L’IA transforme les processus décisionnels des entreprises

L’IA transforme les processus décisionnels des entreprises

Dossier : Vie des entreprises - Transformation numérique et intelligence artificielleMagazine N°805 Mai 2025
Par Gérald PETITJEAN

Spé­cia­li­sée dans les mathé­ma­tiques déci­sion­nelles, l’optimisation et l’intelligence arti­fi­cielle, EURODECISION offre des ser­vices d’analyse de don­nées et de déve­lop­pe­ment d’algorithmes pour aider les entre­prises à prendre de meilleures déci­sions. Gérald Petit­jean, Direc­teur de l’Innovation d’EURODECISION, nous par­tage sa vision.

En tant que Directeur de l’Innovation chez EURODECISION, comment voyez-vous l’IA transformer les processus décisionnels au sein des entreprises aujourd’hui ?

Quand EURODECISION a été créée en 1987, l’aide à la déci­sion (le terme IA n’était soit plus à la mode, soit pas encore reve­nu à la mode) était encore une affaire de spé­cia­listes chez nos clients.

Depuis, deux phé­no­mènes ont conduit à une accé­lé­ra­tion de l’adoption de l’IA. Pre­miè­re­ment, d’un point de vue pure­ment tech­nique : les pro­grès spec­ta­cu­laires des machines (le hard­ware), per­met­tant de sto­cker un nombre très impor­tant de don­nées et de dimi­nuer consi­dé­ra­ble­ment les temps de cal­cul des algo­rithmes ; ain­si que la richesse et la viva­ci­té de l’écosystème des biblio­thèques open source (le soft­ware), per­met­tant d’avoir accès à de nom­breux algo­rithmes et modèles d’IA, fiables et per­for­mants. Deuxiè­me­ment, d’un point de vue métier, nos clients font face à de nom­breux défis : le dés­ilo­tage des orga­ni­sa­tions, le besoin de s’adapter très rapi­de­ment et très fré­quem­ment au mar­ché, la néces­si­té de réduire leurs coûts et d’améliorer la qua­li­té de leurs pro­duits et ser­vices, les enjeux liés au cli­mat, au déve­lop­pe­ment durable et à la tran­si­tion énergétique.

En résu­mé, la tech­nique et les besoins se sont ren­con­trés : nous avons la capa­ci­té de répondre aux besoins de nos clients.

« Nos modèles et algorithmes permettent d’améliorer la qualité des produits et des services, d’anticiper les problèmes (pannes et dysfonctionnements) et de mieux utiliser les ressources et les compétences. »

Tou­te­fois, il faut res­ter modeste et réa­liste : l’IA géné­rale (aus­si appe­lée IA forte), capable de résoudre n’importe quel pro­blème, n’existe pas. Nous conce­vons aujourd’hui des modèles et des algo­rithmes spé­ci­fiques à la réso­lu­tion d’une classe de pro­blèmes (on appelle cela l’IA faible) : une IA effi­cace pour jouer au Go ne le sera pas pour jouer aux échecs, diag­nos­ti­quer un défaut sur une pale d’hélicoptère, détec­ter une menace sur un réseau infor­ma­tique, pré­voir les ventes d’une grande enseigne de dis­tri­bu­tion, construire le pro­gramme de vols d’une com­pa­gnie aérienne ou éva­luer des stra­té­gies d’investissement pour des indus­tries de réseau… 

Actuel­le­ment, les outils d’IA per­mettent d’automatiser soit des tâches simples à faible valeur ajou­tée, mais très fré­quentes, répé­ti­tives et chro­no­phages pour les humains, soit des tâches com­plexes à haute valeur ajou­tée, néces­si­tant une exper­tise poin­tue, explo­rant une com­bi­na­toire très impor­tante, et avec des exi­gences éle­vées de pré­ci­sion. Dans le pre­mier cas, l’IA amé­liore la pro­duc­ti­vi­té et fia­bi­lise les pro­ces­sus ; dans le second cas, l’IA est un outil aug­men­tant et com­plé­tant l’expertise humaine.

Comment les techniques d’IA intégrées aux nouvelles technologies peuvent-elles aider les entreprises à améliorer leur efficacité opérationnelle et à réduire les coûts ?

Nos modèles et algo­rithmes per­mettent d’améliorer la qua­li­té des pro­duits et des ser­vices, d’anticiper les pro­blèmes (pannes et dys­fonc­tion­ne­ments) et de mieux uti­li­ser les res­sources et les compétences.

