Le missile et son effet de levier sur les investissements de défense

Dossier : La DéfenseMagazine N°639 Novembre 2008
Par Antoine BOUVIER (80)

Le mis­sile est un bon investisse­ment pour un État qui veut préserv­er sa liber­té de manœu­vre et sa souveraineté

Après la rédac­tion du nou­veau Livre blanc sur la défense, qui redéfinit ses pri­or­ités stratégiques, la France est attelée à l’élab­o­ra­tion d’une nou­velle loi de pro­gram­ma­tion mil­i­taire pour les six années qui vien­nent. Entre opéra­tions extérieures et grands pro­grammes d’équipements, on sait par avance que l’équa­tion budgé­taire se traduira inéluctable­ment par des réduc­tions de cible et des étale­ments qui renchéris­sent le coût des matériels, les ren­dant moins attrac­t­ifs à l’exportation.

La baisse de l’ar­gent disponible pour les achats d’équipements oblig­era l’É­tat client à être plus sélec­tif sur ses dépens­es. Il devra plus que jamais veiller à ce que chaque euro qu’il dépense soit utile à la fois pour assur­er que nos armées soient con­ven­able­ment équipées aujour­d’hui et qu’elles puis­sent le rester demain, quelles que soient les évo­lu­tions du con­texte stratégique dans lequel elles évoluent. 

Des objectifs stratégiques

Le Livre blanc le recon­naît : ” Les mis­siles en général, et les mis­siles de croisière en par­ti­c­uli­er, con­stituent l’une des com­posantes essen­tielles de nos capac­ités d’in­ter­ven­tion. ” Ce con­stat n’est pas nou­veau. Partout où les objec­tifs d’au­tonomie stratégique ont pris net­te­ment le pas sur les objec­tifs indus­triels, les États ont choisi de priv­ilégi­er le développe­ment de mis­siles plutôt que celui des plates-formes.

De sages investisseurs
L’Eu­rope, qui ne con­sacre pas, de loin, les mêmes bud­gets que les États-Unis à ses équipements de défense, a dû céder le pas sur cer­taines tech­nolo­gies, comme la furtiv­ité des plates-formes.
En sages investis­seurs, les États européens ont com­pris aus­si les gains qu’ils pou­vaient obtenir en met­tant en oeu­vre sur leurs mis­siles les tech­nolo­gies ou les capac­ités opéra­tionnelles que les États-Unis met­tent en oeu­vre sur leurs plates-formes.

C’est le cas de nations émer­gentes telles que la Chine ou l’Inde qui ont com­mencé par acquérir les tech­nolo­gies de mis­siles avant celles des avions de com­bat. Mais c’est le cas aus­si d’une nation dévelop­pée en état de guerre comme Israël, qui déci­da en 1987 d’ar­rêter son pro­gramme de chas­seur Lavi et ce faisant de renon­cer pour tou­jours à son autonomie en matière d’avions de com­bat, pour réori­en­ter ses crédits vers les mis­siles et la guerre électronique.

Si Israël dépend aujour­d’hui des États-Unis pour ses avions de com­bat, la capac­ité qu’il a acquise dans le domaine des mis­siles lui per­met incon­testable­ment de se démar­quer de ses voisins arabes qui exploitent les mêmes avions F‑16 et F‑15.

Ain­si, des exem­ples aus­si divers que l’Inde, la Chine ou Israël sont là pour témoign­er que le mis­sile est, pour une nation, un élé­ment dif­féren­ci­a­teur sur un plan stratégique pour un effort indus­triel et tech­nologique plus lim­ité que celui néces­saire pour dévelop­per la plate-forme qui le porte. En résumé, ces exem­ples racon­tent, si besoin était, que le mis­sile est un bon investisse­ment pour un État qui veut préserv­er sa liber­té de manœu­vre et sa souveraineté.

Sauver les emplois industriels

L’Eu­rope, con­ti­nent qui se sent en paix pour l’avenir proche, n’a pas les mêmes préoc­cu­pa­tions. Et des thé­ma­tiques comme la sauve­g­arde à court et moyen terme des emplois indus­triels ont, à maintes repris­es déjà, pris la pri­or­ité sur d’autres objec­tifs plus pure­ment capac­i­taires pour nos armées ou stratégiques pour nos nations.

Exporter et coopérer
La loi de pro­gram­ma­tion mil­i­taire qui se pré­pare entérinera sans doute des réduc­tions de cibles ou de cadences dans plusieurs pro­grammes. Plus que jamais, l’in­dus­trie française de défense, qui voit son marché domes­tique rétré­cir, va devoir s’adapter et chercher ailleurs les relais de sa crois­sance si elle ne veut pas se retrou­ver con­damnée au déclin.
Plus que jamais aus­si, le relais des expor­ta­tions ou de la coopéra­tion va devenir incon­tourn­able pour com­penser le tarisse­ment des capac­ités nationales de financement.

Les gou­verne­ments restent très sen­si­bles sur les con­di­tions d’un rap­proche­ment de leurs indus­tries de défense et sur les risques de délo­cal­i­sa­tions d’emplois d’un pays vers l’autre. Et c’est, en par­tie, parce que l’in­dus­trie mis­sil­ière pèse com­par­a­tive­ment moins en ter­mes d’emplois qu’elle a réus­si à se con­solid­er au niveau européen avant celles des plates-formes ou de l’élec­tron­ique de défense.

La mise en com­mun des investisse­ments européens dans des pro­grammes comme le mis­sile de croisière Scalp-Storm Shad­ow, le mis­sile d’in­ter­cep­tion à sta­toréac­teur Mete­or ou la famille de mis­siles antimis­siles Aster a per­mis aux nations européennes d’ac­quérir des capac­ités nou­velles pour un investisse­ment encore plus acces­si­ble. Ces mis­siles, qui seront rejoints demain par le Scalp Naval, sont devenus aujour­d’hui des élé­ments incon­testable­ment dif­féren­ci­a­teurs pour les plates-formes européennes lorsqu’elles se con­fron­tent à la con­cur­rence améri­caine dans les com­péti­tions à l’exportation.


Le mis­sile d’in­ter­cep­tion Mete­or, un investisse­ment européen

Une industrie de rang mondial

Les capac­ités dont nous dis­posons aujour­d’hui en matière de mis­siles, acquis­es notam­ment grâce à l’ef­fet de levi­er de la coopéra­tion européenne, seront appré­cia­bles pour toute l’in­dus­trie de défense française pour les années qui viennent.

Mais l’ef­fort qui a per­mis d’en arriv­er là peut se trac­er sur les qua­tre dernières décen­nies. Lesquelles ont été mar­quées par des choix pro­gram­ma­tiques ambitieux et une volon­té poli­tique de coopéra­tion plus con­stante dans le domaine des mis­siles que dans celui des plates-formes. À l’heure où la France s’ap­prête à engager l’avenir de ses armées et celui de son indus­trie avec la nou­velle loi de pro­gram­ma­tion mil­i­taire, il ne faudrait pas oubli­er les raisons qui lui per­me­t­tent de s’ap­puy­er aujour­d’hui sur un acteur de rang mon­di­al dans le domaine des missiles.

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