Général Henri Marescaux (63)

Le général Jean NOVACQ (67) succède au général Henri MARESCAUX (63) à la direction de l’École polytechnique

Dossier : ExpressionsMagazine N°523 Mars 1997

X‑Info : Dans quel état d’esprit quittez-vous l’École polytechnique ?

X‑Info : Dans quel état d’esprit quittez-vous l’École polytechnique ?

Le géné­ral Mares­caux : Je serais volon­tiers res­té parce qu’il y a encore beau­coup de réformes à faire. J’ai le sen­ti­ment qu’une bonne par­tie de celles que nous allons pro­po­ser au ministre sera accep­tée. L’École est atta­chante, beau­coup de gens sont sym­pa­thiques. D’un autre côté, je suis là depuis trois ans et demi et je suis arri­vé lorsque l’on ache­vait le sché­ma directeur.

J’ai donc eu la chance de le mettre en route. Au moment de mettre en chan­tier un nou­veau train de réformes, je crois que c’est bien de mettre quelqu’un de neuf. De mon côté, je vais à la Délé­ga­tion géné­rale de l’Armement parce qu’on me l’a deman­dé. C’est un orga­nisme en pleine restructuration.

X‑Info : Vous partez le coeur gros ?

Le géné­ral Mares­caux : Oui mais je crois qu’aujourd’hui, il y a un enjeu consi­dé­rable dans l’armement et je suis d’accord pour rele­ver le défi. Cela dit, je n’avais pas deman­dé à quit­ter l’École qui se trouve à un moment impor­tant. De toute façon, les mili­taires savent ce que c’est que d’être mutés. Je crois que je me pas­sion­ne­rai aus­si pour ce que je vais avoir à faire.

X‑Info : Quel regard portez-vous sur l’École à la veille de votre départ ?

Le géné­ral Mares­caux : Je crois qu’il y a une dyna­mique de chan­ge­ment accep­tée par toutes les direc­tions : l’enseignement, la recherche, la for­ma­tion humaine et mili­taire, les rela­tions exté­rieures, le concours. On ne fait pas des réformes pour le plai­sir d’en faire et pour dire que tout doit chan­ger mais parce que c’est nécessaire.

Il est sûr que je ne laisse pas l’École comme je l’ai trou­vée. Avec l’appui du Conseil d’administration mais aus­si avec mes idées et mon tem­pé­ra­ment, j’ai chan­gé un cer­tain nombre de choses dans un sens que je pense bon. Je l’ai fait grâce à l’aide de mes col­la­bo­ra­teurs, que je remercie.

X‑Info : Après trois ans et demi passés à la direction générale, comment jugez-vous votre politique ?

Le géné­ral Mares­caux : Ce n’est pas moi qui juge ma poli­tique, c’est le client. Poly­tech­nique est un éta­blis­se­ment d’enseignement supé­rieur et de recherche. Pour la for­ma­tion des élèves, c’est l’employeur futur qui juge si les élèves ont bien été for­més. Et pour l’enseignement, ce sont les élèves qui l’évaluent. Vous voyez donc qu’on tient le plus grand compte de ce que disent les clients.


© ÉCOLE POLYTECHNIQUE–J.-L. DENIEL

Le rôle du direc­teur géné­ral, c’est de faire en sorte que les dif­fé­rentes caté­go­ries de clients soient satis­faites. Quand on fixe des objec­tifs, on doit don­ner les moyens cor­res­pon­dants, et la répar­ti­tion des moyens, c’était aus­si mon rôle. Ain­si, réno­ver le self ou réins­tal­ler cor­rec­te­ment des ser­vices, cela a fait par­tie de ma poli­tique. Et là, le client, c’est le per­son­nel de l’École.

X‑Info : Quel est votre meilleur souvenir ?

Le géné­ral Mares­caux : C’est vrai­ment dif­fi­cile de répondre… Per­son­nel­le­ment, je n’ai pas un esprit qui cherche à clas­ser les sou­ve­nirs. Je vais quand même don­ner deux exemples.

