L’avenir climatique

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°577 Septembre 2002Par : Jean-Marc JANCOVICI (81)Rédacteur : Michel VOLLE (60)

J’avais lu aupa­ra­vant L’Effet de serre que Jan­co­vi­ci a écrit avec Her­vé Le Treut (recen­sé dans La Jaune et la Rouge de mars 2002). Cet ouvrage pré­sen­tait un constat. Dans L’avenir cli­ma­tique, Jan­co­vi­ci élar­git le pro­pos et exa­mine com­ment l’humanité pour­rait évi­ter le bou­le­ver­se­ment cli­ma­tique de notre pla­nète, son habi­tat biologique.

C’est un livre sans pré­ten­tion, rai­son­na­ble­ment com­plet, cou­ra­geux, rigou­reux. Jean-Marc Jan­co­vi­ci m’avait com­mu­ni­qué quelques “ bonnes feuilles ” avant la publi­ca­tion. J’aurais dû l’inciter davan­tage à cor­ri­ger son fran­çais, même si la mal­adresse de la forme ne gêne pas la lec­ture et fait par­fois un plai­sant contraste avec la rigueur du fond.

Jan­co­vi­ci est modeste. Je ne suis pas un scien­ti­fique ni un expert, dit-il ; je ne suis qu’un ingé­nieur dont le métier est de tirer par­ti de la science exis­tante et qui laisse à d’autres le soin de la faire progresser.

Cette atti­tude n’est pas de mise dans une époque où tant de gens font sem­blant de com­prendre ce qu’ils ignorent (Jacques Bou­ve­resse dit que c’est le cas de la plu­part des phi­lo­sophes qui citent la rela­tion d’incertitude d’Heisenberg ou le théo­rème de Gödel), où la pré­ten­tion est très ren­table sur les plans poli­tique et média­tique. Elle est tou­te­fois intel­lec­tuel­le­ment féconde : l’ingénieur sou­met les résul­tats de la science à une épreuve de cohé­rence à laquelle les spé­cia­listes n’auraient peut-être pas son­gé, et il en tire des conclu­sions pra­tiques qui ne leur seraient sans doute pas venues à l’esprit.

Cette approche per­met à Jan­co­vi­ci de pré­sen­ter la syn­thèse d’une immense diver­si­té de tra­vaux. Il sait éla­guer sans défor­mer, ce qui lui per­met d’être com­plet sans lour­deur. Fidèle à l’adage selon lequel “la phy­sique, c’est la science de l’approximation ”, il n’hésite pas à cal­cu­ler des ordres de gran­deur et à tirer les consé­quences qua­li­ta­tives du cal­cul. Cet effort est méri­toire : son texte étant facile à lire, ceux qui manquent d’expérience croi­ront qu’il a été facile à écrire. La rigueur, ici, réside dis­crè­te­ment dans les choix qu’il a fal­lu faire pour pou­voir être simple.

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Au XVIIIe siècle, l’humanité a com­men­cé à pro­duire de l’énergie en uti­li­sant des car­bu­rants fos­siles. Cela a faci­li­té la moto­ri­sa­tion qui a elle-même per­mis l’accroissement de la richesse. Mais cela a par ailleurs chan­gé la com­po­si­tion de l’atmosphère. L’augmentation de la pro­por­tion de gaz car­bo­nique, en par­ti­cu­lier, accroît l’effet de serre et sus­cite donc un lent réchauf­fe­ment. Certes aujourd’hui la tem­pé­ra­ture n’excède pas encore de façon signi­fi­ca­tive l’ampleur des fluc­tua­tions his­to­riques, mais il est très pro­bable que le méca­nisme du réchauf­fe­ment est déjà enclen­ché. La com­pi­la­tion des modèles de simu­la­tion indique la four­chette de l’évolution future et aucun d’eux ne per­met d’anticiper un refroidissement.

Le rai­son­ne­ment est pro­ba­bi­liste. Ceux qui n’ont pas l’habitude de la sta­tis­tique disent qu’un rai­son­ne­ment pro­ba­bi­liste ne prouve rien. Pour­tant quand un méde­cin leur dit : “ Si vous ne chan­gez pas votre mode de vie, la pro­ba­bi­li­té que vous mour­riez d’un acci­dent car­dio­vas­cu­laire dans les dix pro­chaines années est de 70%”, cela les décide à faire plus d’exercice et à s’alimenter autre­ment. Jan­co­vi­ci est comme un méde­cin de la pla­nète qui dirait : “ Si nous ne chan­geons pas notre mode de vie, la pro­ba­bi­li­té d’une évo­lu­tion cli­ma­tique catas­tro­phique dans les décen­nies à venir est de 99%.” Qui ose­ra négli­ger un tel signal ?

