La mère du printemps

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°584 Avril 2003Par : André COURTAIGNE (43)Rédacteur : M. D. INDJOUDJIAN (41)

J’ai con­nu il y a près de cinquante-cinq ans l’auteur de ce beau réc­it, que je crois prin­ci­pale­ment auto­bi­ographique – et je n’ai pas voulu pos­er la moin­dre ques­tion sur la part de fic­tion qu’il peut con­tenir. En effet, ce n’est pas ce qui importe, mais la sincérité pro­fonde avec laque­lle André Cour­taigne fait revivre un cer­tain Maroc d’il y a plus d’un demi-siè­cle, celui, de pop­u­la­tion berbère, où a été con­stru­it dans le Moyen-Atlas le grand bar­rage de Bin el Ouidane. Celui-ci a per­mis l’irrigation de la plaine du Tad­la et l’alimentation de deux cen­trales hydroélectriques.

L’auteur, ingénieur d’une grande entre­prise de travaux publics lors de la con­struc­tion (1949–1953) de ce bar­rage – dont le maître d’ouvrage était l’Énergie élec­trique du Maroc –, a tiré par­ti de quelles con­nais­sances ? Celles acquis­es à l’X ? À l’École des ponts et chaussées ? Au Mass­a­chu­setts Insti­tute of Tech­nol­o­gy (MIT) où, pen­dant l’été 1949, il a suivi notam­ment un cours de mécanique des sols ? Peu importe ; car le réc­it mon­tre à quel point l’efficacité devait plus à cer­taines qual­ités humaines qu’à des con­nais­sances tech­niques, au demeu­rant bien nécessaires.

Le titre : La mère du print­emps. C’est la tra­duc­tion du nom que les Berbères don­naient à l’Oum er Rbia dans lequel se jette l’Oued el Abid, qui a creusé les gorges dans lesquelles a été con­stru­it Bin el Ouidane. Ce “print­emps” de la plaine que per­met l’Oum er Rbia, gon­flé de l’affluent venu de la mon­tagne, c’est le sym­bole de bien­faits prodigieuse­ment accrus par cette action de l’homme sur la nature.

Dans ce réc­it, face à des respon­s­abil­ités tech­niques, économiques et humaines, André, le jeune ingénieur, “ n e décou­vrait pas seule­ment le chantier, il se décou­vrait lui-même ”. Admi­ratif de Lyautey et du père de Fou­cauld, André est frap­pé par quelques lignes de ce dernier, écrites en 1883, date qui lui sem­ble pré­fig­ur­er l’entrée de Bin el Ouidane dans l’histoire.

Au fil des pages, le lecteur partage les joies, les angoiss­es et les peines qui jalon­nent les qua­tre ans d’effort. Il com­prend, comme l’auteur, com­bi­en il faut se défi­er d’idées reçues sur ces pop­u­la­tions, des clichés sur Arabes et Berbères, comme des juge­ments sur le com­porte­ment des Français, tant il est vrai que les types de “ colons ” étaient divers.

Alors même qu’à cette époque les entre­pris­es de travaux publics pas­saient d’un stade presque arti­sanal à un stade véri­ta­ble­ment indus­triel, les acci­dents que la nature fai­sait sur­venir, sou­vent au prix de vies humaines, rap­pelaient les hommes à la modestie.

Les ouvri­ers, pour la plu­part Berbères recrutés sur place, savaient que leur tra­vail ne dur­erait qu’un petit nom­bre d’années ; mais aucun sans doute n’a com­pris longtemps avant la mise en eau que leurs vil­lages allaient dis­paraître. Et, même si le com­porte­ment du maître d’ouvrage à leur égard a été sans reproche, le choix pour ces ouvri­ers n’en a pas été moins douloureux entre rester, un peu plus haut, dans leur cadre de vie tra­di­tion­nel ou se trans­former en cul­ti­va­teurs en descen­dant dans la plaine irriguée.

C’est sur ces dilemmes pour eux ; c’est, pour les ingénieurs, sur le déchire­ment de l’adieu à l’aventure humaine et tech­nique, que s’achève ce réc­it très pur.

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