Serge Dautrif a créé la plateforme SynapsCore, qui utilise la puissance combinée de l’intelligence artificielle et de l’intelligence collective pour mettre en œuvre les grands projets de transformation des entreprises. Quelle est la valeur ajoutée de cet outil collaboratif ? Entretien.

« Le changement est une aventure collective »

Dossier : Vie des entreprises - Transformation numérique et intelligence artificielleMagazine N°805 Mai 2025
Par Serge DAUTRIF

Serge Dau­trif a créé la pla­te­forme Synaps­Core, qui uti­lise la puis­sance com­bi­née de l’intelligence arti­fi­cielle et de l’intelligence col­lec­tive pour mettre en œuvre les grands pro­jets de trans­for­ma­tion des entre­prises. Quelle est la valeur ajou­tée de cet outil col­la­bo­ra­tif ? Entretien.

Pouvez-vous présenter SynapsCore ?

Synaps­core est une socié­té fran­çaise qui édite des logi­ciels. Nous four­nis­sons aux consul­tants une pla­te­forme col­la­bo­ra­tive, dans laquelle ils vont trou­ver tous les outils dont ils ont besoin pour cadrer et mettre en œuvre les grands pro­jets de trans­for­ma­tion (réor­ga­ni­sa­tion, opti­mi­sa­tion des pro­ces­sus, inté­gra­tion, ces­sion d’actifs, etc.). Le prin­cipe de la pla­te­forme est d’utiliser l’intelligence arti­fi­cielle et en même temps de pou­voir mobi­li­ser très faci­le­ment l’ensemble des per­sonnes qui sont concer­nées par le changement.

“Le principe de la plateforme est d’utiliser l’intelligence artificielle et en même temps de pouvoir mobiliser très facilement l’ensemble des personnes qui sont concernées par le changement.”

Il est en effet essen­tiel de les impli­quer à toutes les étapes du pro­ces­sus de trans­for­ma­tion. D’abord, en leur deman­dant leur avis (est-ce qu’ils ont des idées, est-ce qu’ils ont des pro­blèmes ?) Ensuite, en leur don­nant accès aux ana­lyses pour qu’ils puissent se com­pa­rer entre eux, voir s’ils ont les mêmes idées, les mêmes pro­blèmes, qu’ils puissent en dis­cu­ter. On les mobi­lise aus­si dans le tri des prio­ri­tés, puisque la pla­te­forme génère des fiches d’opportunités qu’il faut trier. Et enfin, il s’agit de les invi­ter à pas­ser à l’action de façon décen­tra­li­sée le plus rapi­de­ment pos­sible, et de remon­ter les sujets qui sont plus struc­tu­rés vers les niveaux supé­rieurs de mana­ge­ment. Ce pro­ces­sus donne un grand atout aux consul­tants, parce qu’il per­met de divi­ser par 5 à 10 la durée et le coût des grands pro­jets de transformation.

Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Un consul­tant a une mis­sion de la part de Tech­nip pour réduire les acci­dents. Grâce à notre pla­te­forme, il va pou­voir embar­quer 20 000 per­sonnes dans le monde pour faire un diag­nos­tic sur les acci­dents en une semaine. Ensuite, il mobi­li­se­ra 2 000 per­sonnes dans le monde pour trier toutes les idées. Et enfin ce consul­tant pour­ra impli­quer plu­sieurs mil­liers de per­sonnes pour mettre en place des actions très rapi­de­ment. C’est un cas concret.

La valeur ajou­tée essen­tielle de l’intelligence arti­fi­cielle, c’est de réduire dras­ti­que­ment la durée et le coût du chan­ge­ment. Si vous deman­dez à 10 000 per­sonnes de pro­po­ser des idées, sans intel­li­gence arti­fi­cielle, il est impos­sible de les ana­ly­ser, les trier, les syn­thé­ti­ser, etc. Avec l’IA, c’est pos­sible. Par consé­quent, ce qui pre­nait aupa­ra­vant des semaines, des mois, va prendre quelques heures aujourd’hui. Le résul­tat, c’est une capa­ci­té d’accélération extrê­me­ment forte. Et ce gain per­met aux entre­prises de s’adapter beau­coup plus rapi­de­ment lorsque sur­viennent des oppor­tu­ni­tés de mar­ché, des menaces, un chan­ge­ment régle­men­taire, une crise Covid, une fer­me­ture de fron­tières, un trem­ble­ment de terre, etc. D’un seul coup, les entre­prises ont besoin d’ajuster leur sup­ply chain, leurs achats, etc. Grâce à l’IA, elles peuvent le faire en quelques heures.

“La valeur ajoutée essentielle de l’intelligence artificielle, c’est de réduire drastiquement la durée et le coût du changement.”

Je vais vous don­ner un autre exemple. EGIS est un groupe d’ingénierie et de construc­tion fran­çais, qui emploie envi­ron 13 000 per­sonnes dans une tren­taine de pays. Ils avaient besoin d’améliorer rapi­de­ment leur ren­ta­bi­li­té. Et ils ont impli­qué l’ensemble des col­la­bo­ra­teurs en leur deman­dant de pro­po­ser des idées pour sim­pli­fier les pro­ces­sus, leur façon de tra­vailler. Ils ont posé aux col­la­bo­ra­teurs les ques­tions sui­vantes : qu’est-ce qui vous fait perdre du temps au quo­ti­dien ? À quoi consa­crez-vous du temps et dont vous ne voyez pas la valeur ajoutée ?

6500 per­sonnes ont pro­po­sé en une semaine 20 000 idées, qui ont été triées en 15 jours, et qui ont don­né lieu à des actions. 80 % de ces actions ont été ache­vées en trois mois. La ren­ta­bi­li­té a été amé­lio­rée de 2 % sur une base­line d’un mil­liard d’euros de CA.

