La banque-conseil en restructuring : un médecin au chevet des entreprises dans un environnement en constante évolution


Rencontre avec Vincent Danjoux (X90), responsable mondial de l’activité Debt Advisory & Restructuring de Rothschild & Co, et Simon Behaghel (X03), gérant au sein de cette équipe.
Rothschild & Co est aujourd’hui reconnu comme leader du restructuring en France. Quelles sont selon vous les qualités fondamentales d’un bon conseil en situation de retournement ?
Une banque-conseil en restructuration doit avant tout être indépendante, c’est-à-dire ne pas être exposée aux instruments émis par les sociétés (dette, actions, etc.). Ainsi, une banque commerciale ne peut pas être active en tant que conseil sur de telles transactions.
Rothschild & Co se démarque des autres conseils par sa créativité, proposant à chaque client des solutions adaptées à leurs besoins spécifiques. Si chaque situation est unique, il y a souvent des similitudes avec d’autres transactions – et c’est là où notre expérience inégalée fait la différence avec nos concurrents. Par ailleurs, la taille de notre équipe nous permet de nous positionner sur les transactions les plus importantes.
Face à l’évolution des pratiques, comment anticipez-vous l’avenir du marché du restructuring en Europe ? Quels défis voyez-vous émerger ?
L’arrivée en Europe des LME (Liability Management Exercises), transactions extrajudiciaires de restructuration, pourrait changer la physionomie des restructurations telles que nous les connaissons aujourd’hui, les rendant plus agressives envers les créanciers comme c’est souvent le cas aux États-Unis : actionnaires profitant des flexibilités des documentations de financement pour forcer les créanciers à leur concéder des avantages, ou encore batailles entre créanciers (« creditor-on-creditor violence »).
Afin de se prémunir de ces transactions agressives envers eux, les créanciers s’organisent en se liant entre eux via la signature de « cooperation agreement ». Nous y avons récemment organisé le premier accord de ce type en Europe lors de la restructuration d’Altice France. Ces LME ont fait leur apparition au Royaume-Uni où nous avons d’ailleurs mené la première transaction de ce type (Boparan) et avons participé aux transactions récentes (notamment Oriflame, Scenic, Accell et Talk Talk). Les contraintes et risques juridiques associés à ces LME ont empêché jusqu’à présent leur apparition en France.
Dans des négociations multipartites sous forte tension, quel est votre levier principal pour faire converger des intérêts a priori irréconciliables ?
Notre expérience nous a montré que le succès d’une restructuration financière dépend avant tout de l’analyse fondamentale de la situation conduite en amont des négociations par la banque-conseil du débiteur – car c’est autour de ce diagnostic que les parties vont se positionner. Si l’analyse est rationnelle, elle s’impose à tous et simplifie les débats, les parties ayant alors du mal à contester l’évidence et donc les efforts à répartir entre elles.
Nous sommes ainsi très souvent mandatés par les emprunteurs en situation difficile bien en amont de toute approche des créanciers, Rothschild & Co étant reconnu pour ses capacités uniques d’analyse stratégique, financière et de valorisation, et comme étant un partenaire de confiance de long-terme.
Vous insistez sur l’importance du diagnostic initial. Comment distinguez-vous un simple problème conjoncturel d’un déséquilibre structurel ? Quels signaux regardez-vous en priorité ?
Le diagnostic initial est basé sur l’analyse du plan d’affaires du débiteur (marché, positionnement concurrentiel, stratégie, etc.), de sa structure de capital et de son impact sur les prévisions financières, et de la valorisation qui en découle. On en dérive de nombreuses analyses, comme des analyses de liquidité, de levier (poids de l’endettement relativement aux résultats), ou de solvabilité.
Cela permet de déterminer si le débiteur fait face à problème temporaire, comme un bris ponctuel d’un ratio financier ou un besoin temporaire de liquidité, ou à un problème structurel, comme une situation de surendettement ne pouvant être résolue sans intervention tierce.
