La stratégie de Peugeot-Citroen : le choix de la croissance interne

Dossier : L'automobileMagazine N°557 Septembre 2000
Par Jean-Martin FOLZ (66)

Les facteurs clés de réussite sur le marché mondial

Les facteurs clés de réussite sur le marché mondial

L’au­to­mo­bile n’est pas une com­mo­di­té, c’est un pro­duit de marque dont l’é­vo­lu­tion va dans le sens d’une diver­si­té tou­jours crois­sante des modèles, pour répondre aux attentes de plus en plus dif­fé­ren­ciées de nom­breux mar­chés aux goûts et aux demandes bien dis­tincts. Le concept de voi­ture mon­diale a aujourd’­hui été aban­don­né par ses der­niers défen­seurs, et le nombre glo­bal d’u­ni­tés pro­duites, s’il est un fac­teur clé de suc­cès lors­qu’il s’a­git de lin­gots d’a­lu­mi­nium ou de tonnes de sucre, ne paraît pas être le para­mètre cen­tral d’une stra­té­gie auto­mo­bile : sans même évo­quer la réus­site de » spé­cia­listes » comme BMW ou Porsche, il suf­fit de com­pa­rer les per­for­mances de Gene­ral Motors et de Hon­da pour s’en convaincre.

Sur un mar­ché très seg­men­té, en constante évo­lu­tion, le fac­teur clé de réus­site paraît mani­fes­te­ment être la capa­ci­té à lan­cer à un rythme sou­te­nu des modèles attrac­tifs à des prix com­pé­ti­tifs ; la ques­tion que doit se poser PSA Peu­geot-Citroën, 6e construc­teur mon­dial de voi­tures dans la clas­si­fi­ca­tion OICA des groupes conso­li­dés, avec quelque 5 % de part de mar­ché, est de savoir si sa taille est d’une manière ou d’une autre un obs­tacle à l’ob­ten­tion de prix de revient compétitifs.

Où la taille est importante

Au plan indus­triel, la taille opti­male des outils de pro­duc­tion auto­mo­bile fait l’ob­jet d’un large consen­sus : le centre de mon­tage idéal a une capa­ci­té de 1 200 à 1 500 voi­tures par jour en deux équipes et la ligne de moteurs la plus pro­duc­tive atteint 2 000 à 2 500 moteurs par jour en trois équipes. Avec une pro­duc­tion d’au­to­mo­biles supé­rieure à 12 000 par jour et une pro­duc­tion de moteurs voi­sine de 14 000 par jour le groupe PSA Peu­geot-Citroën n’a pas de pro­blème de taille pour satu­rer un nombre rai­son­nable d’u­ni­tés de pro­duc­tion de taille mondiale.

La vraie ques­tion est ailleurs ; l’ef­fet de taille est-il déter­mi­nant lors­qu’il s’a­git de répar­tir des dépenses de recherche et de déve­lop­pe­ment sur des séries assez longues, ou de dis­cu­ter de prix avec des four­nis­seurs sur la base de volumes assez impor­tants ? À l’é­vi­dence, oui. Mais encore une fois, il ne s’a­git pas de séries de voi­tures, dont la dif­fé­ren­cia­tion crois­sante est patente, mais de volumes de pièces, de com­po­sants, d’or­ganes des­ti­nés à l’as­sem­blage de ces voi­tures. Cette impé­rieuse recherche de volumes de pro­duc­tion plus consé­quents ins­pire le mou­ve­ment mon­dial de restruc­tu­ra­tion de l’in­dus­trie des équi­pe­ments pour auto­mo­biles, un mou­ve­ment qui, lui, est fon­dé sur d’in­dis­cu­tables consi­dé­ra­tions économiques.

Mais le construc­teur auto­mo­bile a lui aus­si un rôle majeur à jouer pour aug­men­ter les volumes et ratio­na­li­ser la pro­duc­tion des pièces et des com­po­sants ; PSA Peu­geot-Citroën a pour sa part rete­nu trois voies de pro­gres­sion : la crois­sance interne, une forte com­mu­nau­té de com­po­sants entre modèles dif­fé­rents par appli­ca­tion d’une poli­tique de plates-formes, des par­te­na­riats ponc­tuels mais durables entre construc­teurs indé­pen­dants pour le déve­lop­pe­ment et la pro­duc­tion conjointe de cer­tains organes ou consti­tuants d’au­to­mo­biles. Cha­cune de ces trois orien­ta­tions mérite un commentaire.

