Quelques échelles d’observation d’un résineux

Le bois, écomatrériau par excellence

Dossier : Le boisMagazine N°578 Octobre 2002Par Francis CAILLIEZ (60)
Par Joseph GRIL (78)
Par Bernard THIBAUT (68)

Un matériau naturel très variable

Un matériau naturel très variable

Les car­ac­téris­tiques du bois sont très vari­ables car il provient d’un être vivant : deux arbres de la même espèce fab­riquent des bois dif­férents car un arbre est unique en ce sens qu’il est l’ex­pres­sion d’un pat­ri­moine géné­tique dans un milieu (sol, cli­mat) et que ce pat­ri­moine et ce milieu sont pro­pres à cet arbre. De plus, au sein d’un même arbre, la nature du bois fab­riqué varie au cours de la sai­son de végé­ta­tion et deux pièces de même géométrie que l’on en extrait peu­vent avoir des pro­priétés assez dif­férentes si leur bois n’a pas été fab­riqué pen­dant les mêmes années.

À ces vari­abil­ités ” intra-arbre ” et ” inter-arbres ” du bois d’une même espèce s’a­joute l’énorme diver­sité des espèces : on éval­ue à env­i­ron 30 000 le nom­bre de celles qui pro­duisent du bois et à 500 celui des espèces com­mer­cial­isées pour le bois (à ce matéri­au qui provient des arbres, il faut ajouter ceux sem­blables provenant des palmiers, des bam­bous, de lianes telles que le rotin, etc.). Les hommes ont su très tôt tir­er prof­it de chaque niveau de cette vari­abil­ité naturelle et ils la diver­si­fient sans cesse par dif­férents moyens -, la créa­tion de var­iétés, le trans­fert d’e­spèces en dehors de leur aire d’o­rig­ine, la con­duite du développe­ment des arbres (sylvi­cul­ture) -, de sorte que par­ler du matéri­au bois est en réal­ité très sim­plifi­ca­teur tant est large le spec­tre des essences qui for­ment la grande classe de matéri­aux que con­stituent les bois.

Leurs pro­priétés de base peu­vent vari­er autant entre les extrêmes qu’au sein de l’ensem­ble des métaux et alliages : par exem­ple, la den­sité du bois (masse volu­mique rap­portée à celle de l’eau) passe de 0,1 (bal­sa d’Amérique latine et des Caraïbes) à 1,3 (amourette de Guyane) et celle des métaux de 2,4 (alu­mini­um) à 21,4 (pla­tine).

Un matériau étonnamment moderne

Con­traire­ment à la métal­lurgie qui fait beau­coup appel à des tech­niques comme la cristal­lo­gra­phie pour l’analyse de la struc­ture des métaux, l’ob­ser­va­tion et l’é­tude du bois relèvent de l’anatomie, dis­ci­pline plutôt pra­tiquée dans les sci­ences du vivant.

Aujour­d’hui, les dif­férences s’at­ténu­ent beau­coup dès qu’il s’ag­it de pro­gress­er dans la con­nais­sance intime des matéri­aux avec l’usage général­isé des out­ils d’in­ves­ti­ga­tion tels que le micro­scope élec­tron­ique, le micro­scope à force atom­ique, la dif­fu­sion ou la dif­frac­tion X (fig­ure 1), les imageries ultra­sonores ou la réso­nance mag­né­tique nucléaire.

Fig­ure 1

Quelques échelles d’observation d’un résineux.

À gauche : vol­ume élé­men­taire représen­tatif du bois matéri­au, con­tenant un nom­bre suff­isant de cernes annuels et assez éloigné de la moelle pour que l’on puisse nég­liger leur cour­bu­re (échelle de quelques mil­limètres pour un cerne).
Au cen­tre : échelle micro­scopique faisant appa­raître la struc­ture en nid‑d’abeilles (échelle de quelques dizaines de micromètres pour les diamètres d’une alvéole).
À droite : ultra­struc­ture par­ié­tale mon­trant la struc­ture mul­ti­couche d’une paroi cel­lu­laire, chaque sous-couche étant car­ac­térisée par des ren­force­ments de cel­lu­lose cristalline ori­en­tés dif­férem­ment (échelle de quelques dizaines de nanomètres pour les nanofi­bres élé­men­taires ou “ microfibrilles ”).


