La promo 39 et les technologies de l’information

Dossier : Libres proposMagazine N°556 Juin/Juillet 2000Par : un groupe de camarades de la 39

Notre analyse con­duit, en effet, à cer­taines con­clu­sions qui débouchent sur beau­coup de ques­tions con­cer­nant l’avenir de nos jeunes cama­rades encore sur les bancs de l’É­cole ou qui y entreront dans les prochaines années.

Qu’avons-nous à leur trans­met­tre ? Avec le recul du temps quels con­seils pour­rions-nous donner ?

Il ne peut s’a­gir, dans notre esprit, que d’un débat ouvert par cette ini­tia­tive. Rien ne nous autorise à proclamer des con­clu­sions comme val­ables pour l’avenir. Nous ne pré­ten­drons donc que sol­liciter une réflex­ion, en toute humilité.

1939

Le télé­phone est élec­tromé­canique. On par­le TSF et radio. Le mot élec­tron­ique n’ex­iste pas. Les semi-con­duc­teurs se lim­i­tent à la galène. La télévi­sion vit ses pre­miers bal­bu­tiements. Rien, à l’É­cole, ne pré­pare actuelle­ment à une car­rière dans les “courants faibles”. C’est pourquoi un nom­bre rel­a­tive­ment faible de nos cama­rades de pro­mo­tion inter­vien­dra active­ment dans les tech­niques qui fer­ont naître les “tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion et de la com­mu­ni­ca­tion” : prodigieuse aven­ture, respon­s­able au pre­mier chef du change­ment de civil­i­sa­tion sur lequel s’achève notre siècle.

1945

La France relève ses ruines. États-Unis d’Amérique et Grande-Bre­tagne ont pris, dans les tech­nolo­gies mil­i­taires et, par voie de fil­i­a­tions directes, dans les tech­nolo­gies civiles, une avance con­sid­érable. La guerre a créé une indus­trie de masse des matériels de trans­mis­sion, de détec­tion et de nav­i­ga­tion, qui pré­pare l’es­sor de l’élec­tron­ique pro­fes­sion­nelle et de loisirs. Von Neu­mann mon­tre la voie du cal­cul élec­tron­ique. Les Bell Labs pré­par­ent l’avène­ment du tran­sis­tor. Pour notre pays, tout est à refaire dans ces tech­niques où d’il­lus­tres ancêtres G. Fer­rié (1887), P. Brenot (1899), É. Girardeau (1902) et tant d’autres cama­rades nous avaient placés au pre­mier rang dès la Pre­mière Guerre mondiale.

Électronique d’armement

Il faut saluer, en pre­mière place, l’ap­port des ingénieurs d’arme­ment à la recon­struc­tion de nos forces sci­en­tifiques, tech­niques et indus­trielles. Sous la IVe République comme sous la Ve, nos pro­grès seront con­ti­nus grâce à la stratégie de développe­ment que nos cama­rades auront su définir et met­tre en œuvre avec une remar­quable con­ti­nu­ité. Par­mi les acteurs de cette recon­quête, la pro­mo­tion 39 fourni­ra des ani­ma­teurs de pre­mier rang, Samy Albagli, Roger Belfort, Émile Rom­bout, Jean Tison, René Yer­le. Pierre Naslin se dis­tinguera par ses travaux théoriques en sys­témique et en automa­tique ; ses pub­li­ca­tions sont famil­ières aux lecteurs de La Jaune et la Rouge.

Notre indus­trie élec­tron­ique doit aux pro­grammes des sys­tèmes d’armes une part essen­tielle de la réus­site d’ensem­ble qui lui a per­mis de rejoin­dre ses con­cur­rents mon­di­aux les plus avancés, que ce soit dans la détec­tion élec­tro­mag­né­tique, le guidage des mis­siles, l’a­cous­tique sous-marine, les réseaux inté­grés de com­mu­ni­ca­tion et les com­posants électroniques.

Télécommunications

En télé­phonie et dans l’im­mense champ des pro­duits dérivés, le corps des télé­com­mu­ni­ca­tions a joué un rôle moteur depuis la Libéra­tion. Nos cama­rades X 39 ne sont restés que quelque temps au ser­vice de l’É­tat et ont engagé des car­rières remar­quées dans l’in­dus­trie privée.

