L’Architecte de Washington Pierre Charles L’Enfant

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°583 Mars 2003Par : Bernard PailhèsRédacteur : Pierre STROH (31)

L’auteur aver­tit le lecteur en ces ter­mes : “ J’ai placé le réc­it biographique sous la plume de William D. Digges, fils d’une grande famille de Vir­ginie qui recueil­lit L’Enfant à la fin de sa vie. Ces mémoires sont donc imag­i­naires, même si les faits rap­portés sont bien réels. ”

Le procédé, trop peu usité des his­to­riens, a pour effet de plonger le lecteur dans l’époque relatée ; le réc­it est celui d’un con­tem­po­rain rédi­geant ses pro­pres sou­venirs avant 1825, donc igno­rant les sept généra­tions qui nous sépar­ent du major L’Enfant, mais qui encom­brent la mémoire du lecteur de l’an 2003. Ce n’est pas un roman his­torique, c’est un hom­mage ren­du à un de ses anciens par un pro­fes­sion­nel actuel de l’urbanisme et de l’architecture.

L’Enfant était un Français venu aux États-Unis sur appel du général Wash­ing­ton qui avait un besoin urgent d’ingénieurs. Il avait par­ticipé aux épreuves de l’armée améri­caine durant l’hiver rigoureux de 1777 à Val­ley Forge où les sol­dats n’avaient pas d’abri, ni d’eau, et où il avait fal­lu tout impro­vis­er. Pour sa bravoure et sa com­pé­tence, il avait été nom­mé major dans le corps du Génie dont il avait for­mulé la devise “ Essayons ”, tou­jours régle­men­taire deux siè­cles plus tard.

L’auteur mon­tre com­ment L’Enfant a pu :

  • écarter la ten­ta­tion du quadrillage hérité des bastides aquitaines et de tracés de Vauban ; ce quadrillage était en vigueur dans les villes des colonies ; il ren­dra si monot­o­nes New York et tant de cités d’outre-Atlantique,
  • s’inspirer de l’urbanisme des plus belles villes européennes et har­monis­er le tracé des espaces libres et des grandes artères de la cap­i­tale avec le relief et l’orographie du Bas-Potomac et de ses affluents,
  • dévelop­per entre la Mai­son du Prési­dent et le Capi­tole – les deux pôles du pou­voir – un Mall pour indi­quer la liai­son entre les institutions.

Avant même de trac­er le plan de la future cap­i­tale, il fal­lait abat­tre des arbres pour dégager les visées des topographes. Et pour­tant L’Enfant esti­mait impératif de sauve­g­arder l’essentiel des forêts pour que les pre­miers habi­tants puis­sent jouir d’un paysage agréable tant que la den­sité des bâti­ments ne lui aurait pas con­féré un cachet urbain ; il fal­lait que la cap­i­tale soit belle d’emblée et le reste ; sinon per­son­ne ne serait venu, les lots ne se seraient pas ven­dus et la ville serait mort-née.

Les pères fon­da­teurs de l’Indépendance étaient novices en matière de pas­sa­tion de marchés publics. Sans en avoir con­science, il leur fal­lait des mil­liers d’exemplaires du plan – qui n’était pas encore tracé – pour localis­er et offrir à la vente les lots à con­stru­ire. Ils n’ont pas su com­ment jus­ti­fi­er – aux yeux du Con­grès – les crédits nécessaires.

Mieux qu’aujourd’hui les élus défendaient le Tré­sor pub­lic ali­men­té par les con­tribuables-électeurs. Or le graveur de Philadel­phie s’est mon­tré incom­pé­tent ; L’Enfant, jaloux de son plan, ne le mon­trait à personne.

Les spécu­la­teurs cher­chaient à devin­er les lots bien placés pour les acca­parer. George Wash­ing­ton – bon prési­dent – les a calmés en menaçant d’aller ailleurs implanter la capitale.

L’Enfant s’est isolé dans un hau­tain refus de toute rétri­bu­tion. Il est his­torique­ment exact que, dans la gêne, il a été recueil­li pour ses vieux jours par la famille Digges.

Ne résumons pas le livre ; il mérite d’être lu.

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