En pas­sant de l’échelle de la sim­ple loupe à grossisse­ment 10 jusqu’aux échelles de la dizaine de nanomètres, le bois révèle des choix d’élab­o­ra­tion qui sont ceux des matéri­aux les plus avancés d’aujourd’hui.

C’est d’abord une espèce de nid- d’abeilles tridi­men­sion­nel très per­fec­tion­né où la nature s’est éver­tuée à jouer à l’in­fi­ni avec quelques élé­ments de base (fibres, vais­seaux, parenchymes) dont la géométrie et la porosité peu­vent vari­er dans de très larges pro­por­tions. Chaque essence de bois (cor­re­spon­dant générale­ment à une espèce végé­tale) est ain­si dotée d’un sché­ma d’or­gan­i­sa­tion qui lui est pro­pre (plan ligneux) et qui per­met au spé­cial­iste de l’i­den­ti­fi­er par­mi plusieurs mil­liers d’autres (fig­ure 2).

Fig­ure 2
Organisation du bois en type nid-d’abeilles

Organ­i­sa­tion de type nid‑d’abeilles pour un bois feuil­lu présen­tant une asso­ci­a­tion d’éléments de grand diamètre ( ≈ 200 μm) et de petit diamètre ( ≈ 30 μm) avec des épais­seurs de paroi variables.

Ce choix d’élab­o­ra­tion per­met de dis­pos­er d’un très bon rap­port entre pro­priétés mécaniques et quan­tité de matière utilisée.

Les parois des alvéoles de ce nid- d’abeilles sont à leur tour des com­pos­ites à fibre présen­tant un astu­cieux nap­page en couch­es suc­ces­sives avec des ori­en­ta­tions croisées des fibres per­me­t­tant d’obtenir une très grande résis­tance par unité de masse dans la direc­tion prin­ci­pale de charge­ment pour l’ar­bre ou pour les poutres que nous en tirons.

L’échelle élé­men­taire de ce réseau n’est que de quelques dizaines de nanomètres comme dans les matéri­aux dits ” nanos­truc­turés ” objets de développe­ments actuels.

Le bois est une mémoire

L’his­toire de l’ar­bre est inscrite dans son bois. Les nœuds rap­pel­lent les branch­es qui ren­seignent elles-mêmes sur le passé du voisi­nage de l’ar­bre et les vari­a­tions de fil du bois qu’ils entraî­nent se traduisent par des ondu­la­tions sur les faces des débits (fig­ure 3). Les frac­tures et les fentes sig­na­lent les fortes con­traintes internes liées à des épisodes cli­ma­tiques vio­lents (foudre, gel, coups de vent…).

La cica­tri­sa­tion des blessures dues aux ani­maux (écorçages et frot­tis…) et aux insectes et champignons laisse des traces divers­es (poches de résine, col­orations par­ti­c­ulières…). Ces sin­gu­lar­ités et altéra­tions dépré­cient sou­vent le bois mais cer­taines per­me­t­tent de le val­oris­er (ébénis­terie, lutherie…).

Un matériau vertueux et doué

Comme chaque grande classe de matéri­aux, les bois ont des atouts qui ont été déter­mi­nants à cer­taines épo­ques ou pour cer­tains usages et des hand­i­caps qui l’ont fait régress­er dans d’autres.

