Cérémonie d’inauguration du canal de Suez, tableau d'Édouard Riou

La France en 1865, une embryogenèse silencieuse

Dossier : L'année 1865Magazine N°707 Septembre 2015
Par Pierre LASZLO

Le pays devient une grande puis­sance colo­niale, ce dont témoigne Jules Verne (trois Anglais décou­vrent l’Afrique dans Cinq semaines en bal­lon, 1862 ; Aven­tures de trois Russ­es et de trois Anglais dans l’Afrique aus­trale, 1870).

La France entière se sat­is­fait du régime impér­i­al. Certes, Napoléon III, qui jouit de l’estime et même de l’affection générale, s’englue dans l’aventure mex­i­caine (1862–1867).

REPÈRES

La France est une nation de 38 millions d’habitants, dont encore 70 % d’agriculteurs, en contraste avec l’Angleterre, sa rivale, bien davantage industrialisée. La mortalité infantile chute considérablement. Mais le développement du rail prépare l’exode rural des décennies suivantes. La ligne Paris-Brest est achevée en 1865.

Les mulsulmans, déjà

L’ouverture de la France à l’outre-mer des cinq con­ti­nents, avec le perce­ment du canal de Suez par Fer­di­nand de Lesseps (1859–1869), la mise en place du pre­mier câble transat­lan­tique entre l’Europe et les États- Unis, se paient : le phyl­loxéra arrive d’Amérique et ruin­era les viticulteurs.

“ Une période de consolidation et de constructions ”

Une épidémie de choléra, après une tête de pont phocéenne, gagne Paris, où elle fait plus de 6 000 morts en 1865–1866. Le pèleri­nage de musul­mans à La Mecque en est la cause.

Les gou­verne­ments français et bri­tan­nique veu­lent le con­trôler : comme quoi, des prob­lèmes brûlants d’aujourd’hui ont une bien plus grande ancienneté.

Esquisse d’union monétaire

Une pre­mière esquisse d’union moné­taire européenne vit aus­si le jour en 1865. Félix Esquirou de Parieu, vice-prési­dent du Con­seil d’État, ébaucha l’embryon d’une union moné­taire mod­erne qui rassem­blerait en 1867 la France du Sec­ond Empire, l’Italie, la Suisse, la Bel­gique et la Grèce.

La première Conférence télégraphique internationale se tint à Paris en 1865. Vingt États européens – mais non la Prusse, que la France, puissance invitante, avait exclue – signèrent la première Convention télégraphique internationale, qui jeta les bases de la télégraphie internationale.
On peut y voir les prémisses de la grande révolution des télécommunications.

Chaque État sig­nataire était tenu de bat­tre une mon­naie dotée du même cal­i­brage en or et en argent. Ces pièces cir­cu­lent par­al­lèle­ment à la mon­naie nationale et sont inter­change­ables dans les pays membres.

Cette Union latine con­nut ses pre­miers heurts lors de l’échec de l’élargissement au Roy­aume-Uni en 1867, et ne survé­cut pas à la défaite de 1870, puis à la Grande Guerre. Cela encore reste d’actualité.

De la Terre à la Lune

Jules Verne pub­lia en 1865 De la Terre à la Lune. Son suc­cès s’accompagna de cri­tiques, les don­nées sci­en­tifiques étaient indéfendables.

Une décen­nie plus tard, l’auteur, pour éviter un reproche sim­i­laire, recrute le poly­tech­ni­cien Albert Badoureau (1872), major d’entrée et de sor­tie, pour des cal­culs de mécaniques rationnelle et céleste pré­para­toires à l’écriture de l’ultime chapitre de Sans dessus dessous, ou la Terre désaxée (1889), roman où réap­pa­raîtront des per­son­nages du livre de 1865.

Édouard Riou , Céré­monie d’inauguration du canal de Suez à Port-Saïd, le 17 novem­bre 1869.
© RMN — GRAND PALAIS (DOMAINE DE COMPIÈGNE) / DANIEL ARNAUDET

Arts et Lettres

On se presse aux opérettes d’Offenbach, don­nées au théâtre des Var­iétés. Saint- Saëns fait jouer son pre­mier con­cer­to pour piano.

Les Chroniques ital­i­ennes de Stend­hal sont de 1865. Flaubert a pub­lié Salamm­bô en 1862, l’année même de la pub­li­ca­tion des Mis­érables, dont l’auteur, face au coup d’État, choisit l’exil à Guer­ne­sey. Hugo pub­lie en 1865 ses Chan­sons des rues et des bois. La Légende des siè­cles est de 1859.

