La politique spatiale américaine à l’épreuve du second mandat de Trump

Entre reconfigurations institutionnelles, inflexions idéologiques et incertitudes stratégiques, la politique spatiale de la nouvelle administration américaine fait craindre une remise en cause fondamentale des principes de coopération, de transparence et de comportement responsable qui structurent traditionnellement l’ordre spatial international.
Le second mandat de Donald Trump intervient dans un contexte de recomposition accélérée des équilibres géopolitiques, technologiques et institutionnels. Marqué par une convergence inédite entre ambitions industrielles privées, désengagement de l’État fédéral dans la production de savoirs scientifiques et remise en question des mécanismes de coordination interinstitutionnelle, ce nouveau cycle présidentiel pourrait reconfigurer durablement les fondements de la puissance spatiale américaine.
Des inflexions marquées
Le 30 avril 2025, Donald Trump a célébré les cent premiers jours de son second mandat. Cette séquence initiale s’est déroulée dans un climat d’incertitude stratégique marqué. Cependant, des dynamiques émergentes laissent déjà entrevoir une série d’inflexions significatives dans le programme spatial américain. La requête budgétaire publiée par la Maison Blanche deux jours plus tard dévoile ainsi les principales orientations de l’administration Trump II. Trois tendances peuvent être distinguées : la reconduction de certaines lignes de continuité avec les précédentes administrations ; une rupture affirmée avec les politiques menées sous l’administration Biden ; et, plus paradoxalement, la remise en cause de plusieurs orientations du premier mandat Trump.
Pérennisation et accentuation de la stratégie spatiale militaire
Dans le domaine de la défense spatiale, l’administration Trump II semble poursuivre et intensifier les logiques amorcées sous ses prédécesseurs. Si la mise en place de la Space Force avait marqué le premier mandat de Trump, le projet Golden Dome pourrait constituer l’emblème du second. Ce système de défense antimissile s’appuierait sur des constellations de satellites de détection (Tracking Space Sensor Layer) et des intercepteurs spatiaux susceptibles de neutraliser des missiles balistiques durant leur phase de propulsion. Il semble s’inscrire dans la filiation du concept Brilliant Pebbles de l’Initiative de défense stratégique des années 1980, tout en intégrant les capacités technologiques issues du NewSpace.
Ce projet repose en grande partie sur la Proliferated Warfighter Space Architecture, développée par la Space Development Agency depuis 2022, et reflète l’intégration croissante d’acteurs privés dans les dispositifs de défense. La logique de résilience, permise par la prolifération de satellites à bas coût et facilement remplaçables, devient ainsi centrale dans l’architecture spatiale américaine.
Désengagement de l’État fédéral dans la recherche scientifique
À l’inverse, le traitement réservé à la science spatiale témoigne d’un net recul du rôle de l’État fédéral dans la production de savoirs. La nouvelle administration a officialisé un second retrait de l’Accord de Paris, accompagné de réductions budgétaires drastiques : 50 % pour le département scientifique de la Nasa, un tiers pour la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration), proposition de fermeture du centre Goddard de la Nasa et renvoi de Katherine Calvin, scientifique en chef de l’agence et coprésidente du GIEC. Ces arbitrages affecteraient des programmes d’envergure, y compris sans lien direct avec la climatologie, tels que le télescope Nancy Grace Roman, les missions de retour d’échantillons martiens ou d’exploration de Vénus. La Nasa pourrait ainsi perdre jusqu’à 20% de son personnel.
L’avenir incertain du programme Artemis
Le programme Artemis, relancé sous Trump I et consolidé par l’administration Biden, visait à faire de la Nasa un acteur central du retour sur la Lune, tout en consolidant la coopération internationale à travers les Accords Artemis. Ce programme est aujourd’hui remis en question. D’abord par le passage d’Elon Musk au sein de l’administration, celui-ci étant le héraut d’une vision martienne, mais également par les diminutions drastiques du budget de la Nasa, qui envisagent la coupure de certains éléments essentiels du programme. Il faut toutefois noter que le Congrès conserve un attachement fort à Artemis, pour des raisons industrielles. L’avenir de nombreux programmes repose désormais sur des négociations budgétaires, la Maison Blanche cherchant à baisser drastiquement le budget de la Nasa, le Congrès cherchant à le maintenir proche de son niveau actuel. Les récentes avancées du programme lunaire chinois pourraient également pousser à accélérer les efforts américains.

