La gestion de projet simplifiée grâce à Lili.ai

Créée en 2016, Lili.ai est née d’un défi concret rencontré dans l’industrie de l’ingénierie. Sous la direction visionnaire de Milie Taing, présidente, Lili.ai aide les entreprises à optimiser la gestion de leurs projets en améliorant la précision des analyses documentaires et en facilitant la prise de décisions fondées sur des données fiables.
Qu’est-ce qui vous a inspiré à créer Lili.ai en 2016 ?
Je travaillais à Vancouver pour un des leaders mondiaux de l’ingénierie, SNC-Lavalin, dans la division transmission et distribution d’électricité. J’y étais contrôleuse de gestion, et connue pour mes compétences en Excel. Quelques mois après mon arrivée, mon vice-président m’a demandé de monter un dossier de réclamation pour des projets en retard. Les retards dans les grands projets entraînent des coûts importants et des pénalités financières qui peuvent représenter 0,1 % du budget total par jour de retard, voire plus selon le contrat, car chaque retard peut provoquer d’autres retards en cascade. Les retards peuvent également entraîner des demandes de compensation et des pertes de revenus pour nos clients.
« Dans les grands projets, les retards entraînent des coûts importants et des pénalités financières qui peuvent représenter 0,1 % du budget total par jour de retard. »
Nous avions trois projets en dépassement avec 18 années de données à revoir. Je devais recréer l’historique pour prouver aux clients que nous n’étions pas responsables des retards, afin d’éviter les pénalités. Il fallait enquêter sur tous les moments où le client avait failli : retards de validation de documents, problèmes de design, etc. J’étais spécialisée dans les chiffres, mais pas dans les mots, alors j’ai fait des entretiens, posé des questions… mais la mémoire humaine reste approximative. En fin de compte, seules les dates et les faits comptent. Et comme la documentation n’avait pas été suffisamment rigoureuse, il était difficile de prouver que le client était à l’origine du retard. Cette situation, qui a provoqué chez moi un sentiment de profonde injustice, s’est soldée par la fermeture du bureau dans lequel je travaillais et par une réputation en berne. Tout cela m’a amenée à créer Lili.ai en 2016.
Je me suis demandée comment analyser ces 18 années de données avec une machine, car, pour quelqu’un comme moi, qui arrive après coup, c’est impossible de le faire. C’est ainsi que j’ai découvert l’IA, et plus précisément le traitement automatique du langage (NLP). Le NLP consiste à interpréter les données écrites, malgré l’imprécision du langage humain. La révolution de la prise en compte du contexte a beaucoup amélioré le traitement automatique du langage, en permettant de comprendre les mots en fonction de leur contexte.
Comment définissez-vous l’IA ?
J’aime définir l’IA comme Nadi Tomeh, notre chief scientific officer : lorsque plusieurs choix sont possibles et qu’un programme décide de la meilleure réponse, c’est de l’IA. Cette définition, assez vaste, inclut deux aspects : le symbolique, où la machine reçoit des connaissances humaines sans apprentissage massif, et le machine learning, où la machine apprend à partir de nombreux exemples. Chez Lili.ai, nous utilisons une IA hybride, mélangeant les deux approches, particulièrement adaptée à la gestion de projet, qui est bien documentée et structurée.
Dans un environnement industriel, traiter avec de l’IA des masses documentaires aussi grandes (générations d’emails) nécessite d’optimiser les calculs pour tenir le budget. Pour des enjeux financiers de plusieurs millions ou milliards d’euros, il est crucial de fournir des outils permettant aux utilisateurs de tester leur intuition. De plus, la précision est essentielle : la machine doit comprendre les nuances, comme différencier une tonalité contractuelle d’une tonalité alarmiste. Pour tenir compte de ces contraintes, nous avons développé des modèles légers spécialisés.
Comment pensez-vous que l’IA puisse transformer les entreprises en général ?
Il y a des tâches pour les humains et d’autres pour l’IA. Avant, on demandait aux humains de faire des tâches que seule l’IA pouvait bien faire, alors c’était souvent mal fait ou non réalisé par manque de temps. Pour moi, la puissance de l’IA, c’est d’être capable d’interpréter en temps réel une grande masse de données. Aujourd’hui, tout est digitalisé et les équipes sont souvent éclatées, alors qu’avant il y avait tous ces autres signaux faibles de retard qu’on allait chercher à la machine à café, sur les tables à dessin…
Le rôle de l’IA, chez Lili.ai, c’est de faire en sorte que le patrimoine de données formé par toute la donnée écrite (emails, GED, reporting, etc.), ce patrimoine de connaissances, puisse prémâcher le plus possible le travail de l’humain, mais en aucun cas le remplacer. L’IA est au service de l’humain pour relever des défis qui seraient autrement hors de portée.