J’ai un très bon sou­ve­nir de la remise des diplômes : c’était inno­vant et de qua­li­té. Les élèves et leurs familles ont été contents et cer­tains ont eu le tact de le dire. L’autre exemple est plus intel­lec­tuel : chaque fois qu’on a trai­té un bon dos­sier ou qu’on a eu une bonne réunion du comi­té exé­cu­tif, j’en ai gar­dé aus­si un très bon souvenir.

X‑Info : Parmi les satisfactions, on peut citer l’ouverture de Polytechnique aux étudiants étrangers. C’est une étape importante à vos yeux ?

Le géné­ral Mares­caux : Oui, très impor­tante. C’est aus­si une action dif­fi­cile lorsqu’il s’agit de recru­ter des étu­diants étran­gers. Pour les atti­rer, il faut se pré­sen­ter sous un jour attrac­tif, et pour le deve­nir, il faut être com­pré­hen­sible. Le sys­tème des grandes écoles est un sys­tème typi­que­ment fran­çais. Et Poly­tech­nique est très ori­gi­nale à l’intérieur de ce sys­tème. Le défi, c’est d’arriver à faire com­prendre l’École à l’étranger.

Mais je ne suis pas inquiet sur l’internationalisation de l’École. Cela va prendre du temps, mais on réus­si­ra. Il y a par exemple 250 étran­gers au centre de recherche. Les pro­blèmes d’internationalisation de l’École sont des pro­blèmes rela­tifs au deuxième cycle.

Atti­rer d’excellents étu­diants étran­gers est com­plexe. C’est par une conver­gence d’actions qu’on y par­vient. Ces actions concernent le direc­teur géné­ral, le direc­teur des rela­tions exté­rieures, les direc­teurs géné­raux adjoints pour l’enseignement, la recherche, le dépar­te­ment des langues, bref une bonne par­tie de l’École.

X‑Info : Avez-vous des regrets ? Des projets chers à vos yeux et qui n’ont pu aboutir ?

Le géné­ral Mares­caux : On n’est jamais satis­fait à 100 %. Il y a des choses qui se font moins vite qu’on ne l’aurait espé­ré. Par­fois, il y en a qui ne se font pas du tout. D’autres sont retar­dées par des évé­ne­ments extérieurs.

Par exemple, j’ai eu beau­coup de dif­fi­cul­tés à obte­nir le fameux décret d’organisation enfin publié le 23 décembre der­nier et qu’on atten­dait depuis deux ans et demi. L’action du direc­teur géné­ral se situe au niveau des objec­tifs de l’École et de la mise en oeuvre de la poli­tique de l’École. Ce qui devait être fait a été fait, plus ou moins vite.

X‑Info : Quels ont été vos rapports avec les élèves ?

Le géné­ral Mares­caux : Contrai­re­ment à ce qu’on pour­rait croire, le direc­teur géné­ral a rela­ti­ve­ment peu de rap­ports directs avec les élèves. Je reçois les kes­siers une fois par mois. Je reçois aus­si un cer­tain nombre de res­pon­sables des élèves et, d’une manière géné­rale, tous ceux qui le sou­haitent. Mais l’infrastructure de l’École et mon emploi du temps sont tels que ces ren­contres res­tent limitées.

X‑Info : C’est un regret ?

Le géné­ral Mares­caux : Oui et non. Effec­ti­ve­ment, c’est tou­jours sym­pa­thique d’être au contact des élèves mais c’est d’abord l’encadrement qui a ce rôle de contact direct. Je suis là pour diri­ger toute l’École, dont les élèves sont le centre mais non la totalité.

X‑Info : Et vos contacts avec les enseignants et les chercheurs ?

Le géné­ral Mares­caux : J’ai eu des contacts essen­tiel­le­ment avec les pro­fes­seurs et les direc­teurs de labo­ra­toires. Ces contacts ont été régu­liers avec cer­tains, épi­so­diques avec d’autres. J’ai beau­coup appré­cié les conseils qu’ils m’ont don­nés et j’en ai tenu compte.

X‑Info : Comment voyez-vous l’avenir de l’École avec la réforme des armées ?

