG grâce aux don­nées de l’Environmental Pro­tec­tion Agen­cy, le Natio­nal Rene­wable Ener­gy Labo­ra­to­ry et l’Energy Infor­ma­tion Agen­cy. De même, l’exposition aux risques phy­siques peut être éva­luée avec pré­ci­sion grâce à la Natio­nal Ocea­nic Atmos­phe­ric Admi­nis­tra­tion, la U.S. Geo­lo­gi­cal Sur­vey et la Nasa.

La poli­ti­sa­tion crois­sante du terme ESG trouve en par­tie son ori­gine dans les contro­verses entou­rant les volets S (social) et G (gou­ver­nance). Cette ten­dance est par­ti­cu­liè­re­ment visible dans les votes des action­naires. Une étude de la Har­vard Law School révèle une forte pro­gres­sion des votes anti-ESG : de moins de 10 en 2021 à plus de 80 en 2024. Ces votes ciblent les ini­tia­tives de diver­si­té (40 %), tan­dis que les mesures envi­ron­ne­men­tales demeurent rela­ti­ve­ment épar­gnées, repré­sen­tant moins de 5 % des oppositions.

Le paradoxe américain : entre risques climatiques inéluctables et investissements dans l’adaptation
Figure 3 – Fré­quence annuelle des oura­gans de 1851 à 2021.
Source : Oua­zad, A. and Kahn, M.E., 2019. Mort­gage finance and cli­mate change : Secu­ri­ti­za­tion dyna­mics in the after­math of natu­ral disas­ters. Natio­nal Bureau of Eco­no­mic Research.

Un clivage partisan

L’enquête de Yale sug­gère que les opi­nions cli­ma­tiques expri­mées sont déter­mi­nées par les pré­fé­rences par­ti­sanes. Le sud de la Loui­siane est la région la plus cli­ma­to-scep­tique, bien qu’elle soit la plus affec­tée par le risque d’ouragan. L’essentiel est dû à un cli­vage urbain-rural dans les pré­fé­rences poli­tiques. Les tra­vaux d’Asaf Bern­stein montrent que cela est aus­si dû, à la marge, à une mobi­li­té plus limi­tée des élec­teurs répu­bli­cains hors des zones à risque. Le col­lège élec­to­ral et le sys­tème de décou­page des cir­cons­crip­tions entraînent l’élection de can­di­dats cli­ma­tos­cep­tiques dans un pays plu­tôt favo­rable aux poli­tiques cli­ma­tiques. Une com­mu­ni­ca­tion scien­ti­fique neutre sur le « E » pour­rait favo­ri­ser un consen­sus sur les mesures de risque climatique.

Optimisme ou pessimisme ?

Akshat Rathi de Bloom­berg adopte une posi­tion opti­miste dans son ouvrage Cli­mate Capi­ta­lism, sou­li­gnant que les forces du mar­ché peuvent seules accé­lé­rer la décar­bo­na­tion, car il est désor­mais « plus cher de pro­duire de l’électricité avec des éner­gies fos­siles ». Chris Wright, actuel secré­taire d’État à l’énergie, lui donne rai­son : il est action­naire dans Fer­vo Ener­gie, une entre­prise qui uti­lise les tech­niques de forage du sec­teur pétro­lier pour exploi­ter les sources de cha­leur sou­ter­raine. Un article récent d’Akshaya Jha (Car­ne­gie Mel­lon) exprime un scep­ti­cisme mar­qué envers les réglementations.

Dans « Car­bon Rol­ler­coas­ter : A His­to­ri­cal Ana­ly­sis of Decar­bo­ni­za­tion in the Uni­ted States », l’analyse d’un siècle d’émissions de GES révèle un para­doxe : en impo­sant des normes sur les pol­luants, le Clean Air Act a contri­bué à une hausse des émis­sions de GES et à une baisse de l’efficacité éner­gé­tique dans la pro­duc­tion élec­trique. Les pro­po­si­tions de Michael Greens­tone, de l’université de Chi­ca­go, sug­gé­rant des taxes éner­gé­tiques reflé­tant les exter­na­li­tés plu­tôt que le seul coût pri­vé, peinent à avancer.

L’expérience cana­dienne, quant à elle, offre une leçon pour les libé­raux amé­ri­cains : mal­gré des niveaux infé­rieurs aux recom­man­da­tions des Impact Assess­ment Models (IAM) du Prix Nobel William Nord­haus, la taxe car­bone cana­dienne reste pro­fon­dé­ment impo­pu­laire mal­gré son impact limi­té sur les prix, esti­mé par Tre­vor Tombe. Ce scep­ti­cisme a éga­le­ment frei­né l’adoption de règles sur l’information cli­ma­tique par la Secu­ri­ties and Exchange Com­mis­sion. Lors de mes échanges avec ses membres, j’ai consta­té une dif­fi­cul­té à conce­voir une régle­men­ta­tion sur le Scope 3, c.-à‑d. sur les émis­sions de GES indi­rectes, pour­tant clé dans la com­pré­hen­sion des émis­sions. Une inquié­tude vient du fait qu’une défi­ni­tion trop large aurait des effets inat­ten­dus. Elle pour­rait par exemple attri­buer à un por­te­feuille de cré­dits immo­bi­liers (mREITs) l’ensemble des émis­sions des biens immo­bi­liers de ces prêts.

