L’attachement / Mercato / Le système Victoria / Anna / La convocation

Élagage : Le Mohican (Frédéric Farrucci) mouais… / La mer au loin (Saïd Hamich) coloré / Presence (Steven Soderbergh) inhabité / Le dernier souffle (Costa-Gavras) le talent de Costa-Gavras expire / Yõkai (Eric Khoo) charme minuscule / A Real Pain (Jesse Eisenberg) palette réjouissante de sujets / The Insider (Steven Soderbergh) espionniforme et raté.
L’attachement
Réalisatrice : Carine Tardieu – 1 h 45
Peut-on atteindre à la grâce par le flou des sentiments ? Peut-on croire à la proximité d’un bonheur partagé dans le choix de l’inaboutissement ? Ce film s’y essaie avec une extrême subtilité et l’aide d’acteurs dont la finesse émerveille et qu’il faut, tous, applaudir sans réserve. Aucun personnage n’est négligé, traité à la légère, tous ont une forme et une épaisseur, dans tous les rôles, même secondaires. La gageure était difficile à tenir car, au sein du réseau des figures principales, le statut des sentiments s’écarte des schémas attendus pour esquisser à la suite des bouleversements d’un deuil initial la trame d’autres possibles, où les plus lucides parviennent à maintenir les plus incertains dans des tendresses respectueuses de leurs autonomies sans en aucune façon les perdre. Autour du merveilleux petit César Botti le monde d’adultes qu’organise Carine Tardieu est un rêve d’enfant, qui est irréel par la qualité des liens qui s’y tissent mais auquel, étonné, on aura adhéré durant 105 minutes.
Mercato
Réalisateur : Tristan Séguéla – 1 h 59
Excellente surprise. Jamel Debbouze est impeccable de crédibilité dans ce petit thriller vif et rythmé où, agent de joueurs (football) qui n’a plus guère de cartes en main et qui est lesté d’une dette le dépassant, il a huit jours pour rembourser et son seul sens de la magouille et de la tchatche – à joindre à sa connaissance du milieu foot-ballistique – pour s’en sortir. À ce microdrame bien dessiné, pittoresque, documenté, le scénario ajoute le « plus » de deux jolis à‑côtés sur l’amitié sans phrases d’un copain fidèle et les à‑peu-près d’une paternité lacunaire assez touchante qui encombre mais humanise. À l’écart de toute ambition superflue, c’est un très bon, très convaincant et très attachant divertissement.
Le système Victoria
Réalisateur : Sylvain Desclous – 1 h 41
Jeanne Balibar, DRH d’un grand groupe, impériale et vénéneuse, manipule Damien Bonnard, bonne volonté balourde mais professionnalisme obstiné et efficace, architecte réduit aux fonctions de chef des travaux d’une tour en construction (à La Défense), à la poursuite de délais impossibles à tenir. Une traversée prenante des problèmes du BTP entre tentatives de corruption et efficacité ouvrière – pas mal d’idéalisme de ce côté-là (?). Une peinture crédible de la prise de pouvoir sexuelle d’une mante religieuse sur un brave type. Très bien joué, très convaincant et des seconds rôles efficaces. Du bon cinéma.
Anna
Réalisateur : Marco Amenta – 1 h 58
La terre de Sardaigne, les bêtes, le village et ses valeurs d’un autre âge, ses mentalités, elles peut-être inchangées, une fille de son père, dure, trop libre, l’agressivité toujours disponible, en défense farouche de la propriété transmise, du troupeau et puis… la promotion immobilière et l’argent, envahissants. Le pot de terre contre le pot de fer. Et l’issue inattendue. Est-ce complètement crédible ? C’est bien construit. Elle se bat, la fille de son père, revenue au village après un détour de vie traumatisant, dure au mal, accrocheuse, déraisonnable, secondée malgré elle par un avocat tenace que son impulsivité bouscule et que sa personnalité irréductible séduit. Bien joué (Rose Aste, décisive). Un vrai bon film.
La convocation
Réalisateur : Halfdan Ullmann Tondel – 1 h 57
Un film qui « se mérite » et peut dérouter. Tous les acteurs sont bons, mais la performance de Renate Reinsve domine. Elle assure entre autres un plan séquence (trois minutes) de fou-rire qui tient de l’exploit. Immersion progressive dans une situation oppressante à partir d’une séance confuse et seulement rapportée de « touche-pipi » qui aurait dégénéré entre mômes dans les toilettes de l’école (on ne voit jamais les enfants). S’installe entre les adultes – le directeur et son adjointe, l’institutrice (excellente Thea Lambrechts Vaulen) et les parents (ex-proches, avec sans doute un adultère et un suicide, énoncé ici trop schématique) – un affrontement lourdement plombé par leurs passés entrecroisés et compliqués. Augmenté de belles scènes formelles qui touchent à l’onirisme (et à la métaphore), le film impose une tension d’une densité extrême pour s’achever en une apothéose opératique impressionnante.