La recherche sur les OGM : entre innovation et controverse

Dossier : Les biotechnologies, industries majeures du XXIe siècleMagazine N°642 Février 2009
Par François HOULLIER (78)

Déf­i­ni­tion

Déf­i­ni­tion
La déf­i­ni­tion légale des OGM a ceci de par­ti­c­uli­er qu’elle ne porte pas sur la nature de ces organ­ismes mais sur le car­ac­tère plus ou moins arti­fi­ciel du procédé par lequel ils ont été obtenus : un OGM est ain­si défi­ni par la direc­tive européenne 2001–2018/CE comme « un organ­isme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel géné­tique a été mod­i­fié d’une manière qui ne s’effectue pas naturelle­ment par mul­ti­pli­ca­tion et/ou par recom­bi­nai­son naturelle ». Une autre par­tic­u­lar­ité est que l’expression générique « OGM » recou­vre de fait une grande diver­sité de sit­u­a­tions selon la plante et le trans­gène con­cernés et la fonc­tion ain­si visée. On définit ain­si un événe­ment de trans­for­ma­tion comme un triplet « plante – trans­gène – lieu d’insertion du trans­gène dans le génome de la plante ».
Il existe donc poten­tielle­ment un très grand nom­bre d’OGM ayant, cha­cun, une (des) propriété(s) spécifique(s) : tolérance aux her­bi­cides, résis­tance aux ravageurs des cul­tures ou à des virus, mat­u­ra­tion et qual­ité nutri­tion­nelle des fruits, pro­priétés physic­ochim­iques de la lig­no­cel­lu­lose, etc. 

La trans­génèse est aujourd’hui un out­il de recherche très large­ment répandu

Les biotech­nolo­gies végé­tales cou­vrent un large spec­tre de tech­niques. La trans­génèse en est un cas par­ti­c­uli­er, dont les ” OGM ” (organ­ismes géné­tique­ment mod­i­fiés) sont des appli­ca­tions qui ont con­cen­tré l’at­ten­tion de la société, qui font tou­jours l’ob­jet de con­tro­ver­s­es et de con­flits, mais qui ont con­nu un essor con­sid­érable dans plusieurs pays. La trans­génèse désigne le trans­fert, par des voies biologiques ou physiques, d’un ou de plusieurs gènes, appelés trans­gènes, d’un organ­isme vivant dans un autre. L’une des car­ac­téris­tiques de cette tech­nolo­gie a été la rapid­ité de son développe­ment : une douzaine d’an­nées entre l’ob­ten­tion — au lab­o­ra­toire grâce aux agrobac­téries et en Europe — des pre­miers tabacs trans­géniques (1983) et la pre­mière autori­sa­tion de mise sur le marché de plantes trans­géniques (une tomate en 1994 aux USA) ou les pre­mières cul­tures à grande échelle (1996) ; une dizaine d’an­nées ensuite pour attein­dre le seuil de 100 mil­lions d’hectares de cultures.

La trans­génèse est aujour­d’hui un out­il de recherche très large­ment répan­du dans les lab­o­ra­toires de biolo­gie et de géné­tique végé­tales. Cette util­i­sa­tion ne pose pas de prob­lème par­ti­c­uli­er autre que celui, tech­nique, du con­fine­ment. Les plantes trans­géniques sont en effet des out­ils pré­cieux en génomique fonc­tion­nelle, c’est-à-dire pour iden­ti­fi­er et valid­er expéri­men­tale­ment la fonc­tion des gènes. Leur étude a aus­si été à l’o­rig­ine de décou­vertes sci­en­tifiques majeures, par exem­ple de mécan­ismes épigéné­tiques, très généraux et jusque-là incon­nus, et qui con­cer­nent la régu­la­tion de l’ex­pres­sion des gènes.