  • Hen­ri Lerognon, à son retour de dépor­ta­tion, com­plète sa for­ma­tion à l’É­cole de la rue Bar­rault. Il représente notre pays à la Con­férence inter­na­tionale des télé­com­mu­ni­ca­tions d’At­lantic City en 1947 puis à la Con­férence inter­na­tionale de radiod­if­fu­sion de Mex­i­co en 1948. Nom­mé à Mada­gas­car, il devient directeur des PTT de la Grande île (1951–1954). Nous le retrou­verons plus tard engagé dans l’aven­ture des semi-con­duc­teurs en 1957 à Grenoble.
  • Roger Lévy a con­sacré sa car­rière à la SAT. Il par­ticipe à la phase de recon­struc­tion des cen­tres interur­bains de télé­phonie puis au lance­ment des fais­ceaux hertziens, en pre­mier lieu mil­i­taires pour l’I­tal­ie, la Grèce et la Turquie, ensuite civils pour l’équipement du ter­ri­toire nation­al. Ses respon­s­abil­ités le por­tent au développe­ment des tech­niques tro­posphériques pour l’ar­mée de l’air. On le retrou­ve acteur dans la com­mu­ta­tion élec­tron­ique qui don­na à notre pays une avance remar­quable en tech­niques téléphoniques.
  • Mau­rice Bru­ley entre chez LMT en 1945. Sa car­rière fut entière­ment con­sacrée à la recherche-développe­ment. En 1947, respon­s­able du ser­vice ” Mobiles “, il conçoit et fait fab­ri­quer les émet­teurs récep­teurs qui équiper­ont, dès cette époque, la police, les pom­piers, les taxis. En 1949, il lance les mobiles marins. En 1952, il résout le prob­lème de la cou­ver­ture radio des grandes villes en com­mençant par Madrid qui con­naît un suc­cès remar­qué. Dès 1954, avec ses col­lab­o­ra­teurs, il évoque la pos­si­bil­ité d’une télé­phonie “numérique” et dès 1976 celle d’un télé­phone portable… Ses travaux con­tin­ueront d’être mar­qués par l’e­sprit pionnier.
  • Hervé Tan­ter, fidèle à une seule entre­prise LCT, accom­plit un par­cours de respon­s­abil­ités remar­quable. Engagé comme ingénieur de développe­ment, il gravi­ra tous les éch­e­lons hiérar­chiques pour devenir, à par­tir de 1963, admin­is­tra­teur directeur général. Ses respon­s­abil­ités l’au­ront con­duit à s’im­pli­quer dans presque toutes les spé­cial­ités de l’élec­tron­ique pro­fes­sion­nelle : radar, téléguidage, télé­com­mande, télécommunications.
    On doit, notam­ment, à ses équipes la déf­i­ni­tion tech­nique et le développe­ment du réseau de com­mu­ni­ca­tion RITA de l’ar­mée de terre qui met­tait en œuvre, en par­ti­c­uli­er, des sys­tèmes de com­mu­ta­tion élec­tron­ique à mod­u­la­tion par impul­sions codées (M.I.C.). Pus tard, le réseau RITA fut ven­du au Depart­ment of Defence des États-Unis.
  • En ce qui con­cerne la réor­gan­i­sa­tion glob­ale de l’in­dus­trie du télé­phone, il faut sig­naler le rôle tenu par Jean-Pierre Bouys­son­nie lorsque, vice-prési­dent directeur général de Thom­son-CSF, il inter­vint dans la répar­ti­tion nou­velle des pôles indus­triels par la reprise des sociétés LMT et Eric­son-France. Il devint prési­dent de LMT en 1976.
    Ce mou­ve­ment fut ren­du pos­si­ble par le lance­ment d’un pro­gramme très ambitieux de mod­erni­sa­tion des équipements nationaux pour la télé­phonie peu après l’élec­tion à la prési­dence de la République de Valéry Gis­card d’Es­taing (44). Ce pro­gramme fut con­fié à la respon­s­abil­ité de Gérard Théry (52).

