L’aéroport bloquera-t-il le développement du transport aérien ?

Dossier : Trafic aérienMagazine N°535 Mai 1998
Par Marc PÉLEGRIN (43)
Par Éric FÉRON (86)
Par Bertrand DELCAIRE (Mines Paris 93)

L’aéro­port est le point cri­tique du sys­tème de trans­port aérien com­mer­cial, où pas­sagers et fret (qui sont la rai­son d’être de ce sys­tème et des organ­ismes qui le régu­lent) rejoignent ou quit­tent l’avion et son équipage.

De la bonne ges­tion de l’aéro­port dépend en grande par­tie le suc­cès du trans­port aérien com­mer­cial. En effet, la crois­sance actuelle du sys­tème mène sou­vent les aéro­ports à être l’élé­ment sat­u­rant du système.

Aux États-Unis, les com­pag­nies aéri­ennes esti­ment qu’en­v­i­ron 90 % des retards subis par les vols réguliers sont imputa­bles à l’aéro­port et son envi­ron­nement immé­di­at, la zone terminale.

En Europe, la présence d’un traf­ic aérien pour moitié en phase d’as­cen­sion ou de descente, cou­plée avec une poli­tique d’équipement en aéro­ports nou­veaux, tend à réduire ce pour­cent­age. La con­ges­tion des aéro­ports est néan­moins large­ment ressen­tie dans le traf­ic à des­ti­na­tion ou provenant de Lon­dres-Heathrow ou Francfort.

Face à ces nou­veaux besoins, plusieurs options sont envis­age­ables. On peut tout d’abord con­stru­ire de nou­veaux aéro­ports. Cet exer­ci­ce se révèle toute­fois périlleux : bien que généra­teur d’une extra­or­di­naire activ­ité économique, un aéro­port con­stru­it près d’une grande ville est sou­vent mis à l’in­dex par les com­mu­nautés riveraines en rai­son des nui­sances sonores. À l’in­verse, la con­struc­tion d’aéro­ports situés à grande dis­tance des villes est sou­vent un pis-aller, néces­si­tant l’in­stal­la­tion d’in­fra­struc­tures lour­des per­me­t­tant le tran­sit rapi­de des pas­sagers de l’aéro­port vers la ville et vice ver­sa. Par ailleurs, le développe­ment d’un aéro­port nou­veau néces­site env­i­ron vingt ans depuis sa con­cep­tion jusqu’à sa mise en ser­vice, une péri­ode de temps prob­a­ble­ment trop longue quand on con­sid­ère la crois­sance actuelle du traf­ic aérien à court terme.

Une solu­tion com­plé­men­taire, l’amélio­ra­tion de l’ex­ploita­tion des aéro­ports exis­tants, si elle est pos­si­ble, est prob­a­ble­ment une voie économique­ment et poli­tique­ment plus raisonnable. Dans cet arti­cle, on se con­cen­tre donc essen­tielle­ment sur les façons d’amélior­er le mou­ve­ment des avions autour de l’aéro­port, gar­dant néan­moins à l’e­sprit qu’une descrip­tion com­plète de l’aéro­port doit aus­si con­sid­ér­er les aspects liés au con­fort du pas­sager et à la ges­tion des accès au ter­mi­nal. Cette restric­tion faite, le fonc­tion­nement d’un aéro­port peut être décrit par les con­traintes affec­tant l’e­space aérien d’ap­proche, les pistes de décol­lage et d’at­ter­ris­sage, les taxi­ways et les portes d’embarquement. Il est aus­si décrit par les besoins des hommes chargés de sa ges­tion. On iden­ti­fiera donc les prob­lèmes qui se posent à ces dif­férents niveaux, puis les moyens de mod­éli­sa­tion et les amélio­ra­tions en cours.

Les rela­tions gou­ver­nant le fonc­tion­nement d’un aéro­port sont très com­plex­es, avec plusieurs échelles de temps, de mul­ti­ples sources d’in­for­ma­tion et des points de con­trôle mul­ti­ples. En con­séquence, seule une approche de type ” sys­tème ” est vrai­ment capa­ble d’ex­primer la nature de ces inter­ac­tions com­plex­es et en déduire des mécan­ismes de ges­tion efficaces.

Dynamique et contraintes associées à la gestion des aéroports

Aspects macroscopiques

À l’échelle du sys­tème de trans­port aérien dans son ensem­ble, la per­for­mance d’un aéro­port est définie par sa capac­ité, mesurée en ter­mes de vol­ume d’opéra­tions com­binées (décol­lages et atter­ris­sages) pou­vant être effec­tuées par heure sans délais excessifs.

Fig­ure 1
Enveloppe de capac­ité pour des con­di­tions météorologiques données.
Cas du grand aéro­port améri­cain util­isant plusieurs pistes sur lesquelles décol­lages et atter­ris­sages peu­vent être combinés.
Fig­ure 2
Enveloppe de capac­ité pour des con­di­tions météorologiques données.
Cas du gra​nd aéro­port européen fonc­tion­nant con­stam­ment en con­di­tions de vol aux instru­ments et ne com­bi­nant pas décol­lages et atter­ris­sages sur une même piste.

La con­nais­sance de la capac­ité d’un aéro­port est essen­tielle à la ges­tion de l’e­space aérien entier : la sécu­rité impose d’an­ticiper la for­ma­tion poten­tielle d’embouteillages dans l’e­space d’ap­proche d’un grand aéro­port. De nom­breuses méth­odes ont donc été dévelop­pées afin de cal­culer la capac­ité des aéro­ports. Celle-ci est fonc­tion de plusieurs fac­teurs, prin­ci­pale­ment les con­di­tions météorologiques (cou­ver­ture nuageuse et vents), les types d’avion util­isés et les pro­por­tions de décol­lages et d’at­ter­ris­sages. Comme ce dernier paramètre évolue au cours d’une journée, une représen­ta­tion sim­ple de la capac­ité d’un aéro­port dans des con­di­tions météorologiques don­nées est don­née par l’in­térieur d’une courbe con­vexe comme mon­trée ci-dessous.

