La gestion de projet simplifiée grâce à Lili.ai

La gestion de projet simplifiée grâce à Lili.ai

Dossier : Vie des entreprises - Transformation numérique et intelligence artificielleMagazine N°805 Mai 2025
Par Milie TAING

Créée en 2016, Lili.ai est née d’un défi concret ren­con­tré dans l’industrie de l’ingénierie. Sous la direc­tion vision­naire de Milie Taing, pré­si­dente, Lili.ai aide les entre­prises à opti­mi­ser la ges­tion de leurs pro­jets en amé­lio­rant la pré­ci­sion des ana­lyses docu­men­taires et en faci­li­tant la prise de déci­sions fon­dées sur des don­nées fiables.

Qu’est-ce qui vous a inspiré à créer Lili.ai en 2016 ?

Je tra­vaillais à Van­cou­ver pour un des lea­ders mon­diaux de l’ingénierie, SNC-Lava­lin, dans la divi­sion trans­mis­sion et dis­tri­bu­tion d’électricité. J’y étais contrô­leuse de ges­tion, et connue pour mes com­pé­tences en Excel. Quelques mois après mon arri­vée, mon vice-pré­sident m’a deman­dé de mon­ter un dos­sier de récla­ma­tion pour des pro­jets en retard. Les retards dans les grands pro­jets entraînent des coûts impor­tants et des péna­li­tés finan­cières qui peuvent repré­sen­ter 0,1 % du bud­get total par jour de retard, voire plus selon le contrat, car chaque retard peut pro­vo­quer d’autres retards en cas­cade. Les retards peuvent éga­le­ment entraî­ner des demandes de com­pen­sa­tion et des pertes de reve­nus pour nos clients.

« Dans les grands projets, les retards entraînent des coûts importants et des pénalités financières qui peuvent représenter 0,1 % du budget total par jour de retard. »

Nous avions trois pro­jets en dépas­se­ment avec 18 années de don­nées à revoir. Je devais recréer l’historique pour prou­ver aux clients que nous n’étions pas res­pon­sables des retards, afin d’éviter les péna­li­tés. Il fal­lait enquê­ter sur tous les moments où le client avait failli : retards de vali­da­tion de docu­ments, pro­blèmes de desi­gn, etc. J’étais spé­cia­li­sée dans les chiffres, mais pas dans les mots, alors j’ai fait des entre­tiens, posé des ques­tions… mais la mémoire humaine reste approxi­ma­tive. En fin de compte, seules les dates et les faits comptent. Et comme la docu­men­ta­tion n’avait pas été suf­fi­sam­ment rigou­reuse, il était dif­fi­cile de prou­ver que le client était à l’origine du retard. Cette situa­tion, qui a pro­vo­qué chez moi un sen­ti­ment de pro­fonde injus­tice, s’est sol­dée par la fer­me­ture du bureau dans lequel je tra­vaillais et par une répu­ta­tion en berne. Tout cela m’a ame­née à créer Lili.ai en 2016.

Je me suis deman­dée com­ment ana­ly­ser ces 18 années de don­nées avec une machine, car, pour quelqu’un comme moi, qui arrive après coup, c’est impos­sible de le faire. C’est ain­si que j’ai décou­vert l’IA, et plus pré­ci­sé­ment le trai­te­ment auto­ma­tique du lan­gage (NLP). Le NLP consiste à inter­pré­ter les don­nées écrites, mal­gré l’imprécision du lan­gage humain. La révo­lu­tion de la prise en compte du contexte a beau­coup amé­lio­ré le trai­te­ment auto­ma­tique du lan­gage, en per­met­tant de com­prendre les mots en fonc­tion de leur contexte.

Comment définissez-vous l’IA ?

J’aime défi­nir l’IA comme Nadi Tomeh, notre chief scien­ti­fic offi­cer : lorsque plu­sieurs choix sont pos­sibles et qu’un pro­gramme décide de la meilleure réponse, c’est de l’IA. Cette défi­ni­tion, assez vaste, inclut deux aspects : le sym­bo­lique, où la machine reçoit des connais­sances humaines sans appren­tis­sage mas­sif, et le machine lear­ning, où la machine apprend à par­tir de nom­breux exemples. Chez Lili.ai, nous uti­li­sons une IA hybride, mélan­geant les deux approches, par­ti­cu­liè­re­ment adap­tée à la ges­tion de pro­jet, qui est bien docu­men­tée et structurée.