Et plus précisément chez Lili.ai ?
Chez Lili.ai, notre cœur de métier est d’ingérer de grandes quantités de documents, notamment des emails sur de nombreuses années, pour comprendre et recréer la chronologie des événements d’un projet, et aussi aider à mieux le coordonner avec l’identification de risques en temps réel. Chaque jour de retard évité peut faire économiser des millions d’euros au projet, et donc le sécuriser.
Depuis notre arrivée, nous avons observé des changements dans les grands projets. Désormais, un délai de forclusion de 20 à 28 jours est imposé pour remettre un pré-rapport de réclamation ; au-delà, la partie perd automatiquement son droit de réclamer une indemnisation ou de faire valoir son différend concernant l’incident ou surcoût ainsi que ses conséquences. Notre rôle est de traiter toute la documentation, en temps réel ou a posteriori, en la faisant passer dans un pipeline d’ingestion et de traitement de données. Ce pipeline trie les documents (emails, Word, Excel, PPT, PDF, etc.), liste les métadonnées, détecte les duplicatas, découpe les emails…
« Notre rôle est de traiter toute la documentation, en temps réel ou a posteriori, en la faisant passer dans un pipeline d’ingestion et de traitement de données. »
Tout un ensemble de traitements est nécessaire pour réduire et nettoyer la donnée. Ensuite, les données sont classées par concepts (retard, tonalité alarmiste, nouvelle norme, évolution de périmètre, etc.). Nous avons identifié 215 thématiques qui aboutissent à de potentiels litiges. Notre travail consiste à extraire une chronologie des documents pour éclaircir les faits et protéger les marges. Les erreurs sont souvent des deux côtés, donc avoir accès aux faits permet aussi de faciliter la négociation et/ou d’éviter d’importants retards ou blocages.
Chercher massivement dans les emails donne une vision cross-acteurs et en temps réel des changements. D’ailleurs, chez Lili.ai, nous avons très vite compris que la vérité des projets se trouvait dans les mails. Nous avons collaboré avec des représentants du personnel pour créer un filtre de confidentialité permettant d’accéder à cette donnée cruciale tout en permettant à chacun de se sentir à l’aise. Comprendre pourquoi nous avons besoin d’accéder aux emails était très important pour eux : c’est l’un des enjeux dans l’IA en entreprise, expliquer aux gens pourquoi. Chez Lili.ai, nous faisons de l’IA pour la pérennité des emplois et permettre de continuer à faire des grands projets d’infrastructure. Tout le monde est impliqué dans cet objectif.
Qu’est-ce qui rend la solution et la technologie de Lili.ai uniques ?
Notre valeur ajoutée réside dans la compréhension du use case et la transformation de grandes masses de données écrites non structurées et confidentielles dans un contexte industriel. Si les modèles vont et viennent, nous avons toujours besoin de transformer et comprendre les données. Nous avons passé huit ans à analyser la documentation projet et à en extraire les concepts importants et les liens entre eux. Contrairement à l’approche « one model for all », nous nous concentrons sur l’optimisation de l’architecture autour du modèle : routage, filtrage, complétion… Tout est intégré.
L’IA est une palette d’outils, je le rappelle en permanence. Chaque outil est utilisé pour des problèmes spécifiques. Ce qui nous distingue, chez Lili.ai, c’est l’approche problème plutôt qu’outil : on ouvre la palette. Parce que la question ce n’est pas ce que l’outil est capable de faire, mais plutôt ce qu’on cherche à faire. Puis de faire correspondre à chaque problème/contrainte, l’algorithme le plus efficace ; et de combiner l’ensemble de la manière la plus pertinente possible tout en respectant les contraintes industrielles.
Quel impact a eu Polytechnique dans votre parcours ?
De retour du Canada, j’étais allée au Startup Weekend de Polytechnique, et j’ai eu la chance de rencontrer le directeur de l’incubateur, Matthieu Somekh. Lorsque je lui ai parlé de mon projet, il a immédiatement compris que l’X pouvait m’être d’une grande aide. Grâce à lui, j’ai été introduite à plusieurs professeurs, dont le professeur Leo Liberti, qui m’a présenté Nadi Tomeh, un expert du traitement automatique du langage, qui travaille maintenant avec moi. Nous avons participé au X‑Prize de l’IA, inspirant l’un des 17 objectifs de développement durable des Nations Unies pour l’industrie. Sans Polytechnique, notre succès aurait été difficile à atteindre. Aujourd’hui encore, nous collaborons souvent avec des anciens de Polytechnique, car ils comprennent l’importance de l’automatisation et l’efficacité des machines pour certaines tâches.