Eclosion de poussins

La réorganisation d’une filière économique

Dossier : L'entreprise en difficultéMagazine N°713 Mars 2016
Par Bertrand PIENS (74)

L’his­toire du retourne­ment d’une filère com­plète, où nom­bre d’en­tre­pris­es ont subi des dif­fi­cultés majeures, celle de la volaille de chair en Bre­tagne. Des man­agers habitués aux sit­u­a­tions de crise ont pris les com­man­des et ont pu con­va­in­cre les par­ties prenantes de leur méth­odes en jouant sur le sou­tien des créanciers, la sol­i­dar­ité des acteurs, une réduc­tion des vol­umes et des mesures d’or­dre opérationnel.

En ces temps dif­fi­ciles pour l’élevage français de porcs et de bovins, il est utile de revenir sur la restruc­tura­tion d’une autre activ­ité d’élevage, com­mencée plus tôt, dans la volaille de chair.À par­tir de 2006, la sit­u­a­tion de la fil­ière s’est peu à peu dégradée par l’effet com­biné d’investissements mal­heureux, de hausse du prix des ali­ments et de con­cur­rence des autres pays européens, par­fois d’erreurs de gestion.

En 2012, une entre­prise impor­tante du secteur, Doux, dépose son bilan.

La prin­ci­pale coopéra­tive d’élevage de volaille en Bre­tagne, UKL-Arrée, ne choisit pas cette solu­tion, et ne peut béné­fici­er de la tré­sorerie apportée par le gel des dettes, ce qui l’amène à s’engager dans une restruc­tura­tion longue et douloureuse.

Dans le même temps, une part impor­tante des autres entre­pris­es pro­duisant de la volaille des­tinée à l’exportation con­naît des dif­fi­cultés majeures.

REPÈRES

Le secteur de la volaille de chair s’est fortement développé en France, et particulièrement en Bretagne, entre les années 1970 et 1990.
En 2000, il employait directement près de cent mille personnes pour une production de 2,3 millions de tonnes de viande. Dix ans plus tard, la production avait baissé de 20 % et le nombre d’emplois s’était réduit à 60 000.

2012, Année de crise

En 2012, l’ensemble de la fil­ière est donc en grande dif­fi­culté en com­mençant par les éleveurs qui non seule­ment ont vu leur rémunéra­tion baiss­er, mais risquent de ne pas touch­er leur dû, gelé dans le dépôt de bilan de Doux ou dans la crise de tré­sorerie d’UKL-Arrée.

“ Une part importante des entreprises du secteur connaît des difficultés majeures ”

Les trans­for­ma­teurs pré­parant des plats élaborés livrés à la grande dis­tri­b­u­tion ou à la restau­ra­tion hors foy­er, les cou­voirs, les organ­i­sa­tions de pro­duc­tion et les abat­toirs voient leur rentabil­ité remise en cause et leur tré­sorerie s’assécher.

Très endet­té et forte­ment défici­taire, le groupe Doux change de man­age­ment. Arnaud Mar­i­on, man­ag­er habitué aux sit­u­a­tions de crise, est nom­mé prési­dent du direc­toire. Il réor­gan­ise l’entreprise en s’appuyant sur les éleveurs et les four­nisseurs de volaille.

Dans le même temps, il restruc­ture la dette en faisant entr­er au cap­i­tal un investis­seur spé­cial­isé dans le retourne­ment d’entreprise.

En novem­bre 2014, Arnaud Mar­i­on fait approu­ver le plan de con­tin­u­a­tion offrant aux créanciers le choix entre un paiement immé­di­at d’une par­tie seule­ment de leurs créances ou le paiement sur dix ans de la total­ité de celles-ci. Le plan est accepté.

En 2015, le groupe, porté de plus par une con­jonc­ture favor­able, et mal­gré la dis­pari­tion des sub­ven­tions européennes à l’exportation, devait rede­venir bénéficiaire.


La mod­erni­sa­tion des éle­vages est à poursuivre.