De telles courbes peu­vent être obtenues soit par mesures expéri­men­tales au seuil de piste, soit ana­ly­tique­ment par l’ex­a­m­en de la con­fig­u­ra­tion des pistes de l’aéro­port et des procé­dures (dis­tances min­i­males de sépa­ra­tion entre avions). Les courbes de capac­ité des aéro­ports européens ressem­blent sou­vent à des rec­tan­gles, et vari­ent peu avec les con­di­tions météorologiques, comme on peut le voir ci-dessous.

Ces enveloppes de capac­ité sont rec­tan­gu­laires parce que les grands aéro­ports européens utilisent des pistes dif­férentes pour les décol­lages et les atter­ris­sages, tan­dis que les Améri­cains com­bi­nent sou­vent décol­lages et atter­ris­sages sur les mêmes pistes. L’in­vari­ance en fonc­tion des con­di­tions météorologiques est due au fait que la plu­part des aéro­ports européens utilisent con­stam­ment les procé­dures les plus strictes (approche aux instru­ments, ” IFR ”). Au con­traire, les aéro­ports améri­cains utilisent des procé­dures moins strictes dès que le temps le per­met. En con­séquence, pour une con­fig­u­ra­tion de pistes iden­tique et par beau temps, la capac­ité d’un aéro­port améri­cain sera beau­coup plus élevée, comme le mon­tre la courbe pointil­lée. Par mau­vais temps, les deux courbes auront ten­dance à se superposer.

Cette dif­férence de stratégie a au moins deux sources : une atti­tude dif­férente du pas­sager face au voy­age en avion et les incer­ti­tudes qui y sont asso­ciées, et des con­di­tions météorologiques plus favor­able aux États-Unis. Les péri­odes de faible vis­i­bil­ité sont en général plus fréquentes en Europe. Par ailleurs, l’ap­proche améri­caine intè­gre un fac­teur de risque impor­tant : une forte capac­ité par beau temps et des délais con­sid­érables par mau­vais temps. Ain­si, le traf­ic dans l’ensem­ble des États-Unis a été forte­ment per­tur­bé au cours du mois de jan­vi­er 1998 lorsqu’une zone météorologique sta­ble, généra­trice de brouil­lards s’est fixée sur la côte Est.

La zone terminale

L’e­space aérien envi­ron­nant un aéro­port impor­tant est organ­isé de façon à faciliter la mise en ordre pré­cise du traf­ic par les con­trôleurs aériens. Cette tâche est effec­tuée par le con­trôle d’ap­proche (TRACON, pour Ter­mi­nal Radar Area CON­trol en anglais). Ce con­trôle se situe à l’in­ter­face entre les cen­tres en route (cf. l’ar­ti­cle de Joël Rault et Jean-Renaud Gély dans ce numéro) et la tour de con­trôle de l’aéroport.

La sécu­rité est la préoc­cu­pa­tion essen­tielle des con­trôleurs en charge des mou­ve­ments aériens à prox­im­ité de l’aéro­port. Cette sécu­rité est garantie par la sépa­ra­tion du traf­ic, sépa­ra­tion qui est plus dif­fi­cile dans cette zone puisque l’aéro­port con­cen­tre le traf­ic aérien. La sépa­ra­tion du traf­ic est réal­isée de manière procé­du­rale : les avions à l’at­ter­ris­sage n’u­tilisent pas les mêmes vol­umes de l’e­space aérien que les avions au décol­lage et les vol­umes d’e­space aérien sous le con­trôle d’a­gents dif­férents sont dis­joints. Cela per­met une struc­tura­tion naturelle du traf­ic et la sépa­ra­tion des respon­s­abil­ités au plan humain.

Ain­si, le con­trôle d’ap­proche finale con­siste à espac­er pré­cisé­ment les avions afin de ne pas sat­ur­er la piste à l’at­ter­ris­sage. Cet espace­ment est actuelle­ment réal­isé par un humain, et subit dès lors des con­traintes sig­ni­fica­tives. En effet, pour obtenir un espace­ment con­ven­able, l’hu­main observe la posi­tion radar des avions et les fait pass­er par des points géo­graphiques pré­cis nom­més ” feed­ers ” où il peut véri­fi­er leur espacement.

Les incon­vénients asso­ciés à cette organ­i­sa­tion sont, out­re l’im­po­si­tion de longs détours pour cer­tains avions (tous doivent pass­er par le ” feed­er ”), une sen­si­bil­ité mar­quée aux événe­ments météorologiques : la présence d’un petit orage au-dessus d’un de ces ” feed­ers ” peut blo­quer l’ac­cès de l’aéro­port à plusieurs avions, et ain­si génér­er des retards.

La piste

La piste est sou­vent l’élé­ment le plus impor­tant de l’aéro­port. Au plan de la sécu­rité, c’est en effet à la piste que les risques d’ac­ci­dents sont les plus grands et où ont eu lieu les acci­dents les plus meur­tri­ers de l’avi­a­tion civile. Au plan de la pro­duc­tiv­ité d’un aéro­port, c’est sou­vent la piste ou la con­fig­u­ra­tion de pistes qui déter­mine la capac­ité d’un aéroport.

Aéroport de Boston
Aéro­port de Boston : con­fig­u­ra­tion de pistes tri­an­gu­laire. Au pre­mier plan, de gauche à droite, piste 9/27. Pistes par­al­lèles : 4L/22R (à gauche) et 4R/22L (à droite). Au sec­ond plan : piste 15R/33L. La piste 15L/33R, très courte, est vis­i­ble en bout d’aéroport et ne sert que pour les tout petits avions.

Quand un aéro­port pos­sède plusieurs pistes ori­en­tées dif­férem­ment, c’est la météorolo­gie, sou­vent com­binée avec des con­sid­éra­tions d’or­dre écologique, qui déter­mine la con­fig­u­ra­tion de pistes, le but étant de max­imiser le vol­ume d’opéra­tions par heure.

