L’apport des sciences humaines et sociales

Dossier : Le changement climatique ............................ 2e partie : Les MesuresMagazine N°680 Décembre 2012
Par Guillaume SIMONET

Les actions favorisant la réduc­tion des vul­néra­bil­ités des pop­u­la­tions et des ter­ri­toires face aux impacts appréhendés des change­ments cli­ma­tiques sont désor­mais inscrites à l’agenda des poli­tiques munic­i­pales de la plu­part des pays de l’OCDE.

Les sci­ences humaines et sociales dis­posent d’outils efficaces

Néan­moins, leur mise en place et leur effi­cac­ité ren­con­trent des bar­rières mul­ti­ples, par­mi lesquelles cer­taines d’ordre insti­tu­tion­nel (jeux de pou­voir entre intérêts diver­gents) et d’autres d’ordre cog­ni­tif (inter­pré­ta­tions mul­ti­ples du terme « adaptation »).

Les sci­ences humaines et sociales (SHS) dis­posent d’approches et d’outils aisé­ment mobil­is­ables afin de mieux décel­er les orig­ines de ces freins et d’aboutir à des straté­gies plus inter­dis­ci­plinaires et sys­témiques. Dès lors, leur inté­gra­tion pro­gres­sive dans les tra­di­tion­nelles analy­ses de vul­néra­bil­ités laisse entrevoir un apport et une com­plé­men­tar­ité indé­ni­able, aus­si bien à l’étape d’élaboration de mesures d’adaptation aux nou­velles réal­ités cli­ma­tiques qu’à celle de leur application.

REPÈRES
La mise en œuvre de pro­grammes rel­e­vant de l’adaptation aux change­ments cli­ma­tiques se heurte à des lim­ites freinant leur mise en œuvre, comme l’indiquent les con­clu­sions du IVe rap­port du GIEC (2007). Dif­férents fac­teurs sont à l’origine de ces bar­rières (insti­tu­tions défail­lantes, manque de ressources, absence d’expertise, nou­veautés des enjeux, déni de la prob­lé­ma­tique) et c’est pré­cisé­ment dans leur iden­ti­fi­ca­tion et leur réso­lu­tion que les SHS pos­sè­dent des approches, des méth­odes et des out­ils pour inter­venir efficacement.

D’une approche top-down

Les pre­miers efforts engagés dans la lutte con­tre les change­ments cli­ma­tiques par la com­mu­nauté inter­na­tionale se sont portés sur ses caus­es plutôt que sur ses con­séquences. Ain­si, la mise à l’agenda poli­tique et sci­en­tifique de l’adaptation aux change­ments cli­ma­tiques a longtemps été mise de côté au prof­it du volet por­tant sur la réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre, jusqu’à l’idée accep­tée que d’importants impacts seraient inévitables.

La cli­ma­tolo­gie a d’abord été inter­pel­lée afin d’estimer les vul­néra­bil­ités des sys­tèmes (naturels et humains) face aux impacts cli­ma­tiques à venir et de bâtir des répons­es adéquates en par­tant de ses mod­èles numériques sur l’évolution du cli­mat. Cette approche, appelée top-down, a per­mis d’entrevoir les ten­dances des nou­velles vari­abil­ités cli­ma­tiques glob­ales et régionales, mais a atteint ses lim­ites à l’échelle locale à cause du degré d’incertitude inhérent aux mod­èles climatiques.

… À une approche bottom-up

Du fait de ces impré­ci­sions, les acteurs locaux ne peu­vent réelle­ment trans­pos­er cet out­il en actions locales sur les infra­struc­tures, dis­posi­tifs ou pop­u­la­tions des ter­ri­toires con­cernés. Dès lors, l’approche appelée bot­tom-up, plus ancrée à l’échelle locale, a émergé afin de combler les lacunes et éla­bor­er de nou­veaux cadres de références (fig­ure 1). Cette approche se fonde sur les expéri­ences passées et le con­texte actuel du sys­tème étudié, aus­si bien en ter­mes cli­ma­tiques que socio-économiques, dans l’objectif de ren­dre compte de sa réal­ité. Elle prend égale­ment en compte toutes ses dimen­sions humaines, socio-économiques et com­porte­men­tales, et c’est au sein de cette approche fondée sur l’étude des vul­néra­bil­ités locales que les sci­ences humaines et sociales se révè­lent par­ti­c­ulière­ment pertinentes.

