Léquipe du GameLab de l'X

Le GameLab de l’X

Dossier : Nouvelles du platâlMagazine N°759 Novembre 2020
Par Catherine ROLLAND
Par Robert RANQUET (72)

Cather­ine Rol­land est, depuis 2019, cheffe de pro­jet du Game­Lab de l’École poly­tech­nique. Issue d’un parte­nar­i­at avec Ubisoft, la chaire d’enseignement et de recherche « Sci­ence et jeu vidéo » a pour objec­tif de ren­dre les jeux vidéo plus réal­istes et nova­teurs grâce à la sci­ence, et d’u­tilis­er ce média pour dif­fuser la cul­ture scientifique.

Catherine Rolland, quel a été votre parcours ?

À l’origine, je suis doc­teur-ingénieur en chimie organique : on est loin du jeu vidéo ! Mais après douze années de car­rière dans l’industrie phar­ma­ceu­tique, j’ai éprou­vé le besoin de chang­er d’orientation. Dans mes activ­ités, j’avais été impliquée dans la trans­for­ma­tion numérique de l’industrie, et en par­ti­c­uli­er très intéressée par les nou­veaux médias. Notam­ment, le jeu vidéo m’était apparu comme un média qui offrait un ensem­ble très cohérent de poten­tial­ités, aus­si bien en matière de trans­mis­sion des savoirs que dans un but thérapeu­tique. J’ai donc fait un MBA de Video Game Man­age­ment à l’Institut de l’internet et du mul­ti­mé­dia (pôle uni­ver­si­taire Léonard-de-Vin­ci). Ce MBA m’a beau­coup aidée pour com­pren­dre en pro­fondeur ce média, ses enjeux de pro­duc­tion et de mar­ket­ing. J’ai par­al­lèle­ment rejoint le stu­dio Tek­neo, une société de développe­ment de jeux cocréée par un médecin : tou­jours donc l’idée thérapeutique !

Le pro­jet phare de Tek­neo était de dévelop­per des jeux pour aider au traite­ment des malades d’Alzheimer. On sait en effet que stim­uler les capac­ités cérébrales de ces malades par­al­lèle­ment aux traite­ments médica­menteux est déter­mi­nant pour ralen­tir l’évolution de la mal­adie, qu’on ne sait mal­heureuse­ment tou­jours pas arrêter aujourd’hui. L’objet du pro­jet était de con­cevoir un jeu adap­tatif reposant sur les mécaniques des jeux FPS (First Per­son Shoot­er ou jeux de tir à la pre­mière per­son­ne : jeux où le joueur incar­ne un per­son­nage qu’il ne voit pas, comme s’il était lui-même dans le jeu, par oppo­si­tion à un jeu à la troisième per­son­ne où le joueur incar­ne un per­son­nage qu’il voit bouger), jeux con­nus pour leur capac­ité à stim­uler les réseaux atten­tion­nels, pour pro­pos­er un dis­posi­tif d’entraînement régulier.

“Des jeux basés sur l’activité motrice permettent de maintenir un entraînement dans un environnement motivant.”

L’intérêt d’utiliser des jeux capa­bles de s’adapter aux besoins des patients est de sup­pléer le manque de soignants néces­saires à la tenue d’entraînements quo­ti­di­ens. Cela peut s’appliquer à d’autres cas thérapeu­tiques, comme pour la réé­d­u­ca­tion d’un acci­den­té, où des jeux basés sur l’activité motrice cette fois per­me­t­tent de main­tenir un entraîne­ment dans un envi­ron­nement moti­vant, entre deux séances avec les kinésithérapeutes.

J’ai ensuite été respon­s­able R & D et Inno­va­tion pour KTM Advance, société spé­cial­isée dans les dis­posi­tifs numériques pour la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle ; puis quelques années plus tard, pour la société Tralalere, où j’ai mené des pro­grammes de for­ma­tion basés sur les jeux mais cette fois tournés vers les jeunes. Pour vous don­ner un exem­ple, nous avons dévelop­pé une plate­forme pro­posant aux jeunes – et moins jeunes ! – d’apprendre le code au tra­vers d’activités créa­tri­ces, comme celle de créer son pro­pre jeu vidéo.

