compliance industrie, commerce

La compliance des partenaires industriels et commerciaux sur les marchés internationaux

Dossier : ConformitéMagazine N°757 Septembre 2020
Par Philippe CADUC
Par Emmanuel PITRON

La com­pli­ance des parte­naires indus­triels et com­mer­ci­aux sur les marchés inter­na­tionaux est aujourd’hui dev­enue un enjeu géopoli­tique, con­cur­ren­tiel, man­agér­i­al et stratégique. L’Adit s’est saisie de cet enjeu.

L’am­bi­tion de l’Adit est de con­tribuer à la com­pli­ance et à la trans­parence dans le recours aux parte­naires commer­ciaux. C’est désor­mais une exi­gence incon­tourn­able du com­merce mon­di­al, sans être naïf ni sur les enjeux crois­sants de sou­veraineté et de guerre économique, ni sur les moyens de réin­ven­ter les façons de faire du com­merce dans le monde.


REPÈRES

L’Adit (Agence pour la dif­fu­sion de l’information tech­nologique) est aujourd’hui le leader français du secteur de l’intelligence économique et l’une des grandes sociétés du secteur au niveau européen. Le chiffre d’affaires de l’Adit a atteint 75 mil­lions d’euros en 2018. Créée en 1992 sous la forme d’un étab­lisse­ment pub­lic à car­ac­tère indus­triel et com­mer­cial, elle est dev­enue une société anonyme en 2003.


D’abord un enjeu géopolitique, avec les règles d’extraterritorialité et la guerre commerciale

Comme l’a bien doc­u­men­té le rap­port par­lemen­taire du député Gau­vain en 2019, ce n’est pas l’administration Trump qui a décrété le principe de l’extraterritorialité. Ce principe juridique est ancien aux USA : le FCPA date de 1977 et cette loi n’est pas le seul sym­bole de l’hyperpuissance améri­caine ; les règles extrater­ri­to­ri­ales sont nom­breuses : elles con­cer­nent aus­si bien l’anti­corruption que les sanc­tions de l’OFAC (Office of For­eign Assets Con­trol), les règles ITAR de con­trôle des expor­ta­tions pour les biens à dou­ble usage (Inter­na­tion­al Traf­fic in Arms Reg­u­la­tions) que la procé­dure d’investissement aux USA dite CFIUS. Sans oubli­er une des dernières décli­naisons avec le Cloud Act.

Il con­vient de rap­pel­er que les mesures extrater­ri­to­ri­ales améri­caines ont trois fonde­ments prin­ci­paux : la lutte con­tre la cor­rup­tion, à la fois par moral­ité et pour plac­er les entre­pris­es sur un pied d’égalité ; le respect des dif­férentes régle­men­ta­tions améri­caines en matière de fraude fis­cale, de con­cur­rence, de blanchi­ment ou de règles compt­a­bles, etc. ; enfin la sécu­rité nationale.

Ce qui est nou­veau, c’est que l’administration Trump se sert mas­sive­ment de ce levi­er d’action pour ampli­fi­er sa puis­sance inter­na­tionale. En ce sens, l’extraterritorialité, c’est la pour­suite de la guerre com­mer­ciale par d’autres moyens : ces régle­men­ta­tions s’ajoutent aux armes habituelles du pro­tec­tion­nisme telles que les bar­rières tar­i­faires et tech­niques. Les rela­tions entre les États-Unis et la Chine sont emblé­ma­tiques du rôle attribué aux sanc­tions extrater­ri­to­ri­ales : la con­for­mité accom­pa­gne la poli­tique de tax­a­tion com­mer­ciale pour rétablir un rap­port de force. Qu’il s’agisse de ZTE, il y a un an, ou de Huawei aujourd’hui, c’est bien l’extraterritorialité améri­caine qui per­met de s’opposer aux entre­pris­es chi­nois­es. Cet inter­ven­tion­nisme juridique est util­isé à des fins géopoli­tiques, con­cur­ren­tielles et tech­niques : il sanc­tionne le busi­ness avec l’Iran, per­met de s’immiscer offi­cielle­ment dans de grandes sociétés chi­nois­es et per­met sans doute aus­si de combler un éventuel retard technologique.