LES DÉBOIRES D’UNE COOPÉRATIVE

Le redressement d’UKL-Arrée a été long, s’étalant sur plus de trois années. Le statut coopératif est en effet peu adapté pour mettre en œuvre une restructuration qui doit être acceptée par un conseil d’administration composé d’éleveurs ayant la double qualité d’actionnaires et de prestataires.
Après s’être déchiré au sein de ses organes de direction, avoir changé de président deux fois en deux ans, après avoir fait partir son directeur général sans pouvoir se mettre d’accord sur le choix d’un successeur, UKL m’a appelé au printemps 2014 pour réorganiser la coopérative et la ramener à l’équilibre d’exploitation.
Les retards dans la mise en œuvre du plan ont coûté près de 15 millions d’euros sur trois années et ont obligé la coopérative à trouver un adossement, en cours de mise en place.

Une crise longue et douloureuse

En aval, dans les autres entre­pris­es de la fil­ière, la restruc­tura­tion a eu lieu en con­cen­trant les out­ils de pro­duc­tion et en intro­duisant de nou­veaux man­agers aptes à pilot­er des out­ils indus­triels. Cela a pris beau­coup de temps et ne s’est pas fait sans dégâts.

Tilly Sab­co, le sec­ond expor­ta­teur de poulets entiers con­gelés, après Doux, a déposé son bilan et peine à redé­mar­rer : bien que l’annonce en ait été faite plusieurs années aupar­a­vant par les autorités de Brux­elles, il ne s’était pas pré­paré à l’arrêt pro­gres­sif des sub­ven­tions à l’exportation ver­sées par l’Europe.

Leur dis­pari­tion totale à la fin 2013 a représen­té un manque à gag­n­er de 400 euros par tonne, soit env­i­ron 20 % du prix de vente.

De même, des entre­pris­es comme Beld­is, dans la trans­for­ma­tion des din­des, ont dû être liq­uidées. Cer­tains abat­toirs ont été fermés.

Depuis le début 2015, la sit­u­a­tion est en grande par­tie assainie, et les vol­umes repar­tent à la hausse. La restruc­tura­tion de la fil­ière a été réal­isée par la con­jonc­tion de qua­tre types de facteurs :

  • le sou­tien des prin­ci­paux créanciers tout d’abord,
  • la sol­i­dar­ité entre les prin­ci­paux acteurs de la fil­ière ensuite,
  • la réduc­tion des vol­umes afin de lim­iter les besoins en trésorerie,
  • et la mise en œuvre de mesures d’ordre opéra­tionnel enfin.

Une restructuration complexe

Les ban­ques et les prin­ci­paux four­nisseurs d’aliments ont main­tenu leurs con­cours, par­fois en y étant con­traints par le redresse­ment judi­ci­aire de l’entreprise, mais aus­si de façon volon­taire dans d’autres cas.

“ Depuis le début 2015, la situation est en grande partie assainie ”

C’est ain­si que les 13 mil­lions d’euros de crédits à court terme accordés à UKL par qua­tre ban­ques ont été régulière­ment prorogés.

De même, Doux a pu, dès 2012, obtenir de la banque prê­teuse et du prin­ci­pal client du groupe un sou­tien financier de 30 mil­lions d’euros. Cela a notam­ment per­mis aux deux entités de con­serv­er le sou­tien de leurs éleveurs, pour UKL au moins pen­dant les dix-huit pre­miers mois.

La sol­i­dar­ité entre les prin­ci­paux acteurs de la fil­ière s’est man­i­festée notam­ment entre UKL et Doux, le pre­mier étant un impor­tant four­nisseur du second.

Doux a remis en place une ligne de crédit de près de 5 mil­lions d’euros dès le début de l’année 2013.

UKL a, pour sa part, accep­té que son prin­ci­pal client en din­des béné­fi­cie d’un délai de trois ans pour apur­er sa dette de plus de 3 mil­lions d’euros.

Réduction des volumes

Cepen­dant, les pertes étant impor­tantes, et l’activité étant forte­ment con­som­ma­trice de tré­sorerie, il n’aurait pas été pos­si­ble d’assurer la pour­suite de l’exploitation sans réduc­tion sen­si­ble des volumes.

Le groupe Doux s’est défait de son pôle « frais », ain­si que de ses fil­iales brésili­ennes. Son chiffre d’affaires est passé de 1,7 mil­liard d’euros en 2008 à moins de 0,5 mil­liard en 2013 et le groupe s’est recen­tré presque exclu­sive­ment sur le poulet surgelé ven­du au Moyen-Orient.