Mon dernier pro­jet là-bas a été de con­cevoir un jeu édu­catif inclusif qui pro­pose aux enfants un entraîne­ment ludique aux com­pé­tences néces­saires à l’acquisition du lan­gage écrit. Conçu pour les besoins des pro­fils dys, en par­ti­c­uli­er dys­prax­iques, le jeu per­met de tra­vailler, non par l’écriture de let­tres, mais plus large­ment le tracé, le rythme, la plan­i­fi­ca­tion spa­tiale… selon les capac­ités de cha­cun, ce qui est béné­fique pour tous. Un des enjeux du dis­posi­tif est de décel­er et d’accompagner très tôt les enfants ayant des dif­fi­cultés, avant même qu’ils ne soient diag­nos­tiqués selon les pro­to­coles habituels ; et pour être effi­cace, cela se fait au tra­vers du jeu !

Et, finale­ment, j’ai rejoint la chaire « Sci­ence et jeu vidéo » à l’X en sep­tem­bre 2019.

Nous y voilà ! Parlez-nous de cette chaire.

Cette chaire est soutenue par un mécé­nat d’Ubisoft. Une des idées pre­mières est que le jeu vidéo mobilise des tech­nolo­gies numériques de pointe, qui vont bien au-delà de l’aspect sim­ple­ment ludique du jeu. Il y a donc des choses à pren­dre dans ces développe­ments, qui peu­vent très bien être trans­férés à d’autres indus­tries. Et récipro­que­ment, il est impor­tant que les sci­en­tifiques con­nais­sent et com­pren­nent ces enjeux : l’environnement de l’X était donc tout indiqué !

Con­crète­ment, le Game­Lab, c’est une petite équipe de pro­fes­sion­nels du jeu vidéo, com­prenant un développeur (le code), un game design­er (la con­cep­tion du jeu en lui-même), un game artist (l’environnement visuel du jeu), une UX designeuse (User Expe­ri­ence Design­er : en charge de la qual­ité du vécu de l’utilisateur), et moi-même, cheffe de pro­jet. Le tout béné­fi­cie de l’expérience du por­teur de la chaire, Raphaël Granier de Cas­sagnac, qui est directeur de recherche au CNRS, spé­cial­iste de la physique des par­tic­ules et con­va­in­cu de l’intérêt du lien étroit entre jeu vidéo et sci­ence. C’est lui qui a per­mis notre inté­gra­tion au lab­o­ra­toire Leprince-Ringuet.

Projets réalisés par les étudiants de la chaire science et jeu vidéo
Com­pi­la­tion de visuels de jeux pro­duits par les étu­di­ants du modal jeu vidéo 2019–2020.

Quels sont les axes de développement de la chaire « Science et jeu vidéo » ?

Nous en avons trois : nous inter­venons dans la for­ma­tion des étu­di­ants, nous dévelop­pons des jeux pour la trans­mis­sion sci­en­tifique, et nous offrons un lieu de ren­con­tre entre pro­fes­sion­nels du jeu vidéo et les chercheurs de l’X.

En ce qui con­cerne notre lien avec les élèves ingénieurs, nous pro­posons un cer­tain nom­bre de PSC (pro­jets sci­en­tifiques col­lec­tifs) majori­taire­ment en lien avec des indus­triels. Pour notre pre­mière année, 25 étu­di­ants – il y en aura au moins 35 l’an prochain – se sont engagés sur des sujets très var­iés par­mi ceux que le jeu vidéo peut pro­pos­er, cer­tains touchant à l’informatique bien sûr, mais aus­si à la physique, aux sci­ences humaines, à la mécanique, aux math­é­ma­tiques appliquées ou encore à l’économie. Ain­si, le pro­jet Vox­els visait à pro­pos­er l’intégration de principes de physique comme mécanique de jeu : com­ment par exem­ple peut-on utilis­er des out­ils ou des armes basés sur les mécan­ismes de cor­ro­sion pour détru­ire des obsta­cles dans un jeu vidéo ?

“Proposer à des enfants atteints de maladies lourdes et longues des dispositifs pour continuer leurs apprentissages avec leur classe.”

Autre exem­ple, très dif­férent : les étu­di­ants ont tra­vail­lé avec l’association Mon cartable con­nec­té, qui pro­pose à des enfants atteints de mal­adies lour­des et longues des dis­posi­tifs pour con­tin­uer leurs appren­tis­sages avec leur classe. Le dis­posi­tif per­met à l’enfant de suiv­re la classe depuis sa cham­bre d’hôpital. Mais en revanche, cela ne per­met pas à l’enfant de par­ticiper à la récréa­tion et de vivre le lien social, pour­tant essen­tiel. Les étu­di­ants ont spé­ciale­ment tra­vail­lé sur un jeu qui per­met de recréer ce lien social pour l’enfant.

