Le Modèle français depuis 1945

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°587 Septembre 2003Par : Pascal GAUCHONRédacteur : Jacques BOURDILLON (45)

Le “mod­èle français ” est à la fois un sujet de fierté pour cer­tains et un objet de vives cri­tiques voire d’incompréhension pour beau­coup d’autres, notam­ment pour les Améri­cains décon­certés par l’idée “ typ­ique­ment française ” selon laque­lle “ l’État serait en charge du bien com­mun…” Une réflex­ion sur cette ques­tion d’actualité est donc la bien­v­enue. L’auteur dis­tingue trois âges pour ce mod­èle français.

Le 1er âge suc­cincte­ment traité : rois capé­tiens soucieux d’étendre et d’unifier leur domaine.

Le 2e âge est celui de la IIIe république désireuse d’enraciner les grandes idées de la Révo­lu­tion dans le pays (enseigne­ment oblig­a­toire dans une France large­ment rurale)…Cependant l’idée par­tielle­ment injuste du retard français s’impose bien­tôt avec force et ce 2e âge devient un con­tre-mod­èle cri­tiqué dans les années cinquante par Jean Mon­net, cri­tiques repris­es par Chris­t­ian Stof­faës qui en fait la syn­thèse en qua­tre ter­mes : rural­isme, provin­cial­isme, malthu­sian­isme et culte du petit.

Le 3e âge sera d’abord celui des 30 glo­rieuses. Ayant con­staté une remar­quable con­ti­nu­ité économique entre les IVe et Ve Républiques, l’auteur évoque le suc­cès du plan Mar­shall, et les fig­ures emblé­ma­tiques de Claude Gru­son, Alfred Sauvy, François Bloch-Laîné, Jean Mon­net, Jacques Rueff, Louis Armand. Notre mod­èle aura aus­si béné­fi­cié de leçons venues de Wash­ing­ton (le New Deal), de Lon­dres (pays de Keynes et de Bev­eridge), de Bonn (cohé­sion alle­mande, effi­cac­ité de l’industrie lourde). Le mod­èle devenu gaulliste, puis pom­pi­dolien tente de con­cili­er indépen­dance poli­tique et ouver­ture économique. C’est l’apogée avec la créa­tion de la TVA (qui sera éten­due au monde entier), le baby boom, les grands travaux d’infrastructure, et la déci­sion d’ouvrir l’économie (un taux d’ouverture qui passe de 10 % en 1960 à 15 % en 1973, un taux de crois­sance de 6,9 %). L’Europe est créée (traités de Rome : CEE, Euratom), le franc devient con­vert­ible, l’État favorise plusieurs con­cen­tra­tions dans les secteurs ban­caires et com­mer­ci­aux, des accords d’immigration sont passés.

Arrivent les années Mit­ter­rand : à la fin des années soix­ante-dix l’inflation et le chô­mage ont fait leur appari­tion. Néan­moins les années 1981–1982 mar­quent une ten­ta­tive vite avortée de retour au mod­èle ini­tial (exten­sion du secteur pub­lic, relance de la plan­i­fi­ca­tion, lois Auroux…).

En 1982, la barre des 2 mil­lions de chômeurs est atteinte, le déficit com­mer­cial s’élève à 92 mil­liards de francs, mal­gré 3 déval­u­a­tions en 1981, 1982, 1983, le dif­féren­tiel d’inflation avec l’Allemagne dépasse 8 points. Con­seil­lé par Jacques Delors et Jacques Attali, François Mit­ter­rand décide de chang­er de poli­tique économique, c’est le tour­nant de 1983, et, pour l’auteur, l’adieu défini­tif au “mod­èle ”. La France, insérée dans la Com­mu­nauté européenne (accords de Maas­tricht, Schen­gen et Ams­ter­dam) par­ticipe à la créa­tion de l’OMC (traité de Mar­rakech). Les pri­vati­sa­tions effacent les nation­al­i­sa­tions de 1981, la France s’ouvre à tous les flux (marchan­dis­es, cap­i­taux et hommes), et devient une puis­sance expor­ta­trice, ses entre­pris­es con­trô­lent près de 20 000 fil­iales dans le monde et y font tra­vailler 3,5 mil­lions de salariés. Tan­dis que 400000 Français tra­vail­lent à l’étranger, 3,6 mil­lions d’étrangers tra­vail­lent en France. L’inflation sem­ble jugulée. Cette ouver­ture sonne le glas de la crois­sance forte, l’emploi devient pri­or­ité des pri­or­ités. La sit­u­a­tion de la France s’est totale­ment inver­sée : elle fait mieux qu’autrefois en ter­mes d’inflation et d’équilibres extérieurs, moins bien en ter­mes de crois­sance et d’emploi. Éloge funèbre du modèle ?

Le début du XXIe siè­cle. Le gou­verne­ment Jospin, arrivé au pou­voir en 1997, doit être crédité d’avoir puis­sam­ment con­tribué à la créa­tion de l’euro, mais il a relancé l’embauche des fonc­tion­naires, créé les emplois jeunes, instau­ré la RTT. En Europe, la France est désor­mais 11e pour le taux de chô­mage, 12e pour le PIB par habi­tant, au niveau mon­di­al elle est passée de la 10e à la 25e place pour la com­péti­tiv­ité. La crise du mod­èle est sociale et cul­turelle autant qu’économique : le coût de notre sys­tème de san­té (l’un des meilleurs du monde) se révèle de plus en plus coû­teux, les dépens­es d’éducation ne cessent d’augmenter alors que le nom­bre des élèves décroît. On doit s’interroger sur l’attractivité du ter­ri­toire français en train de dis­paraître après s’être con­sid­érable­ment accrue : le taux élevé des prélève­ments oblig­a­toires (l’un des plus élevés du monde) pénalise à la fois la main‑d’œuvre et les entre­pris­es : notre sys­tème de redis­tri­b­u­tion sociale attire des tra­vailleurs peu qual­i­fiés et fait fuir les cap­i­taux et l’emploi qual­i­fié. Il faut savoir que 20 % des jeunes diplômés par­tent désor­mais à l’étranger, pour pay­er moins d’impôts et béné­fici­er de meilleurs salaires, mais aus­si parce que là-bas s’invente la nou­velle économie, activ­ités finan­cières de pointe et tech­nolo­gies de l’information.

Con­clu­sion. L’auteur craint deux dérives (aucune n’étant totale­ment improbable).

Le main­tien du mod­èle social, qui sig­ni­fierait un retour au sec­ond âge du mod­èle attaché à l’équilibre et au bon­heur à la française, est-ce com­pat­i­ble avec l’ouverture au monde ?

La dégénéres­cence en clien­télisme avec dic­tature des cor­po­ratismes et des groupes de pression.

Du mod­èle ne resterait que la “notion des droits acquis”, fille bâtarde du cor­po­ratisme de l’Ancien Régime et de l’individualisme con­tes­tataire de 1968.

Mais il ter­mine par une note opti­miste. Pour rebondir, il faudrait un nou­veau moment et une nou­velle généra­tion : un qua­trième âge n’est pas impossible.

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