Le programme Artemis
Lancé en 2017 sous la première présidence de Donald Trump, le programme Artemis est une initiative des États-Unis visant à établir une présence humaine durable sur la Lune, en préparation de futures missions habitées à destination de Mars. Conçu dès l’origine comme un projet de coopération internationale, Artemis offre à de nombreux États partenaires l’occasion de contribuer au développement de ses différentes composantes : station spatiale en orbite lunaire (Gateway), lanceur lourd (SLS), capsule habitée (Orion) et divers modules d’atterrissage lunaire. L’Europe joue un rôle particulièrement actif au sein du programme, en assurant la réalisation de plusieurs éléments clés. Par ailleurs, Artemis se distingue par son ouverture au secteur privé, permettant à un large éventail d’acteurs industriels -– des start-up aux grands groupes – de s’y engager pleinement. Le cadre juridique et les principes de coopération du programme sont définis par les Accords Artemis, signés à ce jour par 55 pays. En parallèle, un programme concurrent piloté par la Chine et la Russie, baptisé International Lunar Research Station (ILRS), propose une autre approche de l’exploration lunaire.
Compétition avant coopération
Pivoter vers l’envoi d’astronautes sur Mars impliquerait une réorientation profonde des priorités technologiques et diplomatiques du programme spatial habité. Une telle inflexion rendrait difficile la poursuite des coopérations internationales, du fait de la complexité technique d’une mission martienne, inaccessible à la majorité des partenaires actuels. On constate dans la proposition budgétaire de l’administration Trump II une volonté de réduire les activités de la Station spatiale internationale et de mettre fin à des programmes comme la fusée Space Launch System, la capsule Orion ou la station lunaire Gateway, conduits en collaboration avec des partenaires internationaux comme l’Europe ou le Japon.
“Sacrifier la dimension coopérative
du programme spatial habité.”
L’administration Trump accepte donc de sacrifier la dimension coopérative du programme spatial habité au profit d’une compétition revendiquée avec la Chine, signant ainsi une réorientation majeure de la politique spatiale américaine. Il faudra néanmoins attendre le mois d’octobre et la finalisation du processus budgétaire pour connaître la décision finales sur de nombreux projets.
Redéfinition idéologique du leadership spatial
En arrière-plan se dessine une reconfiguration profonde du modèle américain de puissance spatiale. L’influence d’acteurs issus de la sphère techno-libertarienne – Elon Musk, Peter Thiel (Palantir), Palmer Luckey (Anduril) – renforce une dynamique de privatisation et de militarisation croisées des fonctions spatiales. L’offre conjointe de SpaceX, Palantir et Anduril pour la mise en œuvre du projet Golden Dome illustre la volonté de certains segments de la Silicon Valley de se positionner comme piliers du complexe militaro-industriel du XXIe siècle. La rupture entre Elon Musk et Donald Trump a ainsi illustré un basculement qui soulève des interrogations sur la capacité des États à encadrer des acteurs privés technologiquement dominants, mais dotés d’agendas propres.
Un changement d’équilibre
La politique spatiale des États-Unis sous le second mandat Trump se caractérise par une volonté de compétition exacerbée avec la Chine, une recomposition des rapports public-privé et une instrumentalisation croissante des fonctions spatiales à des fins idéologiques ou économiques, voire au profit d’ambitions personnelles. Si le volet militaire bénéficie d’une attention continue avec de nouveaux projets ambitieux, le volet civil traverse une grave période d’incertitude. L’instabilité de la période a été symbolisée par la rupture entre Donald Trump et Elon Musk, et les orientations politiques et budgétaires actuelles semblent de nature à affaiblir la coopération internationale dans l’espace, qui constituaient jusqu’à récemment un point fort de la politique spatiale des États-Unis.