En général, la con­fig­u­ra­tion de pistes est rel­a­tive­ment sim­ple. Cepen­dant, elle peut être aus­si très sophis­tiquée. L’aéro­port de Boston en est un exem­ple : cinq pistes sont entrelacées de manière à for­mer un tri­an­gle. Les dis­symétries de l’aéro­port sont évi­dentes, et suiv­ant les con­di­tions météorologiques, le nom­bre d’opéra­tions pos­si­bles peut évoluer beau­coup. On a recen­sé plus de trente con­fig­u­ra­tions pos­si­bles pour l’aéro­port de Boston, la plu­part d’en­tre elles util­isant simul­tané­ment des pistes sécantes. Par exem­ple, la con­fig­u­ra­tion la plus capac­i­tive utilise la piste 4L pour les décol­lages et atter­ris­sages d’avions de trans­port régionaux (tur­bo­props), la piste 4R pour les atter­ris­sages de jets et le décol­lage des jets ” lourds ” (par exem­ple les vols transat­lan­tiques), et la piste 9 (au pre­mier plan) pour le décol­lage d’avions de tous types. Mais cette con­fig­u­ra­tion est sen­si­ble aux intem­péries et peut rapi­de­ment dégénér­er en une con­fig­u­ra­tion où la piste 4R est seule util­isée pour les arrivées et les pistes 4L et 9 sont util­isées pour les départs seule­ment. En effet, les pistes 4L et 4R sont trop proches pour effectuer des atter­ris­sages simul­tanés par mau­vaise visibilité.

Pour une con­fig­u­ra­tion de pistes don­née, la respon­s­abil­ité du con­trôleur de piste est essen­tielle­ment d’as­sur­er la sécu­rité de toutes les opéra­tions. En par­ti­c­uli­er, le con­trôleur est chargé d’as­sur­er un espace­ment adéquat entre avions au décol­lage. L’une des sit­u­a­tions les plus dif­fi­ciles aux­quelles il doit faire face est l’in­cur­sion sur une piste d’un avion non autorisé, ce qui arrive encore fréquem­ment, surtout par con­di­tions de brouil­lard où le con­trôleur perd le con­tact visuel avec l’avion. Les incur­sions de piste sont la source de col­li­sions à grande vitesse entre avions et sou­vent fatales.

Transit entre terminaux et pistes

Les taxi­ways per­me­t­tent le tran­sit des avions entre les pistes et les portes d’embarquement. Ils ser­vent sou­vent de zones tam­pon, absorbant les excès de traf­ic à l’ar­rivée si les portes d’embarquement ne sont pas encore disponibles, ou au départ, lorsque de nom­breux pilotes souhait­ent décoller. La ges­tion des taxi­ways est en général con­fiée à la tour de con­trôle. Néan­moins, dans les aéro­ports util­isés comme plaque tour­nante ” hub ” par une com­pag­nie aéri­enne, tels que Paris CDG, Dal­las ou Chica­go, la com­pag­nie dom­i­nante con­trôle aus­si les mou­ve­ments à prox­im­ité de ses portes. Les prin­ci­pales dif­fi­cultés asso­ciées à la ges­tion des taxi­ways sont :

  • Le risque de ” grid­lock ” : si le roulage des avions n’est pas soigneuse­ment coor­don­né, deux avions peu­vent par exem­ple se retrou­ver face à face sur un taxi­way n’au­torisant pas de croise­ments. Un tel blocage se trans­met rapi­de­ment aux pistes et impose le détourne­ment des atter­ris­sages. Ce genre de sit­u­a­tion est heureuse­ment rare, mais ce risque impose des direc­tions de cir­cu­la­tion très strictes.

  • Les con­traintes envi­ron­nemen­tales. La présence simul­tanée de plusieurs avions en attente de décol­lage est une source de pol­lu­tion sig­ni­fica­tive, cau­sant à la fois une con­som­ma­tion inutile de car­bu­rant et des nui­sances sonores sup­plé­men­taires. C’est pourquoi plusieurs aéro­ports lim­i­tent le nom­bre d’avions présents sur cer­tains taxi­ways situés à prox­im­ité des zones habitées. Un A 320 (env­i­ron 170 sièges) con­somme 350 kg/h de pét­role par réac­teur durant les mou­ve­ments au sol, qu’il roule ou qu’il soit en attente. Sur les grands aéro­ports, les avions atten­dent fréquem­ment une quin­zaine de min­utes avant de pou­voir décoller. Les riverains sont de plus en plus sen­si­bles aux nui­sances acous­tiques des aéro­ports. Ils récla­ment avec rai­son que les mou­ve­ments au sol ne se fassent plus au moyen des réacteurs.

  • Les con­traintes de vis­i­bil­ité. Par très mau­vaise vis­i­bil­ité, les sys­tèmes de guidage automa­tiques (“ ILS CAT‑3 ”) assurent des atter­ris­sages en toute sécu­rité, mais aucune aide n’ex­iste pour le guidage sur les bretelles et sur la plate-forme. Le réseau de taxi­ways est alors l’élé­ment sat­u­rant du sys­tème, lim­i­tant les cadences d’at­ter­ris­sage et de décol­lage ! (Cf. à ce pro­pos l’ar­ti­cle de Bertrand Augu.)

Portes d’embarquement

La ges­tion d’une porte d’embarquement est com­plexe car elle sup­pose la coor­di­na­tion de nom­breuses opéra­tions : le débar­que­ment et l’embarquement des pas­sagers et des bagages, le net­toy­age de la cab­ine et la pré­pa­ra­tion tech­nique de l’avion (check-list, cal­culs de pesée, car­bu­rant, dégivrage, etc.). Les grands aéro­ports n’ont sou­vent pas assez de portes (ou de passerelles d’embarquement) et il est par­fois néces­saire de faire atten­dre un avion à prox­im­ité immé­di­ate d’un ter­mi­nal pen­dant de longues min­utes. Situées à la charnière entre les équipes des com­pag­nies aéri­ennes et le con­trôle aérien, les opéra­tions de portes subis­sent de fortes pres­sions de part et d’autre. Ain­si, comme une com­pag­nie con­trôle un nom­bre lim­ité de portes, ses opéra­tions de type ” hub ” (où, pen­dant une courte péri­ode, les avions arrivent par vagues, échangent leurs pas­sagers, et repar­tent) peu­vent con­duire à des sit­u­a­tions de ” grid­lock ” : les pas­sagers d’un avion ne peu­vent débar­quer parce que leur porte est occupée par l’avion avec lequel ils sont pré­cisé­ment en correspondance !