Par exemple, nous accom­pa­gnons des clients indus­triels dans le sec­teur pétro­lier et dans le sec­teur des semi-conduc­teurs pour iden­ti­fier les fac­teurs qui ont un impact sur la qua­li­té et le ren­de­ment de leur pro­duc­tion. Avec des tech­niques de machine lear­ning, nous ana­ly­sons ain­si des don­nées remon­tées par des cap­teurs pla­cés sur les machines. Cela nous per­met de pré­voir et d’anticiper des pannes ou des condi­tions de pro­duc­tion dégradées.

Autre exemple, nous avons récem­ment gagné le prix « IA et RH » orga­ni­sé par le Hub France IA, avec un pro­jet très inno­vant réa­li­sé pour KEOLIS. Il s’agit de construire des plan­nings per­son­na­li­sés pour les conduc­teurs de bus, en pre­nant en compte leurs pré­fé­rences indi­vi­duelles. Les tech­niques d’IA pres­crip­tive et de recherche opé­ra­tion­nelle que nous avons uti­li­sées apportent des gains humains et orga­ni­sa­tion­nels à KEOLIS : cela amé­liore la qua­li­té de vie au tra­vail des conduc­teurs, rend le métier plus attrac­tif, faci­lite le recru­te­ment, dimi­nue l’absentéisme et le tur­no­ver, ce qui, in fine, rend l’exploitation opé­ra­tion­nelle plus fiable et plus efficace.

Enfin, dans le domaine de la sup­ply chain, nos com­po­sants logi­ciels couvrent toutes les étapes, de l’approvisionnement en matières pre­mières jusqu’à la livrai­son du pro­duit final aux clients, en pas­sant par la loca­li­sa­tion et le dimen­sion­ne­ment des entre­pôts, la ges­tion des stocks ou encore la pré­vi­sion de la demande. Ces com­po­sants garan­tissent une per­for­mance glo­bale : res­pec­ter les délais tout en mini­mi­sant les coûts de sto­ckage, réduire les coûts de trans­port tout en pre­nant en compte l’impact car­bone, etc.

Quels sont les principaux défis rencontrés lors de la mise en œuvre de solutions d’IA dans les entreprises ?

Le prin­ci­pal défi ren­con­tré relève d’une mécon­nais­sance au sujet de l’IA, par­fois entre­te­nue par un buzz médiatique.

Même si l’IA géné­ra­tive a per­mis de popu­la­ri­ser l’IA très rapi­de­ment, il faut faire de la péda­go­gie auprès de nos clients. En effet, l’IA géné­ra­tive ne peut pas tout résoudre. Elle n’est qu’une petite par­tie de la grande famille de l’IA. Si vous sou­hai­tez faire de la clas­si­fi­ca­tion ou de la pré­vi­sion, uti­li­sez l’IA sta­tis­tique et le machine lear­ning. Mais si vous vou­lez pla­ni­fier des déci­sions et éva­luer leur impact sur un hori­zon spa­tial et tem­po­rel, choi­sis­sez la recherche opé­ra­tion­nelle. Si vous pré­fé­rez recueillir la connais­sance d’experts puis auto­ma­ti­ser leur rai­son­ne­ment, pre­nez l’IA sym­bo­lique et les sys­tèmes à base de règles. Enfin, si vous sou­hai­tez super­vi­ser et coor­don­ner plu­sieurs pro­ces­sus déci­sion­nels, ser­vez-vous de l’IA col­lec­tive et des sys­tèmes multi-agents.

En quoi les technologies de pointe peuvent-elles jouer un rôle dans la transition vers des pratiques industrielles plus durables et la décarbonation de l’économie ? Des projets spécifiques qui illustrent cette contribution ?

Les tech­niques d’IA per­mettent à la fois de pré­voir la pro­duc­tion d’énergies renou­ve­lables, de mieux pilo­ter l’utilisation des équi­pe­ments et la consom­ma­tion des res­sources, et de faire tout cela en pre­nant en compte les incer­ti­tudes et les aléas (sur la demande des clients ou sur les condi­tions météo­ro­lo­giques). Ces modèles peuvent être appli­qués pour des pro­blé­ma­tiques allant du stra­té­gique à l’opérationnel. Dans le sec­teur de l’énergie, nous avons ain­si réa­li­sé de nom­breux modèles stra­té­giques : opti­mi­sa­tion de l’équilibre offre-demande, tari­fi­ca­tion, déve­lop­pe­ment et dimen­sion­ne­ment du réseau, ges­tion et main­te­nance à long terme d’équipements.