Les partenariats entre constructeurs

Lorsque deux construc­teurs auto­mo­biles ont pour un organe méca­nique don­né, par exemple une famille de moteurs, des besoins suf­fi­sam­ment proches en défi­ni­tion tech­nique et des calen­driers de lan­ce­ments suf­fi­sam­ment voi­sins, ils ont un inté­rêt mani­feste à par­ta­ger dépenses de recherche et de déve­lop­pe­ment et efforts d’in­ves­tis­se­ment. PSA Peu­geot-Citroën consi­dère que de tels par­te­na­riats, qui n’ap­pellent, dans la vision et la pra­tique qu’en a le Groupe, aucun échange de par­ti­ci­pa­tions, com­plètent heu­reu­se­ment sa stra­té­gie ; à la coopé­ra­tion menée depuis trente ans avec Renault et qui porte aujourd’­hui sur les moteurs V6 essence et les boîtes de vitesses auto­ma­tiques, à celle enga­gée depuis vingt ans avec Fiat sur les véhi­cules uti­li­taires légers et les grands mono­spaces est venue s’a­jou­ter en 1999 une asso­cia­tion avec le groupe Ford pour étu­dier et pro­duire en com­mun une gamme com­plète de moteurs die­sel des­ti­nés à équi­per les voi­tures des marques Peu­geot, Citroën, Ford, Maz­da, Vol­vo, Jaguar… Une telle asso­cia­tion, dans un domaine clé de la ren­ta­bi­li­té des pro­jets auto­mo­biles, où la notion de volume a une vraie signi­fi­ca­tion éco­no­mique, donne à PSA Peu­geot-Citroën les atouts du lea­der mon­dial. D’autres accords de même type seront recher­chés chaque fois que l’am­pleur des enjeux d’é­tudes et d’in­ves­tis­se­ments les ren­dra attrayants.

La politique de plates-formes

Une autre manière d’al­lon­ger les séries de pièces et de com­po­sants est de pra­ti­quer une poli­tique rigou­reuse de mise en com­mun entre dif­fé­rents véhi­cules du Groupe. Menée avec dis­cer­ne­ment, une telle poli­tique ne com­porte pas de risque d’u­ni­for­mi­sa­tion des pro­duits ain­si qu’en atteste par exemple le cas de la Citroën Xsa­ra Picas­so, qui par­tage 55 % de ses pièces avec d’autres véhi­cules du Groupe et ne res­semble cer­tai­ne­ment à aucune autre Peu­geot ou Citroën.

Dans ce domaine, le Groupe s’est enga­gé dans une ambi­tieuse poli­tique de plates-formes, ce terme recou­vrant l’en­semble des pièces et com­po­sants com­muns à deux véhi­cules (moteur, boîte de vitesses, direc­tion, trains rou­lants, sus­pen­sion mais aus­si condi­tion­ne­ment d’air, arma­tures de sièges…). L’ob­jec­tif fixé consiste à avoir en 2001 75 % des auto­mo­biles du Groupe construites sur trois plates-formes, deux véhi­cules étant répu­tés par­ta­ger la même plate-forme lors­qu’ils ont en com­mun au moins 60 % de leur coût de revient.

Cette poli­tique de plates-formes se tra­duit aus­si dans l’or­ga­ni­sa­tion interne des ser­vices d’é­tudes et de déve­lop­pe­ment du Groupe, dans la ges­tion de la vie-série des modèles, et dans la spé­cia­li­sa­tion pro­gres­sive des prin­ci­paux sites de mon­tage euro­péens dans les véhi­cules Peu­geot et Citroën construits sur une plate-forme donnée.

La croissance

La plus évi­dente manière de faire pro­gres­ser les volumes de pièces et de com­po­sants est bien enten­du la crois­sance du nombre de voi­tures ven­dues. C’est l’axe prin­ci­pal de la stra­té­gie du groupe PSA Peu­geot-Citroën qui enre­gistre actuel­le­ment une spec­ta­cu­laire pro­gres­sion de ses ventes : 2,1 mil­lions de voi­tures en 1997, 2,3 mil­lions de voi­tures en 1998, 2,51 mil­lions de voi­tures en 1999, au moins 2,7 mil­lions en 2000.

Cette crois­sance est tirée par trois moteurs prin­ci­paux : l’ex­ploi­ta­tion des inno­va­tions du Groupe, la conso­li­da­tion des posi­tions euro­péennes, le déve­lop­pe­ment hors Europe.