Dans cer­tains cas les atouts devi­en­nent des hand­i­caps avec les évo­lu­tions de la société : le plus bel exem­ple est l’ap­ti­tude extra­or­di­naire du bois à être tra­vail­lé avec très peu de puis­sance (ou d’én­ergie), mais beau­coup de matière grise. C’é­tait le matéri­au uni­versel de l’époque préin­dus­trielle avec la myr­i­ade de métiers du bois basés sur l’u­til­i­sa­tion d’outils à mains tels que sci­es, ciseaux à bois, rabots et gouges…

C’est devenu la bête noire des indus­tries où l’én­ergie est gra­tu­ite et la main-d’œu­vre qual­i­fiée trop chère et où il faut ban­nir la vari­abil­ité pour sat­is­faire la robo­t­i­sa­tion. Mais c’est à nou­veau le chou­chou du bricoleur, pour qui le hob­by est pas­sion et le temps n’est plus de l’argent.

Les atouts peu­vent être classés en deux grandes catégories.

Fig­ure 3
Relation entre le tronc et une branche, origine des noeuds dans le bois.

Rela­tion entre le tronc et une branche, orig­ine des noeuds dans le bois. PHOTO B. CHANSON

Les atouts socié­taux sont aujour­d’hui évi­dents et sont évo­qués aus­si dans d’autres arti­cles de ce numéro. Il s’ag­it de l’im­pact très posi­tif sur le bilan car­bone de notre atmo­sphère, du bilan envi­ron­nemen­tal et énergé­tique très favor­able pour le bois, matéri­au indéfin­i­ment renou­ve­lable dans le cas d’une saine ges­tion de la forêt (n’ou­blions pas que l’u­sine à bois, c’est la forêt), ou de l’im­pact sur l’amé­nage­ment du ter­ri­toire du mail­lage des indus­tries du bois et de leur apti­tude à rester un secteur de main-d’œuvre.

Les atouts tech­niques sont indé­ni­ables aus­si pour qui se préoc­cupe de la sélec­tion de matéri­aux pour la con­cep­tion de divers pro­duits. Ils découlent de la longue marche d’in­ven­tion de la nature pour trou­ver le matéri­au apte à résoudre des prob­lèmes de mécanique des struc­tures qui sont loin d’être triv­i­aux ; un arbre parvient en effet à éla­bor­er puis main­tenir pen­dant des siè­cles con­tre vents, pluie et neige une archi­tec­ture très auda­cieuse : songeons en effet à un arbre ayant un vol­ume de houp­pi­er de 3 000 m3 à 8 000 m3 et un tronc de 50 à 100 mètres de haut, saurait-on con­stru­ire de façon plus per­for­mante un édi­fice ayant de telles résis­tances mécaniques ?

De tous les matéri­aux de struc­ture uni­versels, les bois sont les plus légers. Ils ont des per­for­mances en ter­mes de ratio résis­tance mécanique sur poids com­pa­ra­bles aux com­pos­ites à fibre per­for­mants d’au­jour­d’hui et aucun matéri­au n’a encore mon­tré une meilleure résis­tance à la fatigue mécanique (atavisme). Comme tous les matéri­aux poreux, ils offrent de bonnes solu­tions d’iso­la­tion ther­mique auto­por­tantes. Leur capac­ité à se met­tre en équili­bre avec l’hu­mid­ité de l’air en fait aus­si d’ex­cel­lents régu­la­teurs d’am­biance, ce qui explique leur suc­cès jamais démen­ti en amé­nage­ment intérieur des loge­ments. Ils sont insen­si­bles à la cor­ro­sion, surtout la cor­ro­sion acide, ce qui explique aus­si leur suc­cès dans les bâti­ments d’élevage…

Enfin, pour des raisons dif­fi­ciles à quan­ti­fi­er pour le sci­en­tifique, ils con­stituent sans doute la classe de matéri­aux la plus ” douée ” pour les métiers de l’art : musique, sculp­ture, arts déco­rat­ifs, ébénis­terie, peut-être aus­si parce que si la vari­abil­ité extrême des bois dés­espère l’in­dus­trie mod­erne, de l’u­ni­for­mité naît l’ennui.

Cepen­dant, l’in­dus­trie du bois ne résiste pas tou­jours bien à ses con­cur­rents et par­mi les nom­breuses raisons qui l’ex­pliquent, il en existe qui sont dues au matéri­au lui-même car le bois a des fragilités qu’il faut savoir maîtriser.