Télévision — Grand public

  • J.-P. Bouys­son­nie, directeur indus­triel de Thom­son-Hous­ton à sa sor­tie du Génie mar­itime en 1952, devient directeur du groupe Radio-Télévi­sion en 1960. C’est là l’o­rig­ine loin­taine, pour­suiv­ie par dif­férentes fusions absorp­tions, de Thom­son Mul­ti­mé­dia devenu, en pro­duc­tion d’équipements domes­tiques audio­vi­suels, le sec­ond groupe d’Eu­rope immé­di­ate­ment der­rière Philips, et par les acqui­si­tions des branch­es cor­re­spon­dantes de RCA et Ge Co, l’un des plus impor­tants con­cep­teurs et fab­ri­cants aux États-Unis.
  • Par­mi les ini­tia­tives de nos cama­rades, il faut citer celle de Serge Ravanel. En 1954 il fonde Cel­ni pour la fab­ri­ca­tion de téléviseurs ven­dus sous les mar­ques Telim­age et Visiorex qu’il cède quelques années plus tard sous la pres­sion des mou­ve­ments de con­cen­tra­tions qui attein­dront ce domaine d’activité.

Électronique de mesures et d’instrumentation scientifique

  • On retrou­ve ici Hervé Tan­ter en son début de car­rière à LCT où il est ingénieur de développe­ment pour les appareils de mesure et la radiogoniométrie.
  • Quant à S. Ravanel, il lance au lab­o­ra­toire cen­tral des Ponts le “départe­ment élec­tron­ique” chargé plus par­ti­c­ulière­ment de con­ver­tir à l’élec­tron­ique les dis­posi­tifs basés antérieure­ment sur la mécanique et sur l’op­tique. Des développe­ments ultérieurs seront naturelle­ment dévo­lus à l’in­for­ma­ti­sa­tion de ces sys­tèmes de mesures et d’instrumentation.
  • Hen­ri Albert a joué un rôle par­ti­c­uli­er et impor­tant en menant, à sa sor­tie des Poudres, une car­rière au car­refour de l’élec­tron­ique et du nucléaire. En qual­ité de prési­dent ou de directeur général de plusieurs fil­iales de CSF puis de Thom­son-CSF, ses respon­s­abil­ités ont porté sur les grands instru­ments sci­en­tifiques notam­ment de traite­ments d’ir­ra­di­a­tion et sur l’élec­tron­ique ultra­ra­pi­de pour l’atomis­tique. On lui doit, par ailleurs, le développe­ment et l’in­dus­tri­al­i­sa­tion des bar­rières de sépa­ra­tion des iso­topes de l’u­ra­ni­um qui ont per­mis à notre pays, sans sec­ours extérieurs, de met­tre en œuvre en toute indépen­dance les pro­grammes nucléaires mil­i­taires et civils.

Électronique professionnelle

Deux X 39 ont eu la chance de pou­voir jouer un rôle priv­ilégié dans la struc­ture de l’in­dus­trie élec­tron­ique pour la con­sti­tu­tion du pôle Thom­son-CSF, Jean-Pierre Bouys­son­nie et André Danzin.

André Danzin entre au groupe CSF en 1943 comme ingénieur de recherche. Il dirige la créa­tion de la branche com­posants élec­tron­iques. Au début des années 1960, il est directeur général et bien­tôt vice-prési­dent directeur général du groupe. Jean-Pierre Bouys­son­nie a suivi une car­rière presque par­al­lèle chez Thom­son-Hous­ton à par­tir de 1952 après un pas­sage par l’armement.

Les deux cama­rades se ren­con­trent. Ils déplorent leur con­cur­rence car elle est nuis­i­ble dans l’Eu­rope qui se con­stru­it à par­tir du traité de Rome et dans la per­spec­tive de la mon­di­al­i­sa­tion qui s’annonce.

Ils rêvent des posi­tions qu’ils acquer­raient à l’ex­por­ta­tion s’ils util­i­saient pleine­ment leurs complémentarités.

Ils œuvrent en faveur d’un rap­proche­ment. En 1967, les cir­con­stances sont dev­enues favor­ables. Leur pro­jet se con­cré­tise par la fusion des deux groupes, qui intéresse 45 0000 per­son­nes spé­cial­isées dans toutes les branch­es de l’élec­tron­ique, répar­ties dans plus de 150 départe­ments ou filiales.

Grâce à la stim­u­la­tion des réseaux com­mer­ci­aux, la ratio­nal­i­sa­tion des appareils de con­cep­tion, de pro­duc­tion et de dis­tri­b­u­tion s’ef­fectue dans la crois­sance et respecte l’ob­jec­tif du ” zéro licen­ciement “. En quinze mois, l’u­ni­fi­ca­tion de tous les moyens est réal­isée, mal­gré l’épisode de Mai 68 et la dis­per­sion dans une cinquan­taine de pays.

