« La gestion de la complexité, notre marque de fabrique »

Dossier : Vie des entreprises | Magazine N°807 Septembre 2025
Par Marie-Hélène BAROUX

L’ISAE-SUPAERO, situé à Toulouse, est un établissement phare dans l’ingénierie aérospatiale, offrant des formations de pointe et des contributions significatives à l’industrie. Sous la direction de Marie-Hélène Baroux, première femme à diriger l’institut, l’ISAE-SUPAERO renforce sa visibilité internationale.

Madame Baroux, vous êtes la première femme à diriger l’ISAE-SUPAERO. Comment votre parcours et vos expériences précédentes influencent-ils votre approche actuelle de la direction de l’institut ?

Mon parcours professionnel est marqué par une formation très cyber, télécom, spatial, et aéronautique, qui a façonné mon expérience dans ces domaines. J’ai eu l’opportunité de travailler comme ingénieur et manager, et j’ai occupé des postes de direction, ce qui m’a permis de comprendre les attentes d’une école d’ingénieurs, tant en formation initiale qu’en continue. Être la première femme directrice a clairement influencé mon approche, car j’ai plusieurs fois été la première, dans les entités que j’ai encadrées, à occuper des postes de direction en tant que femme.


“Je suis ainsi convaincue de l’importance de la diversité, notamment de la présence des femmes dans les milieux d’ingénieurs et à des postes de direction.”

J’ai reçu des retours encourageants sur le style de management féminin, perçu comme différent de celui des hommes qui apporterait une ouverture d’esprit et une approche différente des sujets, enrichissant ainsi les équipes. Je suis ainsi convaincue de l’importance de la diversité, notamment de la présence des femmes dans les milieux scientifiques et à des postes de direction. C’est un chantier complexe, mais essentiel, et je partage totalement la vision de Laura Chaubard, directrice générale de l’École polytechnique, qui prône des solutions radicales pour promouvoir les femmes en sciences.

L’ISAE-SUPAERO est reconnu mondialement pour ses contributions à l’ingénierie aérospatiale. Pouvez-vous nous expliquer comment l’institut se positionne dans l’industrie aéronautique et quelles sont ses principales contributions dans ce secteur ?

© ISAE-SUPAERO
© ISAE-SUPAERO

Notre institution, axée sur l’excellence, attire les meilleurs talents pour fournir des profils de qualité aux secteurs aéronautique et spatial. Bien que la majorité de nos diplômés se dirigent vers ces domaines, certains se tournent vers d’autres secteurs, ce qui a toujours été le cas depuis la création de l’école. Nous constatons aujourd’hui une diversification vers le conseil, le développement durable et l’énergie. Néanmoins en 2024, 77 % de nos diplômés ont choisi l’aéronautique et le spatial, avec une orientation marquée vers la défense. Nous préparons nos étudiants à des carrières à impact, en les formant à gérer des cycles rapides et à innover, en encourageant l’entrepreneuriat. La gestion de la complexité est notre marque de fabrique, essentielle dans ces secteurs. Nous les formons à conduire des projets complexes et à collaborer avec des équipes pluridisciplinaires, intégrant l’industrie dans nos conseils pour adapter nos formations aux attentes du secteur.

Avec la création de la Toulouse School of Aviation and Aerospace Engineering (TSAAE), comment envisagez-vous le futur de l’ISAE-SUPAERO dans le renforcement de la visibilité internationale de l’institut ?

La création de la Toulouse School of Aviation and Aerospace Engineering vise à renforcer notre visibilité internationale face à la concurrence des grands départements d’Aerospace Engineering. Avec la TSAAE et le TSAAE Lab, en collaboration avec l’ENAC, nous établissons une structure d’envergure européenne, regroupant plus de 130 chercheurs et 300 doctorants. Cela nous permet de valoriser nos publications scientifiques sur un volume significatif pouvant avoir un impact sur les classements internationaux. En tant que partie intégrante de l’université de Toulouse, cet effort vise à améliorer notre position en aerospace engineering. Bien que le classement ne soit pas une fin en soi, il est crucial pour attirer les meilleurs talents, qu’ils soient chercheurs ou étudiants, et de soutenir notre quête d’excellence partagée avec l’ENAC.

La recherche est au cœur des activités de l’ISAE-SUPAERO. Pouvez-vous nous parler des projets de recherche actuels qui ont un impact significatif sur l’industrie, notamment ceux axés sur le développement durable ?

