Le coaching des leaders ou “diriger en pleine maîtrise”

Dossier : Les services aux entreprisesMagazine N°568 Octobre 2001
Par Vincent PIAZZINI (69)

Les cir­con­stances amenant un dirigeant à faire appel à un coach sont mul­ti­ples : un change­ment imprévu de con­texte, le besoin de tra­vailler sur son lead­er­ship, la con­struc­tion d’une équipe puis­sante, une péri­ode de crise, un change­ment ou une oppor­tu­nité stratégique, une inter­ro­ga­tion sur l’in­flex­ion qu’il veut don­ner à sa car­rière, etc. Après vingt-cinq ans de direc­tion d’en­tre­pris­es et sept années de pra­tique de coach­ing de dirigeants, je crois que l’essen­tiel du coach­ing pour les dirigeants réside dans le besoin de décou­vrir en eux puis d’u­tilis­er toute l’am­pli­tude et la diver­sité de leur per­son­nal­ité. Le coach va les aider à con­stru­ire et à dévelop­per leur pro­pre per­son­nal­ité de leader. 

En effet, l’en­tre­prise offre rarement au dirigeant la pos­si­bil­ité d’ex­primer son imag­i­naire, ses rêves, ses émo­tions, ses valeurs et ses croy­ances per­son­nelles, encore moins ses doutes pro­fonds et son manque de con­fi­ance en lui, dans les autres ou dans la société. Toutes ces facettes humaines recè­lent des richess­es et un poten­tiel mal exploités pour­tant impérat­ifs pour un leader. Au con­traire, non exprimées ou analysées, elles peu­vent pol­luer les déci­sions et la sérénité du dirigeant, et par con­séquent lim­iter son impact. Elles peu­vent dimin­uer sournoise­ment la fierté qu’il a de lui en éro­dant son éthique, ses idéaux et ses valeurs personnelles. 

On pour­rait définir l’ob­jec­tif du coach­ing de dirigeant comme : réduire au min­i­mum (ou tout au moins accepter pleine­ment) les écarts entre ce que le dirigeant pense réelle­ment, ce qu’il en exprime et ce qu’il fait. Ce tra­vail per­met d’ar­riv­er à un niveau de con­science de soi, de con­cen­tra­tion et d’én­ergie beau­coup plus élevé. Les peurs et les envies sont ain­si regardées en face et des solu­tions inédites émerg­eront naturelle­ment de l’e­sprit du dirigeant. Le dis­cours intérieur est apprivoisé pour laiss­er plus de place aux pos­si­bles. Ce proces­sus d’ou­ver­ture et d’in­té­gra­tion per­met une focal­i­sa­tion juste et pro­fonde sur l’essen­tiel. La dif­férence en ter­mes de sérénité et d’ef­fi­cac­ité vien­dra de là. 

Le tra­vail de coach­ing peut pren­dre dif­férentes voies. Il n’y a pas de proces­sus tout tracé. Chaque cas est dif­férent. C’est un par­cours de créa­tion et de décou­verte. Par exem­ple, il nous arrive de faire réfléchir un dirigeant sur la vision de son rôle, de sa valeur ajoutée ou de ce qu’il con­sid­ér­erait comme un véri­ta­ble suc­cès pour lui. Ces points de départ en apparence anodins con­duisent rapi­de­ment le dirigeant loin des dis­cours habituels et sim­plifi­ca­teurs sur le ROE * ou sur les courbes de crois­sance ou sur la pres­sion des action­naires et du marché ou sur les stéréo­types du leadership. 

Il va par­ler de lui, de sa vision et de ses représen­ta­tions mais aus­si de ses craintes et des lim­ites qu’il s’im­pose sou­vent sans le savoir, etc. Ain­si appa­raî­tra la matière à par­tir de laque­lle émerg­eront de vraies con­vic­tions sur lesquelles il pour­ra ensuite s’ap­puy­er. Ces dernières l’amèneront à clar­i­fi­er son analyse, à aller à l’essen­tiel, à don­ner du sens et à agir de façon juste. 

Elles agis­sent un peu comme les racines prin­ci­pales d’un arbre qui captent la sève là où elle est puis la dirige là où il faut, quelle que soit la nature du sol. Elles sont une ressource et une source d’équili­bre per­ma­nentes pour lui. Le proces­sus de coach­ing aide à révéler, con­stru­ire et met­tre en œuvre ses richess­es présentes mais sou­vent éparpil­lées ou oubliées. Il est vrai que cela demande du courage d’être soi et non d’être ce que les autres souhait­ent voir en vous. Un sen­ti­ment de plus grande liber­té naît alors chez le dirigeant. Il se sent beau­coup plus lui-même. C’est là le signe d’un coach­ing réus­si.