Le géné­ral Mares­caux : C’est tout le volet sur lequel on a tra­vaillé dans le groupe de tra­vail du ministre, pré­si­dé par Mon­sieur Faurre. Je ne vous dirai pas quelles sont nos pro­po­si­tions mais une fois de plus, c’est l’occasion pour l’École de réflé­chir à ce qu’elle est, à sa mis­sion et par­tant de là, à la manière dont elle doit évo­luer. La manière de faire en 1997 n’a aucune rai­son d’être la même qu’en 1970. Or, aujourd’hui, l’École est régie par des textes qui datent de cette époque. Ils sont obso­lètes. Nous pro­fi­tons de la réforme du minis­tère de la Défense pour moder­ni­ser ce qui doit l’être ; tout ceci était en germe dans le sché­ma direc­teur qui reste la référence.

X‑Info : De l’extérieur cette institution a la réputation de regrouper militaires et personnels civils, mais avec le temps, ne craignez- vous pas que l’École polytechnique perde de son identité ?

Le géné­ral Mares­caux : Il n’y aura plus d’appelés, il y aura, je l’espère, quelques volon­taires ! L’an pas­sé, j’avais pro­po­sé au ministre de faire une expé­ri­men­ta­tion pour l’année mili­taire des élèves. Jusqu’à pré­sent, les élèves fai­saient leur année de for­ma­tion humaine dans des postes exclu­si­ve­ment militaires.

Aujourd’hui, nous menons une expé­rience avec une cin­quan­taine d’X 96. Cer­tains sont dans les com­mis­sa­riats de l’Essonne et ils ont un enca­dre­ment de qua­li­té. Ce qui leur est pro­po­sé reste de même nature que ce qui est offert dans les armées. À mon avis, c’est aus­si formateur.

Quand je suis arri­vé, j’étais très aga­cé par la manière dont le sys­tème mili­taire était conçu à l’École. J’ai trou­vé qu’il était très démo­dé et qu’il man­quait de rigueur. Il conve­nait de mettre un cer­tain nombre de choses en ordre, ce qui a été fait. J’en avais d’ailleurs lar­ge­ment dis­cu­té avec mon pré­dé­ces­seur, le géné­ral Par­raud, qui par­ta­geait ce point de vue. Comme lui, je crois tout à fait à la for­ma­tion mili­taire et à ses ver­tus ; vous voyez que je ne renie pas mes origines.

X‑Info : Quelles sont les perspectives d’évolution de l’X ?

Le géné­ral Mares­caux : L’École donne à ses élèves une for­ma­tion humaine, la for­ma­tion d’un futur cadre. On ne change rien ni aux fina­li­tés, ni aux prin­cipes. On ajuste la manière de le faire. Je crois que mon pas­sage ici aura aus­si ser­vi à rap­pe­ler les fina­li­tés. Je constate que les élèves adhèrent assez bien à ces idées sur la for­ma­tion humaine qui est une des ori­gi­na­li­tés de l’École.

Aujourd’hui, consa­crer un an à faire ce type d’expérience, je pense que c’est valorisant.

X‑Info : Et maintenant, quelles seront vos fonctions ?

Le géné­ral Mares­caux : Je vais aller diri­ger un ser­vice à créer dans une direc­tion qui vient d’être créée. Il y a une grande réforme de la Délé­ga­tion géné­rale pour l’Armement dont le nou­veau délé­gué, Mon­sieur Hel­mer, est un indus­triel. Je vais diri­ger le ser­vice des archi­tectes de sys­tèmes de forces. Il pré­pare les déci­sions concer­nant le lan­ce­ment des pro­grammes d’armements. Au niveau des effec­tifs, je n’aurai, je crois, qu’une cin­quan­taine de per­sonnes. C’est un chan­ge­ment de métier, mais je n’ai aucune appréhension.

Pour l’École, l’arrivée d’un nou­veau direc­teur géné­ral, le géné­ral Novacq, sera aus­si un chan­ge­ment, mais dans la conti­nui­té. Les mili­taires savent qu’un sys­tème ne marche que si la conti­nui­té est garan­tie. Moi, j’avais pris beau­coup de consignes auprès de mon pré­dé­ces­seur, le géné­ral Par­raud. Je constate que le géné­ral Novacq fait de même auprès de moi. Je lui sou­haite pleine réus­site à la tête de l’École.

