Parts de marché de l'assurance en Chine

La longue marche des assureurs étrangers

Dossier : Regards sur la ChineMagazine N°589 Novembre 2003
Par Fabrice MARAVAL (93)

Un peu d’histoire…

Un peu d’histoire…

Le mar­ché chi­nois sus­cite depuis près de deux siècles les convoi­tises des assu­reurs étran­gers. En 1805, des mar­chands anglais fon­daient la Can­ton Insu­rance Com­pa­ny, la pre­mière socié­té d’as­su­rance du pays, tan­dis qu’en 1919, sous le nom de Ame­ri­can Asia­tic Under­wri­ters, nais­sait la com­pa­gnie qui allait deve­nir aujourd’­hui Ame­ri­can Inter­na­tio­nal Group (AIG), la pre­mière capi­ta­li­sa­tion du sec­teur des ser­vices finan­ciers1. Jus­qu’à la prise de pou­voir par les com­mu­nistes, on comp­tait près de 200 com­pa­gnies d’as­su­rances en Chine…

La mise en place d’un sys­tème d’é­co­no­mie socia­liste à par­tir de 1949 son­na évi­dem­ment le glas de l’as­su­rance pri­vée en Chine, tant le concept même était aux anti­podes du dogme éco­no­mique. Il reve­nait à l’É­tat, par le biais des « dan­wei » (uni­tés de tra­vail), de répondre aux besoins de pré­voyance et de retraite de sa popu­la­tion. La Peo­ple’s Insu­rance Com­pa­ny of Chi­na (PICC), qui s’é­tait vu accor­der le mono­pole sur le mar­ché domes­tique, se conten­ta donc pen­dant près de trente ans d’as­su­rer seule­ment des risques inter­na­tio­naux comme les trans­ports de mar­chan­dise ou les risques aviation.

Ce n’est qu’au début des années 1990, avec la fin du mono­pole de la PICC, la créa­tion d’autres assu­reurs domes­tiques (notam­ment Ping’an) et le retour d’AIG (en 1992 à Shan­ghai) que le mar­ché chi­nois com­mence une véri­table renaissance.

Sur la période 1990–2000, le mar­ché connaît une crois­sance annuelle moyenne de 24,5 % (33,3 % en assu­rance vie, 17,3 % en assu­rance IARD2).

Les deux der­nières années ont vu un qua­si-dou­ble­ment du mar­ché et les primes ont atteint à fin 2002 envi­ron € 36Mds3.

Mal­gré de fortes inéga­li­tés dans le déve­lop­pe­ment ter­ri­to­rial, qui fait qu’une grande par­tie de la popu­la­tion reste pri­vée d’ac­cès à l’as­su­rance, le renou­veau du sec­teur de l’as­su­rance est donc bien réel.

Il est en effet très clair qu’in­trin­sè­que­ment la Chine consti­tue un ter­reau fer­tile au déve­lop­pe­ment de l’as­su­rance pri­vée : une popu­la­tion nom­breuse et vieillis­sante qui s’en­ri­chit et voit son niveau de vie aug­men­ter très rapi­de­ment, un taux de péné­tra­tion4 de seule­ment 2,2 %, un désen­ga­ge­ment gra­duel de l’É­tat sur le plan de la pro­tec­tion sociale (dépenses de san­té, retraites), une éco­no­mie en forte crois­sance, une épargne impor­tante et inves­tie prin­ci­pa­le­ment en dépôts ban­caires, des marges sur les pro­duits encore éle­vées par rap­port aux pays déve­lop­pés, etc.

Le secteur de l’assurance est un des derniers « ouverts » aux investisseurs étrangers

Allé­chés par ces pers­pec­tives et par le suc­cès qu’a ren­con­tré AIG, de très nom­breux assu­reurs étran­gers ont mul­ti­plié les démarches pour obte­nir eux aus­si un pré­cieux sésame leur per­met­tant d’o­pé­rer sur ce nou­vel « eldo­ra­do de l’assurance ».

Si l’on compte aujourd’­hui plus de cent com­pa­gnies étran­gères qui ont ouvert dans les années quatre-vingt-dix un voire plu­sieurs bureaux de repré­sen­ta­tion en Chine, on ne compte plus en revanche les délé­ga­tions chi­noises reçues par les sièges, ni les mil­lions dépen­sés en bourses d’é­tudes ou en spon­so­ring de pro­grammes de for­ma­tion, études de mar­ché ou autres ins­ti­tuts de l’assurance…

Tout cela pour un résul­tat plu­tôt mince : seule­ment 1,5 % de part de mar­ché pour les assu­reurs étran­gers à fin 2002 (dont au moins 80 % repré­sen­tés par le seul AIG), à peine une quin­zaine d’ac­teurs qui ont effec­ti­ve­ment obte­nu l’au­to­ri­sa­tion de vendre leurs pro­duits sur un péri­mètre limi­té à Shan­ghai ou Guangz­hou (Can­ton), et enfin une dizaine d’autres en attente du feu vert régle­men­taire5.

