Le CNES, propulseur d’innovation

Le CNES, dont Monsieur Lionel Suchet (X84) est le Directeur général délégué, continue de jouer un rôle crucial dans le développement de la stratégie spatiale française et européenne, en s’appuyant sur une tradition d’excellence et de collaboration internationale, et devient un indispensable pour stimuler l’innovation et favoriser de très nombreux domaines d’activités qui peuvent aujourd’hui grandement bénéficier de l’utilisation des données spatiales.
En tant que diplômé de Polytechnique, comment percevez-vous l’impact de votre formation sur votre carrière au CNES, notamment dans le développement de la stratégie spatiale française et européenne ?
Sortir de Polytechnique et intégrer le CNES, c’est un atout indéniable pour une carrière dans le spatial. À l’époque, les accords entre le CNES et la DGA limitaient l’accès direct, obligeant les polytechniciens à passer par la DGA, ce qui en faisait des candidats privilégiés pour des postes de responsabilité. Cette posture du CNES, bien que restrictive, offrait aux polytechniciens un avantage dès leur arrivée, les plaçant dans une position où ils étaient attendus comme futurs leaders. Ce statut, bien qu’il ne garantisse pas le succès de façon automatique, ce qui est une bonne chose, ouvre quand même des portes et donne une crédibilité immédiate, à condition de savoir en tirer parti. La formation généraliste de Polytechnique, qui couvre un large éventail de sujets techniques et stratégiques, est par ailleurs un atout majeur dans un domaine aussi dynamique et complexe que le spatial.
“Le CNES, avec sa double casquette d’agence spatiale et de centre technique, offre un
environnement unique où la stratégie et l’expertise technique se côtoient.”
Le CNES, avec sa double casquette d’agence spatiale et de centre technique, offre un environnement unique où la stratégie et l’expertise technique se côtoient. Cette culture technique forte, associée à la possibilité de collaborer avec des experts de niveau mondial, constitue une richesse inestimable pour un jeune ingénieur. Avec le bagage acquis à Polytechnique et à l’ISAE, j’ai pu pleinement profiter de cette immersion, enrichissant ma compréhension et mes compétences dans divers domaines du spatial.
Dans le cadre du 160e anniversaire de l’AX, quelles connexions et collaborations entre Polytechnique et le CNES ont été les plus marquantes selon vous ?
Quand j’étais à Polytechnique, le spatial était un sujet peu abordé ; aujourd’hui, il occupe une place prépondérante dans nos sociétés pour des raisons scientifiques, mais aussi économiques, sociétales et de défense. Cette évolution a ouvert de nouvelles opportunités, notamment grâce à la révolution numérique qui permet d’utiliser les données spatiales pour des services aussi variés que l’agriculture, la pêche, l’aménagement du territoire, la mobilité et même la santé. En fait, le spatial, autrefois dédié presque uniquement à la science, à la défense et aux télécommunications, s’étend désormais à presque tous les secteurs économiques. La France, leader en Europe dans le développement du spatial et particulièrement du spatial militaire, continue d’y jouer un rôle majeur à l’échelle mondiale.
À l’X, cette dynamique a été intégrée avec la création de clubs étudiants et d’une chaire « Espace : sciences et défis du spatial ». Cette chaire, montée et dirigée par Pascal Chabert depuis 2019, est une initiative remarquable qui reflète l’engagement de l’école dans le développement du secteur spatial. En partenariat avec le CNES, elle offre aux élèves une immersion dans l’écosystème spatial de Toulouse, un pôle majeur en Europe, ce qui leur permet de bénéficier de formations théoriques et de visites enrichissantes. Bien que limitée à une trentaine d’élèves, cette formation est essentielle et elle pourrait même être étendue sous forme de sensibilisation pour tous puisque connaître les potentialités du spatial est essentiel pour innover et progresser dans nombre d’autres domaines. L’école Polytechnique, avec le soutien du CNES, joue un rôle crucial dans cette sensibilisation, et il est impératif que ces efforts se poursuivent pour embrasser un public plus large.
L’X met l’accent sur l’innovation et l’excellence. Pourriez-vous partager quelques exemples de projets innovants au CNES qui illustrent cette philosophie, notamment ceux que vous avez supervisés ?