Inter­view réa­li­sée par
Sté­phane Deschamps


LE GÉNÉRAL JEAN NOVACQ A PRIS SES FONCTIONS LE 1er FÉVRIER

X‑Info s’est entre­te­nu avec lui dès son arrivée.
La Jaune et la Rouge tient à lui sou­hai­ter la bienvenue.

X‑Info : Tout d’abord, en guise de présentation, pouvez-vous nous résumer brièvement votre carrière ?

Le géné­ral Novacq : Je fais par­tie de la pro­mo­tion X 1967. Au sor­tir de l’É­cole, j’ai choi­si de faire car­rière dans les armes, plus pré­ci­sé­ment dans l’ar­mée de terre. J’ai ain­si opté pour l’ar­tille­rie des troupes de marine

Général Jean Novacq (67)
© ÉCOLE POLYTECHNIQUE–J.-L. DENIEL

Je serais ten­té de dire que ma car­rière se divise en trois périodes. Une pre­mière période consa­crée à des séjours dans les régi­ments, où j’ai fran­chi tous les grades, de lieu­te­nant jus­qu’à celui de com­man­dant. Pen­dant cette période, j’ai sui­vi une for­ma­tion com­plé­men­taire – même si ce n’est pas le nom qu’on lui donne – à l’ENS­TA (École natio­nale supé­rieure des tech­niques avan­cées), puis au cours supé­rieur des armes nucléaires. J’ai éga­le­ment eu l’oc­ca­sion de faire un séjour outre­mer à Dji­bou­ti. Cette pre­mière période a donc été essen­tiel­le­ment consa­crée à des postes de com­man­de­ment et de res­pon­sa­bi­li­té dans des régiments.

La deuxième période débute à la sor­tie de l’É­cole supé­rieure de Guerre dont j’ai sui­vi la sco­la­ri­té de 1982 à 1984. J’ai alors été affec­té dans divers états­ma­jors, d’a­bord à Dji­bou­ti où je suis retour­né, puis à la direc­tion du per­son­nel de l’ar­mée de terre et, enfin, à l’é­tat-major de l’ar­mée de terre dans le cadre d’un grand pro­jet sur la fonc­tion « personnel ».

La der­nière période est mar­quée par mon temps de com­man­de­ment de chef de corps. J’ai notam­ment eu l’hon­neur de com­man­der le 11e régi­ment d’ar­tille­rie de marine, un régi­ment qui à l’é­poque était déjà entiè­re­ment pro­fes­sion­na­li­sé. J’ai pris le com­man­de­ment de ce régi­ment fin juillet 1990, peu de jours avant que l’I­rak n’en­va­hisse le Koweit. Mon régi­ment étant pro­fes­sion­nel, il a été tout dési­gné pour consti­tuer le régi­ment d’ar­tille­rie de la divi­sion Daguet.

Je suis donc par­ti avec mon régi­ment en Ara­bie Saou­dite et nous avons par­ti­ci­pé à des opé­ra­tions en Irak de février à avril 1991. En 1992, je suis retour­né à l’é­tat-major de l’ar­mée de terre et, depuis cette période, j’ai consa­cré la qua­si-tota­li­té de mon temps à créer et mon­ter un bureau char­gé de conce­voir le sys­tème d’in­for­ma­tion de l’é­tat-major de l’ar­mée de terre.

X‑Info : Dans quel état d’esprit arrivez-vous à l’École ?

Le géné­ral Novacq : J’ai conscience de l’hon­neur qui m’est fait de prendre la direc­tion géné­rale de cette véné­rable école, dans un moment où elle est en pleine muta­tion, où elle conduit un pro­jet bien défi­ni, qui doit la mettre sur les rails pour le début du pro­chain siècle.

Je n’ai aucune appré­hen­sion. J’ai le sen­ti­ment que beau­coup d’ac­tions ont été lan­cées mais qu’il reste énor­mé­ment de choses à faire. L’é­ten­due des actions à mener m’ap­pa­raît plu­tôt exaltante.

X‑Info : Vous êtes un ancien élève de l’X. Je suppose que vous avez constaté beaucoup de changements, de mutations au sein de l’École.