Durabilité et préservation

Une fois l’ar­bre abat­tu, le bois frais est exposé à l’at­taque d’a­gents biologiques et il en est de même au cours des phas­es suc­ces­sives de débit et de mise en œuvre. La plu­part des bois sont durables quand ils sont immergés ou, à l’in­verse, placés dans une atmo­sphère très sèche, leur durée de vie se mesure alors en siè­cles. Mais tous les bois craig­nent à des degrés divers une humid­ité inter­mit­tente asso­ciée à une mau­vaise ven­ti­la­tion car ces con­di­tions sont par­ti­c­ulière­ment favor­ables aux champignons ou ter­mites qui attaque­nt le bois.

La capac­ité du bois à tra­vers­er avec suc­cès ces épreuves qual­i­fie sa dura­bil­ité naturelle qui est très vari­able entre les espèces. Elle dépend surtout des com­posés chim­iques sec­ondaires pro­duits lors du pas­sage de l’aubier au bois par­fait, qui déter­mi­nent aus­si la plu­part des pro­priétés sen­sorielles du bois (couleur, odeur, saveur…). Placés dans des con­di­tions très dif­fi­ciles, par exem­ple au con­tact du sol comme une tra­verse de chemin de fer, cer­tains bois sont forte­ment attaqués en moins d’un an alors que d’autres peu­vent tenir jusqu’à 50 ans.

On peut pro­téger le bois avec des pro­duits insec­ti­cides et fongi­cides où les principes act­ifs sont le cuiv­re, le chrome, le bore, le flu­or et l’arsenic ou de nom­breuses molécules organiques. Les procédés d’ap­pli­ca­tion sont nom­breux, à sec ou en solu­tion, par trem­page ou injec­tion en auto­clave sous vide et pres­sion. Cette indus­trie de la préser­va­tion est très régle­men­tée du fait de la tox­i­c­ité des pro­duits (cuiv­re et arsenic surtout).

Les prin­ci­paux domaines actuels de la recherche indus­trielle sont la dif­fu­sion de ces pro­duits dans le sol, l’air et l’eau, et l’é­tude de pro­duits et de méth­odes d’ap­pli­ca­tion moins dan­gereux pour l’en­vi­ron­nement et la san­té : util­i­sa­tion d’ex­tractibles naturels présents dans les essences durables (huiles essen­tielles aux pro­priétés antibi­o­tiques, tan­nins, quinones du teck…), explo­ration des méth­odes biologiques (ex : util­i­sa­tion de souch­es de champignons entrant en com­péti­tion avec les champignons de bleuisse­ment), ou incor­po­ra­tion de bio­cides dans les pro­duits de revête­ment (ver­nis, pein­tures, lasures).

La pro­tec­tion chim­ique du bois ne dis­pense évidem­ment jamais de pren­dre des pré­cau­tions dans les tech­niques con­struc­tives, notam­ment en ce qui con­cerne les assem­blages (bois/bois, bois/métal…) et le con­tact avec l’eau. Quand il doit être détru­it, le bois traité peut par­tir dans la fil­ière énergie mais il y néces­site une inc­inéra­tion spé­ciale pour fil­tr­er les sels métalliques.

Si la pro­tec­tion chim­ique est actuelle­ment dom­i­nante, la voie ther­mochim­ique pro­gresse : le bois réti­fié est pro­duit par chauffage aux alen­tours de 250 °C en atmo­sphère et pres­sion con­trôlées, et il existe des procédés à des tem­péra­tures plus élevées. Le bois réti­fié est stéril­isé et con­tient des inhib­i­teurs d’a­gents biologiques de dégra­da­tion, il est aus­si moins hygro­scopique et donc de meilleure sta­bil­ité dimen­sion­nelle ; par con­tre, il devient plus cassant.

