La microfinance à l’épreuve du terrain

Dossier : ExpressionsMagazine N°646 Juin 2009
Par Jean-Baptiste KERVEILLANT (07)

Plusieurs X de la pro­mo­tion 2005 ont créé il y a deux ans l’As­so­ci­a­tion X‑MicroFinance avec deux objec­tifs prin­ci­paux : d’une part sen­si­bilis­er le monde étu­di­ant et le grand pub­lic à cette activ­ité et d’autre part lancer un IMF (Insti­tut de micro­fi­nance) dans un pays en voie de développement.

La notion même de prêt est sou­vent étrangère aux pop­u­la­tions intéressées

Le ” micro­crédit ” con­siste à prêter des sommes min­imes mais très impor­tantes pour les béné­fi­ci­aires. On estime à plus de qua­tre-vingt-dix mil­lions le nom­bre de per­son­nes qui béné­fi­cient de l’aide du micro­crédit et à au moins cinq cents mil­lions de per­son­nes la taille du marché poten­tiel. L’idée a donc frayé son chemin en sachant habile­ment se dis­soci­er de l’aide human­i­taire, par­fois cri­tiquée pour les répons­es essen­tielle­ment ponctuelles qu’elle apporte aux crises et l’habi­tude de l’as­sis­tanat qu’elle tend à répan­dre. Elle veut être un véri­ta­ble out­il du développe­ment durable tant prôné en ce début de siècle.

Du mont-de-piété au microcrédit
La micro­fi­nance et son dérivé le plus com­mun, le micro­crédit, sont dûs à Muham­mad Yunus, qui reçut le prix Nobel de la paix. Il tenait là une idée sim­ple, mais révo­lu­tion­naire pour l’époque (il y a trente ans déjà). Il pen­sait qu’une grande par­tie des prob­lèmes ren­con­trés par les paysans pau­vres du Bangladesh résul­tait de la grande dif­fi­culté d’ac­cès aux cap­i­taux des plus dému­nis dont les lop­ins de terre n’as­sur­aient pas une solv­abil­ité suff­isante. D’où son pro­gramme de micro­crédit ” Grameen ” — la future Grameen Bank — qui dis­tribue des micro­prêts aux défa­vorisés. Cette nou­velle pra­tique repre­nait l’idée oubliée des monts-de-piété, prêts à taux faibles ou nuls en faveur des plus dému­nis, qui se sont dévelop­pés dans l’I­tal­ie de la Renaissance.

Un été au Guatemala

L’ini­tia­tive de la pro­mo 2005 a été l’oc­ca­sion de quit­ter, l’e­space d’un été, le cocon ras­sur­ant des beaux mots et des belles théories pour se con­fron­ter aux maux bien pra­tiques de la réal­ité. Guidés peut-être par un esprit un peu aven­turi­er, c’est sur la terre maya, encore rougie d’une récente et trop longue guerre civile qui déchi­ra les Guaté­maltèques, que Loïc Watine et Nico­las Meu­nier dis­tribuèrent leurs pre­miers micro­crédits grâce aux sub­ven­tions qu’ils avaient récoltées pen­dant l’an­née. Leur pro­jet ren­con­tra un vif suc­cès sur place et ils durent même refuser de nom­breux emprunts faute de fonds suffisants.

Relever le défi humain

Mais l’aven­ture ne devait pas s’ar­rêter à la fin de l’été : il s’agis­sait de suiv­re les rem­bourse­ments à dis­tance, depuis le Plateau de Palaiseau et de con­tac­ter régulière­ment les respon­s­ables d’as­so­ci­a­tions locales qui sou­ti­en­nent l’ini­tia­tive et qui ont apporté à l’As­so­ci­a­tion — et con­tin­u­ent de le faire — leur pré­cieuse con­nais­sance du ter­rain et des gens. C’est une exi­gence fon­da­men­tale que celle de con­naître les gens et leur cul­ture lorsque l’on tra­vaille dans une IMF. Et les trois pio­nniers ont su relever ce défi humain égale­ment. La ten­ta­tion est grande — sans doute — de fouler ces ter­res loin­taines avec nos sabots d’Oc­ci­den­taux et nos bonnes inten­tions mais quelques expéri­ences seule­ment suff­isent à se pli­er aux tra­di­tions locales : la ponc­tu­al­ité qui déjà n’est qu’un vain mot pour cer­tains étu­di­ants de l’X n’est plus qu’une vague abstrac­tion dans les cam­pagnes du Guatemala et la notion même de prêt est étrangère à cer­tains de nos ” clients “. D’où l’im­por­tance accordée aux présen­ta­tions générales et indi­vidu­elles du pro­jet qui pren­nent place dans les vil­lages intéressés ; la péd­a­gogie est de mise, surtout quand les inter­ven­tions orales se font en espag­nol devant un pub­lic qui par­le le quekchi ou un autre dialecte amérin­di­en. Fort heureuse­ment les chefs de vil­lage assurent la tra­duc­tion et le relais entre nos crédi­teurs et nous.