Ce sont, en revanche, les appli­ca­tions agri­coles de la trans­génèse qui font débat. Après les pre­mières phas­es de domes­ti­ca­tion, il y a plusieurs mil­lé­naires, l’amélio­ra­tion des plantes s’est pro­gres­sive­ment tech­ni­cisée en ayant recours à des méth­odes de plus en plus sophis­tiquées : elle a ain­si con­tribué, en inter­ac­tion avec d’autres fac­teurs, à l’évo­lu­tion spec­tac­u­laire des ren­de­ments, par exem­ple de 6,5 quintaux/ha à près de 25 quintaux/ha pour le blé en Inde entre 1950 et 2000 (Doré et Varo­quaux, 2006). La trans­génèse fait par­tie de l’éven­tail des méth­odes d’amélio­ra­tion des plantes : elle per­met en théorie de con­fér­er à la plante des traits par­ti­c­uliers pourvu que ceux-ci soient gou­vernés par un seul (ou quelques) gène(s) et que ce(s) gène(s) ait (en) été préal­able­ment identifié(s), validé(s) et cloné(s).

110 mil­lions d’hectares

La sur­face des cul­tures géné­tique­ment mod­i­fiées a régulière­ment aug­men­té depuis 1996 pour attein­dre plus de 110 mil­lions d’hectares en 2007. Ces sur­faces sont prin­ci­pale­ment local­isées en Amérique (Nord et Sud), en Asie et en Afrique. Plus d’une cen­taine d’événe­ments de trans­for­ma­tion sont aujour­d’hui autorisés dans le monde, mais un tout petit nom­bre d’en­tre eux domi­nent les appli­ca­tions com­mer­ciales : en pre­mier lieu, la tolérance aux her­bi­cides, qui per­met de sim­pli­fi­er les tech­niques cul­tur­ales, puis la résis­tance aux insectes ravageurs, ces deux traits étant de plus en plus fréquem­ment com­binés dans la même plante ; les prin­ci­pales cul­tures géné­tique­ment mod­i­fiées sont le soja et le maïs, dédiés à l’al­i­men­ta­tion ani­male ou à des usages indus­triels, le coton et le colza ; les cul­tures d’OGM dédiées à l’al­i­men­ta­tion humaine restent aujour­d’hui de fait marginales.

Évo­lu­tion des sur­faces des prin­ci­pales cul­tures géné­tique­ment mod­i­fiées dans le monde : soja, maïs, coton, colza (d’après Clive James, 2008).

OGM : un ” problème ” multidimensionnel

La com­bi­nai­son des défis adressés à l’a­gri­cul­ture (aug­men­ta­tion de la pop­u­la­tion mon­di­ale, mod­i­fi­ca­tions des régimes ali­men­taires, demande accrue de bio­masse végé­tale non seule­ment pour l’al­i­men­ta­tion humaine et ani­male mais aus­si pour des usages énergé­tiques, chim­iques ou la pro­duc­tion de fibres et de bio­matéri­aux) et de la prise de con­science de la fini­tude des ressources naturelles et de la crise envi­ron­nemen­tale glob­ale sus­cite une attente crois­sante vis-à-vis de l’amélio­ra­tion des plantes : la trans­génèse appa­raît ain­si comme une oppor­tu­nité qui ne peut pas être nég­ligée. Simul­tané­ment, les appli­ca­tions agri­coles de cette tech­nolo­gie sus­ci­tent, depuis le milieu des années 1990, des con­tro­ver­s­es et des con­flits, notam­ment, mais pas seule­ment, en Europe.


Fréquence des inter­ro­ga­tions sur le WEB rel­a­tives à 4 mots-clés (OGM, GMO, bio­di­ver­sité, bio­di­ver­si­ty) selon un plan d’expérience croisant 2 langues (français et anglais) et 2 con­cepts (OGM et bio­di­ver­sité). Inter­ro­ga­tion effec­tuée sous « Google Trends » le 20 octo­bre 2008. En ordon­née fig­ure la fréquence rel­a­tive des requêtes por­tant sur les 4 mots-clés. Cette fig­ure fait appa­raître le niveau très élevé des inter­ro­ga­tions rel­a­tives aux « OGM » par rap­port aux inter­ro­ga­tions rel­a­tives à la « bio­di­ver­sité » et la forte dif­férence de com­porte­ment entre les com­mu­nautés fran­coph­o­nes et anglophones.