L’innovation, premier moteur de la croissance

PSA Peu­geot-Citroën a retrou­vé une posi­tion de lea­der dans l’in­no­va­tion technologique.

En 1998, c’est le lan­ce­ment du moteur die­sel à injec­tion directe par rampe com­mune haute pres­sion, qui est deve­nu en quelques mois la réfé­rence euro­péenne de ce type de moto­ri­sa­tion : 360 000 voi­tures Peu­geot et Citroën équi­pées en 1999, au moins 700 000 en 2000.

En 1999, PSA Peu­geot-Citroën pré­sente une pre­mière mon­diale, le filtre à par­ti­cules pour moteur die­sel, qui apporte une réponse défi­ni­tive à la der­nière cri­tique que sup­por­tait encore cette moto­ri­sa­tion par ailleurs si per­for­mante pour la réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre : depuis le début de l’an­née 2000, toutes les Peu­geot 607 die­sel sont équi­pées d’un filtre à par­ti­cules et cette inno­va­tion majeure va être pro­gres­si­ve­ment éten­due à l’en­semble des gammes des deux marques.

Au prin­temps 2000 est lan­cé le moteur HPI, moteur essence à injec­tion directe en mélange pauvre stra­ti­fié, le pre­mier moteur de concep­tion euro­péenne à offrir les réduc­tions de consom­ma­tion d’es­sence que per­met le mélange pauvre tout en res­pec­tant les contraintes régle­men­taires en matière d’oxydes d’a­zote ; ce moteur équi­pe­ra pro­chai­ne­ment les ber­lines de caté­go­rie moyenne supé­rieure des deux marques du Groupe.

Mais l’in­no­va­tion auto­mo­bile n’est pas que tech­no­lo­gique ; elle doit aus­si jouer un rôle essen­tiel dans le style et les concepts auto­mo­biles. Le suc­cès mon­dial ren­con­tré par la Peu­geot 206, dont la pro­duc­tion dépasse 3 000 voitures/jour, bien­tôt com­plé­tée par une ver­sion cou­pé-cabrio­let, les ventes de la Citroën Xsa­ra Picas­so et de la Peu­geot 607, qui dépassent dès les pre­miers mois leurs objec­tifs de lan­ce­ment, illus­trent des stra­té­gies pro­duit qui répondent, dans la logique d’i­den­ti­tés de marques clai­re­ment défi­nies, aux attentes de seg­ments de clien­tèle bien identifiés.

Des » concept-cars » comme la Citroën Plu­riel, dévoi­lée au Salon de Franc­fort en 1999, annoncent par ailleurs de nou­veaux concepts auto­mo­biles qui ver­ront effec­ti­ve­ment le jour dans les pro­chaines années.

Enfin, PSA Peu­geot-Citroën veut per­mettre à ses clients de béné­fi­cier dans leurs voi­tures de toutes les faci­li­tés qu’ap­portent les nou­velles tech­no­lo­gies de l’in­for­ma­tion et de la com­mu­ni­ca­tion ; le lan­ce­ment com­mer­cial de la série des Citroën Xsa­ra Win­dows CE comme la joint-ven­ture fon­dée avec Viven­di pour déve­lop­per une gamme de ser­vices Inter­net dédiés à l’au­to­mo­bi­liste illus­trent l’a­vance concur­ren­tielle du Groupe dans ce domaine.

La consolidation des parts de marché européennes

PSA Peu­geot-Citroën occupe la deuxième place sur le mar­ché auto­mo­bile euro­péen der­rière le groupe Volks­wa­gen, ce clas­se­ment recou­vrant en fait une deuxième place sur le mar­ché des véhi­cules par­ti­cu­liers et une nette pre­mière place sur celui des véhi­cules uti­li­taires légers.

Ce posi­tion­ne­ment sur les mar­chés euro­péens résulte en fait de situa­tions très contras­tées selon les pays ; s’a­gis­sant des cinq grands mar­chés, le groupe PSA Peu­geot-Citroën est en posi­tion de lea­der en France et en Espagne, très soli­de­ment ins­tal­lé en Grande-Bre­tagne, bien implan­té en Ita­lie, mais occupe une posi­tion encore insuf­fi­sante en Allemagne.

