EPR2 de Flamanville, essor du nucléaire

Le nucléaire : un secteur en plein essor !

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°780 Décembre 2022
Par Christophe CAIZERGUES

L’annonce de la construc­tion de nou­veaux réac­teurs en France dans un contexte mar­qué par une crise éner­gé­tique majeure, et la néces­si­té de ren­for­cer la lutte contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique place le nucléaire au cœur de tous les enjeux et pré­oc­cu­pa­tions. Chris­tophe Cai­zergues, Direc­teur Géné­ral de Vin­ci Éner­gie Nucléaire, dresse pour nous un état des lieux de la filière et nous explique com­ment son entre­prise se posi­tionne face à ces défis. Entre­tien. 

Pouvez vous nous rappeler votre positionnement ainsi que vos principaux métiers dans le domaine du nucléaire ?

Nous sommes la filiale de Vin­ci Éner­gies en charge de la réa­li­sa­tion de tra­vaux au sein des ins­tal­la­tions nucléaires. Il s’agit, majoritairement,de cen­trales nucléaires de Pro­duc­tion d’Electricité. Nous pou­vons éga­le­ment être ame­nés à inter­ve­nir sur des ins­tal­la­tions de Recherche du CEA, ain­si que sur des usines dédiées au cycle du com­bus­tible, comme celles d’Orano ou de Fra­ma­tome. 

Notre péri­mètre d’action couvre donc l’ensemble de la chaine de valeur de la filière Nucléaire, avec bien sur la pro­duc­tion d’Electricité mais aus­si l’amont et l’aval du cycle. Pour accom­pa­gner la filière, nous déployons tous les métiers propres au groupe Vin­ci Ener­gies : Elec­tri­ci­té et Ins­tru­men­ta­tion, Ven­ti­la­tion, Méca­nique, Contrôle Non Des­truc­tif… 

Un large panel de com­pé­tences que nous met­tons en œuvre au ser­vice des ins­tal­la­tions nucléaires de nos clients. Vin­ci Éner­gies Nucléaire a vu le jour en 2012 pour répondre à la demande de nos clients d’avoir un inter­lo­cu­teur unique sur les sujets rela­tifs à leur acti­vi­té. Nous employons 2 000 per­sonnes répar­ties dans 32 implan­ta­tions sur l’ensemble du ter­ri­toire et au plus proche des sites de nos clients. Nous réa­li­sons un chiffre d’affaires annuel d’environ 300 mil­lions d’euros. Nous avons la par­ti­cu­la­ri­té d’avoir une filiale à Bris­tol au Royaume-Uni qui réa­lise des tra­vaux sur la cen­trale nucléaire de Hink­ley Point, ain­si qu’une filiale en Bel­gique.  

Le contexte géopolitique et l’inflation des prix de l’énergie impactent votre secteur d’activité. Quel regard portez vous sur la situation actuelle ? Qu’en est-il plus particulièrement en France ? 

Le sec­teur des éner­gies connaît actuel­le­ment de fortes ten­sions. Si la crise de la Covid et la guerre en Ukraine les ont ren­dues plus visibles, elles étaient tou­te­fois sous-jacentes depuis déjà plu­sieurs années. Dans les années 70, la France a fait le choix de se doter d’un parc nucléaire avec 56 réac­teurs. Ce pro­gramme de grande enver­gure a été une véri­table réus­site indus­trielle et a per­mis à notre pays de sécu­ri­ser son auto­no­mie et indé­pen­dance éner­gé­tique. 

À par­tir des années 90, les cli­vages poli­tiques, les débats hou­leux autour du nucléaire, aux­quels il faut ajou­ter des acci­dents nucléaires de grande ampleur à Tcher­no­byl et à Fuku­shi­ma, ont ame­né de nom­breux pays à se désen­ga­ger de la pro­duc­tion d’électricité via le nucléaire. C’est le choix fait par plu­sieurs pays euro­péens, dont l’Allemagne et la Bel­gique. Inver­se­ment, d’autres pays, comme la Rus­sie et la Chine, ont plu­tôt fait le choix de déve­lop­per de grands pro­grammes nucléaires, alors que le Royaume-Uni a récem­ment relan­cé sa filière nucléaire. En France, le nucléaire était en retrait avec notam­ment la fer­me­ture de la cen­trale de Fes­sen­heim et la pro­gram­ma­tion de la fer­me­ture des cen­trales les plus anciennes. Au cours des cinq der­nières années, l’urgence cli­ma­tique et la néces­si­té de décar­bo­ner nos éco­no­mies ont mis en évi­dence la place que le nucléaire doit avoir dans le mix éner­gé­tique fran­çais. Parce que le solaire et l’éolien sont des éner­gies inter­mit­tentes non pilo­tables et que les capa­ci­tés hydrau­liques de la France sont limi­tées, le nucléaire est une alter­na­tive qui émet très peu de CO2 sur laquelle la France peut s’appuyer. 

Sur les 18 der­niers mois, nous avons assis­té à une mon­tée en puis­sance de la ques­tion éner­gé­tique. Alors que de nom­breux spé­cia­listes ont annon­cé que les pics d’exploration et de pro­duc­tion des éner­gies fos­siles, plus par­ti­cu­liè­re­ment du pétrole, étaient der­rière nous, les dif­fi­cul­tés d’approvisionnement du fait de la guerre en Ukraine ont com­plè­te­ment chan­gé le rap­port au nucléaire. 

Aujourd’hui, 75 % des Fran­çais se disent favo­rables au nucléaire, alors qu’ils étaient moins de 50 % il y a 3 ans. En paral­lèle, il y a moins d’un an, la France a pris la déci­sion de lan­cer la construc­tion de nou­veaux réac­teurs nucléaires : 6 EPR2 ont été vali­dés et 8 réac­teurs sup­plé­men­taires sont à l’étude. 