Au-delà des débats sci­en­tifiques sur le car­ac­tère naturel des trans­ferts de gènes entre espèces dis­tinctes (on sait que de tels trans­ferts ont lieu dans la nature, y com­pris entre espèces appar­tenant à des règnes dis­tincts) ou sur la maîtrise tech­nique des OGM (par exem­ple, sur le con­trôle de l’in­ser­tion des trans­gènes ou sur la sta­bil­ité de leur expres­sion), ce para­doxe met en lumière :

  • le fait que les OGM sont une inno­va­tion de rup­ture par rap­port à des méth­odes clas­siques, réputées ” naturelles ” ou éprou­vées, d’amélio­ra­tion des plantes : la rad­i­cal­ité et la rel­a­tive jeunesse de cette tech­nolo­gie sus­ci­tent des inter­ro­ga­tions alors même qu’elle pour­rait être vue comme étant plus effi­cace, plus rapi­de et plus pré­cise que d’autres méth­odes antérieures ;
  • le fait que la mise en œuvre de cette inno­va­tion est préféren­tielle­ment cor­rélée à un mod­èle par­ti­c­uli­er d’a­gri­cul­ture (forte tech­nic­ité ; grandes exploita­tions ; fort poids des indus­triels de la semence et de l’a­gro­four­ni­ture ; util­i­sa­tion du brevet, par oppo­si­tion au cer­ti­fi­cat d’ob­ten­tion végé­tale, comme mode priv­ilégié de val­ori­sa­tion de la pro­priété intel­lectuelle) : cette sit­u­a­tion engen­dre des con­tes­ta­tions poli­tiques qui sont exac­er­bées par la faible diver­sité des appli­ca­tions com­mer­ciales qui exis­tent à grande échelle et par la con­cen­tra­tion des capac­ités tech­nologiques et commerciales ;
  • mal­gré l’ex­is­tence de béné­fices, certes vari­ables, pour les pro­fes­sion­nels (Fer­nan­dez-Corne­jo et Caswell, 2006), l’ab­sence d’a­van­tages claire­ment perçus par la société dans un con­texte, mar­qué par les crises san­i­taires de la fin du XXe siè­cle, de perte de con­fi­ance dans la sci­ence, la tech­nolo­gie et leurs appli­ca­tions et de remise en cause des proces­sus d’é­val­u­a­tion des béné­fices et risques (réels ou éventuels) des inno­va­tions qui en dérivent.

Les OGM sont devenus un véri­ta­ble objet d’étude pour les soci­o­logues de l’innovation

De façon plus générale, les OGM posent la ques­tion de l’é­val­u­a­tion sys­témique des inno­va­tions. Leurs effets et impacts sont poten­tielle­ment de dif­férente nature — inten­tion­nels et non inten­tion­nels, immé­di­ats et dif­férés, directs et indi­rects — et cou­vrent un vaste spec­tre thé­ma­tique — effets écologiques et envi­ron­nemen­taux, ali­men­taires et san­i­taires, agronomiques et biotech­niques, soci­aux et économiques. Les OGM sont ain­si devenus un véri­ta­ble objet d’é­tude pour les soci­o­logues de l’in­no­va­tion : la con­cep­tion, la mise en oeu­vre et le suivi de l’un des deux essais pluri­an­nuels au champ de l’IN­RA ont ain­si fait l’ob­jet d’un proces­sus expéri­men­tal et par­tic­i­patif de con­sul­ta­tion des divers­es par­ties prenantes (Joly et Rip, 2007).

Le programme OGM de l’ANR : ouverture et intégration pluridisciplinaires

Dès le milieu des années 1990, la prise de con­science de la diver­sité et du car­ac­tère sys­témique des effets liés au déploiement des OGM a con­duit dif­férents étab­lisse­ments — l’AC­TA, l’IN­RA, le CNRS, le min­istère de la Recherche — à lancer des actions de recherche sur leurs impacts et, plus générale­ment, sur les impacts des inno­va­tions en agriculture.

À sa créa­tion, l’ANR (Agence nationale de recherche) a pris le relais de ces actions en lançant un pro­gramme spé­ci­fique dont l’an­i­ma­tion sci­en­tifique et la ges­tion ont été déléguées à l’IN­RA et dont les 3 édi­tions suc­ces­sives (2005, 2006 et 2007) ont per­mis de soutenir 21 pro­jets, à hau­teur de 5,7 mil­lions d’eu­ros. Ce pro­gramme a repris des thé­ma­tiques cou­vertes par les actions antérieures : l’é­tude des impacts écologiques, de la dis­sémi­na­tion des trans­gènes dans l’en­vi­ron­nement et des ques­tions de biosécu­rité, ain­si que l’é­tude des risques ali­men­taires et san­i­taires (bien que pri­or­i­taire, ce thème n’a fait l’ob­jet que de très peu de pro­jets et aucun d’en­tre eux n’a été sélec­tion­né). Ce pro­gramme a égale­ment ouvert le champ des recherch­es dans trois direc­tions : l’é­tude des enjeux et impacts soci­aux, économiques, juridiques et éthiques ; l’é­val­u­a­tion des sys­tèmes de pro­duc­tion faisant appel à des OGM et la ques­tion de la coex­is­tence des fil­ières ; la maîtrise de la trans­génèse et des proces­sus molécu­laires et cel­lu­laires associés.