La stra­té­gie euro­péenne du Groupe com­porte donc une part de défense active des posi­tions acquises, nour­rie par les lan­ce­ments de nou­velles voi­tures, et une part d’of­fen­sive réso­lue dans les zones où la péné­tra­tion des deux marques du Groupe est encore insuf­fi­sante, et notam­ment en Alle­magne. Dans ce pays, pre­mier mar­ché auto­mo­bile euro­péen, le Groupe a enga­gé des pro­grammes volon­ta­ristes d’a­dap­ta­tion de son offre pro­duit et d’é­vo­lu­tion de son réseau de dis­tri­bu­tion avec pour objec­tif de dou­bler sa part de mar­ché en six ans.

Le développement hors Europe

Les ventes du groupe PSA Peu­geot-Citroën en dehors d’Eu­rope occi­den­tale repré­sentent en 1999 15 % du total, et ce faible niveau illustre une for­mi­dable oppor­tu­ni­té de développement.

Dans l’im­mé­diat, la prio­ri­té est don­née aux régions du monde où la demande auto­mo­bile peut être lar­ge­ment satis­faite par l’offre actuelle des marques du Groupe et deux zones de déve­lop­pe­ment ont été rete­nues, l’Eu­rope cen­trale et, en Amé­rique du Sud, le Mercosur.

Si, en Europe cen­trale, l’am­bi­tion du Groupe est avant tout com­mer­ciale et passe par le déve­lop­pe­ment des filiales locales et la moder­ni­sa­tion des réseaux de dis­tri­bu­tion, la pro­gres­sion des parts de mar­ché dans le Mer­co­sur néces­site une implan­ta­tion indus­trielle régio­nale : c’est dans ce but que le Groupe a pris en 1999 le contrôle de son ancien impor­ta­teur en Argen­tine pour accé­der dans ce pays à une capa­ci­té de pro­duc­tion moderne et per­for­mante, et qu’il construit une nou­velle usine auto­mo­bile dans l’É­tat de Rio, au Bré­sil, qui com­men­ce­ra à pro­duire des Citroën Xsa­ra Picas­so puis des Peu­geot 206 à par­tir de la fin de l’an­née 1999.

À côté de ces deux zones prio­ri­taires de déve­lop­pe­ment le Groupe est bien enten­du actif sur la plu­part des mar­chés mon­diaux, une men­tion spé­ciale devant être accor­dée au suc­cès ren­con­tré en Chine : la Citroën Fu-Kang pro­duite en joint-ven­ture avec le groupe Dong-Feng est la troi­sième voi­ture la plus ven­due en Chine avec quelque 10 % du mar­ché des voi­tures par­ti­cu­lières, et le réseau de la marque compte déjà 400 points de vente.

La rentabilité économique au service de la croissance

Le choix d’une stra­té­gie de crois­sance interne ambi­tieuse sup­pose que le groupe PSA Peu­geot-Citroën dégage en effet les marges d’ex­ploi­ta­tion cor­res­pon­dantes. Tota­le­ment désen­det­té, le Groupe génère un auto­fi­nan­ce­ment qui lui per­met de faire face à des pro­grammes d’in­ves­tis­se­ment supé­rieurs de plus de 50 % à ceux de la décen­nie pré­cé­dente, amé­liore régu­liè­re­ment son taux de marge d’ex­ploi­ta­tion en dépit d’un fort accrois­se­ment, de 25 % en 1999, des dépenses de recherche et déve­lop­pe­ment qui gagent l’ac­cé­lé­ra­tion des lan­ce­ments de nou­veaux véhi­cules, et a recom­men­cé en 1999 à créer de la valeur avec une ren­ta­bi­li­té avant impôt des capi­taux employés supé­rieure à 14 %.

Une stra­té­gie auto­mo­bile ne s’ap­pré­cie que sur le moyen terme, et il serait mani­fes­te­ment pré­ma­tu­ré de juger aujourd’­hui du choix de la crois­sance interne dans laquelle s’est réso­lu­ment enga­gé le groupe PSA Peu­geot-Citroën. Tout au plus peut-on noter que tant les inves­tis­seurs – le titre Peu­geot SA s’est appré­cié de 37 % entre le 30 juin 1999 et le 30 juin 2000, la meilleure per­for­mance des construc­teurs auto­mo­biles mon­diaux – que les ache­teurs d’au­to­mo­biles – les imma­tri­cu­la­tions euro­péennes de voi­tures par­ti­cu­lières et uti­li­taires légers Peu­geot et Citroën ont pro­gres­sé de 12,9 % au pre­mier semestre 2000 sur un mar­ché qui crois­sait de 2,2 %, les ventes des deux marques hors Europe occi­den­tale aug­men­tant pour leur part de 40 % sur la même période – expriment actuel­le­ment une opi­nion plu­tôt favorable.

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