Solidité et sensibilité

Fig­ure 4
Influence de la densité sur les propriétés mécaniques du bois

Influ­ence de la den­sité sur les pro­priétés mécaniques (source : CIRAD-Forêt).
Ici elle explique 85% des vari­a­tions de résis­tance à la com­pres­sion d’échantillons de bois sans défauts

Fig­ure 5
Influence de la densité sur le retrait volumique du bois

Influ­ence de la den­sité sur le retrait volu­mique du bois (source : CIRAD-Forêt).br /> Ici elle n’explique que 26 % des vari­a­tions de retrait total au séchage en rai­son notam­ment d’un nom­bre assez impor­tant de bois très dens­es à faible retrait, par­ti­c­ulière­ment intéres­sant pour cer­tains usages.

Un bois lourd est pré­sumé solide, c’est glob­ale­ment vrai, la den­sité d’un bois est en effet sa car­ac­téris­tique physique majeure car elle prédit assez bien ses pro­priétés mécaniques : dureté, résis­tance à la flex­ion, à la trac­tion, à la com­pres­sion, au cisaille­ment, au choc… (fig­ure 4).

La den­sité reflète la masse de bois con­tenue dans un vol­ume de bois uni­taire. Mais le bois con­tient de l’eau sous deux formes : l’eau libre (c’est celle qui s’é­va­pore naturelle­ment car elle rem­plit le vide des cel­lules) et l’eau liée aux parois des cel­lules. La den­sité du bois varie donc avec son taux d’hu­mid­ité. Ce dernier, défi­ni par le rap­port entre le poids d’eau et la masse du bois sec, est égal à 0 % pour le bois anhy­dre, il est de l’or­dre de 30 % quand toute l’eau libre est par­tie et qu’il ne reste que l’eau liée et il peut dépass­er large­ment 100 % dans un bois très poreux com­plète­ment sat­uré d’eau.

On utilise le plus sou­vent comme den­sité de référence celle du bois à 12 % d’hu­mid­ité qui per­met de définir des types de bois allant de ” très léger ” (moins de 0,3) à ” très lourd ” (plus de 0,9). Cer­tains dépassent 1,2 et beau­coup ne flot­tent pas (den­sité supérieure à 1). Cette den­sité de référence n’est pas con­stante dans une même espèce car elle dépend de nom­breux paramètres liés à la géné­tique ou l’his­toire de l’ar­bre (vitesse de crois­sance par exem­ple). C’est ain­si que la den­sité du chêne peut vari­er de 0,55 à 0,85.

Après la den­sité, la deux­ième grande car­ac­téris­tique physique du bois est sa rétractibil­ité qui qual­i­fie les change­ments de vol­ume et de dimen­sions des pièces liés aux vari­a­tions de leur taux d’hu­mid­ité, lequel dépend de l’am­biance dans laque­lle il se trou­ve. Le bois ” joue ” ou ” tra­vaille ” et les pièces se défor­ment car les vari­a­tions dimen­sion­nelles sont anisotropes.

Il faut donc manip­uler le taux d’hu­mid­ité du bois tout au long de la chaîne de trans­for­ma­tion de façon que les retraits s’ef­fectuent suff­isam­ment lente­ment pour ne pas provo­quer de fentes, d’où l’im­por­tance du séchage ini­tial pour pass­er de l’é­tat vert à l’é­tat d’équili­bre avec le milieu ambiant.

La rétractabil­ité aug­mente en moyenne avec la den­sité du bois mais la cor­réla­tion est beau­coup plus faible qu’en­tre den­sité et pro­priétés mécaniques (fig­ure 5).

Il existe des bois très dens­es et très sta­bles comme l’ipé du Brésil. On dit sou­vent que ce car­ac­tère syn­thé­tise assez bien la notion de ” sen­si­bil­ité ” du bois. Lui aus­si dépend forte­ment des molécules sec­ondaires présentes dans le bois et la sta­bil­ité dimen­sion­nelle peut être améliorée sen­si­ble­ment par des traite­ments chim­iques dans la masse, out­re les traite­ments ther­miques déjà mentionnés.