Suite au faible nom­bre de pro­jets pro­posés en 2007, le pro­gramme OGM de l’ANR a été mis en veille en 2008. Il est sus­cep­ti­ble d’être relancé dans le cadre d’un pro­gramme plus large dédié aux biotech­nolo­gies végé­tales et répon­dant à la demande col­lec­tive de pour­suite des recherch­es exprimée lors du Grenelle de l’environnement.

Une approche transdisciplinaire pour répondre aux attentes de la société

De ce rapi­de panora­ma, on peut retenir que les ques­tions sci­en­tifiques rel­a­tives aux biotech­nolo­gies végé­tales, notam­ment aux OGM, cou­vrent un vaste spec­tre dis­ci­plinaire qui va au-delà des approches de biolo­gie molécu­laire et cel­lu­laire. Réduire les inno­va­tions qui en découlent à leur seule dimen­sion tech­nique s’est ain­si avéré impos­si­ble : il est néces­saire de con­sid­ér­er l’ensem­ble de leurs effets, posi­tifs et négat­ifs. Cette approche inté­grée et trans­dis­ci­plinaire est néces­saire pour répon­dre aux attentes de la société ; elle reste cepen­dant dif­fi­cile à conduire.

L’ac­croisse­ment mon­di­al des sur­faces des cul­tures géné­tique­ment mod­i­fiées, les annonces récentes de cer­tains pays émer­gents (par exem­ple, de la Chine en sep­tem­bre 2008), les pro­grammes con­duits par cer­tains pays (par exem­ple, par le Brésil sur des cul­tures ali­men­taires) comme par les grandes entre­pris­es semen­cières indiquent que les OGM sont, de fait, con­sid­érés comme une option pour répon­dre aux défis actuels de l’a­gri­cul­ture. L’im­por­tance des enjeux et des débats asso­ciés aux OGM a amené la plu­part des étab­lisse­ments publics de recherche agronomique à expliciter et exprimer leur poli­tique sci­en­tifique dans le domaine des biotech­nolo­gies végé­tales : en France, le CIRAD puis l’IN­RA l’ont fait. S’il est néces­saire de mieux com­pren­dre les mécan­ismes biologiques liés à la trans­génèse, d’ac­croître les per­for­mances des biotech­nolo­gies, d’ex­plor­er l’in­térêt et les lim­ites d’in­no­va­tions fondées sur des OGM et visant des cibles d’in­térêt pub­lic, et de con­duire des recherch­es à l’a­mont des exper­tis­es menées par les instances ad hoc, il est tout aus­si impor­tant de con­stituer des ressources publiques et acces­si­bles, notam­ment de con­serv­er des ressources géné­tiques diver­si­fiées, et d’ex­plor­er des voies alter­na­tives aux OGM, par exem­ple la val­ori­sa­tion de la diver­sité géné­tique naturelle des espèces cul­tivées et appar­en­tées par la géné­tique d’as­so­ci­a­tion et la sélec­tion assistée par marqueur.

Bibliographie

  • Clive J. 2008. 2007 ISAAA Report on Glob­al Sta­tus of Biotech/GM Crops. ISAAA (cf. infra)Doré C., Varo­quaux F. 2006. His­toire et amélio­ra­tion de cinquante plantes cul­tivées. INRA Édi­tions, Paris, 840 pages.
  • Fer­nan­dez-Corne­jo J., Caswell M. 2006. The First Decade of Genet­i­cal­ly Engi­neered Crops in the Unit­ed States. USDA, ERS, Eco­nom­ic Infor­ma­tion Bul­letin Num­ber 11, April 2006, 36 pages.
  • Joly P.-B., Rip A. 2007. A time­ly har­vest. Nature, 450 : 174.
     

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