Le géné­ral Novacq : L’É­cole que j’ai connue il y a bien­tôt trente ans et celle d’au­jourd’­hui n’ont plus rien à voir. D’a­bord elles ne sont plus au même endroit. Ensuite, le sta­tut n’est plus du tout le même. Enfin, les études, l’en­sei­gne­ment ont énor­mé­ment évo­lué. Par exemple, il y a trente ans, la recherche était secon­daire à l’É­cole. Main­te­nant, elle occupe une place primordiale.

Voi­ci les grandes modi­fi­ca­tions que l’on peut per­ce­voir de l’ex­té­rieur. Il est évident que cela recouvre des évo­lu­tions beau­coup plus majeures quant au sens, à la voca­tion de l’É­cole, et à sa mission.

X‑Info : Depuis quand exactement avez-vous su que vous étiez pressenti à la tête de l’École ? Et donc depuis quand travaillez-vous à la préparation de cette nouvelle fonction ?

Le lundi 3 février 1997,  le général Novacq reçoit les honneurs des polytechniciens des promotions 94 et 95.
Le lun­di 3 février, accom­pa­gné du colo­nel André, DFHM, le géné­ral Novacq reçoit les hon­neurs des poly­tech­ni­ciens des pro­mo­tions 94 et 95. © ÉCOLE POLYTECHNIQUE–J.-L. DENIEL

Le géné­ral Novacq : Ma nomi­na­tion a été offi­ciel­le­ment pro­non­cée lors du conseil des ministres du 15 jan­vier. Elle était dans l’air depuis quelques mois à par­tir du moment où le géné­ral Mares­caux a été pres­sen­ti pour rejoindre Mon­sieur Hel­mer à la DGA (Direc­tion géné­rale pour l’Ar­me­ment). Disons que j’ai com­men­cé à m’in­té­res­ser sérieu­se­ment à l’É­cole vers la fin du mois d’octobre.

Je viens régu­liè­re­ment à l’É­cole depuis bien­tôt trois mois. Dans le cadre de mes contacts pré­li­mi­naires et offi­cieux, j’ai par­ti­ci­pé à plu­sieurs reprises – en tant qu’in­vi­té – au comi­té exé­cu­tif et le pré­sident du conseil d’ad­mi­nis­tra­tion m’a éga­le­ment invi­té à la der­nière réunion du conseil d’administration.

Le géné­ral Mares­caux m’a pour sa part ouvert très gen­ti­ment tous les dos­siers, nous avons dis­cu­té des pro­blèmes de l’É­cole. Nous avons tra­vaillé har­mo­nieu­se­ment pour assu­rer la conti­nui­té. J’in­sis­te­rai par­ti­cu­liè­re­ment sur ce point : je tiens à ce qu’il y ait une conti­nui­té par­faite entre l’ac­tion du géné­ral Mares­caux et la mienne à la tête de l’É­cole. Le style chan­ge­ra peut-être mais le fond demeurera.

X‑Info : Dans quelle mesure votre expérience militaire peut servir Polytechnique ?

Le géné­ral Novacq : Ques­tion redou­table. Ce n’est pas tant l’ex­pé­rience mili­taire elle-même que ce que j’ai pu en reti­rer. Il est évident que sur le plan tech­nique mon expé­rience n’au­ra aucune retom­bée immé­diate sur ma fonc­tion de direc­teur géné­ral de l’É­cole. La fonc­tion de direc­teur géné­ral de l’É­cole repré­sente un nou­veau métier pour moi.

Dans le cadre de mes fonc­tions anté­rieures, j’ai été peu fami­lier avec les conseils d’ad­mi­nis­tra­tion ou avec la pré­pa­ra­tion d’un bud­get de l’im­por­tance de celui de l’É­cole. Ce sont des choses nou­velles qu’il va me fal­loir maî­tri­ser. En ce sens-là, c’est un nou­veau métier, qui n’a rien de spé­ci­fi­que­ment mili­taire. Pour répondre plus pré­ci­sé­ment à votre ques­tion, je pense que d’une manière géné­rale, les cadres mili­taires peuvent appor­ter à l’É­cole leur connais­sance des hommes, le sens du contact humain.

