5G Internet des objets

La technologie 5G comme accélérateur de l’Internet des objets

Dossier : Internet des objetsMagazine N°784 Avril 2023
Par Thierry UGUEN

La 5G apportera des pos­si­bil­ités inédites pour les objets con­nec­tés, qui fonc­tion­nent actuelle­ment en 4G. Les per­spec­tives sont ent­hou­si­as­mantes pour les fana­tiques de Tech. Néan­moins la tran­si­tion entre la sit­u­a­tion actuelle et l’utilisation de la 5G pren­dra du temps, car les coûts de cette tran­si­tion seront élevés tant pour les util­isa­teurs que pour les indus­triels. Les uns et les autres franchi­ront le pas en fonc­tion de leur per­spec­tive de retour sur investissement.

Avec env­i­ron cinq cents mil­lions de nou­veaux objets con­nec­tés atten­dus en 2023 et une pro­jec­tion à six cents mil­lions en 2027, large­ment dynamisée par l’arrivée de la 5G, le cel­lu­laire représente une part sig­ni­fica­tive et crois­sante de l’IoT. Pour com­pren­dre l’apport de la 5G dans le domaine de l’Inter­net of Things (Inter­net des objets), nous souhaitons rap­pel­er dans le présent arti­cle ce que la 5G con­tient de manière stan­dard et à quels types d’applications peu­vent béné­fici­er les dif­férentes caté­gories de ser­vices qu’elle offre. Nous nous intéresserons dans un sec­ond temps au décalage entre le stan­dard et la réal­ité du ter­rain, et essayerons de dress­er un panora­ma des dif­férentes per­spec­tives ouvertes dans le secteur de l’industrie.

Qu’est-ce que la 5G ? 

Quand nous enten­dons par­ler de 5G, notre expéri­ence d’utilisateur des réseaux cel­lu­laires nous ori­ente immé­di­ate­ment vers l’idée de très haut débit, plus rapi­de encore que la 4G que nous util­isons sur nos smart­phones : il faut, pour vivre avec son temps, avoir sur l’écran du télé­phone une icône 5G. En réal­ité, la 5G est un stan­dard 3GPP (3rd gen­er­a­tion part­ner­ship project) qui cou­vre beau­coup plus que les cas d’usage en haut débit. Pour rap­pel, en 2012 l’ITU (Union inter­na­tionale des télé­com­mu­ni­ca­tions) a lancé la déf­i­ni­tion des cas d’usage et des spé­ci­fi­ca­tions pour la nou­velle généra­tion de stan­dard IMT-2020 5G. Le 3GPP ayant la respon­s­abil­ité de spé­ci­fi­er le stan­dard, la pre­mière ver­sion (Rel 15) a été final­isée en 2018 et, en 2020, l’ITU a approu­vé l’IMT-2020 au tra­vers de la deux­ième ver­sion (Rel 16).


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Un standard divisé en catégories

En plus de la mise à dis­po­si­tion de nou­velles fréquences, notam­ment du nou­veau bloc de fréquences FR2 mil­limétriques (24 250 – 52 600 MHz), le stan­dard 5G définit des caté­gories de ser­vices s’adressant à des usages spé­ci­fiques qui cor­re­spon­dent typ­ique­ment à des besoins liés au monde indus­triel et à l’IoT. Reposant sur une archi­tec­ture vir­tu­al­isée et offrant la pos­si­bil­ité de créer des net­work slic­ing (c’est-à-dire de divis­er une infra­struc­ture de réseau physique unique en plusieurs réseaux virtuels), ce stan­dard per­met d’allouer de façon flex­i­ble des ressources adap­tées aux dif­férents cas d’usage. À l’origine, le stan­dard com­por­tait les caté­gories suiv­antes : eMBB, mMTC, URLLC.