Le suc­cès entraîne le réex­a­m­en des fron­tières avec le groupe de la Com­pag­nie générale d’élec­tric­ité. A. Danzin pré­pare avec G. Pébereau (50) les déci­sions qui seront arrêtées par P. Richard et A. Roux (40) et qui sont con­nues sous le terme de ” Yal­ta de l’élec­tron­ique française “.

J.-P. Bouys­son­nie pour­suit sa car­rière à Thom­son-CSF dont il devient prési­dent-directeur général en 1976 puis prési­dent de Thom­son-Brandt jusqu’à sa nation­al­i­sa­tion en 1982. On le retrou­vera mem­bre de la CNCL, prési­dent des ISF (1984) et de l’A.X.

Microélectronique

A. Danzin quitte Thom­son-CSF en 1972 sur le con­stat que le suc­cès de la fusion dans le domaine des équipements élec­tron­iques ne per­met cepen­dant pas d’aut­o­fi­nancer, sans une aide de l’É­tat, qui ne vient pas, les efforts à con­sen­tir pour la pro­mo­tion de la microélec­tron­ique au niveau d’une posi­tion inter­na­tionale forte et rentable. Or il s’ag­it d’un domaine cri­tique majeur pour l’avenir de l’ensem­ble des tech­nolo­gies de l’information.

Appelé à présider à Brux­elles le Comité européen de recherche-développe­ment, A. Danzin pren­dra sa revanche par son rap­port ” Sci­ence et Renais­sance de l’Eu­rope ” (1979) qui déclenchera les pro­grammes d’aides à la recherche pré­com­péti­tive notam­ment en faveur de l’in­dus­trie des micro­processeurs. En s’ap­puyant sur cet apport com­mu­nau­taire, les indus­triels européens réus­siront à refaire leur retard et à con­stru­ire leur avenir.

Domaine cri­tique s’il en est que celui des tran­sis­tors, des cir­cuits inté­grés, des micro­processeurs et des mémoires.

H. Lerognon, directeur général de la Cosem à sa créa­tion (1957), en fut l’un des pio­nniers. J.-P. Bouys­son­nie ayant par­al­lèle­ment lancé la Sesco, la fusion des groupes con­duisit à la Sescosem, inté­grée plus tard dans Thom­son-CSF avant l’u­nion à l’I­tal­i­enne SGS en 1982 qui con­duira à la ST Micro­elec­tron­ics dont la cota­tion bour­sière recon­naît aujour­d’hui le remar­quable suc­cès mondial.

Informatique

La pro­mo­tion 1939 fut rel­a­tive­ment peu présente dans le com­bat pour l’éd­i­fi­ca­tion de l’in­dus­trie informatique.

  • Après avoir quit­té Thom­son-CSF et la prési­dence de la Com­pag­nie finan­cière pour l’in­for­ma­tique qui réu­nis­sait les par­tic­i­pa­tions des groupes Thom­son et CGE dans la société du Plan Cal­cul CII, A. Danzin vint du privé au pub­lic en prenant la direc­tion de l’Iria (aujour­d’hui Inria). L’In­sti­tut de recherche d’in­for­ma­tique et d’au­toma­tique était alors à l’é­tat nais­sant et en dif­fi­culté de redéf­i­ni­tion de ses objec­tifs et de ses moyens. Cet insti­tut est aujour­d’hui mon­di­ale­ment con­nu et appré­cié en par­ti­c­uli­er comme incu­ba­teur de ” start-ups ” pour pro­mou­voir dans le cir­cuit com­mer­cial inter­na­tion­al les pro­duits de ses recherches.
  • Guy d’Herbe­mont se trou­vait à l’Iria en 1972. C’est le seul X 39 dont la car­rière a été entière­ment con­sacrée à l’in­for­ma­tique. D’abord con­seiller chez Bull pour les méth­odes sta­tis­tiques (1950), il devint en 1964 directeur de la qual­ité et fut appelé par la CII à y exercer les mêmes fonc­tions en 1968. Après son pas­sage à l’Iria, on le trou­ve directeur au Cesia sous la prési­dence de Salmona (56) où il con­tribue à l’in­for­ma­ti­sa­tion des ser­vices publics et des admin­is­tra­tions de notre pays. Guy d’Herbe­mont en 1999 n’a pas ter­miné sa car­rière. Il con­tin­ue d’en­seign­er et de con­seiller à titre d’indépen­dant, ayant fondé son pro­pre cab­i­net (1983) spé­cial­isé sur la par­tie la plus neuve des développe­ments en infor­ma­tique : les accès et le bon usage d’In­ter­net, notam­ment au ser­vice des per­son­nes handicapées.
  • Il reste à ren­dre hom­mage à l’œu­vre de notre caissier Jean Dupuis dans le domaine de la dif­fu­sion des pro­duits des tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion. Sa car­rière a con­stam­ment côtoyé l’in­for­ma­tique par les équipements de bureau. Son rôle aux côtés du prési­dent Max Her­mieu a été tout à fait émi­nent dans la pro­mo­tion du Sicob. Ce salon inter­na­tion­al a été, pen­dant une longue péri­ode, la man­i­fes­ta­tion publique la plus impor­tante pour faire con­naître en Europe l’é­tat de l’art en matériels et en logi­ciels de traite­ment de l’in­for­ma­tion et en bureau­tique. Jean Dupuis a été, pen­dant vingt-cinq ans, prési­dent du SFIB, véri­ta­ble syn­di­cat pro­fes­sion­nel de l’in­for­ma­tique dans notre pays.