Aujourd’hui se dessinent donc les nouveaux contours du nucléaire de demain. Qu’en est-il ? 

Avec poten­tiel­le­ment la construc­tion de 14 réac­teurs, la filière fran­çaise du nucléaire est face à un pro­gramme colos­sal et des enjeux tout aus­si impor­tants. C’est, en effet, un pro­gramme majeur qui va mobi­li­ser toutes les par­ties pre­nantes sur les 30 pro­chaines années.  

Aujourd’hui, l’ensemble de la filière, plus de 220 000 per­sonnes, est mobi­li­sée sur des pro­grammes, des tra­vaux et des enjeux rela­tifs à l’entretien des cen­trales nucléaires exis­tantes. Il s’agit d’opérations de main­te­nance et d’entretien de ces sites indus­triels qui sont réa­li­sés lors des visites Décen­nales. À cela s’ajoute le pro­gramme grand caré­nage dont l’objet est d’optimiser la sécu­ri­té des sites nucléaires en capi­ta­li­sant sur les retours liés à des acci­dents dans le monde entier, mais aus­si d’étendre la durée de vie des ins­tal­la­tions nucléaires moyen­nant un cer­tain nombre d’adaptations en confor­mi­té avec l’autorité de sûre­té nucléaire (ASN). 

Le sec­teur du nucléaire doit donc s’adapter rapi­de­ment à un véri­table chan­ge­ment de para­digme avec le pas­sage d’une logique de fer­me­ture de sites et de limi­ta­tion de la pro­duc­tion d’électricité par le nucléaire au lan­ce­ment d’un pro­gramme de grande enver­gure avec plu­sieurs nou­veaux réac­teurs à construire. 

Le nucléaire, un secteur en plein essor

Quels sont les principaux enjeux auxquels le secteur est confronté ? 

Le pre­mier enjeu est une ques­tion de res­sources humaines et de for­ma­tion. Pour pou­voir mener à bien les nou­veaux pro­jets sans impac­ter l’activité d’entretien et de main­te­nance du parc exis­tant, la filière va devoir recru­ter 10 à 15 000 per­sonnes par an, avec des pro­fils variés (mana­gers, ingé­nieurs, tech­ni­ciens, mon­teurs, sou­deurs, chau­dron­niers…), et sur une longue durée. Et cela, alors même que nous nous trou­vons dans un contexte de forte ten­sion et de pénu­rie de main d’œuvre en Europe. Pour tous les acteurs de la filière, cela implique d’importants efforts en termes de for­ma­tion. Dans ce cadre, à notre niveau, nous nous rap­pro­chons d’écoles et de centre de for­ma­tion pour recru­ter des jeunes, les for­mer et les faire mon­ter en com­pé­tences sur nos métiers. Au-delà, cela implique aus­si de fidé­li­ser ses col­la­bo­ra­teurs sur un mar­ché du recru­te­ment qui a voca­tion à deve­nir très concurrentiel.

Le second enjeu est une ques­tion d’amélioration de notre excel­lence opé­ra­tion­nelle afin de ne pas repro­duire les écueils que nous avons connus avec la construc­tion de Fla­man­ville. Lan­cée en 2007, la cen­trale devait ini­tia­le­ment être opé­ra­tion­nelle en 2012. La date de mise en ser­vice a depuis été repor­tée à 2024. Le coût ini­tial du chan­tier a, lui aus­si, connu de fortes dérives. Pour rele­ver ce défi d’excellence opé­ra­tion­nelle, EDF a lan­cé le Plan Excell, le plan d’excellence de la filière nucléaire. La plu­part des acteurs de cette filière l’ont, d’ailleurs, décli­né au sein de leur orga­ni­sa­tion. Nous avons ain­si lan­cé notre Plan AVENIR en 2021 avec pour devise, « Bon du pre­mier coup », afin de pro­mou­voir une démarche d’amélioration axée sur l’excellence opé­ra­tion­nelle, la per­for­mance et l’efficacité. Dans ce pro­jet, nous embar­quons aus­si nos four­nis­seurs et sous-trai­tants pour cou­vrir toute notre chaîne de valeur, har­mo­ni­ser nos méthodes de tra­vail et répondre aux mêmes exi­gences et stan­dards. 

Enfin, un troi­sième enjeu pour la filière est une meilleure prise en compte de la dimen­sion Socié­tale avec la RSE. C’est un enga­ge­ment pris par Vin­ci depuis déjà plu­sieurs années et que l’on retrouve dans toutes les com­po­santes du groupe. Aujourd’hui, Vin­ci Éner­gies Nucléaire est label­li­sé RSE par l’Afnor (niveau Enga­gé) et nous avons aus­si cer­ti­fié ISO 19443 la moi­tié de nos filiales, les autres bas­cu­lant d’ici 2024. Nous sommes fiers de ces réa­li­sa­tions et res­tons mobi­li­sés sur l’ensemble de ces sujets et enjeux aus­si bien en interne, qu’au sein de notre groupe ou vis-à-vis de nos clients et par­te­naires. 

Et pour conclure, vous projetez-vous sur ce nouveau marché du nucléaire ? 

Notre ambi­tion est de ren­for­cer notre posi­tion­ne­ment d’acteur de pre­mier ordre de la filière nucléaire et de conti­nuer à accom­pa­gner nos clients, et prin­ci­pa­le­ment EDF, dans leur acti­vi­té aus­si bien sur le parc exis­tant que dans le cadre du déve­lop­pe­ment des nou­veaux pro­grammes. 

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