Conductibilités

Le bois est un bon isolant élec­trique surtout quand il est sec. Dans l’in­dus­trie élec­trique par exem­ple, les instal­la­tions et équipements de basse ten­sion le met­tent en œuvre après pro­tec­tion (ver­nis, imprég­na­tion…) pour qu’il ne reprenne pas d’hu­mid­ité. La vari­a­tion très forte de la con­ductibil­ité (de 1017 ohm-cm pour le bois anhy­dre à 105 ohm-cm pour le bois à 30 % d’hu­mid­ité) est util­isée couram­ment dans les appareils per­me­t­tant de mesur­er cette humidité.

Le bois con­duit mal la chaleur ; sa con­ductibil­ité dépend surtout de sa den­sité, de la direc­tion de la trans­mis­sion et elle aug­mente très vite avec le taux d’hu­mid­ité. Le bois est donc un très bon isolant, surtout s’il est sec et que la chaleur arrive orthog­o­nale­ment aux fibres. Dans ce cas, un bois de résineux est par exem­ple 8 fois plus isolant que le béton (rap­port des coef­fi­cients de con­ductibil­ité ther­mique). Les bois légers sont en moyenne les plus isolants car ils con­ti­en­nent plus d’air qui est moins con­duc­teur que la matière ligneuse pro­pre­ment dite. Ce pou­voir isolant est un atout dans cer­tains secteurs comme l’in­dus­trie du froid et surtout celle du bâti­ment où il offre de bonnes solu­tions d’iso­la­tion sans pont thermique.

Quand la tem­péra­ture aug­mente forte­ment, le bois sèche mais il ne perd qua­si­ment pas ses pro­priétés mécaniques jusqu’à près de 300 °C. Au-delà il com­mence à se trans­former en char­bon en dégageant des gaz qui s’en­flam­ment rapi­de­ment. C’est tou­jours un bon com­bustible avec un pou­voir calori­fique voisin de 4 500 kcal/kg de matière sèche. Du fait de son bon pou­voir isolant ren­for­cé encore dans les zones qui ont com­mencé à ” char­bon­ner “, une poutre mas­sive en bois con­tin­ue tou­jours à résis­ter en pro­por­tion de l’in­er­tie résidu­elle qui dimin­ue douce­ment pen­dant l’in­cendie. Ceci explique pourquoi les pom­piers préfèrent les char­p­entes mas­sives en bois aux struc­tures aci­er ou béton car le temps d’in­ter­ven­tion sécurisé est plus long.

L’avenir : bois homogénéisés et matériaux composites

Dans l’in­dus­trie, le bois mas­sif reste util­isé comme bois rond (poteaux, mobili­er urbain…) mais il est surtout frag­men­té par sci­age, tran­chage, déroulage, déchi­que­tage et, comme pour tout matéri­au, il s’ag­it alors de trou­ver de bonnes straté­gies pour opti­miser le ren­de­ment matière, le coût énergé­tique de la trans­for­ma­tion, la fia­bil­ité (con­stance des pro­priétés physiques et mécaniques), la sou­p­lesse d’emploi.

Dans les sci­eries mod­ernes automa­tisées à haut débit, on relève en temps réel avant sci­age (cap­teurs, caméras, scan­ners) la géométrie et les défauts externes de la grume pour opti­miser la posi­tion du trait de scie et les retourne­ments de la bille. Aus­sitôt après sci­age, les pièces sont classées par des machines qui font appel à dif­férentes méth­odes (mécaniques, vibra­toires, micro-ondes, ultra­sons). Les normes de classe­ment sont établies à l’is­sue de longues dis­cus­sions inter­na­tionales où chaque parte­naire s’at­tache à ne pas pénalis­er sa ressource. Les pays de l’Eu­rope moyenne comme la France y ont fort à faire car leurs forêts con­ti­en­nent beau­coup plus d’e­spèces que les forêts nordiques de Scan­di­navie, du Cana­da et de la Russie.