Il faut com­prendre en effet que l’at­tri­bu­tion d’une licence – pro­ces­sus émi­nem­ment poli­tique qui néces­site bien sou­vent l’in­ter­ven­tion directe des chefs d’É­tat – n’est qu’une étape avant le démar­rage de la socié­té : les phases sui­vantes de recherche et de négo­cia­tion avec un par­te­naire de joint ven­ture, puis de sou­mis­sion du pro­jet à la CIRC6 peuvent être extrê­me­ment longues. Ain­si, les socié­tés euro­péennes qui ont obte­nu une pro­messe de licence en novembre 2001 au moment de l’en­trée de la Chine dans l’OMC vendent seule­ment aujourd’­hui leur pre­mière police…

Décou­ra­gées par ces longs délais, cer­taines socié­tés ont même jeté l’é­ponge en 2002 en fer­mant leurs bureaux de représentation.

Des conditions de marchés difficiles

Pour les rares pri­vi­lé­giés qui sont déjà pré­sents sur le mar­ché – au rang des­quels le fran­çais AXA, l’al­le­mand Allianz, le bri­tan­nique Pru­den­tial ou le suisse Win­ter­thur – la situa­tion n’est pas rose pour autant. Confron­tés à un envi­ron­ne­ment régle­men­taire extrê­me­ment res­tric­tif, qui les prive de fac­to de tout éven­tuel avan­tage com­pé­ti­tif (en par­ti­cu­lier dans le domaine de la sous­crip­tion ou de la ges­tion d’ac­tif) et qui les limite dans leur champ opé­ra­toire (l’as­su­rance col­lec­tive est par exemple pros­crite), les assu­reurs étran­gers doivent en plus com­po­ser avec des assu­reurs chi­nois en posi­tion de force grâce à leurs réseaux d’in­fluences et leur connais­sance du ter­rain, des par­te­naires de joint ven­ture pas tou­jours très faciles, un manque d’ac­tifs finan­ciers de qua­li­té7 et enfin des coûts de per­son­nel éle­vés liés à une pénu­rie de can­di­dats pour les postes clés…

Mais la pre­mière pré­oc­cu­pa­tion reste tout de même la dis­tri­bu­tion, qui est bien sûr tou­jours vitale, mais l’est plus encore pour des socié­tés en démar­rage qui doivent bâtir leur por­te­feuille de clients sous peine de faire face à des coûts uni­taires astronomiques.

Pour l’ins­tant, les assu­reurs étran­gers qui ont pri­vi­lé­gié le mode de dis­tri­bu­tion par agents se heurtent à de grandes dif­fi­cul­tés pour recru­ter (on manque de can­di­dats de qua­li­té car les métiers de ven­deurs sont mal vus en Chine), for­mer (les can­di­dats doivent pas­ser un exa­men de qua­li­fi­ca­tion de plus en plus dif­fi­cile) et pré­ser­ver (les com­pé­ti­teurs pra­tiquent la sur­en­chère pour atti­rer les meilleurs élé­ments) leur force de vente.

Ces pro­blèmes vont d’ailleurs être démul­ti­pliés lors­qu’il s’a­gi­ra d’o­pé­rer sur tout le ter­ri­toire chinois.

L’é­mer­gence de la ban­cas­su­rance et la for­ma­tion de joint ven­tures basées sur un modèle de dis­tri­bu­tion par réseaux tiers (exemple de la CNP avec la poste chi­noise, ou, dans une moindre mesure, de New York Life avec le fabri­cant d’élec­tro­mé­na­ger Haier) res­tent donc à sur­veiller de près.

Les perspectives demeurent encore incertaines…

Si le por­trait qui vient d’être dres­sé de la situa­tion actuelle se veut volon­tai­re­ment moins idyl­lique que ne le lais­se­raient sou­vent entendre des articles parus dans la presse géné­ra­liste, on ne sau­rait se pro­non­cer défi­ni­ti­ve­ment sur les pers­pec­tives à long terme du sec­teur des assu­rances et des acteurs étran­gers en Chine.

Rap­pe­lons en effet que, quel que soit le pays, la place qu’oc­cupe le sec­teur des assu­rances est inti­me­ment liée au cadre juri­dique et fis­cal, à la pro­tec­tion sociale offerte par l’É­tat (san­té, retraite, chô­mage…) et enfin aux mar­chés financiers.

Le mar­ché chi­nois com­pa­ré aux sept plus grands mar­chés mondiaux
(don­nées à fin 2001)
Primes
(Mds d’USD
Taux de pénétration
(primes sur PIB)
Den­si­té (primes par
habi­tant, en USD)
Monde
États-Unis
Japon
Royaume-Uni
Allemagne
France
Italie
Corée du Sud
Chine
2,408
904
446
218
124
113
69
50
25
7,83%
8,97%
11,07%
14,18%
6,59%
8,58%
6,27%
12,07%
2,20%
393
3,266
3,507
3,394
1,484
1,899
1,186
1,060
20
Source : Swiss Re – Sig­ma Insu­rance Research.
Pour sai­sir l’amplitude des varia­tions régio­nales, on note­ra que, dans les villes les plus riches
de Chine (Shenz­hen, Shan­ghai, Pékin, Guangz­hou, Xia­men), le taux de péné­tra­tion et la densité
sont supé­rieurs ou égaux à envi­ron cinq fois la moyenne nationale.


