La musique : l’écouter ou en parler ?

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°632 Février 2008Rédacteur : Jean SALMONA (56)

… Que l’on pour­rait adapter ain­si à notre sujet : d’abord écouter de la musique, ensuite, éventuelle­ment, en par­ler. La frus­tra­tion des audi­teurs de France Musique devant l’afflux de paroles au détri­ment de la musique est un défi pour la présente chronique, en atten­dant peut-être, un jour, la dif­fu­sion d’extraits d’œuvres sur le site Inter­net de La Jaune et la Rouge.

La musique la plus abstraite est la mieux à même de com­mu­ni­quer des émo­tions à l’auditeur, car elle ne se réfère pas à une expéri­ence explicite­ment vécue par le com­pos­i­teur. La forme du quatuor est la plus pure, et les qua­tre Quatuors 3 à 6 de Nico­las Bacri, que vient d’enregistrer le Quatuor Psophos1, sont à cet égard exem­plaires. Ni aya­tol­lah de l’avant-garde rad­i­cale, ni émule d’un « revival » de styles passés, Bacri utilise un lan­gage très per­son­nel, très acces­si­ble et pro­fondé­ment émou­vant, dont on n’avait pas enten­du l’équivalent depuis les quatuors de Chostakovitch. Et les qua­tre belles instru­men­tistes du Quatuor Psophos, peut-être le meilleur quatuor français d’aujourd’hui, sont des inter­cesseurs de rêve pour cette musique nouvelle.

Le Quatuor Artemis, que l’on a pu enten­dre récem­ment au Théâtre des Champs-Élysées2, est alle­mand. Il nous présente, avec le pianiste Leif Ove And­snes, les Quin­tettes avec piano de Schu­mann et Brahms3, arché­types du roman­tisme, qui peu­vent pouss­er les inter­prètes à tous les excès. Par­mi toutes les ver­sions que nous avons enten­dues au cours du temps, celle-ci est l’absolue per­fec­tion : clarté, véhé­mence con­trôlée et retenue à la fois – ah, le mou­ve­ment lent du Schu­mann, le 1er mou­ve­ment du Brahms ! – ce qui ne saurait éton­ner d’un ensem­ble qui est le dis­ci­ple et l’héritier des Alban Berg et d’un pianiste au touch­er aus­si sub­til que Andsnes.

Mélanger les gen­res, c’est pren­dre des risques. C’est ce que fait Zig-Zag en pub­liant sous le titre Bach-Coltrane un assem­blage de pièces de Bach extraites de L’Art de la fugue, de can­tates, de la Messe en si mineur, etc., et d’impro­vi­sa­tions sur ces pièces, asso­ciant le Quatuor Man­fred, Raphaël Imbert (sax­os, clar­inette basse), André Rossi (orgue), per­cus­sions, voix4. Le résul­tat est très intéres­sant, iné­gal, avec quelques gemmes comme le gospel They cru­ci­fied my Lord accom­pa­g­né par une sin­fo­nia style Bach, un choral à l’orgue sur un thème de Coltrane : au total, un disque orig­i­nal qui pour­ra con­quérir un pub­lic jeune et lui faire oubli­er cer­taines plat­i­tudes des « var­iétés » d’aujourd’hui.

Heitor Vil­la-Lobos et Aaron Cop­land, deux musi­ciens du XXe siè­cle, dont EMI pub­lie deux antholo­gies : de Cop­land, des pièces descrip­tives s’adressant à un large pub­lic mais savam­ment orchestrées, par­mi lesquelles les célèbres Appalachi­an Spring, Bil­ly the Kid (sur des chan­sons de cow-boys), la musique du film The Red Pony5, pièces dans l’esprit de l’Amérique que l’on aime, sans com­plexe, un peu naïve, chaleureuse ; de Vil­la-Lobos, une musique inspirée des rythmes et des har­monies du folk­lore brésilien, avec Bachi­anas Brasileiras n° 3 et Momo­pre­coce, tous les deux pour piano et orchestre, la Fan­taisie pour saxo sopra­no et orchestre, le très beau Con­cer­to pour gui­tare avec une cadence qui défie les super­lat­ifs, et des pièces pour piano6. Deux musiques « de ter­roir », rien moins qu’abstraites, qui ne visent pas à faire resur­gir en vous des émo­tions enfouies, mais qui vous jet­tent au cœur l’âme de leurs deux pays.
On ter­min­era par un recueil d’enregistrements d’anthologie de David Oïs­trakh avec le Phil­har­mo­nia de 1956 à 1959 : les Con­cer­tos n° 2 de Prokofiev et n° 3 de Mozart, le Triple Con­cer­to de Beethoven avec Svi­atoslav Knu­she­vitzky et Lev Oborin, et le Dou­ble Con­cer­to de Brahms avec Pierre Fournier au vio­lon­celle7. Des inter­pré­ta­tions aris­to­cra­tiques qui coulent de source, et qu’il est urgent d’écouter plutôt que d’en parler.

1. 1 CD AR RE-SE.
2. Et dont un superbe enreg­istrement du 13e quatuor de Dvo­rak avait été cité dans ces colonnes en févri­er 2007.</cité><//cité></><//>
3. 1 CD Virgin.
4. 1 CD ZIG-ZAG.
5. 2 CD EMI.
6. 2 CD EMI.
7. 2 CD EMI.

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