FIGURE 1

L’approche bot­tom-up, com­plé­men­taire de l’approche top-down pour l’élaboration de poli­tiques de nou­veaux cadres de références face aux nou­velles réal­ités cli­ma­tiques (inspiré de Des­sai et Hulme, 2004).

Barrières sociologiques

Par­mi les orig­ines des échecs entourant la mise en appli­ca­tion de mesures d’adaptation, les dynamiques organ­i­sa­tion­nelles qui se déroulent entre les acteurs impliqués sont sou­vent mal com­pris­es et sous-estimées. De ce fait, cer­taines déci­sions con­tin­u­ent d’être influ­encées par les intérêts directs de leurs acteurs et par les dis­tri­b­u­tions de pou­voir au sein des organ­i­sa­tions con­cernées et entre elles, éloignant par moments l’objectif com­mun de met­tre en place des straté­gies réduisant la vul­néra­bil­ité du ter­ri­toire concerné.

Les dynamiques organ­i­sa­tion­nelles sont sou­vent mal comprises

Plusieurs approches (comme la « théorie enrac­inée » de Glaser et Strauss, 1967, ou encore l’analyse stratégique de Crozi­er et Frid­berg, 1977) et out­ils issus de la soci­olo­gie des organ­i­sa­tions per­me­t­tent de met­tre en évi­dence les sys­tèmes d’action, leur logique pro­pre et les jeux de pou­voir en place.

L’objectif pre­mier est d’offrir aux acteurs impliqués un por­trait de la réal­ité (par exem­ple des dynamiques et enjeux réels des insti­tu­tions locales en place), le plus impar­tial et achevé possible.

Par la suite, l’objectif sec­ond est d’arriver à diriger ces mêmes acteurs vers des logiques de com­pro­mis accept­a­bles par tous dans lesquelles l’application de straté­gies d’adaptation effi­caces devient le but col­lec­tif à attein­dre. Au cours de cette étape, des élé­ments de con­cer­ta­tion, de com­mu­ni­ca­tion, voire de médi­a­tion sont à mobilis­er, tout en gar­dant à l’esprit créa­tiv­ité et sou­p­lesse afin de s’accorder au con­texte local.

Barrières d’origine cognitive

Les représen­ta­tions (images, idées reçues, stéréo­types) rat­tachées au terme « adap­ta­tion » engen­drées par les acteurs sont égale­ment un fac­teur d’influence sig­ni­fi­catif sur les déci­sions, les com­porte­ments ou les actions adop­tées. Pour ne citer que cet exem­ple, le déni fait par­tie de la large panoplie d’attitudes aux orig­ines cog­ni­tives com­plex­es que les réac­tions humaines sont capa­bles d’offrir, et aux­quelles il est pos­si­ble d’être con­fron­té à un moment ou à un autre.

Soci­olo­gie des organisations
Dans la mise en œuvre des out­ils pro­posés par cette dis­ci­pline, toute la dif­fi­culté réside dans l’atteinte d’un plan de tra­vail et d’un lan­gage com­mun entre les acteurs, qu’ils soient sci­en­tifiques, décideurs, acteurs socioé­conomiques ou issus de la population.

L’influence poten­tielle de telles réac­tions sur les élab­o­ra­tions de répons­es spé­ci­fiques à la lutte con­tre les change­ments cli­ma­tiques est mal estimée, notam­ment dans les proces­sus relat­ifs à la prise de décision.

Mal­gré l’augmentation d’études inclu­ant ces aspects, les dimen­sions humaines, socio-économiques et com­porte­men­tales sont encore peu pris­es en compte dans les recherch­es, les débats et les poli­tiques por­tant sur l’adaptation aux change­ments cli­ma­tiques, voire por­tant sur la prob­lé­ma­tique en général. Or, il a sou­vent été mon­tré que ces dimen­sions jouent un rôle prépondérant dans le suc­cès ou l’échec de l’élaboration et de la mise en œuvre de poli­tiques d’adaptation.

Évaluer la capacité adaptative

Les lim­ites de l’adaptation se retrou­vent générale­ment dans l’état de la capac­ité de réponse d’un sys­tème, que ce soit une infra­struc­ture, un ter­ri­toire ou une ville. La capac­ité de réponse, ou capac­ité adap­ta­tive, est con­sti­tuée des fac­teurs soci­aux, économiques, insti­tu­tion­nels et tech­nologiques, ain­si que des ressources et des infor­ma­tions néces­saires au bon fonc­tion­nement des réseaux.