Projet réalisé dans le cadre de la chaire science et jeu vidéo : Maintenir les liens sociaux entre l’enfant hospitalisé et sa classe : Création d’une récréation connectée
Image issue du pro­jet PSC HSS01 « Main­tenir les liens soci­aux entre l’enfant hos­pi­tal­isé et sa classe : créa­tion d’une récréa­tion con­nec­tée », réal­isé par
Jacques Fries, Emma Gode­froy, Mar­gaux Levé, Lou Ser­vantie, Thibaut Vail­lant (pro­mo­tion 2018).

Par­al­lèle­ment, nous inter­venons dans le cur­sus de l’X au niveau des Modals (MOD­ule Appliqué en Lab­o­ra­toire), en pro­posant un cours d’initiation au moteur de jeu Uni­ty qui vous per­met de créer votre pro­pre jeu vidéo. Suivi par douze élèves cette année, ce modal accueillera dix-huit élèves pour l’année 2020–2021. Nous dévelop­pons égale­ment un cours spé­ci­fique pour les troisième année qui per­me­t­tra aux élèves de décou­vrir les enjeux tech­niques du jeu vidéo notam­ment en matière d’intelligence arti­fi­cielle et les con­traintes du temps réel, et nous cher­chons à con­solid­er ce nou­veau domaine en nous asso­ciant à une école spé­cial­isée très réputée, l’Enjmin (École nationale du jeu et des médias inter­ac­t­ifs numériques du Cnam), pour en faire une école d’application.

Il faut bien être con­scient que le jeu vidéo, quoique sou­vent vu comme essen­tielle­ment ludique, est aus­si une indus­trie lourde à forte crois­sance : elle pèse aujourd’hui plus que le ciné­ma ou le disque !

Vous développez aussi des jeux « sérieux » ?

Nous dévelop­pons des jeux trai­tant des sci­ences mais qui restent des jeux, et naturelle­ment nous com­mençons par le domaine de la physique des par­tic­ules, la spé­cial­ité de Raphaël, le por­teur de la chaire. C’est d’ailleurs parce qu’il souhaitait dévelop­per un jeu basé sur cette sci­ence que le pro­jet de chaire est né. Le jeu vidéo est un vecteur de trans­mis­sion qui a su faire ses preuves dans dif­férents domaines. Notre objec­tif à tra­vers ce jeu est de faire décou­vrir au grand pub­lic la magie d’un univers basé sur les principes de la physique des par­tic­ules tout en respec­tant les codes du jeu. Avec de tels pro­jets nous souhaitons con­tribuer à ren­dre acces­si­ble la sci­ence au plus grand nombre.

Image issue du pro­jet PHY05 « Vox­els physiques », réal­isé par Hon­oré Bouy, Paul Calot, Jean-Charles Lay­oun, Ronan San­gouard, Antonin Vidon (pro­mo­tion 2018).

Organisez-vous aussi des rencontres scientifiques ?

Oui, il est impor­tant pour nous de faire se ren­con­tr­er le monde des pro­fes­sion­nels du jeu vidéo et les chercheurs. Notre implan­ta­tion à l’X est cen­trale de ce point de vue : la var­iété des com­pé­tences sci­en­tifiques dans les dif­férents départe­ments sur le cam­pus per­met d’exprimer toute la trans­ver­sal­ité inhérente au domaine du jeu vidéo. Nous avons ain­si organ­isé en novem­bre 2019 notre pre­mier col­loque, où nous avons traité de sujets tech­niques aus­si divers que les paysages virtuels, la mod­éli­sa­tion des flu­ides ou la spa­tial­i­sa­tion du son, mais aus­si des thé­ma­tiques plus générales comme les out­ils intel­li­gents, la ges­tion des con­nais­sances, ou les liens entre le jeu et la société. Ces ren­con­tres sont très fructueuses. 

Ain­si, de nou­velles col­lab­o­ra­tions ont vu le jour entre des lab­o­ra­toires de l’X et les indus­triels suite à cet événe­ment, et la plu­part des sujets de PSC de cette année ont été pro­posés par des binômes qui se sont ren­con­trés lors de ce colloque. 


En savoir plus sur la chaire « Sci­ence et jeu vidéo » de l’É­cole polytechnique

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