La digue de sable

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°589 Novembre 2003Par : François MAYER (45)Rédacteur : Henri DUHAMEL (44)

Il est devenu raris­sime qu’un livre de 500 pages m’intéresse au point que j’en achève la lec­ture en deux jours, pra­tique­ment d’une seule traite. C’est ce qui m’est arrivé avec La digue de sable (le lecteur décou­vri­ra au chapitre XIII le sens de ce titre).

En effet, une fois plongé dans le réc­it, on ne le quitte plus. Certes, au début, on se perd un peu par­mi les nom­breux per­son­nages qui entrent en scène à toute vitesse. Car l’auteur, avec ses phras­es cour­tes et son sens du trait, voire de la tru­cu­lence ne s’attarde guère. Puis les dates, les rela­tions entre les uns et les autres se pré­cisent. Le des­sein de l’auteur aus­si, qui est de décrire une péri­ode cru­ciale pour la France (1929- 1941), à tra­vers la per­cep­tion qu’en ont deux frères, Daniel et Joël, d’abord jeunes garçons, puis adolescents.

Je ne sais ce qu’il faut le plus admir­er : chez le biographe, le tableau de deux familles, d’une pré­ci­sion étayée par des recoupe­ments minu­tieux, ou chez le romanci­er (car la fic­tion n’est pas absente) l’imagination et l’art de mix­er l’inventé avec l’historique.

Daniel et son frère Joël – en qui j’ai cru recon­naître l’auteur – sont nés d’un père juif et d’une mère protes­tante, appar­tenant à deux familles de bour­geois cos­sus, aux rela­tions pres­tigieuses (les pages sur Dar­ius Mil­haud et sur Berg­son sont par­ti­c­ulière­ment savoureuses). Elles parta­gent avec ma pro­pre famille, pour­tant toute dif­férente, les mêmes valeurs essen­tielles : pri­mauté des études, respect des règles, intérêt pour la poli­tique, attache­ment à l’idéal répub­li­cain. Et nous nous ressem­blons, Joël et moi, par l’âge, les goûts lit­téraires et artis­tiques, les études faites à Paris sous l’Occupation, et surtout la mar­que inef­façable de la défaite de 1940.

Voilà pourquoi La digue de sable m’a pas­sion­né. Et je salue aus­si chez l’auteur la vivac­ité du réc­it, l’aisance du style, la per­ti­nence des réflex­ions, l’alternance de l’humour et de l’émotion sincère.

Ce livre doit être lu par ceux de notre généra­tion, pour le sou­venir, et par ceux des généra­tions suiv­antes, à qui il mon­tr­era “ en direct ” com­ment on va vers l’abîme sans trop s’en apercevoir.

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