Aux États-Unis et dans les grands aéro­ports européens, pour des motifs com­mer­ci­aux, les com­pag­nies aéri­ennes ont sou­vent l’usage exclusif de cer­taines portes ou ter­minaux. Cette pra­tique réduit la flex­i­bil­ité des infra­struc­tures aéro­por­tu­aires et con­duit à une sous-util­i­sa­tion chronique des portes (ou, de manière équiv­a­lente, à un sur­di­men­sion­nement des instal­la­tions). En com­para­i­son, cer­tains aéro­ports européens, tels que Paris-CDG, ont établi dans leurs ter­minaux les plus récents une ges­tion très effi­cace et flex­i­ble des portes, inclu­ant en par­ti­c­uli­er un éch­e­lon­nement de la qual­ité du ser­vice offert en fonc­tion de la demande glob­ale et des besoins des com­pag­nies aéri­ennes (lignes régulières ou charters).

Enfin, les com­pag­nies aéri­ennes ont effec­tué de gros efforts pour amélior­er le ren­de­ment des portes, notam­ment en réduisant le temps de rota­tion des avions à la passerelle d’embarquement. Cette ten­dance s’est man­i­festée spé­ci­fique­ment sur les liaisons de type ” navette “, pour lesquelles les temps de rota­tion ont été réduits jusqu’à vingt-cinq min­utes pour un Boe­ing 737.

Améliorer la productivité de l’aéroport à moyen terme

L’ap­proche ” sys­témique ” sem­ble être la seule pos­si­ble pour envis­ager des aéro­ports capa­bles d’ac­cueil­lir un traf­ic dou­ble ou triple du traf­ic actuel. Les fac­teurs les plus impor­tants qui influ­en­cent l’é­tude et le développe­ment d’outils pour amélior­er la pro­duc­tiv­ité de l’aéro­port sont le ren­de­ment économique, la sécu­rité et les fac­teurs humains. De ce point de vue, les out­ils trai­tant l’aéro­port et sa pro­duc­tiv­ité au plan macro­scopique ont le dou­ble avan­tage de ne pas inter­fér­er directe­ment avec les prob­lèmes de sécu­rité et de per­me­t­tre des gains de pro­duc­tiv­ité économique sig­ni­fi­cat­ifs. A con­trario, les out­ils plus micro­scopiques présen­tent un poten­tiel con­sid­érable, mais, de par leur nature ” temps réel “, ten­dent aus­si à impli­quer de manière beau­coup plus directe les prob­lèmes de sécu­rité et de fac­teurs humains, et néces­si­tent beau­coup plus de précautions.

Des outils macroscopiques d’analyse et de régulation

La plu­part des mod­èles math­é­ma­tiques effi­caces décrivant l’aéro­port au plan macro­scopique sont sim­ples : l’aéro­port est décrit comme le serveur d’une file d’at­tente con­sti­tuée par les avions en attente de décol­lage et d’at­ter­ris­sage. Les proces­sus de départ sont sou­vent con­sid­érés comme déter­min­istes, alors que les proces­sus d’ar­rivées sont aléa­toires, de moyenne et de vari­ance con­nues, vari­ables en fonc­tion du temps. Ces mod­èles ont été implan­tés dans plusieurs out­ils de sim­u­la­tion rapi­de et à grande échelle de l’e­space aérien. Du point de vue opéra­tionnel, ils per­me­t­tent de prévoir l’in­ten­sité des retards pour une demande don­née et d’adapter ain­si le traf­ic aux capac­ités des aéro­ports avant même qu’il ne se soit for­mé. Un avion ne décolle que si l’on ne prévoit pas de retard exces­sif à son aéro­port de des­ti­na­tion. Cette approche a été suiv­ie aus­si bien par les avi­a­tions civiles européennes qu’améri­caines. Il s’ag­it de la CFMU (Cen­tral Flow Man­age­ment Unit) en Europe et de la CFCF (Cen­tral Flow Con­trol Facil­i­ty) aux États-Unis. Ces organ­ismes imposent de plus en plus sou­vent des ” Ground Delay Pro­grams ” qui lim­i­tent les décol­lages à des­ti­na­tion d’un aéro­port donné.

Ces pro­grammes sont toute­fois cri­tiqués parce que trop con­ser­va­teurs : ce mode de régu­la­tion des flux réduit la réac­tiv­ité du sys­tème aux vari­a­tions brusques et imprévues des capac­ités des aéro­ports. Comme pour tout prob­lème de régu­la­tion, l’ef­fi­cac­ité de ces out­ils dépend à la fois de leur capac­ité de con­trôle des flux et de la disponi­bil­ité d’in­for­ma­tions essen­tielles comme les heures de départ réelle­ment prévues des avions. C’est pourquoi ces pro­grammes ont été améliorés à deux niveaux. D’une part, ils sont main­tenant répar­tis selon la dis­tance entre l’aéro­port de départ et l’aéro­port d’ar­rivée ; d’autre part, on a intro­duit des ” réser­voirs ” d’avions dans l’e­space aérien final des aéro­ports bouchés afin de pou­voir prof­iter des amélio­ra­tions imprévues de capac­ité. Enfin, les com­pag­nies améri­caines s’en­ga­gent main­tenant à fournir de meilleures infor­ma­tions sur leurs opéra­tions (pro­gramme ” Col­lab­o­ra­tive Deci­sion Making ”).

Régulation de la zone terminale

Les efforts d’amélio­ra­tion de la ges­tion de l’e­space aérien envi­ron­nant les aéro­ports se sont prin­ci­pale­ment con­cen­trés sur les arrivées. Les con­traintes asso­ciées au proces­sus d’ar­rivée sont de deux types : le main­tien de la sépa­ra­tion entre les avions néces­sité par le sil­lage tour­bil­lon­naire créé par les atter­ris­sages et l’oblig­a­tion de n’avoir jamais plus d’un avion à chaque instant sur une piste. Actuelle­ment, ces sépa­ra­tions sont fix­es et déter­minées par le type de chaque avion. Par exem­ple, la table ci-dessous décrit les sépa­ra­tions min­i­males entre les avions à l’ar­rivée pour l’aéro­port de Boston (ain­si que la plu­part des grands aéro­ports américains).