Eau à tous les étages

PASTEUR ET LES MICROBES

Face aux laboratoires prussiens, largement mieux équipés, les scientifiques français crient misère. Ce n’est pas nouveau, non plus.
À la requête du gouvernement, Pasteur accepte d’étudier les maladies des vers à soie (1865–1869). Il publie ses travaux sur l’origine microbienne des maladies et brevète la pasteurisation.

Le désas­tre de 1870 fait pièce à la com­para­i­son, sinon ten­tante – un par­al­lèle Hugo-Sartre ? –, avec les années 1960 et l’ouverture des trente glo­rieuses, un siè­cle plus tard. L’analogie se défend, à maints égards.

Après l’ébranlement des révo­lu­tions de 1848, 1865 se situe dans une péri­ode de con­sol­i­da­tion, de con­struc­tions. En 1865, la réno­va­tion de Paris par Hauss­mann est en bonne voie.

Les chantiers des jardins et surtout des réseaux d’eau ne sont pas ter­minés : la promesse de l’eau à tous les étages sera tenue, plus tard.

S’achève aus­si la séduc­tion, lancée par le Roman­tisme, du Moyen Âge et du goth­ique. Vio­l­let-le-Duc, après sa « restau­ra­tion » de Notre-Dame de Paris, con­stru­it à Abba­dia, au Pays basque, un château moyenâgeux, digne de Louis II de Bav­ière ; et il restau­re Pier­re­fonds, à son goût comme on sait.

L’âge d’or de la science

La sci­ence est la nou­velle maîtresse en titre. On est en plein âge d’or de la vul­gar­i­sa­tion sci­en­tifique. Louis Figu­ier pub­lie Les Grandes Inven­tions mod­ernes dans les sci­ences, l’industrie et les arts. La Plu­ral­ité des mon­des habités de Camille Flam­mar­i­on est de 1862.

L’ouverture à l’étranger est aus­si cul­turelle et intel­lectuelle. Baude­laire pub­lie en 1865 sa tra­duc­tion des His­toires grotesques et sérieuses d’Edgar Allan Poe. Une autre man­i­fes­ta­tion en est la dif­fu­sion du dar­win­isme. L’Origine des espèces est de 1859.

L’un des échos fut la paru­tion en 1864 du grand roman ini­ti­a­tique, Voy­age au cen­tre de la Terre.

Positivisme, Déterminisme et Scientisme

Les idéolo­gies dom­i­nantes, au sein de la bour­geoisie, la classe sociale elle aus­si tri­om­phante – les grands mag­a­sins du Print­emps s’ouvrent cette année-là –, sont le pos­i­tivisme, le déter­min­isme et le scientisme.

“ Une année propice aux germinations ”

Émile Lit­tré, apôtre du pre­mier, achève de pub­li­er son célèbre Dic­tio­n­naire en 1865. Taine voit dans la race, le milieu et le moment la matrice de toute expli­ca­tion his­torique et de la cri­tique lit­téraire. Il pub­lie en 1865 sa Philoso­phie de l’art et ses Nou­veaux essais de cri­tique et d’histoire.

Quant à Renan, qui certes écriv­it L’Avenir de la sci­ence en 1848, il le vit pub­lié en 1890 seule­ment. Sa Vie de Jésus est de 1863, elle fit date dans le recul de la reli­gion vis-à-vis de la science.

Le régime impér­i­al sur­veil­la les attaques con­tre la reli­gion, l’anticléricale George Sand sera con­trainte à l’autocensure de cer­tains pas­sages de Made­moi­selle La Quin­tinie.

LA REVUE ROSE

L’éditeur Germer Baillière avait lancé en 1863 sa Revue des cours scientifiques de la France et de l’étranger – surnommée Revue rose pour sa couverture. On peut y lire, l’année 1865, des leçons d’Alexandre Edmond Becquerel, Claude Bernard, Berthelot, Pasteur, Sainte-Claire Deville, Wurtz.
Les années suivantes, la Revue rose informera son lectorat d’avancées majeures à l’étranger, survenues en 1865, comme les lois de Maxwell et la formulation par Clausius du Second Principe de la thermodynamique. C’est en 1865 que Mendel formule les lois de la génétique.

Une année pivot

La même année 1865, décidé­ment un piv­ot, Claude Bernard pub­lie son Intro­duc­tion à l’étude de la médecine expéri­men­tale : à la suite de son maître et prédécesseur au Col­lège de France, Magendie.

Bernard y proclame le fonde­ment physic­ochim­ique de la phys­i­olo­gie, surtout redev­able donc de la méthode expéri­men­tale de Fran­cis Bacon. Bernard va bien out­re, con­cep­tu­al­isant, à suiv­re Alain Prochi­antz, une « embryo­genèse silencieuse ».

Un pro­pos à généralis­er ? Embryo­genèse silen­cieuse, l’année 1865 fut prop­ice aux germinations.

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