la logistique n’est pas uniquement une question de flux, de stocks ou de produits, c’est l’affaire de tous.

La logistique est l’affaire de tous !

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°777 Septembre 2022
Par Thierry BRUNEAU

Sou­veraineté, con­traintes envi­ron­nemen­tales et écologiques, dynami­sa­tion des ter­ri­toires… sont autant d’enjeux qui sous-ten­dent le développe­ment de la logis­tique de demain en France. Thier­ry Bruneau, PDG de TB con­seil, dresse pour nous un état des lieux du secteur actuelle­ment. Il nous livre son analyse de la sit­u­a­tion et revient sur les actions pri­or­i­taires à déploy­er pour soutenir le développe­ment du secteur. Rencontre.

Le monde de la logistique est aujourd’hui à la croisée de plusieurs enjeux déterminants et stratégiques qui vont fortement impacter ce secteur. Qu’en est-il ? 

La sit­u­a­tion géopoli­tique et ses con­séquences socié­tales, économiques et poli­tiques ont ren­du la logis­tique encore plus déter­mi­nante que par le passé. En par­al­lèle, l’importance de la dimen­sion écologique et notam­ment de l’empreinte car­bone en font un secteur « qua­si-min­istériel ». En effet, la France est le seul pays où la logis­tique est une niche au sein du min­istère du trans­port, alors qu’elle est con­sid­érée ailleurs comme un secteur priv­ilégié et une indus­trie à part entière. 

La logis­tique sous-tend des enjeux cri­tiques en ter­mes de sou­veraineté, d’indépendance nationale, de flu­id­i­fi­ca­tion des flux, d’approvisionnement des ménages. Elle représente aus­si un enjeu en ter­mes d’emploi. Elle con­tribue à la créa­tion de valeur et d’emplois qualifiés. 

Quels sont, selon vous, les axes prioritaires qui doivent mobiliser les acteurs de ce secteur ? 

Aujourd’hui, nous assis­tons à l’arrivée de nom­breux acteurs sur le marché de la logis­tique qui est devenu au cours des dernières décen­nies une classe d’actifs financier au même titre que les bureaux, les loge­ments rési­den­tiels ou les com­merces. Elle est ain­si la sec­onde classe d’actifs qui attire le plus les ban­ques et fonds d’investissement après les bureaux. 

Dans le cadre de la Loi Cli­mat et Résilience qui vise la zéro arti­fi­cial­i­sa­tion des sols, l’enjeu est de s’orienter vers la recon­ver­sion des frich­es indus­trielles. En ce sens, il y a un mou­ve­ment poli­tique et économique sig­ni­fi­catif qui s’est traduit par la créa­tion du fonds pour le recy­clage des frich­es. Le gou­verne­ment a égale­ment réal­isé un recense­ment de ces frich­es il y a deux ans. Ces dernières sont disponibles dans toutes les régions de France. À mon sens, un nou­veau recense­ment que je qual­i­fie de « qual­i­tatif et struc­turé » doit être mené pour opti­miser leur recon­duc­tion et dévelop­per des plate­formes logis­tiques qui soient local­isées dans des envi­ron­nements soci­aux et économiques favor­ables. Se pose aus­si la ques­tion de recon­struc­tion de ces sites qui se sont vus con­tournés par le développe­ment de la ville et notam­ment des loge­ments. Cela implique un arbi­trage au cas par cas afin d’imbriquer au mieux ces nou­velles plate­formes dans la ville tout en respec­tant l’environnement. 

Si le secteur est représen­té par de nom­breuses asso­ci­a­tions et organ­i­sa­tions à l’échelle nationale qui regroupent les acteurs de la dis­tri­b­u­tion, du trans­port, des opéra­tions logis­tiques, ain­si que les acteurs ter­ri­to­ri­aux, la mise en place d’un bureau inter­min­istériel reste déter­mi­nant pour fédér­er l’ensemble de cet écosys­tème et son activ­ité, mais aus­si pour réguler le développe­ment du secteur et de tous ses métiers (RH, con­struc­tion, flux, énergie…). En effet, la logis­tique n’est pas unique­ment une ques­tion de flux, de stocks ou de pro­duits, c’est l’affaire de tous. Elle ne doit pas être regardée comme un sujet tech­nique réservé aux indus­triels, mais comme un enjeu qui revêt une dimen­sion citoyenne et qui doit représen­ter les intérêts des con­som­ma­teurs, des villes, des régions et de l’État. Preuve en est la crise qui a été mar­quée par la pénurie de marchan­dis­es et les dif­fi­cultés d’approvisionnements en masques et en vaccins. 