Avion suiv­ant
Avion précé­dent
Lourd Moyen Léger
Lourd 4 5 6
757 4 4 5
Moyen 2,5 2,5 4
Léger 2,5 2,5 2,5
Table 1 : sépa­ra­tions min­i­males entre deux atter­ris­sages suc­ces­sifs pour l’aéroport de Boston Logan (exprimées en milles nautiques).

Il est pos­si­ble d’amélior­er la pro­duc­tiv­ité de la piste à l’at­ter­ris­sage en effec­tu­ant des per­mu­ta­tions lim­itées de l’or­dre d’at­ter­ris­sage des avions et en essayant de réduire l’in­cer­ti­tude quant à l’e­space­ment entre avions à l’at­ter­ris­sage. Plusieurs pro­jets ont été menés dans ce but, que ce soit le pro­gramme MAESTRO (Moyen d’Aide à l’É­coule­ment Séquencé du Traf­ic avec Recherche d’Op­ti­mi­sa­tion) en France, COMPAS (Com­put­er Ori­ent­ed Meter­ing Plan­ning and Advi­so­ry Sys­tem) en Alle­magne ou CTAS (Cen­ter Tra­con Automa­tion Sys­tem) aux États-Unis. L’une des dif­fi­cultés essen­tielles ren­con­trées par ces out­ils est leur inté­gra­tion dans un envi­ron­nement humain. Il s’ag­it en effet de mod­i­fi­er les pra­tiques des con­trôleurs d’approche.

L’ex­péri­ence CTAS sem­ble être sur ce point un suc­cès. Les con­trôleurs rap­por­tent que cet out­il les con­duit à régu­laris­er leur per­for­mance à son meilleur niveau en l’ab­sence de l’outil, sans toute­fois affecter leur appréhen­sion de la sit­u­a­tion. Ain­si, l’outil n’im­pose jamais de solu­tions, mais pro­pose cer­taines déci­sions. Sous-jacents à ces out­ils, on trou­ve des pro­grammes math­é­ma­tiques sophis­tiqués effec­tu­ant essen­tielle­ment le fil­trage et la pré­dic­tion de tra­jec­toires et tes­tant des séquence­ments d’avions pos­si­bles. Les pre­miers tests à l’aéro­port de Dal­las-Fort Worth ont mon­tré des gains de pro­duc­tiv­ité sig­ni­fi­cat­ifs, de l’or­dre de 10 à 15 % d’at­ter­ris­sages sup­plé­men­taires par piste. Ces gains de capac­ité peu­vent être immé­di­ate­ment trans­férés au niveau plus stratégique décrit dans le para­graphe précé­dent. Il est cepen­dant à not­er que l’outil CTAS orig­i­nal inclu­ait beau­coup plus d’élé­ments d’au­toma­ti­sa­tion que l’outil réelle­ment implan­té. En par­ti­c­uli­er, il n’ex­iste pas encore d’outils d’e­space­ment automa­tique des avions en approche finale.

Les com­pag­nies aéri­ennes ont rapi­de­ment com­pris les béné­fices qu’elles pou­vaient tir­er d’un tel out­il : grâce à CTAS, Amer­i­can Air­lines peut pré­cisé­ment anticiper les arrivées d’avions à Dal­las et leur assign­er des portes et du per­son­nel ” juste à temps “.

Séquencement au départ

Con­traire­ment à l’at­ter­ris­sage, il y a peu d’outils opéra­tionnels pour le séquence­ment des avions au départ et les mou­ve­ments au sol. Les pro­jets d’é­tudes du séquence­ment d’avions au départ en sont encore au stade expéri­men­tal et inclu­ent, par exem­ple, les pro­jets TARMAC (Taxi And Ramp Man­age­ment And Con­trol sys­tem) en Alle­magne et SMA (Sur­face Move­ment Advi­sor) ou DSEDM (Depar­ture Sequenc­ing Engi­neer­ing Devel­op­ment Mod­el) aux États-Unis. Plusieurs approches ont été pro­posées : cer­tains out­ils, tels que TARMAC, ont délibéré­ment ten­té de gér­er les mou­ve­ments au sol et le proces­sus de départ de l’avion jusque dans ses plus menus détails. À l’autre extrême, les sys­tèmes SMA ou DSEDM ne se pro­posent que de gér­er l’or­don­nance­ment des mou­ve­ments à leur ini­ti­a­tion (repousse­ment et décol­lage par exemple).

Avion suiv­ant
Avion précé­dent
Lourd Moyen Léger
Lourd 90 120 120
Moyen 60 60 60
Léger 60 60 60
Table 2 : sépa­ra­tions min­i­males au départ dans le cas de l’aéroport de Boston (exprimées en secondes).

Ces derniers out­ils, moins sophis­tiqués, essayent de com­bin­er de manière har­monieuse les capac­ités de cal­cul de l’or­di­na­teur et la flex­i­bil­ité de l’opéra­teur humain. Dans cette caté­gorie d’outils, on trou­ve aus­si le sys­tème Har­mo­nia dis­cuté par Bertrand Augu dans ce numéro. À présent, la plu­part des out­ils ont démon­tré qu’ils pou­vaient amélior­er de manière sig­ni­fica­tive le proces­sus de départ. Néan­moins, ces out­ils se sont aus­si heurtés à des prob­lèmes humains, car ils oblig­ent les opéra­teurs à de nom­breuses manip­u­la­tions sup­plé­men­taires : l’outil n’est utile que dans les péri­odes de forte activ­ité, péri­odes pen­dant lesquelles les con­trôleurs sont déjà surchargés.

Lors de la phase de départ, deux types de con­traintes ont été iden­ti­fiés. D’une part, à cause des dif­férences de sépa­ra­tions min­i­males, l’or­dre de départ des avions influe forte­ment sur la cadence des décol­lages au niveau de la piste (cf. table 2). La com­bi­nai­son de ces règles de sépa­ra­tion avec les écarts de vitesse entre les dif­férents types d’avions pose un très intéres­sant prob­lème d’op­ti­mi­sa­tion dont le résul­tat final est le suiv­ant : pour une pop­u­la­tion d’avions don­née, il vaut mieux grouper les avions de même type. Cepen­dant, la mise en œuvre d’un tel séquence­ment est con­trar­iée par le principe d’équité ” pre­mier arrivé, pre­mier servi ” suivi par les pilotes et les autorités aériennes.