Dans un envi­ron­ne­ment indus­triel, trai­ter avec de l’IA des masses docu­men­taires aus­si grandes (géné­ra­tions d’emails) néces­site d’optimiser les cal­culs pour tenir le bud­get. Pour des enjeux finan­ciers de plu­sieurs mil­lions ou mil­liards d’euros, il est cru­cial de four­nir des outils per­met­tant aux uti­li­sa­teurs de tes­ter leur intui­tion. De plus, la pré­ci­sion est essen­tielle : la machine doit com­prendre les nuances, comme dif­fé­ren­cier une tona­li­té contrac­tuelle d’une tona­li­té alar­miste. Pour tenir compte de ces contraintes, nous avons déve­lop­pé des modèles légers spécialisés.

Lili.ai améliore la gestion de projet grâce à l'IA, optimisant les analyses documentaires et facilitant la prise de décision.

Comment pensez-vous que l’IA puisse transformer les entreprises en général ?

Il y a des tâches pour les humains et d’autres pour l’IA. Avant, on deman­dait aux humains de faire des tâches que seule l’IA pou­vait bien faire, alors c’était sou­vent mal fait ou non réa­li­sé par manque de temps. Pour moi, la puis­sance de l’IA, c’est d’être capable d’interpréter en temps réel une grande masse de don­nées. Aujourd’hui, tout est digi­ta­li­sé et les équipes sont sou­vent écla­tées, alors qu’avant il y avait tous ces autres signaux faibles de retard qu’on allait cher­cher à la machine à café, sur les tables à dessin… 

Le rôle de l’IA, chez Lili.ai, c’est de faire en sorte que le patri­moine de don­nées for­mé par toute la don­née écrite (emails, GED, repor­ting, etc.), ce patri­moine de connais­sances, puisse pré­mâ­cher le plus pos­sible le tra­vail de l’humain, mais en aucun cas le rem­pla­cer. L’IA est au ser­vice de l’humain pour rele­ver des défis qui seraient autre­ment hors de portée.

Et plus précisément chez Lili.ai ?

Chez Lili.ai, notre cœur de métier est d’ingérer de grandes quan­ti­tés de docu­ments, notam­ment des emails sur de nom­breuses années, pour com­prendre et recréer la chro­no­lo­gie des évé­ne­ments d’un pro­jet, et aus­si aider à mieux le coor­don­ner avec l’identification de risques en temps réel. Chaque jour de retard évi­té peut faire éco­no­mi­ser des mil­lions d’euros au pro­jet, et donc le sécuriser.

Depuis notre arri­vée, nous avons obser­vé des chan­ge­ments dans les grands pro­jets. Désor­mais, un délai de for­clu­sion de 20 à 28 jours est impo­sé pour remettre un pré-rap­port de récla­ma­tion ; au-delà, la par­tie perd auto­ma­ti­que­ment son droit de récla­mer une indem­ni­sa­tion ou de faire valoir son dif­fé­rend concer­nant l’incident ou sur­coût ain­si que ses consé­quences. Notre rôle est de trai­ter toute la docu­men­ta­tion, en temps réel ou a pos­te­rio­ri, en la fai­sant pas­ser dans un pipe­line d’ingestion et de trai­te­ment de don­nées. Ce pipe­line trie les docu­ments (emails, Word, Excel, PPT, PDF, etc.), liste les méta­don­nées, détecte les dupli­ca­tas, découpe les emails…

« Notre rôle est de traiter toute la documentation, en temps réel ou a posteriori, en la faisant passer dans un pipeline d’ingestion et de traitement de données. »

Tout un ensemble de trai­te­ments est néces­saire pour réduire et net­toyer la don­née. Ensuite, les don­nées sont clas­sées par concepts (retard, tona­li­té alar­miste, nou­velle norme, évo­lu­tion de péri­mètre, etc.). Nous avons iden­ti­fié 215 thé­ma­tiques qui abou­tissent à de poten­tiels litiges. Notre tra­vail consiste à extraire une chro­no­lo­gie des docu­ments pour éclair­cir les faits et pro­té­ger les marges. Les erreurs sont sou­vent des deux côtés, donc avoir accès aux faits per­met aus­si de faci­li­ter la négo­cia­tion et/ou d’éviter d’importants retards ou blocages. 

