La Rose amoureuse

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°543 Mars 1999Par : GOLDONIRédacteur : Philippe OBLIN (46)

On vient de s’asseoir devant le rideau encore bais­sé de la Comédie ital­i­enne et on est bien con­tent parce qu’elle va jouer du Goldoni : La Rose amoureuse. En bon maître de mai­son, M. Mag­giul­li a veil­lé à l’installation des spec­ta­teurs. Comme c’est dimanche après-midi, il y a quelques enfants. On les installe au pre­mier rang, et les par­ents der­rière eux, pour ne pas les éloign­er de leurs chères têtes blondes.

Puis, avec cette exquise ponc­tu­al­ité qui mar­que les bonnes maisons, les lumières s’éteignent à l’heure dite. J.-P. Lahore écarte le rideau et vient nous expli­quer, avec sa voix chaleureuse et con­va­in­cue, que le spec­ta­cle à quoi nous allons assis­ter est tiré d’un livret de Goldoni, écrit en vue d’un opéra, mais que ce ne sera pas un opéra : il aurait fal­lu, faute de place, choisir entre des musi­ciens et pas de spec­ta­teurs, ou l’inverse. On a choisi l’inverse, pour notre bon­heur, mais il y aura tout de même de la musique. “ Musi­ca ! ” s’écrie-t-il d’ailleurs, en ouvrant tout grand le rideau.

Et com­mence, une fois de plus en ce lieu béni, une éblouis­sante féerie, un cha­toiement de cos­tumes étince­lants et d’idées folles, qui ne sont sans doute pas toutes de Goldoni, mais peu importe.

Vous ver­rez un papil­lon tomber amoureux d’un bou­ton de rose ; une dili­gente abeille con­fron­tée à un choix déli­cat s’en tir­er avec un moyen éprou­vé : Une poule sur un mur, qui picore du pain dur... ; une carotte s’entretenir avec un navet, mais elle a un sur­prenant accent anglais et ponctue ses phras­es de “ Il est, n’est-il pas ? ” ; un magi­cien se faire expédi­er dans la lune en châ­ti­ment de sa noirceur d’âme, et ce sera pour de vrai, à en juger par la taille de la fusée qu’on lui a accrochée au der­rière ; elle crache de ter­ri­fi­antes étincelles.

En bref, un tour­bil­lon de trou­vailles à vous en faire per­dre haleine, sans une sec­onde de répit, quel que soit votre âge.

Com­me­dia dell’Arte sig­ni­fie tout bon­nement Théâtre pro­fes­sion­nel. Ce terme, apparu au XVIe siè­cle, fut retenu par les pre­mières troupes ital­i­ennes de comé­di­ens de méti­er. Ils entendaient ain­si se démar­quer des comé­di­ens occa­sion­nels mon­tant des spec­ta­cles à but d’édification religieuse ou, dans les col­lèges, de con­ser­va­tion des cul­tures théâ­trales grec­ques et latines. La majorité d’entre eux se spé­cial­isa peu à peu dans la farce, avec des per­son­nages stéréo­typés tels qu’Arlequin, Pan­talon, Scaramouche…

Et ce que vous admir­erez rue de la Gaîté, c’est juste­ment le méti­er de cette troupe capa­ble de vous emporter au sep­tième ciel de l’art théâ­tral avec des moyens tout sim­ples, et en s’appuyant sur un argu­ment d’une extrême minceur : un magi­cien qui tente de con­trari­er les amours d’un papil­lon et d’un bou­ton de rose, ce n’est pas du Sartre !

La troupe s’est un peu renou­velée, et l’on doit s’en féliciter pour les jeunes comé­di­ens qui sont là à bonne école, autour des deux piliers de la mai­son, Hélène Lestrade et J.-P. Lahore, tout ce petit monde demeu­rant bien sûr sous la direc­tion scénique d’Attilio Maggiulli.

Alors, allez donc les applaudir. Tous méri­tent vos éloges. Quant à vous, vous fer­ez pro­vi­sion de bonne humeur pour des mois.

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