L’avenir de la décarbonation aux États-Unis

La recherche sur le chan­ge­ment cli­ma­tique et ses effets s’inscrit donc dans un contexte où les lois et règle­ments sont per­çus comme inadé­quats. Lors de conver­sa­tions à Rut­gers, l’université d’État du New Jer­sey, les acteurs publics et pri­vés m’ont expri­mé leur sou­tien à une recherche qui appuie les objec­tifs entre­pre­neu­riaux plu­tôt que les régle­men­ta­tions contrai­gnantes telles que l’obligation d’électrifier le chauf­fage. La nou­velle admi­nis­tra­tion s’est pro­mis de faire croître l’exploration et la pro­duc­tion d’énergies fos­siles : le drill baby drill de Michael Steele, pré­sident du comi­té natio­nal répu­bli­cain (RNC), repris par le Pré­sident élu. C’est déjà un fait accompli.

“Drill baby drill !”

Hors pan­dé­mie, la crois­sance de la pro­duc­tion amé­ri­caine de pétrole est conti­nue depuis 2009, de 5,1 mil­lions de barils par jour en jan­vier 2009 à 13,2 mil­lions en sep­tembre 2024. La pro­duc­tion de gaz natu­rel a crû de 71 % depuis 2009. La cou­leur poli­tique du Pré­sident élu n’est pas cor­ré­lée avec ces ten­dances haus­sières. Cette nou­velle admi­nis­tra­tion s’est pro­mis de lut­ter contre les allo­ca­tions de por­te­feuille vers des actifs ESG et d’exclure le chan­ge­ment cli­ma­tique des déci­sions régle­men­taires des agences fédé­rales. Une purge des don­nées et infor­ma­tions sta­tis­tiques a lieu dans les agences fédé­rales depuis le 20 jan­vier 2025. Les poli­tiques publiques de décar­bo­na­tion et d’adaptation sont en jeu. Cela inclut les inci­ta­tifs et les sub­ven­tions pré­vues dans l’Infla­tion Reduc­tion Act (IRA). Ces inves­tis­se­ments de l’IRA béné­fi­cient aux États du Sud, majo­ri­tai­re­ment républicains.

La course vers le mur ?

Les poli­tiques cli­ma­tiques amé­ri­caines reflètent les thèmes clas­siques de la culture éco­no­mique amé­ri­caine : la confiance en l’entrepreneuriat pour déve­lop­per des solu­tions inno­vantes et l’optimisme de l’adaptation au chan­ge­ment cli­ma­tique. Les capi­taux et les per­sonnes conti­nuent d’affluer vers les zones côtières et celles expo­sées aux feux de forêt. Entre 1970 et 2010, la popu­la­tion côtière amé­ri­caine a crû de 35 mil­lions. Cet opti­misme est par­fois jus­ti­fié par une décrois­sance des impacts des catas­trophes natu­relles sur la mor­ta­li­té. Bar­re­ca et al., en 2016, dans le Jour­nal of Poli­ti­cal Eco­no­my, montrent que la mor­ta­li­té durant les jours excé­dant 27 degrés a décli­né de 75 % au cours du ving­tième siècle. Mais Young et al, d’octobre 2024 dans Nature, sug­gèrent une mor­ta­li­té crois­sante due aux tem­pêtes tro­pi­cales tel l’ouragan Har­vey au Texas. 

Ces impacts sont presque tou­jours dans des États de la cou­leur poli­tique du Pré­sident Trump. Enfin l’État fédé­ral est omni­pré­sent dans la miti­ga­tion et l’adaptation au chan­ge­ment cli­ma­tique : les entre­prises d’État Fan­nie Mae et Fred­die Mac garan­tissent 13,1 tril­lions de dol­lars de prêts dont envi­ron 29 % sont esti­més expo­sés aux inon­da­tions selon la Réserve fédé­rale de Rich­mond ; de jan­vier à sep­tembre 2024, Tes­la a reçu 2 mil­liards de cré­dits régle­men­taires, soit 43 % de son résul­tat net ; le bud­get fédé­ral finance 75 % des infra­struc­tures de pro­tec­tion aux inon­da­tions pour pro­té­ger les grandes métro­poles côtières.

Fai­sant face à un risque crois­sant et à une forte mon­tée des primes d’assurance dans des cir­cons­crip­tions répu­bli­caines, il est pro­bable que le Pré­sident Trump ne pour­ra res­ter inac­tif face aux risques cli­ma­tiques. La véri­table ques­tion reste : les efforts cli­ma­tiques amé­ri­cains pri­vés et publics suf­fi­ront-ils à pré­ser­ver notre planète ?

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