Pour un indus­triel du fer­ro­viaire, nous avons conçu des algo­rithmes qui syn­chro­nisent les frei­nages et les accé­lé­ra­tions dans des réseaux de métro auto­ma­tique, ce qui per­met de maxi­mi­ser l’utilisation de l’énergie de frei­nage récu­pé­rée et de mini­mi­ser la consom­ma­tion glo­bale d’électricité.

Enfin, nous avons aus­si déve­lop­pé des outils pour la pré­vi­sion temps réel de pro­duc­tion d’énergie solaire et éolienne, ain­si que des outils de moni­to­ring de la consom­ma­tion électrique.

Quelle est votre position sur les questions éthiques liées à l’utilisation de l’IA dans les entreprises ? 

Nous tra­vaillons sur des pro­blé­ma­tiques « cœur de métier », com­plexes et stra­té­giques pour des clients dans l’industrie, le trans­port, la san­té, l’énergie ou la défense. Pour ces clients, la confiance est cru­ciale. Et la meilleure façon d’avoir confiance dans l’IA, c’est de ne pas la sur­es­ti­mer ! L’IA est arti­fi­cielle, les humains sont intel­li­gents ! Il faut donc consi­dé­rer l’IA comme un outil tech­no­lo­gique au ser­vice des humains, maî­tri­sé, com­pris et contrô­lé par les humains.

Cela signi­fie que les don­nées qui ali­mentent les algo­rithmes doivent être vali­dées par le métier et avoir du sens pour ce métier, et que les résul­tats four­nis doivent être intel­li­gibles par ce métier. Cela évite les dérives liées à des modèles « boîtes noires » : inca­pa­ci­té à ana­ly­ser des résul­tats, à détec­ter qu’un algo­rithme se trompe (même rare­ment), à détec­ter qu’un modèle est obso­lète (même légè­re­ment), etc.

Ce sont des enjeux essen­tiels liés à l’explicabilité, l’interprétabilité, l’auditabilité et l’acceptabilité des outils à base d’IA.

C’est typi­que­ment le cas dans l’un de nos pro­jets en cours : nous conce­vons des algo­rithmes de régu­la­tion et de repla­ni­fi­ca­tion auto­ma­tiques et temps réel, qui seront inté­grés à des nou­veaux sys­tèmes d’exploitation fer­ro­viaire, de super­vi­sion et de ges­tion opé­ra­tion­nelle des circulations.

Comment restez-vous à la pointe de l’innovation technologique et de l’optimisation ? Des exemples de projets ou de partenariats fructueux avec des institutions académiques et de recherche ?

Fon­dée en 1987 par des cher­cheurs de l’Université Paris-Dau­phine, EURODECISION reste très liée aux ins­ti­tu­tions aca­dé­miques et de recherche. Ain­si, EURODECISION est l’un des membres fon­da­teurs de l’association scien­ti­fique ROADEF (Socié­té Fran­çaise de Recherche Opé­ra­tion­nelle et d’Aide à la Déci­sion), et éga­le­ment membre de l’AFIA (Asso­cia­tion Fran­çaise pour l’Intelligence Artificielle).

Nous publions régu­liè­re­ment des articles dans des revues et confé­rences scien­ti­fiques, et des col­lègues donnent des cours de mathé­ma­tiques déci­sion­nelles et d’IA dans des uni­ver­si­tés, écoles d’ingénieurs et écoles de com­merce fran­çaises (Uni­ver­si­té Paris-Dau­phine, Cen­trale Paris, ENSAI, ESSEC…).

Nous menons aus­si une acti­vi­té interne de R&D et d’innovation : veille tech­no­lo­gique sur des sujets émer­gents (infor­ma­tique quan­tique pour l’optimisation, IA hybride, appren­tis­sage par ren­for­ce­ment…), bench­mar­king de sol­veurs mathé­ma­tiques et de biblio­thèques de Data Science, déve­lop­pe­ment de com­po­sants logi­ciels dans le domaine de la pla­ni­fi­ca­tion des RH, de la pla­ni­fi­ca­tion de la pro­duc­tion, de l’optimisation de la sup­ply chain, du reve­nue mana­ge­ment et de l’analyse du par­cours client.

Enfin, EURODECISION sou­tient des ini­tia­tives mêlant acteurs indus­triels et aca­dé­miques. Par exemple en adhé­rant au Hub France IA et en contri­buant à des groupes de tra­vail sur la main­te­nance, le trans­port et la logis­tique, ou encore sur l’environnement et la tran­si­tion éco­lo­gique. Ou en par­ti­ci­pant à des pro­jets de R&D col­la­bo­ra­tive tels que le pro­jet euro­péen AI4DEF, qui visait à étu­dier la mise en œuvre de tech­no­lo­gies d’IA dans le sec­teur de la Défense. 

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