    Mais ses activ­ités ne s’ar­rê­tent pas. Tou­jours avec Max Her­mieu, il s’est asso­cié, il y a quelques mois, à une pré­cieuse ini­tia­tive ” Défi Start-up ” des­tinée à assis­ter les jeunes entre­pre­neurs dans leurs départs vers le développe­ment, vers l’ob­ten­tion de cap­i­tal-risque, vers la con­quête des marchés dans le secteur des tech­nolo­gies de l’information.

    1999

    L’opin­ion aver­tie recon­naît aux tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion un rôle majeur comme catal­y­seur de la muta­tion de notre société. Après l’âge indus­triel, nous pénétrons dans l’ère du virtuel où l’ensem­ble des rela­tions humaines sera changé. Cette enquête par coupe chronologique de l’é­pais­seur d’une pro­mo­tion dans ses déplace­ments au cours de soix­ante années nous ren­seigne sur la place qu’a tenue l’É­cole dans cet avène­ment d’une nou­velle civilisation.

    Le pre­mier com­men­taire portera sur le quan­ti­tatif. 15 cama­rades ont été cités soit 5 % de la pop­u­la­tion, dont tous n’ont pas con­sacré toute leur car­rière à la spé­cial­ité. Pour une École qui se veut à la pointe du pro­grès sci­en­tifique et tech­nique, c’est un petit nom­bre rel­a­tive­ment à l’im­por­tance cri­tique du domaine. L’ori­en­ta­tion des car­rières, à la sor­tie des études, aurait-elle man­qué d’e­sprit d’anticipation ?

    Le qual­i­tatif n’est pas plus ras­sur­ant si l’on prend pour critère le classe­ment de sor­tie : les majors sont absents de notre liste. Ils ont choisi les domaines plus affir­més des grandes entre­pris­es nationales de l’én­ergie, de la sidérurgie, de la chimie. Leur élan nova­teur a été, il est vrai, ori­en­té vers d’autres domaines de pointe : le nucléaire, les trans­ports, l’aérospa­tial. Cer­tains obser­va­teurs diront, néan­moins, que la ten­ta­tion d’une car­rière bal­isée par les corps tra­di­tion­nels l’emportait sur l’imag­i­na­tion et l’aventure.

    Qu’en est-il aujour­d’hui à un moment où tout est boulever­sé ? Nos jeunes cama­rades sauront-ils choisir les voies risquées des spé­cial­ités de l’avenir ?

    Une sec­onde remar­que con­cern­era les fon­da­tions des suc­cès rem­portés par nos cama­rades : tous se sont révélés comme d’ex­cel­lents ingénieurs. Leurs car­rières se sont essen­tielle­ment con­stru­ites sur leur autorité sci­en­tifique et tech­nique, sur leurs qual­ités à exceller dans la recherche-développe­ment, dans les antic­i­pa­tions stratégiques en matière d’innovations.

    On peut donc affirmer qu’au­tour des années 1930–1940 les class­es pré­para­toires, les années d’X et les écoles d’ap­pli­ca­tion con­dui­saient à une com­pé­tence pro­fes­sion­nelle de pre­mier rang. La France avait alors une ” cul­ture d’ingénieur ” qui lui offrait la pos­si­bil­ité de par­ticiper avec suc­cès aux domaines de pointe. Il est vrai que cette cul­ture pri­mait peut-être à l’ex­cès celles du man­age­ment des entre­pris­es et de la con­quête des marchés, celles de la ges­tion et de la manœu­vre des appareils admin­is­trat­ifs et financiers. De nou­veaux équili­bres sont légitime­ment recher­chés mais n’a-t-on pas été trop loin dans cette ten­sion vers un néces­saire changement ?