UKL forte­ment a réduit son activ­ité de dinde de chair en se séparant de la repro­duc­tion sur cette caté­gorie de volaille. Le chiffre d’affaires a été ramené de 250 mil­lions d’euros en 2011 à 120 actuelle­ment, ce qui a per­mis de réduire le besoin de finance­ment néces­saire de plus de 15 mil­lions d’euros.

Se doter d’outils de pilotage

Chez UKL, alors que la marge brute glob­ale était de moins de 2 % pour 250 mil­lions d’euros de chiffre d’affaires, la coopéra­tive ne pro­dui­sait pas d’arrêté compt­able men­su­el ni de comptes détail­lés en fin d’année. Les marges par activ­ité étaient inconnues.

“ Moderniser les élevages pour maintenir une position concurrentielle favorable ”

À la suite d’un impor­tant tra­vail ana­ly­tique per­me­t­tant d’identifier et de suiv­re le détail des coûts à cha­cune des étapes de la pro­duc­tion, un plan de restruc­tura­tion a été pro­posé dès le début 2013.

Compte tenu des dis­sen­sions et ater­moiements au sein d’UKL, mais aus­si de la longueur des procé­dures judi­ci­aires ami­ables con­comi­tantes, le plan n’a pu véri­ta­ble­ment être mis en œuvre qu’à par­tir du mois de sep­tem­bre 2014.

Un plan en quatre volets

Le plan de restruc­tura­tion d’UKL com­pre­nait qua­tre types d’actions : une réor­gan­i­sa­tion tout d’abord, afin de clar­i­fi­er le partage des respon­s­abil­ités entre les ser­vices et de don­ner ain­si à cha­cun des objec­tifs quan­tifiés et précis.

Le ren­force­ment des appuis tech­niques aux éleveurs ensuite, afin de leur per­me­t­tre d’améliorer leur effi­cac­ité et donc leur rémunération.

Le troisième axe a porté sur une meilleure ges­tion du cou­voir, en réduisant le nom­bre de races de poules et en per­me­t­tant un meilleur con­trôle tech­nique de l’accouvage.

Enfin, le plan comp­tait un volet « maîtrise de la con­som­ma­tion d’aliment » pour opti­miser la crois­sance des volailles en qual­ité et en poids. Cela a per­mis, en neuf mois, de dou­bler la marge brute et de ramen­er la coopéra­tive à l’équilibre.

La nécessité d’une coordination d’ensemble

Au total, la restruc­tura­tion du secteur de la volaille dans son ensem­ble est par­ti­c­ulière­ment instruc­tive en illus­trant la néces­sité d’utiliser con­join­te­ment plusieurs types d’outils, financiers et opéra­tionnels, de faire appel à des com­pé­tences spé­cial­isées de divers­es natures – juristes, admin­is­tra­teurs judi­ci­aires, man­agers –, et enfin de coor­don­ner les actions menées sur les dif­férentes entre­pris­es de la filière.

UN TRAVAIL EN PROFONDEUR

La restructuration opérationnelle du secteur a été profonde. En 2010, il vivait encore sur les modes de fonctionnement des années 1990, période pendant laquelle les marges étaient importantes.
Chez Doux, dès son arrivée, Arnaud Marion a lancé des groupes de travail en vue d’augmenter la productivité des élevages : amélioration de la performance des aliments, homogénéité des poids, qualité des volailles livrées, etc.
Les mesures mises en œuvre par la suite ont permis d’améliorer sensiblement la productivité.

Dans ce cas pré­cis, ce rôle a été assuré par les représen­tants locaux de l’État qui ont veil­lé, en par­ti­c­uli­er, à ce que les entre­pris­es se par­lent et à ce que les tri­bunaux de com­merce aient une vision glob­ale des dif­férents dossiers.

Le rétab­lisse­ment a été obtenu. Il reste un volet à met­tre en œuvre pour assur­er à la volaille bre­tonne un avenir à moyen terme : la mod­erni­sa­tion des éle­vages, indis­pens­able pour la pour­suite de l’amélioration de la qual­ité et de la productivité.

Cette mod­erni­sa­tion per­me­t­tra de main­tenir une posi­tion con­cur­ren­tielle favor­able, par rap­port notam­ment aux grands con­cur­rents des pays émergents.

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