La victime européenne

Les entre­pris­es européennes peu­vent donc être les vic­times col­latérales de ces ten­sions sino-améri­caines. Elles peu­vent en être vic­times directe­ment si elles com­mer­cent avec la Chine et indi­recte­ment dans le reste du monde. Sur ces sujets, elles font l’objet d’une atten­tion par­ti­c­ulière de l’administration améri­caine qui est bien organ­isée, donc effi­cace. À cause du régime ren­for­cé de sanc­tions, beau­coup d’entreprises européennes regar­dent de très près cer­tains dossiers à l’export. La prin­ci­pale con­séquence pour elles a été de devoir se retir­er d’Iran fin 2018 alors que ce marché a été con­sid­éré pen­dant deux ans comme une nou­velle fron­tière com­mer­ciale : la qua­si-inté­gral­ité des groupes du CAC 40 et du SBF 120 ont renon­cé à ce marché car leurs intérêts améri­cains étaient bien supérieurs.

Dans ce con­texte, le choix d’un parte­naire doit être sys­té­ma­tique­ment analysé à l’aune des intérêts de puis­sance et des rap­ports de force géopoli­tiques. Choisir un parte­naire de joint ven­ture, cela sup­pose non seule­ment de trou­ver celui qui per­me­t­tra au busi­ness de prospér­er sur un nou­veau marché, mais aus­si désor­mais de se pos­er des ques­tions sur la com­pat­i­bil­ité juridique et géopoli­tique de ce parte­naire par rap­port aux grandes régle­men­ta­tions internationales.

“Le choix d’un partenaire
doit être systématiquement analysé
à l’aune des intérêts de puissance.”

C’est aussi une arme concurrentielle

Incon­testable­ment, la con­for­mité est dev­enue une arme con­cur­ren­tielle et de guerre économique, il n’y a aucun doute sur ce sujet. La con­for­mité est un moyen de dif­féren­ci­a­tion pos­i­tive pour les entre­pris­es, qui veu­lent démon­tr­er qu’elles sont plus respectueuses des régle­men­ta­tions que leurs con­cur­rentes. Cela, c’est la ver­sion pos­i­tive. La ver­sion plus agres­sive, c’est que d’éventuelles faib­less­es, voire des dérives de non-con­for­mité, notam­ment dans l’utilisation des inter­mé­di­aires, peu­vent être instrumen­talisées par des con­cur­rents et débouch­er sur un affaib­lisse­ment stratégique et d’éventuels con­tentieux très longs et très coûteux. 

Aujourd’hui, les stan­dards anglo-sax­ons qui ont été pen­sés, conçus et déployés il y a de nom­breuses années sont pleine­ment à l’œuvre dans de nom­breuses par­ties du monde. Chaque pays essaye plus ou moins de réaf­firmer sa sou­veraineté en adop­tant son pro­pre sys­tème de con­for­mité, avec sa pro­pre lég­is­la­tion, voire son pro­pre régime de sanc­tions. La Chine vient par exem­ple de définir ce que sig­ni­fie pour elle une entre­prise fiable ou non fiable. Cela s’adresse aux entre­pris­es étrangères et notam­ment améri­caines qui appliquent avec zèle les déci­sions des États-Unis : elles sont alors con­sid­érées comme non fiables par les autorités chi­nois­es. En Europe, cer­tains plaident avec force et légitim­ité pour adopter une approche com­mu­nau­taire du sujet, mais à ce stade il n’y a que des répons­es nationales sans réelle coor­di­na­tion. C’est vrai pour l’anticorruption, mais aus­si pour les régimes de sanc­tions qui n’ont pas exacte­ment la même portée que les sanc­tions américaines. 

Comment se protéger ?