Pour élargir la gamme des pos­si­bil­ités du bois mas­sif et pour mieux cor­riger ses faib­less­es, il faut pou­voir pro­duire des pièces très longues ou courbes, très plates (pan­neaux) ou com­pliquées (pièces moulées, extrudées…).

Des tech­niques dont les prémices sont par­fois très anci­ennes con­sis­tent à assem­bler des élé­ments de bois entre eux ou à d’autres matériaux.

Les inno­va­tions indus­trielles sont per­ma­nentes et don­nent lieu à une très grande var­iété de pro­duits qui com­bi­nent la géométrie des élé­ments assem­blés (bois scié, déroulé ou tranché, copeaux, fibres, sci­ure…), le mode d’assem­blage (col­lage, aboutage), le type de bois (espèces pures ou en mélange), l’in­cor­po­ra­tion d’autres matéri­aux (fibres syn­thé­tiques, pailles ou autres matières végé­tales, ciment, plâtre, polymères, métaux…), les adju­vants (ignifuges, anti-UV, biocides…).

On range ces pro­duits dans de grandes caté­gories désignées de façon à ren­seign­er sur leur con­sti­tu­tion : lamel­lé-col­lé, pan­neau lat­té, pan­neau con­tre­plaqué, pan­neau de par­tic­ules, pan­neau de fibres, bois bakélisé, bois-ciment, bois-car­bone…, mais ils ne sont sou­vent com­mer­cial­isés que sous des noms de mar­ques qui ren­seignent peu sur leur nature pré­cise. Les meilleures per­spec­tives d’avenir du matéri­au bois se situent assuré­ment dans toute cette gamme qui va du bois mas­sif recon­sti­tué aux matéri­aux com­pos­ites con­tenant du bois (voir l’ar­ti­cle de Daniel Guinard).

Quand la biodiversité rejoint la flexibilité

La vari­abil­ité au sens large est prob­a­ble­ment le hand­i­cap majeur pour le bois dans sa com­péti­tion avec les autres matéri­aux indus­triels. Elle est la tra­duc­tion directe de la bio­di­ver­sité : diver­sité des espèces, diver­sité géné­tique au sein d’une espèce, diver­sité his­torique durant la vie de l’ar­bre qui s’adapte à son environnement.

Aujour­d’hui le main­tien de la bio­di­ver­sité est devenu un cre­do des sociétés des pays indus­tri­al­isés. Cela sig­ni­fie que la ten­dance qui sem­blait inéluctable et lourde de rem­plac­er les forêts naturelles par des plan­ta­tions améliorées géné­tique­ment (voire clonées) restera lim­itée à cer­tains espaces. Une bonne par­tie de la ressource en bois provien­dra donc tou­jours de forêts où le mélange des essences est la règle (jusqu’à plus de 200 essences arborées dif­férentes dans un hectare de forêt trop­i­cale guyanaise).

Par ailleurs, il est devenu tout à fait courant dans les indus­tries util­isatri­ces de matéri­aux et chez les con­cep­teurs de jon­gler avec des mil­liers de références ren­voy­ant à des bases de don­nées de pro­priétés, usages, prix, disponibilité…

Les out­ils infor­ma­tisés de sélec­tion des matéri­aux et de con­cep­tion de com­posants per­me­t­tent une réac­tiv­ité et une créa­tiv­ité qui rap­pel­lent celles des arti­sans du bois d’antan.

Il y a donc une révo­lu­tion qui n’est pas encore faite dans le monde du bois. Il paraît de plus en plus indis­pens­able de dépass­er le cou­ple ” essence de bois + expéri­ence de l’ar­ti­san ” par le tan­dem ” fiche tech­nique de la pièce de bois con­sid­érée (réper­toriée dans une base de don­nées) + exper­tise de l’ingénieur con­cep­teur (ou de l’ar­ti­san mod­erne) “. Cela per­me­t­trait de résoudre un dou­ble prob­lème de traça­bil­ité à l’or­dre du jour : traça­bil­ité écologique (orig­ine, ges­tion forestière, traite­ment par des pes­ti­cides) et traça­bil­ité tech­nique (den­sité, mod­ule, dura­bil­ité, sta­bil­ité dimen­sion­nelle, couleur…).