D’autre part, le pas­sage des avions du con­trôle d’ap­proche au cen­tre en route se fait plus ou moins facile­ment selon l’or­dre dans lequel les avions décol­lent. Si plusieurs avions allant dans la même direc­tion décol­lent l’un après l’autre, cer­tains devront être ralen­tis pour qu’ils soient suff­isam­ment séparés dans le cen­tre en route.

Dans les deux cas, l’ob­jec­tif essen­tiel de tout out­il d’aide au départ réside dans le séquence­ment des avions au seuil de piste. Suiv­ant les aéro­ports, ce séquence­ment peut être mod­i­fié soit ” en con­tinu “, en suiv­ant le pro­grès de l’avion en temps réel et en plan­i­fi­ant sa tra­jec­toire en temps réel pour obtenir le résul­tat désiré, soit de manière dis­crète, en con­trôlant les tran­si­tions de l’avion (par exem­ple con­trôle de l’in­stant du repousse­ment). Il est notam­ment dif­fi­cile d’a­gir sur le séquence­ment des avions quand ils sont en mou­ve­ment sur un taxi­way parce que le con­trôleur est sou­vent trop occupé à assur­er la sécu­rité des mou­ve­ments au sol et à éviter les grid­locks. C’est pourquoi il appa­raît que l’or­dre dans lequel les avions quit­tent leurs portes est sou­vent forte­ment cor­rélé avec l’or­dre dans lequel ils arrivent à la piste de décol­lage, c’est-à-dire que les per­mu­ta­tions d’avions sont tou­jours d’am­pli­tude mod­érée. Dans ce cas, le tra­vail de séquence­ment doit être fait avant que l’avion ne quitte la porte. Au con­traire, un aéro­port éten­du com­por­tant plusieurs pistes tel que Paris-CDG autorise le séquence­ment des avions à plusieurs étapes du tra­jet entre la porte et le seuil de piste. Ce type de séquence­ment est prob­a­ble­ment fais­able en util­isant les infra­struc­tures de com­mu­ni­ca­tion et de con­trôle actuelles.

Gestion “fine” de la piste

Comme on l’a souligné, le goulet d’é­tran­gle­ment de l’aéro­port est le plus sou­vent la piste. Ain­si, comme en ges­tion de pro­duc­tion, toute action visant à amélior­er la pro­duc­tiv­ité brute de la piste (le goulet) con­tribue directe­ment à la pro­duc­tiv­ité de l’aéro­port tout entier. Les lim­ites actuelles à la pro­duc­tiv­ité de la piste sont motivées par les impérat­ifs de sécu­rité ; toute mod­i­fi­ca­tion est donc sujette à un proces­sus rigoureux de véri­fi­ca­tion et de cer­ti­fi­ca­tion. Les fac­teurs lim­i­tant la pro­duc­tiv­ité de la piste sont :

• Les stan­dards de sépa­ra­tion entre avions au décol­lage et à l’at­ter­ris­sage ont été étab­lis pour mit­iger l’ef­fet des tour­bil­lons créés par la por­tance d’un avion sur l’avion lui suc­cé­dant. L’in­ci­dence des phénomènes tour­bil­lon­naires change con­sid­érable­ment en fonc­tion des con­di­tions météorologiques : un léger vent latéral peut dériv­er les tour­bil­lons de façon à ne gên­er aucune­ment l’avion suiv­ant, mais peut avoir un effet sur les avions atter­ris­sant sur une piste par­al­lèle. Jusqu’i­ci des espace­ments de sécu­rité fix­es ont été défi­nis. Ils cor­re­spon­dent aux con­di­tions les plus sévères et, par con­séquent, pénalisent les cadences par beau temps. Plusieurs efforts por­tent donc sur la détec­tion des tour­bil­lons et de leurs mou­ve­ments. Si ces efforts por­tent leurs fruits, il sera alors pos­si­ble de réduire les sépa­ra­tions min­i­males de manière con­sid­érable. Le proces­sus de décol­lage en béné­ficiera immé­di­ate­ment, puisque la cadence à laque­lle les avions peu­vent accéder à la piste peut prob­a­ble­ment suiv­re facile­ment l’évo­lu­tion des con­di­tions de vent sur cette piste. En revanche, il se peut que le proces­sus d’at­ter­ris­sage ne béné­fi­cie pas autant d’une telle amélio­ra­tion, car les avions à l’ar­rivée sont générale­ment espacés en vue de l’at­ter­ris­sage plusieurs min­utes, voire plusieurs dizaines de min­utes avant l’at­ter­ris­sage, et ne peu­vent s’adapter facile­ment à une vari­a­tion brusque des con­di­tions de piste. Ces avions préféreront donc suiv­re un espace­ment cor­re­spon­dant aux pires espace­ments pos­si­bles, de peur d’avoir à remet­tre les gaz.

• Les règles d’oc­cu­pa­tion des pistes imposent qu’il n’y ait jamais plus d’un avion présent sur la piste à tout instant. Tout assou­plisse­ment de cette règle peut con­tribuer à la pro­duc­tiv­ité de l’aéro­port. Un pro­gramme de recherch­es à Lon­dres-Heathrow a per­mis de définir des con­di­tions dans lesquelles deux avions peu­vent être simul­tané­ment présents sur la piste. Il a aus­si exam­iné les con­cepts pou­vant men­er à une réduc­tion du temps d’oc­cu­pa­tion des pistes par les avions : à l’ar­rivée, l’in­tro­duc­tion de ” ram­pes de sor­ties préféren­tielles ” en fonc­tion de la masse et du type d’avion, et, au départ, la mise en place de procé­dures de décol­lages avec poussée moteur accrue

Améliorer la productivité de l’aéroport à long terme

Dans cette sec­tion, nous exam­inons quelques con­cepts dont l’ap­pli­ca­tion pour­rait amélior­er la pro­duc­tiv­ité des aéro­ports, mais dont l’é­tude et l’im­plan­ta­tion ne devraient avoir lieu que dans quelques années.