Voi­ci les consé­quences pro­bables de la hausse pré­vi­sible de la tem­pé­ra­ture : aug­men­ta­tion de la séche­resse des zones déser­tiques et de la fré­quence des oura­gans et tem­pêtes ; chan­ge­ment des cou­rants océa­niques, per­tur­bant la vie marine et la répar­ti­tion du cli­mat ; hausse du niveau des océans, inon­da­tion des régions côtières ; dépla­ce­ment des zones fer­tiles (d’où risques de guerre) ; enfin, pas­sé un seuil cri­tique, l’émission dans l’atmosphère du méthane rete­nu par le per­ma­frost ou le désto­ckage des éco­sys­tèmes ren­drait l’accroissement de l’effet de serre irré­ver­sible quelles que soient les déci­sions humaines. La Terre irait alors vers un point d’équilibre tout dif­fé­rent : ce ne serait sans doute pas le même que celui de Vénus, avec ses 450 °C au sol et ses pluies d’acide sul­fu­rique, mais cela trans­for­me­rait peut-être assez notre pla­nète pour la rendre inha­bi­table à terme.

Nous soup­çon­nions qu’en reje­tant ses déchets dans l’air, l’eau et le sol, l’humanité modi­fiait les condi­tions de vie des géné­ra­tions futures ; le diag­nos­tic est désor­mais assez pré­cis pour que l’on puisse éta­blir une pres­crip­tion. Si l’on veut sta­bi­li­ser la concen­tra­tion du gaz car­bo­nique dans l’atmosphère (objec­tif modeste, car il vau­drait mieux la dimi­nuer), il fau­dra limi­ter les émis­sions annuelles à 50 % du niveau atteint en 1990. Pour une popu­la­tion de 6 mil­liards d’individus cela repré­sen­te­rait 500 kg d’équivalent car­bone par personne/an, soit (en rete­nant les chiffres de 1998) 10 % des émis­sions d’un Amé­ri­cain, 25 % des émis­sions d’un Fran­çais, 80 % des émis­sions d’un Chi­nois, etc. (p. 186–188).

L’Ame­ri­can way of life, qui implique une forte consom­ma­tion d’énergie, ne pour­ra donc pas se géné­ra­li­ser au monde entier : le mode de vie des pays riches est non un exemple à imi­ter, mais une ano­ma­lie his­to­rique et bio­lo­gique dont la per­sé­vé­rance, la géné­ra­li­sa­tion ris­que­raient d’être mor­telles pour notre espèce. La sobrié­té, qui rele­vait aupa­ra­vant d’un choix esthé­tique, moral ou intel­lec­tuel, devient alors une obligation.

Pour répondre au risque cli­ma­tique il faut d’une part réduire la consom­ma­tion d’énergie, d’autre part révi­ser les pro­cé­dés tech­niques de sa pro­duc­tion. L’utilisation des com­bus­tibles fos­siles est à pros­crire ; l’énergie hydrau­lique et le vent offrent des res­sources limi­tées ; la solu­tion pour­rait rési­der dans l’utilisation conjointe de l’énergie solaire et du nucléaire.

Le nucléaire à la res­cousse de l’écologie (p. 230) ! Il faut du cou­rage pour énon­cer une pres­crip­tion qui va cho­quer beau­coup de monde. Jan­co­vi­ci est un éco­lo­giste, pas un poli­ti­cien. Il ne se sou­cie pas de l’image qu’il donne. Ayant mis le doigt sur un pro­blème qu’il juge capi­tal, il l’appuie. Il n’a rien à voir avec les Verts pour qui la peur du nucléaire est un levier élec­to­ral. Cer­tains d’entre eux ne le lui par­don­ne­ront pas.

Il ter­mine pour­tant par une recom­man­da­tion poli­tique (p. 275) : celle d’un réfé­ren­dum euro­péen, seul moyen de sus­ci­ter un débat à la hau­teur de l’enjeu, puis de réduire les émis­sions mon­diales de façon signi­fi­ca­tive, enfin d’indiquer la voie au reste du monde. Cette pro­po­si­tion sur­prend au pre­mier abord, mais plus on y réflé­chit, plus on la trouve raisonnable.

L’ingénieur a ici ter­mi­né son tra­vail. Au poli­tique de prendre le relais.

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