Les util­isa­teurs et con­cep­teurs de nou­veaux com­posants et pro­duits pour­raient ain­si soit utilis­er indif­férem­ment un nom­bre impor­tant d’essences dif­férentes pour un même usage pourvu que la fiche tech­nique des pièces de bois util­isées réponde au cahi­er des charges, soit opti­miser leur util­i­sa­tion dans des objets (du pan­neau sand­wich à la con­struc­tion de bâti­ment) où le ” bon bois ” serait util­isé au ” bon endroit ” en fonc­tion de ses atouts.

Cela sup­pose un tra­vail con­sid­érable pour que les bases de don­nées sur les bois et les sys­tèmes de mar­quage des pièces élé­men­taires de bois (planch­es, poutres, placages…) se rap­prochent de ce qui se fait aujour­d’hui pour beau­coup d’autres matériaux.

Formation supérieure et recherche scientifique

L’en­seigne­ment supérieur sur le bois est dis­pen­sé dans trois écoles d’ingénieurs, l’É­cole supérieure du Bois (Nantes), l’É­cole nationale des sci­ences, tech­niques et indus­tries du Bois (Épinal), l’É­cole nationale supérieure des Arts et Métiers (cen­tre de Cluny) et dans deux uni­ver­sités (Nan­cy I et Bor­deaux I) qui coopèrent dans le DEA nation­al ” sci­ences du bois “.

On éval­ue à env­i­ron 100 équiv­a­lents temps plein le nom­bre de chercheurs qui étu­di­ent le bois. Ils sont répar­tis dans une dizaine de sites rel­e­vant d’étab­lisse­ments publics (INRA, CIRAD, CNRS), d’un Cen­tre tech­nique (CTBA) et de lab­o­ra­toires uni­ver­si­taires. Bien que ces enseignants et ces chercheurs soient forte­ment asso­ciés dans divers réseaux nationaux et européens, réseaux eux-mêmes asso­ciés à des réseaux spé­cial­isés dans la recherche forestière, cet effec­tif est faible en com­para­i­son de l’ef­fort sci­en­tifique con­sacré aux autres matériaux.

Les objets de recherche vont de l’ar­bre sur pied à la molécule, et les grandes dis­ci­plines con­cernées relèvent à la fois des sci­ences du vivant (phys­i­olo­gie et biochimie végé­tale, zoolo­gie, ento­molo­gie, patholo­gie…) et des sci­ences des matéri­aux (physique, mécanique, chimie…), l’im­bri­ca­tion de ces dis­ci­plines sur l’ob­jet atyp­ique qu’est le bois ne facil­i­tant pas l’in­ser­tion de la recherche dans les struc­tures de la sci­ence académique.

Il existe de nom­breux et beaux ouvrages sur le bois, en voici deux récents :

L’Atlas du Bois, sous la direc­tion de Patrick Gay, 2001. Édi­tions de Mon­za, 251 p.

► Bois de Marine, Jean-Marie Bal­lu, 2000. Édi­tions du Ger­faut, 153 p.

Il n’est pas pos­si­ble d’énumér­er ici les thèmes de recherche de la com­mu­nauté sci­en­tifique mais cet arti­cle per­met d’en entrevoir un cer­tain nombre.

En guise de con­clu­sion, sig­nalons une grande ambi­tion caressée par la recherche : com­pren­dre les mécan­ismes de la for­ma­tion du bois au niveau cel­lu­laire et en déduire par démarche ascen­dante le fonc­tion­nement des organes supérieurs pour arriv­er à prédire le com­porte­ment du matéri­au extrait d’un arbre. Des avancées nota­bles sont déjà réal­isées, par exem­ple en matière de mécanique cel­lu­laire grâce aux nanotechnologies. 

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