En 2021, j’ai initié la feuille de route Horizons alors que j’étais directrice adjointe, visant à transformer nos enseignements, notre recherche et notre campus vers une aéronautique durable et décarbonée. Devenue directrice, j’ai constaté les fruits de cette initiative, notamment avec le développement d’AeroMAPS, un outil open source de simulation conforme aux accords de Paris et COP21, permettant de prendre des décisions basées sur des données scientifiques validées et reconnues. Ce projet majeur, soutenu par Airbus et par des contributeurs tels que Toulouse Business School, vise à intégrer l’aéronautique dans la société tout en respectant l’environnement.

Nous avons également fondé l’Institut for Sustainable Aviation, collaborant avec l’ENAC, TBS Education, Toulouse School of Economics, l’Université Toulouse Capitole, l’Université Toulouse Jean-Jaurès, le CERFACS et Météo France, pour adopter une approche en cycle de vie de l’aéronautique, de la préservation des ressources au démantèlement, incluant l’énergie et les carburants alternatifs. L’objectif est de minimiser l’impact environnemental tout en ayant un effet significatif sur l’industrie. Par ailleurs, dans le domaine du numérique, nos laboratoires ont innové dans la cryptologie post-quantique, développant le protocole HQC, choisi par le NIST pour Google, en collaboration avec l’ESA, Supaero, l’ENAC et l’université de Limoges. Dorénavant, vos transactions Google seront sécurisées grâce à l’ISAE-SUPAERO !

L’ISAE-SUPAERO collabore avec de nombreux partenaires industriels. Comment ces collaborations influencent-elles le développement de l’industrie et quels sont les bénéfices pour vos étudiants ?

Environ 40 % de notre recherche est dédiée à la transition énergétique, et plus d’un tiers concerne la défense, dont la part est en croissance.

Nous travaillons sur toute l’échelle des TRL, naviguant entre recherche fondamentale et appliquée, et soutenant ainsi les secteurs aéronautique et spatial. Nous avons découvert des pépites comme U-Space et Diodon, des start-ups florissantes, et collaborons avec 37 entreprises, dont Thalès, Safran, Airbus, et MBDA. Nos 7 chaires de recherche, innovation et pédagogie, impliquant ces partenaires sont un socle permettant d’enrichir en permanence nos cours par des résultats de recherche et des interventions industrielles, offrant aux étudiants une connaissance à jour des standards et facilitant leur insertion dans l’industrie.

Nous favorisons une approche par compétence, engageant nos étudiants dans des projets réels, comme lors d’un bootcamp innovation où les résultats en quinze jours ont impressionné les industriels participants. Cette méthode leur donne une base solide pour exceller dans leur carrière.

En tant que directrice, vous êtes engagée dans la promotion de la diversité et de l’inclusivité. Comment ces valeurs se traduisent-elles dans les projets de l’ISAE-SUPAERO et dans la vie de campus ? 

J’ai instauré une charte de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, avec tolérance zéro, et récemment renforcé notre capacité à mener des enquêtes et appliquer des sanctions, tout en assurant transparence et confidentialité. Nous travaillons activement à libérer la parole, essentielle mais difficile, concernant les relations femmes-hommes et les discriminations communautaires. Nous formons nos candidats avant les périodes à risque avec des théâtres interactifs pour prévenir les comportements anormaux. Pour augmenter la présence des femmes, nous avons un plan d’action assurant la parité lors des interventions en classes préparatoires. Nous soutenons aussi la diversité sociale, moteurs dans les cordées de la réussite en Occitanie, et encourageons les jeunes femmes à s’engager dans les sciences. J’ai créé un pôle responsabilité sociale et environnementale pour intensifier ces actions, affirmant la place des femmes dans l’enseignement supérieur scientifique.

Un dernier mot ?

Un défi majeur se profile sur la compétitivité de l’aéronautique et du spatial français et européen, ainsi que sur la défense. Cette réflexion nous pousse à envisager un renforcement de notre soutien au secteur aérospatial, notamment sur le volet défense, déjà significatif, avec une possible expansion à l’échelle européenne, voire mondiale. Des universités américaines souhaitent collaborer avec nous, ce qui est très positif ! Néanmoins notre priorité reste l’Europe, en particulier ses acteurs français.   

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