L’eMBB

L’eMBB (enhanced mobile broad­band) est la caté­gorie de ser­vices réservée aux très hauts débits (~ 7,67 Gbps), dédiée aux appli­ca­tions de type rou­teur et point d’accès sans fil, en plus des usages util­isa­teurs pour smart­phones, de la réal­ité virtuelle et réal­ité aug­men­tée ou des jeux, lesquels pour­ront béné­fici­er de débits ultra-rapi­des, ren­dus pos­si­bles par l’usage des ondes mil­limétriques. Les ondes mil­limétriques sont déjà util­isées pour per­me­t­tre de con­necter un nom­bre impor­tant d’utilisateurs, réu­nis par exem­ple pour un événe­ment sportif dans un stade (Ver­i­zon notam­ment assure la con­nec­tiv­ité des spec­ta­teurs lors du Super Bowl aux États-Unis en 5G hautes fréquences).

Le mMTC

Le mMTC (mas­sive machine type com­mu­ni­ca­tions) s’envisage comme le suc­cesseur des tech­nolo­gies LPWAN (low pow­er wide area net­work) cel­lu­laires fondées sur la 4G (LTE‑M et NB-IoT), en offrant la pos­si­bil­ité de con­necter encore plus d’objets, avec des per­for­mances de con­som­ma­tion améliorées. Le mMTC s’adresse aux appli­ca­tions de comp­teurs élec­triques, gaz et eau, de sys­tèmes d’éclairage con­nec­tés et autres dans les villes intel­li­gentes, ain­si qu’au suivi et au traçage d’appareils dis­posant de modems très peu gour­mands en courant. Le mMTC per­me­t­tant de con­som­mer moins d’énergie, il facilite l’utilisation et donc encour­age la con­cep­tion de pro­duits pou­vant fonc­tion­ner sur batterie.

L’URLLC

L’URLLC (ultra-reli­able and low laten­cy com­mu­ni­ca­tions) est la grande nou­veauté per­mise par le stan­dard 5G. Cette caté­gorie de ser­vices ouvre un champ de nou­velles appli­ca­tions qui, à ce jour, ne sont pas con­nec­tées, faute d’obtenir et de garan­tir de bonnes per­for­mances. Nous pou­vons notam­ment men­tion­ner les équipements indus­triels et la robo­t­ique, les infra­struc­tures cri­tiques ou gou­verne­men­tales, ain­si que les drones. Toutes ces appli­ca­tions néces­si­tent d’avoir une latence extrême­ment faible (< 5 ms) ou d’avoir la garantie que l’information ira de l’objet vers le cloud ou tout autre récep­tion­naire du mes­sage. Pour ces cas d’usage, la capac­ité du réseau est util­isée pour répéter les sig­naux (rep­e­ti­tion and redun­dan­cy) et les envoy­er depuis plusieurs points de façon coor­don­née (coor­di­nat­ed mul­ti­point trans­mis­sion). Les fonc­tions de time-sen­si­tive net­work­ing (TSN) per­me­t­tent de garan­tir un temps de réponse extrême­ment faible sur les réseaux. Le rêve des indus­triels serait de pou­voir con­necter tous leurs équipements avec un seul type de réseau sans fil. Ne pas devoir redé­ploy­er des réseaux filaires, pour des sites dont la dis­tri­b­u­tion des équipements évolue régulière­ment selon les pro­duits fab­riqués, offrirait un gain de temps et une flex­i­bil­ité impor­tante. Avec la 5G, les appareils exigeant du temps réel, comme des auto­mates et des robots de pro­duc­tion con­nec­tés, pour­ront être redé­ployés sans engen­dr­er des coûts et des temps d’agencement onéreux. Nous pou­vons par ailleurs not­er que tous les objets, qu’ils néces­si­tent des débits élevés ou des débits faibles, seraient rassem­blés sur un réseau unique, ce qui représen­terait égale­ment un gain impor­tant en ter­mes d’infrastructures pour les sites de fabrication.