FIGURE 2
Exemples d’éléments constituant la capacité adaptative d’un système.
Exem­ples d’éléments con­sti­tu­ant la capac­ité adap­ta­tive d’un système.

L’état de ces fac­teurs sou­tient ou con­traint directe­ment le déploiement et l’efficacité de mesures adap­ta­tives et, comme indiqué plus haut, plusieurs études men­tion­nent que les faib­less­es sont sou­vent d’ordre insti­tu­tion­nel, infor­ma­tion­nel, tech­nique et financier (Groth­mann et Patt, 2005). L’approche bot­tom- up per­met d’évaluer la capac­ité adap­ta­tive du sys­tème étudié.

Pour cela, la fourchette des vul­néra­bil­ités locales face aux impacts cli­ma­tiques se situe entre l’historique des expéri­ences passées et les ten­dances futures dégagées par l’extrapolation effec­tuée par les mod­èles cli­ma­tiques disponibles.

Intégrer le changement global

Au cœur de cette fourchette, l’étude du con­texte actuel (socio-économique, poli­tique, tech­nologique) dans lequel évolu­ent les acteurs impliqués est néces­saire, en par­tant d’éléments con­sti­tu­ant la capac­ité adap­ta­tive du sys­tème, sus­cep­ti­bles d’être mobil­isés directe­ment ou indi­recte­ment au moment de l’événement cli­ma­tique (fig­ure 2).

Les dimen­sions humaines sont encore peu pris­es en compte

En effet, la prob­lé­ma­tique des change­ments cli­ma­tiques se déroule dans un con­texte de change­ment glob­al (démo­graphique, cul­turel et économique) et de trans­for­ma­tions des tech­nolo­gies d’information, de la gou­ver­nance régionale et des con­ven­tions sociales, le tout dans une ten­dance à la glob­al­i­sa­tion des flux et du tra­vail. Dans cette per­spec­tive, l’adaptation aux change­ments cli­ma­tiques doit égale­ment être perçue comme le résul­tat d’un change­ment social ou économique non climatique.

L’interdisciplinarité, clé d’un processus collectif

Action col­lec­tive et adaptation
L’aspect col­lec­tif est sou­vent souligné dans la lit­téra­ture sci­en­tifique spé­cial­isée comme le moteur même de l’adaptation, laque­lle peut alors être perçue comme un proces­sus social dynamique. En effet, puisque la capac­ité des sys­tèmes à s’adapter aux change­ments, qu’ils soient cli­ma­tiques ou envi­ron­nemen­taux, est en par­tie déter­minée par la capac­ité à agir col­lec­tive­ment, l’action col­lec­tive est perçue comme la réponse la plus appro­priée, tout sim­ple­ment parce que la prob­lé­ma­tique est elle-même col­lec­tive. (Loren­zoni et al., 2007.)

Con­crète­ment, l’analyse de ces vul­néra­bil­ités « sociales » fait inter­venir de nom­breuses con­nais­sances, tech­nolo­gies et dis­ci­plines, et donc de mul­ti­ples lan­gages. L’interdisciplinarité, définie ici comme l’intégration de savoirs issus d’une mul­ti­plic­ité de dis­ci­plines dans un objec­tif com­mun, est une con­di­tion néces­saire pour pal­li­er la com­plex­ité des enjeux, des acteurs et des lan­gages mis en jeu au moment de l’estimation de la capac­ité adap­ta­tive d’un sys­tème. Elle appa­raît comme un pont de dia­logue rassem­bleur et col­lec­tif guidant les pro­tag­o­nistes vers l’objectif com­mun d’une mise en place de mesures réduisant les vul­néra­bil­ités face à la prob­lé­ma­tique climatique.

Ain­si, l’optimisation de mis­es en place de répons­es réduisant la vul­néra­bil­ité des ter­ri­toires et des pop­u­la­tions ne peut avoir lieu sans la prise en compte d’une approche glob­ale, ce que per­me­t­tent juste­ment l’approche bot­tom-up et le recours à des out­ils et méth­odes issus des sci­ences humaines et sociales.

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