Il s’agit donc de tir­er les leçons de ces écueils pour struc­tur­er, de manière raison­née et économique­ment per­ti­nente, le retour à une sou­veraineté à ce niveau. Il faut dévelop­per dès aujourd’hui la logis­tique bien­veil­lante des dix prochaines années. Pour cela, la France sou­vent décrite comme « un pays d’histoire » doit devenir « un pays de géo­gra­phie » et s’inspirer dans cette démarche de l’exemple alle­mand, belge ou des Pays-Bas qui ont calé leur appro­vi­sion­nement sur la flu­id­ité géo­graphique notam­ment per­mise par les fleuves pour opti­miser l’écoulement des marchan­dis­es, leur récep­tion et diffusion. 

Quels sont les principaux freins qui persistent dans le secteur ? 

Le développe­ment du secteur est con­fron­té à deux con­tra­dic­tions. La pre­mière est la con­séquence de la Loi Cli­mat Résilience qui inter­dit le développe­ment de nou­veaux fonciers. La sec­onde est la durée d’instruction des pro­jets. S’il est néces­saire d’avoir une admin­is­tra­tion que je qual­i­fie de solide et d’intransigeante, l’instruction des dossiers requiert toute­fois une évo­lu­tion, car selon un bench­mark européen, la France se classe à la dernière place à ce niveau. Cette réforme doit être ini­tiée aux plus hauts niveaux de l’État et de l’administration et jusqu’aux ter­ri­toires pour que notre pays ne rate pas le coche du développe­ment logis­tique de demain. 

Aujourd'hui, la logistique est dans un nouveau haut de cycle qui implique la construction de bâtiments, la mise en place de processus innovants avec plus d’automatisation et de robotisation.

Comment imaginez-vous les contours de ce secteur à horizon 10 ans, 15 ans ? 

Cette classe d’actifs s’est sig­ni­fica­tive­ment dévelop­pé il y a une trentaine d’années. Aujourd’hui, nous sommes dans un nou­veau haut de cycle qui implique la con­struc­tion de bâti­ments, la mise en place de proces­sus inno­vants avec plus d’automatisation et de robo­t­i­sa­tion. Parce que la prise en compte de l’empreinte car­bone est oblig­a­toire, il faut repenser la manière de con­stru­ire ce qui va con­tribuer à lancer un nou­veau cycle pour les dix prochaines années. Et à cela s’ajoute la vie « nor­male » d’une entre­prise qui est ponc­tuée par des phas­es de crois­sance interne et externe, des opéra­tions de fusions-acqui­si­tions, un change­ment de cap ou de mod­èle notam­ment sous l’impulsion du dig­i­tal et l’évolution des modes de consommation. 

Sur les 20 prochaines années, la logis­tique va vivre deux nou­veaux cycles ce qui l’oblige à faire preuve de flex­i­bil­ité et d’adaptabilité. Se pose aus­si la ques­tion de l’énergie alors que nous sommes actuelle­ment inca­pables de prédire com­ment seront struc­turés les mod­èles énergé­tiques de demain. Il en sera de même pour les flux physiques avec le fac­teur de l’autonomie des poids lourds, des chemins de fer et des véhicules mar­itimes qui dictera sans aucun doute le posi­tion­nement des nou­velles plate­formes. Il s’agit là d’une équa­tion com­plexe que notre pays doit résoudre.

Quelles pistes de réflexion pourriez-vous partager avec nos lecteurs sur ces sujets et enjeux ?

Je sou­tiens l’idée qu’il est néces­saire de créer un comité de sur­veil­lance qui per­me­t­trait de struc­tur­er tous les corps d’État afin de met­tre en place une organ­i­sa­tion struc­turée, seg­men­tée pour que la logis­tique soit traitée comme une oblig­a­tion socié­tale au regard des dif­férents élé­ments que nous avons abor­dés au cours de cet entre­tien : recon­ver­sion des frich­es indus­trielles, flux physique, empreinte car­bone, dynami­sa­tion des ter­ri­toires… Enfin, elle doit être syn­onyme d’inclusion et cou­vrir l’ensemble des besoins socié­taux, poli­tiques et économiques de notre pays sur le long terme. 

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