    Une troisième obser­va­tion est l’ex­cel­lence du fonc­tion­nement de la sym­biose État-indus­trie dont la cama­raderie d’É­cole a été, pour la pro­mo 39, le creuset. L’élec­tron­ique d’arme­ment c’est l’al­liance per­ma­nente, intime, con­fi­ante en dépit des heurts inévita­bles, entre les pro­jets de la puis­sance publique et leurs réal­i­sa­tions par l’industrie.

    Le même con­stat doit être fait dans ce qui a été accom­pli en télé­com­mu­ni­ca­tions. On retrou­ve le même esprit mais trans­porté à l’échelle de la Com­mu­nauté européenne dans le cas de la microélectronique.

    Et les spé­cial­istes savent que si le Plan Cal­cul n’a pas réus­si c’est que les finance­ments de l’É­tat et des groupes privés n’ont pas été suff­isants dans leurs mon­tants (à l’échelle moitié de la réus­site) et que les objec­tifs ont été désta­bil­isés par excès des inter­ven­tions de nature poli­tique dans le programme.

    À l’heure où le socio-col­ber­tisme est tant décrié, il serait bon de s’in­ter­roger sur la manière de renouer avec la sym­biose État-indus­trie dans laque­lle, au fil des décen­nies, notre École a joué un rôle si posi­tif. Un tel dis­cours, il est vrai, n’est plus à la mode en Europe. Il s’ap­puie cepen­dant sur l’ex­péri­ence nord-améri­caine où la col­lu­sion État-indus­tries-uni­ver­sités est per­ma­nente au prof­it de l’in­no­va­tion et de son ray­on­nement mon­di­al. Inter­net, si remar­quable par sa liber­té d’usage, n’est-il pas le fruit du réseau ARPA né, dévelop­pé et longtemps entretenu par le Depart­ment of Defence… ?

    Dernière leçon de ces soix­ante années, pour le domaine des tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion, leçon peut-être cap­i­tale. À l’ex­cep­tion de l’ex­péri­ence con­duite par S. Ravanel pen­dant seule­ment quelques années, aucune créa­tion d’en­tre­prise par un poly­tech­ni­cien de la pro­mo 39 n’ap­pa­raît dans ce bilan. Le domaine des tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion était cepen­dant excep­tion­nelle­ment fer­tile en pos­si­bil­ités. Aux États-Unis, les ini­tia­tives se sont mul­ti­pliées comme fleurs au print­emps. De fab­uleuses for­tunes se sont édi­fiées au prof­it de jeunes entre­pre­neurs inven­tifs créant ex nihi­lo des indus­tries aujour­d’hui à la con­quête du monde.

    Qu’un enseigne­ment uni­ver­si­taire aus­si riche de poten­tial­ités que celui don­né à notre École à des étu­di­ants sélec­tion­nés par­mi les plus per­for­mants n’ait don­né à per­son­ne l’idée de pro­mou­voir son entre­prise per­son­nelle serait impens­able outre-Atlantique.

    Au moment où nous cher­chons des pio­nniers, des ” mutants “, pour inscrire le des­tin de notre pays dans le défi d’une nou­velle civil­i­sa­tion en émer­gence, des dis­po­si­tions par­ti­c­ulières ne doivent-elles pas être pris­es pour qu’à l’avenir notre École soit une pépinière de jeunes créa­teurs de PME-PMI inno­vantes ? C’é­tait là l’une des recom­man­da­tions que fai­sait Jean Dupuis lors de la célébra­tion de notre soix­an­tième anniver­saire. Doit-elle être enten­due ? Com­ment ? Les pro­mo­tions voisines de la 39 où fig­urent il est vrai Loi­chot (38), Carteron (45), Mal­let (46), Stern (52)1 et quelques autres ne vien­nent-elles pas pos­er la même ques­tion ? Et qu’en est-il des plus récentes ?

    __________________________________
    1. Fon­da­teurs respec­tive­ment de Sema, Ste­ria, CGI, Sesa.

Poster un commentaire