L’attachement / Mercato / Le système Victoria / Anna / La convocation

L’attachement / Mercato / Le système Victoria / Anna / La convocation

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°804 Avril 2025
Par Christian JEANBRAU (63)

Éla­gage : Le Mohi­can (Fré­dé­ric Far­ruc­ci) mouais… / La mer au loin (Saïd Hamich) colo­ré / Pre­sence (Ste­ven Soder­bergh) inha­bi­té / Le der­nier souffle (Cos­ta-Gavras) le talent de Cos­ta-Gavras expire / Yõkai (Eric Khoo) charme minus­cule / A Real Pain (Jesse Eisen­berg) palette réjouis­sante de sujets / The Insi­der (Ste­ven Soder­bergh) espion­ni­forme et raté.

L'attachementL’attachement

Réa­li­sa­trice : Carine Tar­dieu – 1 h 45

Peut-on atteindre à la grâce par le flou des sen­ti­ments ? Peut-on croire à la proxi­mi­té d’un bon­heur par­ta­gé dans le choix de l’inaboutissement ? Ce film s’y essaie avec une extrême sub­ti­li­té et l’aide d’acteurs dont la finesse émer­veille et qu’il faut, tous, applau­dir sans réserve. Aucun per­son­nage n’est négli­gé, trai­té à la légère, tous ont une forme et une épais­seur, dans tous les rôles, même secon­daires. La gageure était dif­fi­cile à tenir car, au sein du réseau des figures prin­ci­pales, le sta­tut des sen­ti­ments s’écarte des sché­mas atten­dus pour esquis­ser à la suite des bou­le­ver­se­ments d’un deuil ini­tial la trame d’autres pos­sibles, où les plus lucides par­viennent à main­te­nir les plus incer­tains dans des ten­dresses res­pec­tueuses de leurs auto­no­mies sans en aucune façon les perdre. Autour du mer­veilleux petit César Bot­ti le monde d’adultes qu’organise Carine Tar­dieu est un rêve d’enfant, qui est irréel par la qua­li­té des liens qui s’y tissent mais auquel, éton­né, on aura adhé­ré durant 105 minutes.

MercatoMercato

Réa­li­sa­teur : Tris­tan Ségué­la – 1 h 59

Excel­lente sur­prise. Jamel Deb­bouze est impec­cable de cré­di­bi­li­té dans ce petit thril­ler vif et ryth­mé où, agent de joueurs (foot­ball) qui n’a plus guère de cartes en main et qui est les­té d’une dette le dépas­sant, il a huit jours pour rem­bour­ser et son seul sens de la magouille et de la tchatche – à joindre à sa connais­sance du milieu foot-bal­lis­tique – pour s’en sor­tir. À ce micro­drame bien des­si­né, pit­to­resque, docu­men­té, le scé­na­rio ajoute le « plus » de deux jolis à‑côtés sur l’amitié sans phrases d’un copain fidèle et les à‑peu-près d’une pater­ni­té lacu­naire assez tou­chante qui encombre mais huma­nise. À l’écart de toute ambi­tion super­flue, c’est un très bon, très convain­cant et très atta­chant divertissement.

Le Système VictoriaLe système Victoria

Réa­li­sa­teur : Syl­vain Des­clous – 1 h 41

Jeanne Bali­bar, DRH d’un grand groupe, impé­riale et véné­neuse, mani­pule Damien Bon­nard, bonne volon­té balourde mais pro­fes­sion­na­lisme obs­ti­né et effi­cace, archi­tecte réduit aux fonc­tions de chef des tra­vaux d’une tour en construc­tion (à La Défense), à la pour­suite de délais impos­sibles à tenir. Une tra­ver­sée pre­nante des pro­blèmes du BTP entre ten­ta­tives de cor­rup­tion et effi­ca­ci­té ouvrière – pas mal d’idéalisme de ce côté-là (?). Une pein­ture cré­dible de la prise de pou­voir sexuelle d’une mante reli­gieuse sur un brave type. Très bien joué, très convain­cant et des seconds rôles effi­caces. Du bon cinéma.

AnnaAnna

Réa­li­sa­teur : Mar­co Amen­ta – 1 h 58

La terre de Sar­daigne, les bêtes, le vil­lage et ses valeurs d’un autre âge, ses men­ta­li­tés, elles peut-être inchan­gées, une fille de son père, dure, trop libre, l’agressivité tou­jours dis­po­nible, en défense farouche de la pro­prié­té trans­mise, du trou­peau et puis… la pro­mo­tion immo­bi­lière et l’argent, enva­his­sants. Le pot de terre contre le pot de fer. Et l’issue inat­ten­due. Est-ce com­plè­te­ment cré­dible ? C’est bien construit. Elle se bat, la fille de son père, reve­nue au vil­lage après un détour de vie trau­ma­ti­sant, dure au mal, accro­cheuse, dérai­son­nable, secon­dée mal­gré elle par un avo­cat tenace que son impul­si­vi­té bous­cule et que sa per­son­na­li­té irré­duc­tible séduit. Bien joué (Rose Aste, déci­sive). Un vrai bon film.

La convocationLa convocation

Réa­li­sa­teur : Half­dan Ull­mann Ton­del – 1 h 57

Un film qui « se mérite » et peut dérou­ter. Tous les acteurs sont bons, mais la per­for­mance de Renate Reinsve domine. Elle assure entre autres un plan séquence (trois minutes) de fou-rire qui tient de l’exploit. Immer­sion pro­gres­sive dans une situa­tion oppres­sante à par­tir d’une séance confuse et seule­ment rap­por­tée de « touche-pipi » qui aurait dégé­né­ré entre mômes dans les toi­lettes de l’école (on ne voit jamais les enfants). S’installe entre les adultes – le direc­teur et son adjointe, l’institutrice (excel­lente Thea Lam­brechts Vau­len) et les parents (ex-proches, avec sans doute un adul­tère et un sui­cide, énon­cé ici trop sché­ma­tique) – un affron­te­ment lour­de­ment plom­bé par leurs pas­sés entre­croi­sés et com­pli­qués. Aug­men­té de belles scènes for­melles qui touchent à l’onirisme (et à la méta­phore), le film impose une ten­sion d’une den­si­té extrême pour s’achever en une apo­théose opé­ra­tique impressionnante. 

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