L’AGPM : enracinement militaire, ouverture assurantielle


Depuis plus de 70 ans, l’AGPM accompagne les militaires et leurs familles dans les épreuves les plus dures – blessures, deuils – ou les contraintes de leur métier – mutations… Créée en Indochine, où des camarades de combat sont sensibles à la cause des veuves et orphelins des soldats tués en opération, cette association générale de prévoyance militaire est la concrétisation d’une fraternité d’armes dévolue aux plus éprouvés. Cette association se transforme en groupe d’assurance à part entière au tournant des années 80, tout en restant fidèle à ses origines. Dans un contexte international tendu, sur fond d’économie de guerre, où les lignes entre civil et militaire s’estompent, où les blessures psychiques émergent avec force, l’AGPM consolide son modèle. Rencontre avec deux figures clés de cette maison singulière : Olivier Requin (X99), directeur général adjoint, et le général Éric Bellot des Minières, déontologue.
Quelle est l’origine de l’AGPM et comment cette histoire nourrit-elle encore aujourd’hui votre action ?
Olivier Requin : L’AGPM est née en 1951, en pleine guerre d’Indochine. Le général Lachenaud constate qu’au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, l’État n’est pas en capacité de protéger efficacement et durablement les militaires blessés ou les familles endeuillées et refuse cette fatalité ! Notre première forme de protection n’est pas une police d’assurance, mais une cotisation entre pairs. Dès lors, cette logique affinitaire, cette fraternité d’armes, devient le socle de notre action. Nous avons grandi avec cette idée qu’il fallait « ne pas laisser les siens sans recours ». Cela nous engage au quotidien, bien au-delà des simples garanties contractuelles. Aujourd’hui encore, cet ancrage structure nos décisions, nos priorités, notre relation à la population militaire et à ceux qui partagent les mêmes risques.
Général Bellot des Minières : L’AGPM n’est pas une assurance comme les autres. Elle incarne une solidarité active. Quand l’assurance classique atteint ses limites — notamment face aux blessures psychiques ou aux parcours de vie brisés — nous sommes encore là, par des aides sociales, de l’accompagnement humain, une présence réelle. Il est une logique de solidarité qui peut prendre le relais d’une réalité strictement assurantielle : il s’agit d’une fidélité à des valeurs profondes, celles du service, de la solidarité, de l’entraide, du refus de l’abandon.
Comment avez-vous fait évoluer vos missions et votre périmètre ?
O.R. : Le monde assurantiel et sa réglementation conduisent à la structuration d’entités toujours plus importantes. L’AGPM, elle, est une société affinitaire, donc avec une base limitée par construction de sociétaires potentiels. Le partenariat avec KLESIA en 2018 a ainsi été un tournant. Ensemble, nous avons conçu le produit Fortégo, référencé par le ministère des Armées. Cette alliance nous a renforcés sur le plan financier et technique. Nous gagnons en robustesse, en expertise sur la prévoyance collective, et en capacité d’innovation. KLESIA est un groupe multi professionnel, très présent dans les secteurs du « transport », de « la pharmacie », ou encore des « hôtels cafés restaurants », etc. C’est ce groupe qui a accueilli la « mutuelle des civils de la défense » il y a quelques années, une mutuelle très engagée auprès des entreprises de la base industrielle et technologie de défense (BITD).
G.B.M : Ce rapprochement nous permet donc aussi d’entrer en dialogue avec des entreprises de la BITD, qui regroupent à la fois de grands groupes et des PME engagées dans la production de matériel de guerre. Ce lien entre militaires et industriels devient naturellement de plus en plus fluide. C’est une ouverture vers un écosystème plus vaste, au-delà du seul cadre militaire. Cette évolution nous oblige à être plus rigoureux, mais aussi plus innovants, sans perdre notre identité première.
Quels sont les nouveaux types de risques que vous couvrez ?
O.R. : Le « champ de bataille » a changé. Aujourd’hui, nous accompagnons des entreprises qui envoient du personnel en zones sensibles. La plupart des contrats du marché excluent les risques de guerre. Nous, non. C’est justement notre métier et notre expertise. Nous savons assurer des populations exposées, y compris dans les zones « grises ». Ces personnels — techniciens, ingénieurs, opérateurs spécialisés — peuvent être appelés à intervenir à quelques kilomètres derrière les lignes, parfois dans des environnements instables. Nos savoir-faire historiques trouvent là une pertinence nouvelle.