Il y a à notre sens plusieurs réflex­es utiles. Le pre­mier, c’est de ne jamais oubli­er où se trou­ve le siège de sa société : même dans une entre­prise très mon­di­al­isée, l’ancrage géo­graphique est la matrice de com­préhen­sion des règles juridiques qui s’appliquent. En France, c’est aus­si la garantie de pou­voir s’appuyer sur l’aide d’un État sou­verain si le groupe partage les mêmes règles. Ensuite, il y a une règle de bon sens : « Qui peut le plus, peut le moins ! » Si l’on sait se con­former par­faite­ment aux deman­des des autorités extrater­ri­to­ri­ales les plus exigeantes, par exem­ple le DoJ ou le SFO (Seri­ous Fraud Office au Roy­aume-Uni), on se met à l’abri partout dans le monde. 

C’est la rai­son pour laque­lle, à l’Adit, nos dues dili­gences sur les parte­naires com­mer­ci­aux ou notre référen­tiel d’audit anti­cor­rup­tion intè­grent non seule­ment le stan­dard inter­na­tion­al ISO 37001, mais surtout les lignes direc­tri­ces améri­caines et bri­tan­niques afin de répon­dre aux exi­gences max­i­males. Enfin, il ne faut pas s’interdire d’aller dans un pays même s’il est mal classé dans l’indice de Trans­paren­cy Inter­na­tion­al. On peut exporter partout ou presque, mais cela se pré­pare : est-ce pos­si­ble dans mon secteur ? Quelles sont les forces con­cur­ren­tielles en présence ? Quelles sont les lois et les règles locales ? Bref, il faut com­pren­dre l’environnement de con­for­mité au même titre que l’environnement com­mer­cial dans lequel on souhaite inve­stir. C’est désor­mais une don­née d’entrée incon­tourn­able pour choisir les bons parte­naires com­mer­ci­aux et s’assurer que son mon­tage con­tractuel ne soit pas remis en cause. 

La question des tierces parties

À par­tir d’un cas par­ti­c­uli­er, il n’y a pas de réponse générale, mais il y a une ten­dance de fond. La ques­tion des tierces par­ties est sen­si­ble car elle est regardée de plus en plus près par les autorités judi­ci­aires ou anti­cor­rup­tion, et ce partout dans le monde. Sauf secteur spé­ci­fique ou cas par­ti­c­uli­er, il n’y a pas d’interdiction absolue de recourir à des inter­mé­di­aires, mais la manière dont ils sont util­isés est de plus en plus encadrée : sélec­tion, con­trac­tu­al­i­sa­tion, report­ing, for­mal­i­sa­tion des presta­tions, inter­ac­tion avec les per­son­nes poli­tique­ment exposées, etc. Il faut tou­jours être en veille sur son envi­ron­nement con­cur­ren­tiel car, plus une entre­prise est présente depuis longtemps sur un marché export, plus ses pra­tiques sont sophistiquées.

En France, la loi Sapin 2, comme les autres lois anti-cor­rup­tion dans le monde, a fait de la ques­tion de la sélec­tion des tierces par­ties un des huit piliers à respecter impéra­tive­ment. Ce qui est frap­pant, en France comme ailleurs, c’est que, quelle que soit la taille de l’entreprise, il s’agit d’abord d’une ques­tion de cul­ture, de valeurs et d’incarnation au plus haut niveau. Lorsque la con­for­mité des parte­naires com­mer­ci­aux est con­sid­érée comme un élé­ment de la stratégie, l’effectivité du pro­gramme est bien plus forte, dans un grand groupe ou dans une PME.

La compliance comme critère d’investissement

À l’Adit, nous suiv­ons des ETI qui réalisent quelques cen­taines de mil­lions d’euros de chiffre d’affaires et qui sont très sérieuses dans la mise en œuvre d’un pro­gramme de due dili­gence de leurs parte­naires, par­fois plus que cer­taines grandes entre­pris­es. Pour être franc, c’est aus­si une ques­tion de secteur : les entre­pris­es des secteurs exposés à la cor­rup­tion depuis longtemps, quelle que soit leur place dans la chaîne de valeur, savent qu’elles ne peu­vent plus se per­me­t­tre le moin­dre écart en matière d’intermédiaire, car leur con­cur­rent va s’emparer du sujet.