En ce qui me concerne, mon expé­rience en la matière – en par­ti­cu­lier dans le “mana­ge­ment ” des hommes et la conduite de grands pro­jets – me sera très pré­cieuse. Je pense plus pré­ci­sé­ment à trois expé­riences. D’a­bord l’ex­pé­rience opé­ra­tion­nelle. Vous savez, com­man­der un régi­ment en opé­ra­tion, cela forme le carac­tère et rend aus­si confiant dans la capa­ci­té des hommes à se dépas­ser. Un sou­ve­nir que je gar­de­rai toute ma vie, c’est celui de la veillée d’armes, juste avant notre enga­ge­ment en Irak fin février 1991. Nous connais­sions beau­coup de choses de l’en­ne­mi d’a­lors, la posi­tion de ses uni­tés, son arme­ment, l’é­tat moral des troupes. Mais nous igno­rions sa capa­ci­té de réac­tion. Compte tenu de la soli­di­té de ses posi­tions défen­sives, il était en mesure de nous infli­ger beau­coup de pertes. C’est pour­quoi, au moment de nous enga­ger, je pen­sais que je voyais pour la der­nière fois un cer­tain nombre de mes “ gar­çons ” et que j’é­tais plei­ne­ment res­pon­sable de leur vie ou de leur mort. Je vous assure que ce n’est pas facile à assu­mer. C’est en ce sens que ça forme le caractère.

D’un autre côté, sans vou­loir res­sas­ser des sou­ve­nirs “ d’an­cien com­bat­tant ”, je reste tou­jours admi­ra­tif devant ce qu’ont réa­li­sé mes cadres et mes hommes pen­dant ces trois jours de com­bat. Je ne me fai­sais aucun sou­ci quant à leurs capa­ci­tés pro­fes­sion­nelles, mais ils m’ont réel­le­ment éton­né par leur capa­ci­té indi­vi­duelle et col­lec­tive à se sur­pas­ser pour rem­plir la mis­sion qui lui était confiée.

La deuxième expé­rience à laquelle je pense, c’est celle de l’outre-mer. Je regrette un peu de ne pas avoir une expé­rience aus­si éten­due que je l’au­rais sou­hai­tée comme offi­cier des Troupes de marine, mais les quatre années que j’ai pas­sées dans la corne de l’A­frique m’ont quand même beau­coup appris. Elles m’ont appris notam­ment la néces­si­té de connaître inti­me­ment l’en­vi­ron­ne­ment cultu­rel d’au­trui si on veut dépas­ser une simple coha­bi­ta­tion super­fi­cielle et ins­tau­rer des liens durables et pro­fonds. Un sou­ve­nir auquel je songe, c’est celui de ce nomade Afar qui m’a accueilli les bras ouverts dans son cam­pe­ment au milieu du désert sim­ple­ment parce que j’a­vais pro­non­cé quelques mots dans sa langue en le saluant. Il suf­fit par­fois de peu de choses…

Enfin, la der­nière expé­rience à laquelle je pense, c’est celle que j’ai eue avant d’ar­ri­ver à la tête de l’X. J’ai été l’un des ini­tia­teurs d’un pro­jet sur la refonte de la fonc­tion “ per­son­nel ” de l’ar­mée de terre. Ce pro­jet a com­men­cé en 1989. Nous sommes en 1997 et il com­mence réel­le­ment et seule­ment main­te­nant à entrer en appli­ca­tion. J’en retiens que lors­qu’on a un pro­jet d’im­por­tance – et Dieu sait que celui que repré­sente le sché­ma direc­teur de l’É­cole est essen­tiel – les aspects tech­niques sont rela­ti­ve­ment faciles à mener.

En revanche, ce qui est beau­coup plus dif­fi­cile, c’est de chan­ger les men­ta­li­tés et de convaincre. J’ai appris à être patient. Il faut prendre le temps de convaincre, de faire avan­cer les choses. Il faut savoir où on veut aller, com­ment on veut y aller, et avoir un plan d’ac­tion qui prenne en compte la notion de temps.