G.B.M. : Ce n’est pas une stratégie commerciale. Ce personnel — ouvriers d’État, ingénieurs, anciens militaires — partage la même culture du risque. Il était naturel de les intégrer à notre modèle de protection. On pourrait même dire que c’est une extension logique du périmètre affinitaire : à mesure que les lignes de front se déplacent, nous adaptons les frontières de notre engagement. C’est valable pour le personnel industriel, mais aussi pour les réservistes dont le rôle est appelé à croître massivement dans les années à venir. La réserve devient une force opérationnelle, qui, courant les mêmes risques que les militaires d’active, doit pouvoir disposer des mêmes couvertures en termes de protection notamment.
Quelle place tient la solidarité dans votre action ?
G.B.M. : Elle est fondamentale. « Le village des blessés », que nous avons cofinancé à hauteur d’un tiers, en est une illustration. Ce lieu, à Fontainebleau, offre à des militaires blessés psychologiquement un environnement de reconstruction : sport, équithérapie, soins spécialisés. Ce supplément d’âme est notre façon de remplir la mission ! Derrière ce projet, il y a aussi tout un réseau : associations, anciens militaires, psychiatres, référents sociaux, tous mobilisés pour éviter à ceux qui ont servi de sombrer ; comme à leurs familles de vivre dans le dénuement ou la précarité. Le soutien peut dépasser le cadre contractuel quand par exemple il s’agit d’une présence humaine, d’une main tendue, même des années après le retour d’une opération.
O.R. : Beaucoup de situations ne rentrent pas dans les cases contractuelles. Un stress post-traumatique peut apparaître dix ou quinze ans après les faits. Pour cela, nous avons mis en place une commission d’évaluation mixte — médecins, experts du terrain — capable de reconnaître et de traiter ces cas atypiques. Il faut pouvoir accompagner au-delà des limites des contrats. La solidarité, chez nous, ce sont aussi des aides ponctuelles, des bourses d’études pour les orphelins, un service d’entraide composé d’un réseau d’assistantes sociales prenant aussi en compte les familles, et réparties sur tout le territoire, capables de repérer les situations d’urgence. C’est ce qui distingue une mutuelle affinitaire : l’initiative, la réactivité, l’empathie.
Comment articulez-vous votre action avec les institutions militaires ?
O.R. : Nous connaissons intimement cette population et maintenons activement le lien via la présence dans nos équipes de quatre généraux (en deuxième section), un pour chaque armée (terre, air & espace, mer) et la gendarmerie dont le rôle est d’être l’interlocuteur privilégié entre l’AGPM et chacune des armées. Cela suppose aussi une extrême vigilance sur la gestion des données. Nos systèmes sont cloisonnés, sécurisés et nous échangeons très régulièrement avec la DIRISI (Direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information). L’appel d’offres que nous avons remporté cet été avec le ministère des Armées pour la prévoyance complémentaire du militaire hors activité nous a ainsi amenés à créer un deuxième système d’information répondant aux normes « diffusion restreinte » avec toutes les exigences associées.
G.B.M. : La montée en puissance des réservistes change la donne. Peu ont pleinement conscience que les périodes de réserve les exposent aux mêmes risques que les militaires, souvent dérogatoires du « droit commun » des assurances. Nos contrats intègrent cette réalité. Il faut que les familles, les employeurs, les intéressés sachent que cette couverture existe. Cette pédagogie touche déjà le jeune qui s’engage dans la réserve, quand il reçoit un uniforme, une arme, une mission ; il doit aussi pouvoir recevoir une protection adaptée. Nous avons conçu des produits spécifiques, accessibles financièrement, et ajustés aux réalités des missions. C’est aussi valable pour les polytechniciens durant leur scolarité militaire au cours de laquelle ils sont exposés aux mêmes réalités que les militaires. C’est notre rôle d’anticiper.
Quelle est votre vision à long terme ?
G.B.M. : L’assurance n’est pas seulement une affaire technique, c’est aussi, pour les mutuelles en particulier, une affaire de solidarité. Face à une armée de plus en plus sollicitée, à des familles mises à l’épreuve en supportant les conséquences d’une vie de soldat, l’AGPM reste fidèle à ses origines et inventive dans son action sociale : protéger avec rigueur, accompagner avec humanité. Maintenir cette ligne, c’est continuer à faire exister cette idée simple selon laquelle aucun militaire blessé, aucun orphelin, aucune veuve ne peut être abandonné à son triste sort !
O.R. : Nous ne voulons pas que l’AGPM devienne un acteur d’assurance comme les autres. Notre vocation reste singulière : maintenir un lien vivant avec les valeurs de fraternité, de responsabilité et de justice. C’est ce qui fait notre force. Et notre avenir. À l’heure où les modèles classiques d’assurance s’essoufflent, cette singularité est notre boussole. Elle nous oblige, mais elle nous inspire.