Une application au niveau des politiques publiques est-elle envisageable ?

Sou­ve­nez-vous du « grand débat natio­nal, lan­cé par le pré­sident de la Répu­blique en 2019 dans le contexte du mou­ve­ment des Gilets jaunes. L’IA aurait com­plè­te­ment chan­gé la ges­tion de ce dis­po­si­tif. Elle aurait per­mis de remon­ter au niveau natio­nal les sujets vrai­ment struc­tu­rants, et de lais­ser au niveau local ce qui per­met d’être géré à cette échelle. Si j’ai un pro­blème avec ma crèche, et qu’on est plu­sieurs dans la com­mune à avoir des pro­blèmes de crèche, le mieux est cer­tai­ne­ment d’essayer d’identifier tout ce qu’on peut faire localement.

D’autre part, toutes les per­sonnes impli­quées auraient été ame­nées à agir rapi­de­ment, à tous les niveaux. Mais les ques­tions ont été posées de manière à pro­duire des réponses qui n’engageaient pas réel­le­ment à l’action. Et au lieu de ren­for­cer la qua­li­té de la rela­tion entre l’exécutif et la base, le pro­ces­sus les a davan­tage pola­ri­sés. Mal­heu­reu­se­ment, cette approche très cen­tra­li­sante est clas­sique en France. Il aurait fal­lu au contraire se regrou­per dans la réflexion et dans l’action au ser­vice d’une démarche de pro­grès rapide.

Grâce à l’IA, la complexité n’est plus un obstacle ?

On peut voir la com­plexi­té à tra­vers trois dimen­sions. Il y a d’abord un axe ver­ti­cal, c’est-à-dire entre l’exécutif et le ter­rain. Mais elle existe aus­si hori­zon­ta­le­ment. Pre­nons à nou­veau l’exemple du grand débat. Sup­po­sons que l’on constate un pro­blème de col­lecte des déchets dans notre ville, et que, dans la ville d’à côté, le même pro­blème existe. Com­ment arri­ver à iden­ti­fier les pro­blèmes com­muns ? Pas­ser par l’échelon de la région ou des dépar­te­ments n’est pas néces­sai­re­ment une bonne solu­tion. Uti­li­ser l’IA per­met de décloi­son­ner hori­zon­ta­le­ment par géo­gra­phie, par fonc­tion, par métier, etc. pour déter­mi­ner les solu­tions qui peuvent être déployées à plus grande échelle.

Le troi­sième élé­ment est l’aspect tem­po­rel. Com­ment trou­ver une cohé­rence dans la réflexion et dans l’action à court, moyen, et long terme ? Et réci­pro­que­ment, com­ment décli­ner une vision à long terme en actions court terme ?

Or, les entre­prises qui uti­lisent notre pla­te­forme vont mobi­li­ser immé­dia­te­ment quelques cen­taines, quelques mil­liers, quelques dizaines de mil­liers de col­la­bo­ra­teurs. Dans le sec­teur poli­tique, ces volumes seront encore supé­rieurs : quelques cen­taines de mil­liers ou plu­sieurs mil­lions. Sans une tech­no­lo­gie pré­vue à cet effet, il n’est pas pos­sible de gérer le volume et la com­plexi­té dans ces trois dimen­sions, ver­ti­cale, hori­zon­tale et temporelle.

Constatez-vous des résistances de la part des entreprises à l’égard de ces solutions ?

Il y a des résis­tances des entre­prises sur l’intelligence col­lec­tive aug­men­tée, pour plu­sieurs rai­sons. D’abord, pour que cette intel­li­gence fonc­tionne, il faut un cer­tain degré de trans­pa­rence. Et pour avoir cette trans­pa­rence, il faut de la confiance et de l’humilité. Or, ce ne sont pas des qua­li­tés tou­jours très répan­dues dans les entreprises.

D’autre part, il ne faut pas oublier que nous sommes dans une période d’hyper-changement, et de crises per­ma­nentes. De ce fait, de nom­breux diri­geants ont un peu aban­don­né le ter­rain de la pros­pec­tive et de la vision au pro­fit de l’agilité, de la réac­ti­vi­té, etc. Mais être agile et avoir une vision, ce n’est pas du tout incom­pa­tible ! Au contraire, c’est par­fai­te­ment com­plé­men­taire. Je vais prendre l’exemple de la voile. Quand on veut aller d’un port à un autre, il faut avoir un cap. Mais par­fois le vent change et il faut être vigi­lant, agile, chan­ger de bord.

Par ailleurs, les diri­geants sont absor­bés par le quo­ti­dien, la pres­sion de la bourse. Ce regard exclu­si­ve­ment finan­cier enraye le bon fonc­tion­ne­ment des pro­ces­sus de pla­ni­fi­ca­tion stra­té­gique. Vou­loir aug­men­ter la ren­ta­bi­li­té de X %, ce n’est pas de la stra­té­gie. Vou­loir réduire l’inflation, ce n’est pas de la stra­té­gie. La stra­té­gie pose la ques­tion de l’avenir. C’est vrai aus­si à un niveau poli­tique : qu’est-ce qu’on veut faire de la France ? Qu’est-ce qu’on veut faire de l’Europe pour les 15, 25, 50 ans qui viennent ? Ce sont les ques­tions fon­da­men­tales. Le chan­ge­ment est une aven­ture col­lec­tive. Sans vision com­mune, on ne peut pas emme­ner ses col­la­bo­ra­teurs. Il faut faire rêver, don­ner envie de l’avenir !

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