Automatisation de l’aéroport : considérations générales

L’au­toma­ti­sa­tion par­tielle ou com­plète de l’aéro­port est un con­cept attrayant. En effet, il est com­muné­ment admis que les opéra­teurs humains actuelle­ment chargés de la ges­tion de l’aéro­port ne peu­vent plus amélior­er leur pro­duc­tiv­ité sans l’aide d’outils infor­ma­tiques relat­ifs à la présen­ta­tion d’in­for­ma­tion et la par­tic­i­pa­tion à la prise de déci­sion. Cepen­dant, les efforts récents d’au­toma­ti­sa­tion mas­sive, tels que le pro­jet AAS (Advanced Automa­tion Sys­tem) aux États-Unis, se sont sol­dés par des échecs qua­si com­plets, en dépit de l’in­vestisse­ment de plusieurs mil­liards de dol­lars sur le pro­jet. Les pro­grammes cana­di­ens (CAATS) ou anglais (NERC, New En Route Cen­ter) sont de manière sim­i­laire en mau­vaise pos­ture. L’une des raisons de ces échecs est le manque de con­nais­sances fon­da­men­tales sur la dynamique et les con­traintes asso­ciées à des sys­tèmes com­plex­es tels que le sys­tème de trans­port aérien civ­il : alors que le pilotage automa­tique d’un avion de ligne est main­tenant rel­a­tive­ment bien com­pris et maîtrisé (cf. à ce pro­pos l’ar­ti­cle de Bernard Ziegler), la com­mande automa­tique et opti­male de plusieurs avions reste un sujet très dif­fi­cile, tant au plan des appli­ca­tions pra­tiques que des recherch­es fon­da­men­tales. En par­ti­c­uli­er, l’au­toma­ti­sa­tion de la plate-forme aéro­por­tu­aire se heurtera à une dif­fi­culté fon­da­men­tale, la ges­tion de la sécu­rité. Les stan­dards de sécu­rité que doit sat­is­faire un sys­tème automa­tique sont bien plus élevés que ceux que doit sat­is­faire un opéra­teur humain équiv­a­lent : il est bien plus dif­fi­cile d’ac­cepter la respon­s­abil­ité des actions pré­con­isées par un ordi­na­teur. Par ailleurs, prou­ver la sécu­rité d’un sys­tème automa­tique est une tâche onéreuse et très dif­fi­cile, située en fait à la fron­tière des con­nais­sances math­é­ma­tiques actuelles. Bien que des pro­grès sen­si­bles aient été effec­tués dans ce domaine, on est encore très loin de pou­voir prou­ver la sécu­rité d’un sys­tème automa­tique aéro­por­tu­aire com­plexe. D’où la néces­sité de lancer dès main­tenant des recherch­es de base dans ce domaine.

Automatisation de la plate-forme aéroportuaire

La ges­tion automa­tique des mobiles (avions et tous véhicules cir­cu­lant sur la plate-forme) ne con­cerne que les aéro­ports à grand traf­ic. Le guidage au sol des avions néces­site des équipements aéro­por­tu­aires complémentaires.

Un avion de type A 320 en tran­sit sur l’aéro­port con­somme 350 kg de car­bu­rant par heure et par réac­teur, qu’il soit en mou­ve­ment ou non. De sur­croît, les con­traintes de bruit et la pos­si­bil­ité d’in­ci­dent moteur (avalage d’un débris au sol) motivent la dis­cus­sion d’une ges­tion automa­tisée des mou­ve­ments d’avions au sol, leurs mou­ve­ments étant par exem­ple assurés par des tracteurs diesel con­som­mant env­i­ron 20 kg de car­bu­rant par heure.

S’il est dif­fi­cile pour un pilote ou le con­duc­teur d’un camion artic­ulé ou d’un tracteur de plusieurs remorques de con­naître, de façon pré­cise, le vol­ume que le véhicule artic­ulé occupe, on peut envis­ager de faire cette esti­ma­tion avec une bonne pré­ci­sion par des moyens automa­tiques. Il est égale­ment pos­si­ble de suiv­re le déplace­ment de cette emprise volu­mique lors du déplace­ment des véhicules.

En vue d’une ges­tion automa­tique de tous les mobiles au sol, il est pro­posé d’ac­crocher à chaque avion un tracteur dès sa sor­tie de piste, sur une par­tie de bretelle rec­tiligne. Pour être com­pat­i­ble avec les cadences d’at­ter­ris­sage max­i­males (inter­valles de l’or­dre de 50 sec­on­des), il est néces­saire de prévoir un accrochage automa­tique sans arrêter l’avion, celui-ci évolu­ant à 5 nœuds. Au départ de la passerelle, le mou­ve­ment de l’avion reste tou­jours assuré par le tracteur ; la mise en route des réac­teurs peut être assurée quelques min­utes avant la péné­tra­tion sur piste, vers la fin du remorquage.

Automatisation de la zone terminale

L’au­toma­ti­sa­tion de la zone ter­mi­nale (les out­ils de type MAESTRO ou CTAS) pour­rait être encore plus poussée. Par exem­ple, les algo­rithmes de CTAS ne dis­cu­tent actuelle­ment ni de la notion de ” point d’en­trée “, ni de l’aligne­ment des avions suiv­ant des routes prédéfinies avant l’at­ter­ris­sage ou de la sépa­ra­tion des espaces aériens dévo­lus aux départs et aux arrivées. Il est con­ceptuelle­ment pos­si­ble de rem­plac­er ce sys­tème par un sys­tème beau­coup moins struc­turé, dans lequel les avions pour­raient utilis­er des routes presque directes en direc­tion de la piste d’at­ter­ris­sage. Néan­moins, une telle philoso­phie requer­rait plusieurs élé­ments, qui sont :

. un moyen de posi­tion­nement sûr de tous les avions présents,

. un sys­tème infor­ma­tique capa­ble de gér­er tous les avions présents, en par­ti­c­uli­er les prob­lèmes d’anticollision.