Innovation et excellence, des valeurs que l’on retrouve également au CNES. Depuis sa création en 1961, le CNES n’a cessé d’innover et de se distinguer sur la scène internationale. Et la liste des premières mondiales est longue ! Prenons par exemple la mission Planck lors de laquelle, dès 2009, un instrument français a capturé la première image de l’univers 380 000 ans après le Big Bang. Cette image, aussi émouvante que méconnue, a bouleversé la cosmologie en révélant une hétérogénéité inattendue de la matière.
Cinq ans plus tard, un petit robot franco-allemand réussit l’exploit de se poser sur le noyau de la comète Churyumov-Gerasimenko, y observant des molécules carbonées complexes potentiellement impliquées dans l’origine de la vie sur Terre. Sur les rovers martiens de la NASA, ce sont encore des instruments français qui révolutionnent les capacités d’exploration en permettant aux scientifiques de déterminer la composition atomique des roches sans que le rover ait besoin de venir au contact des éléments à analyser.
Dans un tout autre domaine, la constellation Kinéis, première constellation d’internet des objets depuis l’Espace, offre des applications variées et encore indéfinies, de la surveillance des forêts à la protection maritime contre la piraterie, jusqu’à l’analyse de déplacement des animaux marins, cruciale pour l’étude du changement climatique. Enfin, la France, leader européen en systèmes spatiaux de défense, développe des satellites d’observation, de télécommunication cryptée, d’écoute des signaux et maintenant d’action dans l’Espace. Le CNES, en collaboration avec la DGA, joue un rôle clé dans ces avancées, avec une participation notable des polytechniciens.
Avec l’évolution rapide du secteur spatial, quel rôle voyez-vous pour les futurs diplômés de Polytechnique dans l’orientation de ces domaines ?
L’éducation joue un rôle crucial pour l’avenir de nos sociétés et il est impératif de maintenir un haut niveau de capacité à penser et travailler selon une démarche scientifique. Les écoles d’excellence, comme Polytechnique, ont une responsabilité majeure dans ce domaine et ceci s’applique particulièrement au spatial. Souvent perçu comme réservé aux spécialistes, le spatial est maintenant un enjeu au quotidien pour tous, nécessitant une sensibilisation accrue des leaders industriels et gouvernementaux.
Par exemple, le satellite SWOT, lancé il y a deux ans, mesure avec précision la montée des mers mais aussi des stocks d’eau douce sur la planète, contribuant à notre compréhension du changement climatique et à un enjeu géostratégique majeur. Dans tous les secteurs, l’utilisation des données spatiales est essentielle et le sera encore plus demain. Ainsi, il est crucial que les futures générations soient préparées à intégrer ces outils dans leurs activités, pour progresser au-delà de ce qui est possible aujourd’hui.
En célébrant 160 ans de connexions et d’excellence, quel message aimeriez-vous transmettre aux alumni de Polytechnique concernant l’importance de la collaboration pour relever les défis futurs ?
Le spatial est un puissant outil de coopération internationale, une tradition que la France a cultivée depuis la création du CNES par le général de Gaulle. Dès ses débuts, la France a collaboré avec les États-Unis et l’URSS, devenant ainsi la troisième puissance mondiale à mettre en orbite ses satellites. J’ai eu le privilège de travailler au début de ma carrière sur les vols habités, un domaine enrichissant où la coopération internationale est cruciale.
À l’époque de la chute du mur de Berlin, nous avons pu accéder aux experts soviétiques qui travaillaient dans le domaine depuis Youri Gagarine, ce qui a grandement enrichi nos compétences en matière de vols spatiaux habités. Nous avons développé des partenariats avec les États-Unis, la Chine, l’Inde, le Japon, les EAU et près de cinquante pays dans le monde. Cette capacité à collaborer avec de très nombreux acteurs mondiaux est une richesse immense. La dimension internationale de l’école polytechnique s’est également renforcée, avec plus d’étudiants étrangers et des stages à l’étranger. Le spatial qui devient de plus en plus stratégique et compétitif doit aussi rester un puissant outil de coopération, inspirant les jeunes à bâtir des collaborations internationales pour un avenir meilleur.