Le développement des réseaux privés

Il existe plusieurs nou­velles appli­ca­tions pos­si­bles grâce à la nou­velle ver­sion de la tech­nolo­gie 5G. Ain­si, les réseaux privés, essen­tiels pour assur­er la sécu­rité, devi­en­nent acces­si­bles à tous grâce à la 5G. Le stan­dard 5G intè­gre en effet l’accès à des ban­des de fréquences sans licence ; cela est asso­cié à des mécan­ismes per­me­t­tant de réguler l’utilisation de ces ban­des de fréquences par les dif­férents util­isa­teurs (mécan­ismes de pri­or­i­sa­tion). Cette com­bi­nai­son entre URLLC et util­i­sa­tion facil­itée de ban­des de fréquences libres a voca­tion à faciliter et accélér­er le déploiement de réseaux privés, qui apporteront une sécu­rité et des per­for­mances iné­gal­ables par des opéra­teurs publics. Des entre­pris­es privées pour­raient ain­si facile­ment déploy­er des infra­struc­tures vir­tu­al­isées et pour­raient se pass­er des opéra­teurs, en maîtrisant le déploiement de leur pro­pre réseau cellulaire. 

D’autres perspectives

Pour citer un autre exem­ple d’application, l’émergence du marché des voitures autonomes va béné­fici­er de l’évolution du stan­dard 5G et du pas­sage de la release 15 à la release 18, qui com­prend notam­ment les caté­gories de ser­vices vehi­cle to user (V2X). Égale­ment, les appli­ca­tions à faible débit sont désor­mais pris­es en compte dans les dernières releas­es du stan­dard 3GPP ; les releas­es les plus récentes, 17 et 18, per­me­t­tront de gér­er les plus faibles débits de type 4G (entre 10 Mbps et 100 Mbps), qui cor­re­spon­dent à la grande majorité des objets con­nec­tés, tels que les machines de dis­tri­b­u­tions con­nec­tées, les sys­tèmes d’alarme vidéo, les ter­minaux de paiement et les équipements de suiv­is médicaux. 

Rendre le déploiement rentable

Nous com­prenons donc que le stan­dard 5G con­tin­ue d’évoluer pour offrir un équiv­a­lent ou une amélio­ra­tion par rap­port à toutes les tech­nolo­gies cel­lu­laires exis­tantes. Grâce à la 5G, tout objet, quel qu’il soit, pour­ra être con­nec­té et accéder à des per­for­mances adap­tées et opti­misées au cas d’usage sur un réseau unifié. Cepen­dant, le stan­dard 5G est récent à l’échelle des tech­nolo­gies cel­lu­laires, et son déploiement est com­plexe et long. Il requiert d’être adop­té par l’ensemble des acteurs de l’écosystème de l’IoT : les fab­ri­cants de puces, les opéra­teurs, les inté­gra­teurs, les four­nisseurs de ser­vices… Et, pour que cet écosys­tème adopte le stan­dard 5G, il est néces­saire de garan­tir des retours sur investisse­ment (ROI) et de prévoir la monéti­sa­tion des pro­duits et nou­veaux services.

Le coût de la transition pour les utilisateurs

Par exem­ple, pour béné­fici­er du mMTC et de l’URLLC il est néces­saire de déploy­er des archi­tec­tures dites stand­alone, c’est-à-dire que le cœur de réseau (core net­work) doit être de type 5G. Des mil­lions d’objets sont déployés à ce jour sur les réseaux 4G à faible débit LTE‑M et NB-IoT, et les per­for­mances répon­dent assez bien aux besoins des util­isa­teurs. Décom­mis­sion­ner les réseaux 4G LTE‑M et NB-IoT est extrême­ment coû­teux pour les util­isa­teurs, qui devront rem­plac­er les objets con­nec­tés 4G alors qu’ils vien­nent de faire la tran­si­tion depuis les réseaux 2G et 3G. L’idée de devoir à nou­veau met­tre à jour le parc d’équipements de tous ces objets pour les con­necter en 5G est un frein au déploiement du mMTC et à son adop­tion par l’écosystème de l’IoT. Ain­si, le mMTC n’est pas déployé à ce jour par les opéra­teurs, qui ne veu­lent pas per­dre leurs clients et préfèrent main­tenir le min­i­mum d’infrastructures 4G néces­saire pour opér­er les réseaux LTE‑M et NB-IoT, peu gour­mands en ressources. La per­spec­tive d’une caté­gorie de ser­vices eRE­CAP (enhanced reduced capac­i­ty) dans la release 18 assez proche des spé­ci­fi­ca­tions du LTE‑M pour­rait bien tir­er un trait sur l’avenir du mMTC.