Cher­cher mas­si­ve­ment dans les emails donne une vision cross-acteurs et en temps réel des chan­ge­ments. D’ailleurs, chez Lili.ai, nous avons très vite com­pris que la véri­té des pro­jets se trou­vait dans les mails. Nous avons col­la­bo­ré avec des repré­sen­tants du per­son­nel pour créer un filtre de confi­den­tia­li­té per­met­tant d’accéder à cette don­née cru­ciale tout en per­met­tant à cha­cun de se sen­tir à l’aise. Com­prendre pour­quoi nous avons besoin d’accéder aux emails était très impor­tant pour eux : c’est l’un des enjeux dans l’IA en entre­prise, expli­quer aux gens pour­quoi. Chez Lili.ai, nous fai­sons de l’IA pour la péren­ni­té des emplois et per­mettre de conti­nuer à faire des grands pro­jets d’infrastructure. Tout le monde est impli­qué dans cet objectif.

Qu’est-ce qui rend la solution et la technologie de Lili.ai uniques ?

Notre valeur ajou­tée réside dans la com­pré­hen­sion du use case et la trans­for­ma­tion de grandes masses de don­nées écrites non struc­tu­rées et confi­den­tielles dans un contexte indus­triel. Si les modèles vont et viennent, nous avons tou­jours besoin de trans­for­mer et com­prendre les don­nées. Nous avons pas­sé huit ans à ana­ly­ser la docu­men­ta­tion pro­jet et à en extraire les concepts impor­tants et les liens entre eux. Contrai­re­ment à l’approche « one model for all », nous nous concen­trons sur l’optimisation de l’architecture autour du modèle : rou­tage, fil­trage, com­plé­tion… Tout est intégré.

L’IA est une palette d’outils, je le rap­pelle en per­ma­nence. Chaque outil est uti­li­sé pour des pro­blèmes spé­ci­fiques. Ce qui nous dis­tingue, chez Lili.ai, c’est l’approche pro­blème plu­tôt qu’outil : on ouvre la palette. Parce que la ques­tion ce n’est pas ce que l’outil est capable de faire, mais plu­tôt ce qu’on cherche à faire. Puis de faire cor­res­pondre à chaque problème/contrainte, l’algorithme le plus effi­cace ; et de com­bi­ner l’ensemble de la manière la plus per­ti­nente pos­sible tout en res­pec­tant les contraintes industrielles.

Quel impact a eu Polytechnique dans votre parcours ?

De retour du Cana­da, j’étais allée au Star­tup Wee­kend de Poly­tech­nique, et j’ai eu la chance de ren­con­trer le direc­teur de l’incubateur, Mat­thieu Somekh. Lorsque je lui ai par­lé de mon pro­jet, il a immé­dia­te­ment com­pris que l’X pou­vait m’être d’une grande aide. Grâce à lui, j’ai été intro­duite à plu­sieurs pro­fes­seurs, dont le pro­fes­seur Leo Liber­ti, qui m’a pré­sen­té Nadi Tomeh, un expert du trai­te­ment auto­ma­tique du lan­gage, qui tra­vaille main­te­nant avec moi. Nous avons par­ti­ci­pé au X‑Prize de l’IA, ins­pi­rant l’un des 17 objec­tifs de déve­lop­pe­ment durable des Nations Unies pour l’industrie. Sans Poly­tech­nique, notre suc­cès aurait été dif­fi­cile à atteindre. Aujourd’hui encore, nous col­la­bo­rons sou­vent avec des anciens de Poly­tech­nique, car ils com­prennent l’importance de l’automatisation et l’efficacité des machines pour cer­taines tâches. 


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