En fonction du problème, de son dimensionnement, et de la nature des parties impliquées, nous pouvons proposer différents « outils » et structures de transactions.
Quels enseignements tirez-vous des dossiers les plus sensibles, comme Orpea ou Casino, que vous appliquez désormais systématiquement ailleurs ?
La restructuration financière d’Orpea a été la première transaction d’envergure dans laquelle il a été fait usage de l’Application Forcée Inter-Classe (« AFIC »), introduite dans la loi française en septembre 2021 via l’adoption de la Directive Européenne sur la Restructuration Préventive, qui intègre des dispositions inspirées du Chapter 11.
Elle permet d’imposer, sous réserve de certaines conditions, une transaction agréée avec les créanciers senior aux créanciers juniors ou aux actionnaires. Cela est un changement majeur par rapport aux transactions réalisées jusqu’en 2021 dans lesquelles les actionnaires avaient un droit de veto sur toute transaction, même si les fonds propres n’avaient plus aucune valeur, même optionnelle.
L’AFIC a depuis été utilisée dans d’autres restructurations, notamment celle de Casino.
Rothschild & Co intervient dans des contextes juridiques très différents à l’international. Comment adaptez-vous votre approche dans des pays sans cadre judiciaire structuré ?
L’approche initiale est la même que dans les pays avec un cadre juridique spécifique au restructuring : établir un diagnostic impartial de la situation afin de simplifier les débats.
Puis, en fonction du cadre juridique et des pratiques locales, s’ouvre alors une phase de négociation où notre expérience inégalée permet le plus souvent de converger vers un compromis.
Une fois une transaction agréée entre les parties, il est possible, pour la mise en œuvre de cet accord, de se rattacher à la juridiction de la loi régissant la documentation de financement du débiteur, et de bénéficier ainsi des cadres juridiques spécifiques de ce pays.
Rothschild & Co a ainsi conduit de nombreuses restructurations pour des débiteurs basés dans des pays sans cadre juridique spécifique au restructuring ou dans lesquels celui-ci était peu développé, par exemple : DTEK (Ukraine), SAS et Intrum (Suède), ou encore Nordic Aviation Capital (Irlande). Ces transactions ont pu être mises en œuvre par des procédures anglaises ou américaines. Se pose ensuite la question de l’exequatur, qui dépend réellement de chaque pays.
Avec l’émergence des critères ESG, la pression sur la gouvernance et la durabilité influence-t-elle désormais les stratégies de retournement ?
Ces critères sont pris en compte quand la situation l’exige réellement, par exemple sur Orpea, mais ne sont usuellement pas un élément central dans les discussions de restructuration financière – le focus lors de ces discussions étant la survie du débiteur.
Comment formez-vous la nouvelle génération de professionnels du restructuring chez Rothschild & Co pour maintenir votre exigence d’excellence ?
Notre division Global Advisory (banque d’affaires) recrute à Paris plus d’une vingtaine de profils juniors par an. Ils sont exposés pendant leurs trois premières années à un grand nombre de transactions et à tous nos métiers de conseil financier (M&A, debt advisory, equity advisory et restructuring).
Cela leur permet d’obtenir les bases nécessaires pour se spécialiser progressivement et exceller en restructuring – cette discipline étant très complète mêlant des concepts d’analyse stratégique, valorisation, cash flows, documentation de financement, conseil en marché de capitaux (notamment pour les sociétés cotées), mais aussi procédures juridiques.
En bref
Rothschild & Co, groupe familial indépendant au centre des marchés financiers depuis plus de 200 ans, est l’une des premières banques d’affaires au niveau mondial.
Sur le secteur des restructurations financières, Rothschild & Co est sans conteste #1 en France et en Europe, et est également leader dans le monde avec plus de 200 personnes dédiées à son activité de Debt Advisory & Restructuring, dont 50 en France.
En France, Rothschild & Co est intervenu sur toutes les restructurations financières de taille significative de ces 20 dernières années, comme récemment Altice France (SFR), Atos, Orpea, Casino, Vallourec, Europcar ou encore Pierre & Vacances.