De ce point de vue, un ” moyen unique et mon­di­al de posi­tion­nement ” (de type GPS) asso­cié à un sys­tème iner­tiel embar­qué (les cen­trales à gyro-lasers) présente un intérêt clair. Actuelle­ment, ce sys­tème per­met un posi­tion­nement à 100 m près sans util­i­sa­tion de balis­es sol per­me­t­tant de tra­vailler ” en dif­féren­tiel “. Il n’est pas encore cer­ti­fié comme moyen unique de nav­i­ga­tion à cause de son manque ” d’in­tégrité “. Cette défi­cience est en cours d’é­tude (sys­tèmes WAAS aux États-Unis, MTSAT au Japon), mais encore le sujet de con­tro­ver­s­es. La pré­ci­sion de 100 m est suff­isante pour assur­er le guidage des avions en zone ter­mi­nale à con­di­tion que leurs posi­tions soient ” rafraîchies ” au moins toutes les cinq sec­on­des, cadence actuelle­ment fournie par les radars sec­ondaires de la plu­part des ter­rains assur­ant un traf­ic inter­na­tion­al (la vitesse d’un avion en approche finale est d’en­v­i­ron 70 m/s). L’adop­tion prob­a­ble de l’ADS‑B, capa­ble de trans­met­tre les posi­tions avion (ain­si que d’autres paramètres) à des cadences supérieures à 1 Hz, devrait per­me­t­tre au con­trôleur d’ap­proche une ges­tion de traf­ic beau­coup plus per­for­mante qu’aujourd’hui.

Toute­fois, la sen­si­bil­ité de GPS au brouil­lage devra être résolue (cela pou­vant être fait grâce à l’in­tro­duc­tion pro­gres­sive de nom­breuses con­stel­la­tions de satel­lites de com­mu­ni­ca­tion, sur lesquelles le sys­tème de con­trôle du traf­ic aérien pour­ra se fonder).

Pour les approches au sol, un sys­tème de nav­i­ga­tion par satel­lite ne per­met pas encore les atter­ris­sages par mau­vaise vis­i­bil­ité (vis­i­bil­ité ver­ti­cale 10 m, vis­i­bil­ité hor­i­zon­tale 100 m). Le dilemme est alors le suivant :

. opter pour l’in­stal­la­tion sys­té­ma­tique de balis­es au sol et des sys­tèmes de com­mu­ni­ca­tion balise-avion ; on ne pour­ra pas alors éviter des procé­dures de con­trôle de pré­ci­sion en plus des dis­posi­tifs de véri­fi­ca­tion per­ma­nente du fonc­tion­nement en con­di­tions nom­i­nales sur tous les ter­rains classés ” CAT‑3 “. L’en­tre­tien de ces balis­es sera à la charge des pays con­cernés : il n’est pas évi­dent que tous les pays accepteront cette charge tech­nique et financière ;

. accroître la pré­ci­sion actuelle du sys­tème de nav­i­ga­tion par satel­lite GPS. Dans ces con­di­tions, le pilotage de l’avion se fera en manuel depuis une hau­teur de 10 à 15 m jusqu’au touch­er des roues, freinage dans l’axe de la piste, sor­tie de piste et chem­ine­ment jusqu’à l’aérog­a­re, grâce à un sys­tème de vision arti­fi­cielle qui restituera sur un viseur ” tête haute ” une piste artificielle.

Cette dernière solu­tion est attrayante : l’avion nav­igue de façon sûre grâce au GPS et peut se pos­er en toutes con­di­tions météorologiques sur n’im­porte quel ter­rain si la longueur de piste est suff­isante ; seul un con­trôle d’or­don­nance­ment des vols reste et restera tou­jours, indis­pens­able. Mais elle est com­plexe, car la resti­tu­tion d’im­ages à par­tir de don­nées ” naturelles ” telles que l’émit­tance du sol dans divers­es longueurs d’onde, ou bien excitées par des dis­posi­tifs à bord (Radars mil­limétriques) néces­site un traite­ment d’in­for­ma­tion por­tant sur de nom­breux paramètres. Les don­nées ” naturelles ” sont en per­pétuelle évo­lu­tion durant la journée, seule l’u­til­i­sa­tion de plusieurs ban­des de fréquence, soit simul­tané­ment, soit de façon adap­ta­tive, est envis­age­able ; le traite­ment de don­nées en temps qua­si réel, qui doit être fait, impose des processeurs puissants.

Les prob­lèmes asso­ciés au développe­ment d’un sys­tème automa­tique de ges­tion des avions sont, à nou­veau, essen­tielle­ment des prob­lèmes de cer­ti­fi­ca­tion. Réalis­er un sys­tème automa­tisé de ges­tion d’avions mul­ti­ples est facile. Con­va­in­cre les insti­tu­tions de sa fia­bil­ité est extrême­ment dif­fi­cile, et la recherche fon­da­men­tale néces­saire pour com­pren­dre ce prob­lème ne fait que commencer.

Conclusion

Curieuse­ment, les délais de réal­i­sa­tion d’un pro­jet entre la déf­i­ni­tion des spé­ci­fi­ca­tions et la sor­tie du pro­to­type sont extrême­ment vari­ables suiv­ant la nature du pro­jet : qua­tre ans pour un avion, quinze ans pour un nou­veau réac­teur, dix ans pour une cen­trale nucléaire de fil­ière clas­sique. Com­bi­en faut-il de temps pour un aéroport ?

Là n’est pas le prob­lème. Un aéro­port est un sys­tème com­plexe qui évolue con­tinû­ment. Il allie des élé­ments de nature dif­férente : la ges­tion des avions, ges­tion devant englober la descente, l’ap­proche, l’at­ter­ris­sage, les chem­ine­ments au sol ; la ges­tion des passerelles et des salles d’at­tente, les liaisons aéroport-ville(s) et les liaisons inter-aérog­a­res, la ges­tion des bagages, etc., sans oubli­er que l’ob­jet de tous ces prob­lèmes — si l’on peut dire — est le pas­sager. Il faut con­stam­ment l’in­former et le con­tenter ! La crois­sance du traf­ic ne pour­ra être soutenue que si les prob­lèmes de l’aéro­port sont réso­lus dans leur ensem­ble. Les solu­tions actuelle­ment envis­agées sont plus des pal­li­at­ifs aux insat­is­fac­tions quo­ti­di­ennes que de véri­ta­bles solu­tions d’ensem­ble. Certes, il faut les pour­suiv­re car il faut sat­is­faire la demande. Mais l’aéro­port de 2010 ou 2015 ne sera très prob­a­ble­ment pas une extrap­o­la­tion des aéro­ports actuels : le prob­lème doit être pris glob­ale­ment dans le cadre de l’ap­proche système.

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