À l’i­mage de la Chine, qui opère une tran­si­tion en pro­fon­deur d’une éco­no­mie socia­liste à une éco­no­mie de mar­ché, tous ces domaines sont dans une phase d’im­por­tants bou­le­ver­se­ments. Il est donc aus­si dif­fi­cile de devi­ner quelle place le gou­ver­ne­ment chi­nois veut don­ner à l’as­su­rance dans son dis­po­si­tif éco­no­mique d’en­semble qu’il est facile de com­prendre pour­quoi ce sec­teur (ain­si que l’en­semble des ser­vices finan­ciers) est per­çu comme extrê­me­ment sen­sible par les diri­geants actuels.

Dans le rôle qui leur a été attri­bué, c’est-à-dire appor­ter une exper­tise qui doit béné­fi­cier au mar­ché domes­tique, les assu­reurs étran­gers, au même titre que leurs col­lègues ban­quiers ou ges­tion­naires d’ac­tifs, n’ont effec­ti­ve­ment pas beau­coup de marges de manœuvre. Ils ont rem­por­té quelques beaux suc­cès sur les mar­chés où on les a auto­ri­sé à opé­rer (à Shan­ghai notam­ment où la part de mar­ché des assu­reurs étran­gers est supé­rieure à 20 %), mais il leur faut encore confir­mer à l’é­che­lon natio­nal. L’en­trée de la Chine à l’OMC, cen­sée mettre les assu­reurs étran­gers au même niveau que leurs confrères chi­nois à l’ho­ri­zon 20058, n’ap­pa­raît pas pour l’ins­tant comme une réponse entiè­re­ment convain­cante tant les bar­rières « non-tari­faires » (len­teur admi­nis­tra­tive dans l’ap­pro­ba­tion des dos­siers, exi­gences déme­su­rées en termes de capi­tal mini­mum, etc.) sont nom­breuses9.

Pour autant, il n’est pas exclu que, dans cet envi­ron­ne­ment mou­vant, cer­tains, grâce à leur savoir-faire et sur­tout à leur capa­ci­té d’in­no­va­tion et d’a­dap­ta­tion, arrivent à tirer leur épingle du jeu et à deve­nir des acteurs incon­tour­nables de l’as­su­rance en Chine.

On pense aus­si à la situa­tion des assu­reurs étran­gers au Japon, qui nous rap­pelle que même les mar­chés les plus fer­més vis-à-vis de l’ex­té­rieur peuvent s’ou­vrir à la faveur d’une crise…

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1.
Entre 4 et 6 fois la capi­ta­li­sa­tion des plus grands assu­reurs euro­péens comme AXA ou Generali.
2. Incen­die, auto­mo­bile et risques divers.
3. À titre de com­pa­rai­son, le mar­ché fran­çais repré­sen­tait envi­ron € 131 Mds en 2002 (source FFSA).
4. Le taux de péné­tra­tion se défi­nit comme le rap­port des primes encais­sées sur le PIB. Au niveau mon­dial, il atteint 7,8 % en 2001 (source Swiss Re – Sig­ma Insu­rance Research).
5. Le péri­mètre géo­gra­phique sur lequel peuvent inter­ve­nir les assu­reurs étran­gers a été récem­ment élar­gi à une liste d’une dizaine de grandes villes. Ain­si, ING et Sun Life of Cana­da devraient opé­rer à Dalian et Tian­jin respectivement.
6. Chi­na Insu­rance Regu­la­to­ry Com­mis­sion : équi­valent chi­nois de la Com­mis­sion de Contrôle des Assurances.
7. Voir l’ar­ticle sur les mar­chés finan­ciers dans ce numé­ro de La Jaune et la Rouge.
8. Les accords d’en­trée de la Chine à l’OMC pré­voient, sur le volet Assu­rance, une levée pro­gres­sive des limi­ta­tions pesant aujourd’­hui sur les assu­reurs étran­gers. Aus­si, en 2005, ils devraient pou­voir opé­rer en assu­rance indi­vi­duelle et col­lec­tive, sur tout le ter­ri­toire chi­nois et sans limi­ta­tions pour les risques cou­verts. L’o­bli­ga­tion d’o­pé­rer en joint ven­ture à 50/50 maxi­mum demeure néan­moins très contrai­gnante pour les socié­tés vie.
9. Pour faire bonne mesure, il faut rap­pe­ler que la Chine est loin d’a­voir l’a­pa­nage de ce « pro­tec­tion­nisme dégui­sé » en matière de ser­vices finan­ciers. On se sou­vien­dra des réac­tions au moment de la prise de contrôle des AGF par Allianz, ou plus récem­ment, de la notion « d’i­ta­lia­ni­té » enten­due à pro­pos de Gene­ra­li ou de Toro…

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