L’ex­pres­sion des dirigeants devient alors éton­nante de justesse, de sim­plic­ité et de prag­ma­tisme. Vous trou­verez ci-après quelques exem­ples qui se sont révélés effi­caces dans le con­texte d’en­tre­pris­es dif­férentes, à un moment de leur his­toire et en fonc­tion de la per­son­nal­ité du dirigeant. Ce ne sont pas des vérités générales, elles restent spé­ci­fiques et per­son­nelles. N’es­sayez pas de les appli­quer telles quelles, car elles sont le résul­tat d’un long tra­vail de mat­u­ra­tion et d’ex­péri­ences indi­vidu­elles. La force de ces con­vic­tions réside dans la foi que le dirigeant y met. Cela devient comme une règle de con­duite fon­da­men­tale pour lui qu’il applique, sait déclin­er dans toutes les cir­con­stances et qu’il évite d’enfreindre : 

  • ” Cette entre­prise ne mour­ra pas d’une erreur stratégique mais pour­rait mourir à petit feu sans que nous le voyions si nous ne restons pas atten­tifs et exigeants sur les fon­da­men­taux de notre métier… ” ; 
  • ” Si nous appliquons partout en interne, dans tous nos proces­sus et nos déci­sions, ce que nous souhaitons que les clients vivent en venant chez nous, nous serons la référence… ” ; 
  • ” Si vous ne m’ex­pliquez pas en quoi votre propo­si­tion apporte de la valeur ou de la facil­ité à nos clients ou aux gens qui les ren­con­trent, je ne vous écoute plus… ” ; 
  • ” La stratégie se con­stru­it en pas­sant la moitié de son temps sur le ter­rain à écouter les gens, au con­tact des clients et des con­cur­rents, et non dans les analy­ses et les présen­ta­tions Pow­er­Point. J’at­tends de mes col­lab­o­ra­teurs qu’ils gèrent leur temps ainsi… ” ; 
  • ” Je crois que chaque per­son­ne peut pro­gress­er chaque jour. Je me demande régulière­ment : Qu’est-ce que j’ai appris ? Qu’est-ce que j’ai don­né ? Tir­er le max­i­mum de leçons et les partager avec les autres est un tré­sor con­sid­érable présent sous nos pieds… La moitié du temps en comité de direc­tion est passé sur ce thème ” ; 
  • ” Si les 75 dirigeants de cette unité parta­gent la même représen­ta­tion et com­préhen­sion de l’en­vi­ron­nement et des objec­tifs com­muns, les déci­sions se pren­dront et s’aligneront instan­ta­né­ment sans que j’in­ter­vi­enne. C’est cela être réac­t­if et sou­ple… Pass­er du temps à se réu­nir pour échang­er et débat­tre est l’in­vestisse­ment le plus rentable que je con­naisse dans un con­texte instable ” ; 
  • ” Si je veux des acteurs impliqués fiers de ce qu’ils font, je dois d’abord les écouter puis les con­va­in­cre, jamais leur impos­er… Ils doivent croire à ce qu’ils font, sinon je ne décide pas ” ; 
  • ” Je ne paye pas mes col­lab­o­ra­teurs pour savoir s’ils savent faire des addi­tions (cf. les présen­ta­tions chiffrées). Ce qui m’in­téresse c’est qu’ils croient à ce qu’ils dis­ent, et qu’ils soient pas­sion­nés par ce qu’ils font… ” ; 
  • ” Je prends le temps de con­stru­ire avec cha­cun de mes col­lab­o­ra­teurs une rela­tion de con­fi­ance. Elle est dif­férente avec cha­cun mais c’est pour moi le seul moyen d’être sere­in après. Je n’ai plus besoin d’être au courant de ce qui se passe… “, etc. 


Nous savons par expéri­ence du coach­ing que chaque dirigeant est capa­ble de trou­ver ses pro­pres for­mu­la­tions. Pour y par­venir, la matière sur laque­lle inter­vient le coach est le réc­it du dirigeant et ses com­porte­ments. Le reste est une ques­tion d’ex­péri­ence, de calme et d’in­tu­ition. Pour exercer son méti­er le coach doit avoir lui-même con­nu une expéri­ence de développe­ment per­son­nel, être au clair quant à sa rela­tion au pou­voir et être ani­mé par l’en­vie de faire pro­gress­er et réus­sir les autres. 

Quant au proces­sus de coach­ing lui-même, il repose sur qua­tre ingrédients : 

  • l’en­vie du dirigeant de bouger sans laque­lle il ne peut y avoir de remise en cause et de tra­vail véritable, 
  • des sit­u­a­tions pro­fes­sion­nelles réelles sans lesquelles il n’y aura pas d’ob­jec­tif opéra­tionnel ni de pas­sage à l’acte, 
  • l’ap­ti­tude du coach à créer et gér­er une rela­tion de con­fi­ance dans la durée sans laque­lle le dirigeant ne s’ex­posera pas, 
  • la ges­tion d’un échange créatif sans lequel il n’y aura pas de développe­ment du dirigeant par lui-même (c’est la dif­férence essen­tielle avec le ” men­tor­ing ”).


L’é­coute, le ques­tion­nement et les relances du coach lors des ses­sions de tra­vail ont pour but de faire évoluer le regard du dirigeant sur la vision qu’il a de lui, de son envi­ron­nement et des autres. Ces trois change­ments de regard vont l’amen­er à libér­er des ressources en lui ou bien faciliter la libéra­tion des ressources dans son entourage. Quand le dirigeant dit claire­ment ce qu’il veut, qu’il y croit, qu’il sait com­ment agir et qu’il a décidé de sa façon de diriger, alors une grande par­tie du chemin est parcourue. 

À ce moment-là, le coach doit gér­er la pro­gres­sion du dirigeant comme celle d’un cham­pi­on pour main­tenir le rythme et le moral dans sa progression. 

En effet, ” Diriger en pleine maîtrise ” impose de laiss­er tomber cer­taines béquilles placées là aupar­a­vant par facil­ité ou pour se sécuriser. 

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* Return on equity.

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