La solidarité villageoise

Pen­dant l’an­née qui a suivi cette pre­mière expédi­tion, le con­tact a été main­tenu avec les respon­s­ables des asso­ci­a­tions qui nous sou­ti­en­nent afin d’as­sur­er un suivi des prêts et de nous tenir au courant de la sit­u­a­tion au Guatemala et dans les vil­lages en par­ti­c­uli­er. Le flam­beau a été peu à peu repris par des élèves de la pro­mo­tion 2006 qui par­tirent l’été dernier suiv­re la trace de leurs aînés et récolter cer­taines sommes man­quantes. Il a fal­lu chang­er cer­tains respon­s­ables locaux inef­fi­caces ou dont les habits n’évo­quaient pas tou­jours la pro­bité can­dide. Se ren­dre compte égale­ment que cer­tains vil­la­geois ne savent ni lire ni écrire et qu’il s’avère donc dif­fi­cile de leur faire rem­plir le ques­tion­naire de demande de prêts ; là encore la sol­i­dar­ité vil­la­geoise résout bien des problèmes.

Con­sid­érant que cette pre­mière année était probante les 2006 décidèrent de pour­suiv­re l’aven­ture et de pass­er les rênes à la pro­mo 2007 en ce début d’an­née. Les nou­veaux se pré­par­ent donc à par­tir cet été avec des fonds de crédit qui auront au moins triplé par rap­port à la pre­mière année. Autant d’autres clients poten­tiels en perspective.

Trois cents prêts cette année

Avec peut-être 25 000 euros de fonds (esti­ma­tion con­sid­érant que toutes les promess­es de sub­ven­tions se réalis­eront), on espère pou­voir touch­er env­i­ron 300 clients : les prêts s’éch­e­lon­neront de 50 euros (env­i­ron 500 quet­zals, la mon­naie locale) à 150 euros selon l’an­ci­en­neté du client et le bon rem­bourse­ment des prêts précé­dents, la qual­ité de son pro­jet et sa capac­ité à rembourser.

Ces sommes en apparence dérisoires per­me­t­tent en fait de financer des pro­jets très var­iés (achat d’une chèvre, de semences, d’usten­siles agri­coles, etc.) qui, dans la majorité des cas, con­tribuent à l’élé­va­tion du niveau de vie. Le recours au crédit sol­idaire (prêt glob­al à un groupe de per­son­nes qui s’as­surent les unes les autres) per­met nor­male­ment de pal­li­er les éventuels défauts de remboursement.

Les ren­con­tres de la microfinance
 
X‑MicroFinance a organ­isé, en parte­nar­i­at avec l’E­SPOM (Étu­di­ants de Sci­ences-po pour la micro­fi­nance) les pre­mières Ren­con­tres de la micro­fi­nance (RMF) à l’É­cole mil­i­taire le 20 avril dernier. L’ob­jec­tif était d’abor­der cer­taines ques­tions épineuses de la micro­fi­nance, à savoir la com­bi­nai­son ” impact social, péren­nité finan­cière “, la pro­tec­tion des clients et l’im­pact de la crise sur le secteur, autour de tables ron­des réu­nis­sant des spé­cial­istes du domaine. Des investis­seurs de divers hori­zons ont été invités afin de rap­procher un peu les deux mon­des qui ont vrai­ment besoin l’un de l’autre ; le sous-titre des ren­con­tres souligne bien cette con­stata­tion : ” Con­cili­er ambi­tion sociale et rentabil­ité “. Cette journée a ren­con­tré un franc suc­cès et les remar­ques des dif­férents par­tic­i­pants (entre 70 et 80) inci­tent vive­ment à renou­vel­er l’ex­péri­ence l’an­née prochaine en visant un pub­lic plus large.

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