X‑Info : On parle souvent du schéma directeur de l’École mais les propositions autour de ce projet semblent encore assez secrètes…

Remise au général Novacq de son épée de directeur général de l’École polytechnique.
Le colo­nel André a remis sym­bo­li­que­ment au géné­ral Novacq son épée de direc­teur géné­ral de l’École. © ÉCOLE POLYTECHNIQUE–J.-L. DENIEL

Le géné­ral Novacq : Le sché­ma direc­teur, c’est le pro­jet de l’É­cole, agréé par le ministre. C’est un pro­jet consen­suel qui doit mobi­li­ser toute l’É­cole et qui a une inci­dence impor­tante car il inflé­chit nota­ble­ment les mis­sions de l’École.

Il y a des axes qui ont été tra­cés, clairs et pré­cis, des fon­de­ments – en par­ti­cu­lier le décret d’or­ga­ni­sa­tion de l’É­cole paru tout récem­ment. Il nous reste à construire sur ces bases tout un tas de chan­tiers. Ces chan­tiers sont la consé­quence logique des orien­ta­tions du sché­ma direc­teur et de la modi­fi­ca­tion de l’en­vi­ron­ne­ment, notam­ment le pas­sage à l’ar­mée pro­fes­sion­nelle, la dis­pa­ri­tion pro­gram­mée des appe­lés, et par ailleurs la volon­té des auto­ri­tés poli­tiques de réduire le défi­cit bud­gé­taire. Cha­cun doit y prendre part – l’É­cole en par­ti­cu­lier dans le cadre de sa tutelle exer­cée par le minis­tère de la défense.

Un groupe de tra­vail, pré­si­dé par Mon­sieur Pierre Faurre, le pré­sident du Conseil d’ad­mi­nis­tra­tion, a été créé l’an­née der­nière pour tenir compte des inflé­chis­se­ments de l’en­vi­ron­ne­ment. Mon­sieur Faurre devrait remettre pro­chai­ne­ment les conclu­sions du groupe au ministre et à par­tir du moment où le ministre aura accep­té, modi­fié ou refu­sé cer­taines de ses pro­po­si­tions, de nou­veaux chan­tiers – tous inter­dé­pen­dants – s’ouvriront.

Il faut attendre que le ministre ait pris connais­sance des pro­po­si­tions du groupe de tra­vail, qu’il donne son avis sur celles-ci, avant de les pré­sen­ter publiquement.

X‑Info : Un des volets majeurs concerne la professionnalisation de l’armée. Comment Polytechnique va-t-elle aborder cette transition ?

Le géné­ral Novacq : C’est un des chan­tiers actuels et à venir. Il est évident que cela va poser énor­mé­ment de pro­blèmes, sur­tout d’ordre pra­tique pour l’É­cole. Les appe­lés repré­sentent une cen­taine de per­sonnes. Ils ne seront évi­dem­ment pas rem­pla­cés nombre pour nombre par des mili­taires de pro­fes­sion ou des civils. Il ne faut pas se voi­ler la face : ce ne sera pas évident mais nous devons pou­voir faire face à cette nou­velle situa­tion. Le géné­ral Mares­caux et le groupe de tra­vail ont déjà émis quelques propositions.

Je pense que l’on ne pour­ra pas conti­nuer en pro­cé­dant par réduc­tions homo­thé­tiques dans tous les domaines. Il y a des moments où il faut aban­don­ner ce type de rai­son­ne­ments et pas­ser à d’autres modes de réflexion qui consistent à s’in­ter­ro­ger sur “ com­ment faire autrement ”.

Ceci remet en cause des habi­tudes acquises, cela peut cho­quer un cer­tain nombre de gens qui étaient ins­tal­lés dans leur train­train. On dit sou­vent : “ il faut apprendre à faire mieux avec moins ”. Je pense que ce n’est pas exact : il s’a­git de faire autre­ment avec moins, en s’ef­for­çant de ne pas dégra­der le ser­vice ren­du. Il n’y a pas de situa­tion simple. On ne peut pas sim­pli­fier à outrance et conduire des hommes comme on fait mar­cher des machines.