Le coût pour les industriels

Autre exem­ple : nous con­sta­tons la faible adop­tion des très hautes fréquences (mil­limétriques), qui per­me­t­traient d’augmenter la capac­ité du réseau et de garan­tir une latence très faible. Les freins sont nom­breux et nous pou­vons citer la com­plex­ité de mise en instal­la­tion des antennes (coût de développe­ment pour les fab­ri­cants), le coût de l’équipement (jusqu’à cinq fois supérieur au coût nor­mal), et aus­si les coûts de cer­ti­fi­ca­tions (FCC, CE, opéra­teurs). Tout cela empêche des objets util­isant cette tech­nolo­gie d’être déployés sur les réseaux. Et ce, alors que les cou­ver­tures de réseau des opéra­teurs restent par­tielles en rai­son de sur­coûts d’infrastructures évi­dents. Toutes ces dif­fi­cultés et les coûts asso­ciés font qu’à ce jour les ondes mil­limétriques ne sont util­isées que sur des marchés de niche (stades pour événe­ments cul­turels et sportifs, par exem­ple) et rien ne laisse entrevoir l’économie d’échelle néces­saire à la réduc­tion des coûts.

Le cas des routeurs

Plus sim­ple­ment encore, les fab­ri­cants de rou­teurs ont été refroidis par les pre­miers lance­ments de rou­teurs 5G aux États-Unis. Quand la fameuse C‑band n’était pas encore disponible aux États-Unis, les per­for­mances atteintes par ces rou­teurs ne jus­ti­fi­aient en rien le sur­coût par rap­port à des rou­teurs fonc­tion­nant en 4G high speed. À la lec­ture des investisse­ments colos­saux réal­isés par les opéra­teurs améri­cains, il sem­ble évi­dent que ces prob­lèmes de disponi­bil­ité de bande pas­sante ont été iden­ti­fiés. Ain­si, nous avons pu con­stater les pre­miers updates de modem en fin d’année 2022, pour per­me­t­tre d’exploiter la C‑band et donc d’obtenir les débits escomptés.

“Les opérateurs de services mobiles seront des décideurs clés pour offrir certains services plus complexes et différenciants.”

Côté URLLC, l’une des plus grandes inno­va­tions offertes par la 5G, il fau­dra atten­dre que des réseaux stand­alone soient déployés et que des chipsets soient dévelop­pés afin de pou­voir sup­port­er cette caté­gorie de services.
La pos­si­bil­ité d’opérer des réseaux privés plus facile­ment avec la 5G peut même, poten­tielle­ment, remet­tre en ques­tion le besoin de la caté­gorie URLLC : en effet, opér­er dans un envi­ron­nement de réseaux privés isolé d’un réseau pub­lic est déjà un moyen d’améliorer la fia­bil­ité de la con­nex­ion et de réduire la latence, le tout se jouant dans un envi­ron­nement proche et restreint.

Il faudra du temps… 

La 5G a égale­ment été pen­sée pour l’IoT, et pas seule­ment pour les cas d’usage haut débit. Elle offre des pos­si­bil­ités révo­lu­tion­naires pour ses util­isa­teurs. De fait, le pan­el de fonc­tion­nal­ités va accélér­er le déploiement des objets con­nec­tés et ren­dre de nou­veaux usages pos­si­bles, tels que la voiture autonome et les indus­tries con­nec­tées en réseaux privés. Néan­moins, le déploiement de la 5G dans l’IoT va pren­dre du temps et dépen­dra beau­coup des choix stratégiques des dif­férents mem­bres de l’écosystème ; les opéra­teurs de ser­vices mobiles seront des décideurs clés pour offrir cer­tains ser­vices plus com­plex­es et dif­féren­ciants. Ces mêmes opéra­teurs seront éventuelle­ment men­acés par de nou­veaux entrants pro­posant des réseaux privés. Les acteurs du semi-con­duc­teur auront, eux aus­si, des choix cru­ci­aux à effectuer, car ils devront créer des puces dédiées à des marchés de niche, comme les infra­struc­tures cri­tiques, et être con­va­in­cus du retour sur des investisse­ments qui restent colos­saux, une puce dédiée coû­tant entre 40 et 60 mil­lions de dol­lars américains.

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