En par­al­lèle, on con­state que tous les grands fonds inter­na­tionaux ont ren­for­cé leurs dis­cours sur la néces­sité de pren­dre en compte la com­pli­ance des tierces par­ties comme un critère d’investissement. Mais cela va au-delà : c’est main­tenant une réal­ité. Quand un fonds annonce qu’il ne va plus inve­stir dans des sociétés parce qu’il y a un prob­lème de parte­naire dou­teux, c’est une lame de fond qui con­forte les évo­lu­tions pour toutes les entre­pris­es. Aujourd’hui, il n’y a presque plus une seule opéra­tion de pri­vate equi­ty sans revue préal­able de con­for­mité et de vig­i­lance de tous les parte­naires commerciaux.

“La culture de conformité
sera encore plus digitale, partenariale et managériale.”

compliance marchés internationaux


Le cas Airbus

Le cas récent d’Airbus, qui a été lour­de­ment sanc­tion­né par plusieurs autorités judi­ci­aires, pose la ques­tion de la fin des « tiers inter­mé­di­aires » pour les affaires com­mer­ciales, puisque cette entre­prise a annon­cé vouloir met­tre un terme à l’utilisation de ce qui fai­sait his­torique­ment la force de son réseau com­mer­cial international.


C’est enfin un enjeu managérial et stratégique

Dans notre domaine de prédilec­tion, nous avons l’habitude de définir la con­for­mité comme la démarche des entre­pris­es con­sis­tant à s’assurer que l’ensemble des salariés et des dirigeants respectent les normes applic­a­bles à leur société, ain­si que les valeurs et l’éthique pro­mues par celle-ci. C’est donc un enjeu man­agér­i­al clef pour les entre­pris­es et leurs patrons. C’est aus­si un enjeu de respon­s­abil­ité pénale et per­son­nelle pour les dirigeants.

Depuis main­tenant trente ans, depuis la fin de la guerre froide et l’affirmation d’une mon­di­al­i­sa­tion fondée sur le mod­èle libéral, nous pou­vons con­stater tou­jours plus de com­pli­ance, tou­jours plus de trans­parence. Presque toutes les crises qui sont sur­v­enues depuis lors ont cor­re­spon­du à des pris­es de con­science de lacunes et au besoin d’adopter de nou­velles régle­men­ta­tions pour les corriger.

Instaurer une culture de la conformité

Ces lois applic­a­bles aux entre­pris­es ont fait de ces dernières des acteurs éthiques, por­teurs de valeurs d’intérêt général, bien au-delà de leur objet social. Notre con­vic­tion est que la cul­ture de con­for­mité sera encore plus dig­i­tale, parte­nar­i­ale et man­agéri­ale dans les mois et années à venir. Cette cul­ture de trans­parence et de con­for­mité va être égale­ment ren­for­cée sous l’effet con­jugué d’une part des opin­ions publiques, tou­jours plus désireuses de savoir et de com­pren­dre, et d’autre part des ren­force­ments de sou­veraineté qui vont mul­ti­pli­er les inter­faces public-privé.

Cet envi­ron­nement, mar­qué par une com­plex­ité, une incer­ti­tude, une volatil­ité et une ambiguïté accrues, crée aujourd’hui un besoin encore ren­for­cé, pour les entre­pris­es français­es (et européennes), d’une offre de ser­vices per­me­t­tant de « déris­quer » leur approche des marchés internationaux.

C’est le sens de notre pro­jet d’Advo­ca­cy Cen­ter qui ver­ra le jour en 2020 : il vise juste­ment à repenser le con­cept de l’accompagnement des entre­pris­es (français­es puis européennes) à l’international en struc­turant une offre d’influence et d’aide à l’export (en d’autres ter­mes, de diplo­matie d’affaires) qui soit com­pat­i­ble avec les plus hauts stan­dards de lutte con­tre la cor­rup­tion. 

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