X‑Info : Avec cette réforme, l’École semble se débarrasser de ses derniers oripeaux militaires…

Le géné­ral Novacq : L’É­cole n’a pas le sta­tut d’é­cole mili­taire. En revanche, elle est et demeure sous la tutelle du minis­tère de la Défense. Qu’en sera-t-il ulté­rieu­re­ment ? Les choses peuvent évo­luer. Dans l’im­mé­diat et à vue humaine, je ne pense pas qu’il y aura de chan­ge­ments majeurs quant à la tutelle de l’É­cole par le minis­tère de la Défense.

X‑Info : Mais la première année du polytechnicien, qui consistait en un service strictement militaire, est définitivement révolue à long terme, non ?

Le géné­ral Novacq : Je ne peux pas vous répondre aujourd’­hui sur ce point. Des pro­po­si­tions sur l’é­vo­lu­tion de l’É­cole sont faites au ministre par le groupe de travail.

X‑Info : Cela signifie-t-il que l’École pourrait disposer d’un statut particulier ?

Le géné­ral Novacq : Ce sujet fait par­tie bien sûr d’un des chan­tiers ouverts et de la mis­sion du groupe de tra­vail que d’a­mé­na­ger le sta­tut pour tenir compte de la réa­li­té nou­velle. Il s’a­git d’ac­com­mo­de­ments, d’a­jus­te­ments qui ne remettent pas en cause le cur­sus du poly­tech­ni­cien, en par­ti­cu­lier la pre­mière année consa­crée au ser­vice natio­nal, effec­tué jus­qu’à l’an­née der­nière exclu­si­ve­ment sous forme militaire.

Il y a d’ores et déjà des expé­riences de ser­vice natio­nal sous ses formes civiles qui sont en cours. Cet aspect des choses n’est pas secon­daire : il demeure au centre de la for­ma­tion humaine et mili­taire. Un des chan­ge­ments consi­dé­rables et posi­tifs que j’ai d’ailleurs pu remar­quer à mon arri­vée à l’É­cole est que le chef de corps est main­te­nant le direc­teur de la for­ma­tion humaine et mili­taire. Je crois que cela défi­nit bien son rôle. L’ordre de ces mots a son importance.

X‑Info : Votre prédécesseur estimait que son rôle à la tête de l’École n’était pas un rôle de contact direct avec les élèves. Partagez-vous le même point de vue ?

Le géné­ral Novacq : Le géné­ral Mares­caux m’a fait part de son expé­rience de trois ans et demi à la tête de l’É­cole. Je crois qu’il regret­tait tout de même ce manque de contact lié à ses acti­vi­tés considérables.

Je pense qu’en tant que direc­teur géné­ral, je serai sou­mis au même rythme infer­nal. Il n’empêche que le direc­teur géné­ral a eu quelques occa­sions de ren­con­trer, non pas tous les élèves, mais au moins un cer­tain nombre d’entre eux et de se faire une bonne idée de leurs pré­oc­cu­pa­tions, de leurs attentes en matière d’enseignement.

Je sou­haite, à l’i­mage du géné­ral Mares­caux, avoir des contacts fré­quents avec la Kès, de façon à faire pas­ser les mes­sages dans un sens comme dans un autre.

X‑Info : Votre grade de général et votre fonction de directeur général sont-ils indissociables ?

Le géné­ral Novacq : Les textes disent que le direc­teur géné­ral de l’É­cole est un offi­cier géné­ral ou un ingé­nieur géné­ral. C’est donc une condi­tion néces­saire mais non suffisante.

Main­te­nant, est-ce indis­so­ciable ? Vous me posez une colle. Je pense que le direc­teur géné­ral, du fait qu’il soit un offi­cier géné­ral, sym­bo­lise bien la tutelle de l’É­cole par le minis­tère de la Défense.

X‑Info : Je me permets de vous poser cette question car votre arrivée a suscité quelques rumeurs folles. Ces rumeurs vous présentaient sous un jour assez strict, peut-être en raison de votre participation au conflit irakien.

Le géné­ral Novacq : Je n’ai pas l’im­pres­sion d’être un “ pète-sec ”. Je pense être un homme d’é­coute. J’ai mon carac­tère, mes convic­tions. Quant à être strict… J’aime la rec­ti­tude morale et la rigueur dans le tra­vail. Je laisse le soin à mes col­la­bo­ra­teurs de décou­vrir mon caractère.

Pro­pos recueillis
par Y. Gauchard

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