Portrait Jean-Michel CORON (75) et Claire VOISIN (ENS SÈVRES, 81)

Jean-Michel Coron (75) et Claire Voisin (ENS Sèvres, 81), la recherche comme rêve partagé

Dossier : TrajectoiresMagazine N°719 Novembre 2016
Par Pierre LASZLO

Jean-Michel Coron et Claire Voisin for­ment un cou­ple de math­é­mati­ciens qui, s’ils ont été hon­orés ensem­ble, ont suivi des par­cours dif­férents. Lui l’X et les Mines, son goût pour la mécanique l’a con­duit à tra­vailler sur la théorie du con­trôle. Elle est passée par l’ENS Sèvres et ses recherch­es por­tent sur la géométrie algébrique. Tous les deux évo­quent avec grat­i­tude la for­ma­tion des math­é­mati­ciens français, unique au monde, du fait du sys­tème des grandes écoles

Un dou­ble por­trait s’imposait, pour ce cou­ple de math­é­mati­ciens, déjà hon­orés ensem­ble : le con­grès des math­é­mati­ciens de 2010 à Hyder­abad les désigna l’un et l’autre con­férenciers pléniers. L’Académie des sci­ences les élut en 2010 (elle) et 2014 (lui).

“ Il affectionne les analogies entre des domaines a priori éloignés ”

Ils habitent le quarti­er du Val-de-Grâce, un vaste apparte­ment lumineux, calme, peu­plé de livres, pour eux « des amis », et où cha­cun a son bureau.

Enten­dent-ils son­ner les heures au clocher de l’église lorsque l’un et l’autre rédi­gent un arti­cle savant ? Ils ont cinq enfants, dont l’aînée enseigne à l’université d’Orsay et le plus jeune est en pré­pa à Louis-le- Grand.

Une formation polyscientifique

Jean-Michel Coron et Claire Voisin évo­quent avec grat­i­tude la for­ma­tion des math­é­mati­ciens français, unique au monde, du fait du sys­tème des grandes écoles. Jean-Michel Coron acquit le goût des maths d’un grand pro­fesseur du sec­ondaire, au lycée Pas­teur à Neuil­ly : Pierre Coulomb, qu’il eut en pre­mière et ter­mi­nale, rigoureux dans l’exposé, aux cours très avancés.

Il choisit l’X plutôt qu’Ulm : comme il hési­tait sur sa voie, il se don­na une for­ma­tion pluridis­ci­plinaire. De l’École, il garde un excel­lent sou­venir, non seule­ment de ses enseignants de maths, de Paul Ger­main aus­si en mécanique. <pEf­fec­tive­ment, son goût pour la mécanique, sa for­ma­tion poly­sci­en­tifique lui offrent maintes illus­tra­tions con­crètes du con­trôle, qu’il s’agisse d’un char­i­ot de super­marché, d’un manche de bal­ai tenu au-dessus de l’index, ou encore de l’eau dans les riv­ières (Meuse, Sam­bre) aux flux con­trôlés par les portes aux extrémités des biefs.

Bref, le math­é­mati­cien épris, non seule­ment de général­i­sa­tion, car il affec­tionne les analo­gies entre des domaines a pri­ori éloignés, mais aus­si d’applications bien con­crètes, trou­ve ain­si la réus­site comme chercheur.

L’idée d’une structure éxplicative

Son épouse, Claire Voisin (Louis-le- Grand avant l’ENS Sèvres) œuvre en géométrie algébrique, le domaine fondé par Alexan­dre Grothen­dieck, dont la théorie des motifs, uni­fi­ca­trice, fut « une sorte de rouleau com­presseur, un renou­velle­ment de fond en comble. […] Tout se passe comme s’il y avait un objet mys­térieux, une rai­son unique, cen­trale qui per­me­tte d’expliquer les dif­férents aspects de la théorie et leurs comparaisons. »

“ Expliquer les différents aspects de la théorie et leurs comparaisons »

Ayant tra­vail­lé les maths à la mai­son pen­dant sa sco­lar­ité sec­ondaire, avec son père d’abord puis sous l’influence de son frère aîné, elle avait décou­vert avec ravisse­ment, plus tard dans sa sco­lar­ité, les maths grâce à Denis Monasse, son pro­fesseur d’hypotaupe.

Elle aime la théorie, l’idée d’une struc­ture explica­tive – Poin­caré faisant l’éloge dans sa présen­ta­tion des travaux d’Élie Car­tan sur la théorie des groupes d’une dénom­i­na­tion com­mune à des objets apparem­ment éloignés –, et donc « d’un saut d’abstraction extra­or­di­naire, pour com­pacter toute une théorie ». Elle par­le avec admi­ra­tion de Jean Ler­ay, « math­é­mati­cien d’une pro­fondeur inouïe ».

Médaille d’or du CNRS

Entrée à l’Académie des sci­ences en 2010, tit­u­laire de la chaire de géométrie algébrique au Col­lège de France depuis 2016, Claire Voisin a tra­vail­lé sur la rela­tion entre struc­tures de Hodge et groupes de Chow des var­iétés pro­jec­tives, un aspect de la théorie des motifs, dévelop­pé autour de la con­jec­ture de Hodge (général­isée par Grothen­dieck en ter­mes de niveau de la coho­molo­gie) et de la con­jec­ture de Bloch et Beilinson.

Une par­tie de ses travaux dans ce domaine repose sur l’étude des vari­a­tions infinitési­males de struc­tures de Hodge, telle qu’initiée par Grif­fiths. Elle vient de se voir décern­er la médaille d’or du CNRS.

Leur rela­tion au temps est celle de gros tra­vailleurs, intolérants d’in­tru­sions chronophages. S’investir à 100 % dans la recherche est leur hori­zon rêvé. Déjà auteur, cha­cun, d’une œuvre impres­sion­nante, ils restent ambitieux.

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